Niki de Saint-Phalle au Grand Palais… et à Château-Chinon !

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Fontaine, Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle, Place de la Mairie à Château-Chinon, 1988. ©Fonds National d’Art Contemporain

Alors que l’artiste Niki de Saint-Phalle fait l’objet d’une rétrospective parisienne au Grand Palais à voir jusqu’au 2 février, intéressons-nous à sa fontaine-sculpture-mobile de Château-Chinon, dans le Morvan !

Une jeunesse chaotique

Niki de Saint-Phalle naît en 1930 à Neuilly-sur-Seine, mais c’est en Bourgogne qu’elle passe une partie de son enfance ! Fille d’un riche banquier issu de la noblesse française et d’une américaine de la haute bourgeoisie d’affaire, elle est envoyée dès sa naissance chez ses grands-parents suite au crack boursier de 1930 qui cause la ruine de sa famille. Elle passe les trois premières années de sa vie dans la Nièvre avant de rejoindre ses parents aux Etats-Unis. Commencent alors les longues années d’une jeunesse difficile au milieu d’une famille instable. Elle avouera plus tard avoir été violée par son père à l’âge de douze ans. Pour fuir le carcan familial et le puritanisme qu’elle juge hypocrite de la société américaine, Niki s’enfuit à 18 ans avec Hary Matheuws qu’elle épouse en 1949. Elle devient mannequin et fait la une de Vogue. Le couple s’installe à Paris en 1952. Ils ont deux enfants.

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Niki de Saint-Phalle en couverture du magazine Vogue en 1952

La thérapie par l’art

En 1953 Niki de Saint-Phalle fait une grave dépression. Pendant son hospitalisation, elle subi plusieurs électrochocs et découvre la thérapie par l’art. Diagnostiquée schizophrène, la peinture semble calmer ses angoisses. Elle décide de se consacrer à l’art, en autodidacte. Son œuvre hétéroclite sera d’abord composée d’assemblages d’objets divers (tissus, poupées, figurines, couteaux…). Elle se fait d’abord connaître par ses tableaux-cibles, têtes d’hommes qu’il faut viser aux fléchettes, puis par ses tirs dans les années 1960, tableaux de plâtre renfermant des poches de couleurs qui sont libérées par des tirs à la carabine. Elle entame ensuite une réflexion sur les femmes, mères dévorantes, prostituées, mariées ou mères accouchant, dans ses sculptures monumentales composées de résine, de tissus, de papier mâché et d’objets divers assemblés. C’est en voyant une amie enceinte qu’elle aurait composé sa première sculpture de Nana en papier mâché et laine qui marqua son oeuvre. A la fin des années 1960 elle crée ses premières architectures-sculptures, des structures habitables, des jeux d’enfants comme Dragon et Golem ou des jardins architecturés comme le Jardin des Tarots en Toscane. En 1972 elle réalise un film, Daddy, qui lui permet de se libérer de l’image paternelle qui la hante. Pour ses œuvres, elle s’inspire d’influences diverses, de sa propre biographie aux différentes civilisations qu’elle rencontre lors de ses voyages, de son imagination débordante aux grands maîtres de l’art.

Tir niki St Phalle séance 26 juin 1961 Jean Tinguely
Niki de Saint-Phalle en pleine séance de tir le 26 juin 1961

Une artiste engagée

Ses œuvres se font l’écho des problématiques sociétales de son temps. Niki de Saint-Phalle est une artiste engagée qui défend de nombreuses causes. Féministe de la première heure avec ses Nanas joyeuses, puissantes, débridées et libres, elle défend la cause des femmes et plus largement des minorités oppressées. Elle soutient la cause des noirs, la lutte contre le racisme (série des Black vénus), et les malades du sida.

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Black Venus, Niki de Saint-Phalle, armature métallique, résine de polyester, 1965-1966. New York, Withney Museum of American Art.

Jean Tinguely et le groupe des Nouveaux Réalistes

En 1956, Niki de Saint-Phalle fait la rencontre de Jean Tinguely, artiste suisse bien connu pour ses sculptures mécaniques, assemblages abstraits d’objets résiduels mis en mouvement par des mécanismes bruyants et brinquebalants. Leur complicité artistique deviendra bientôt une complicité amoureuse. Ils se marient quelques années plus tard. Une véritable collaboration naît entre les deux artistes. Tinguely réalise les structures internes des premières Nanas. Grâce à lui, Niki découvre la vie artistique parisienne et intègre le groupe des Nouveaux Réalistes en 1961, composé entre autre par Yves Klein, César ou Daniel Spoerri. Ensemble, ces artistes tentent de s’opposer au mouvement abstrait alors en vogue et de se faire l’écho du monde contemporain. Loin de viser un art figuratif, les artistes du groupe tentent plutôt d’aboutir à un réalisme contemporain par le biais d’une nouvelle approche du réel. Symboles du consumérisme, le matériau commun et l’objet manufacturé seront au cœur de leurs créations et assemblages, à l’image des machines de Tinguely, des compressions de César ou des accumulations d’Arman.

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Signature de la Déclaration Constitutive du Nouveau Réalisme, 1960.

La Fontaine de Château-Chinon

C’est pour rendre hommage à la commune de Château-Chinon, chef lieu du Haut-Morvan, que François Mitterrand commanda une œuvre d’art publique. L’homme avait été élu maire de la ville en 1959 – il le restera vingt-deux ans – puis député et sénateur de la Nièvre. Mais c’est après son élection à la Présidence de la France qu’il offrira cette œuvre grandiose à la ville, en remerciement à son soutien. En 1987, François Mitterrand demande au Ministère de la Culture d’agir en faveur d’une commande publique. Le Centre National des Arts Plastiques (CNAP) passe alors un marché la même année avec les artistes Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle. L’oeuvre en dépôt à Château-Chinon est propriété de l’Etat et du CNAP.

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Détail de la Fontaine, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, 1987, Château-Chinon.

Une inauguration en grande pompe

Travail collaboratif de Jean Tinguely et de Niki de Saint-Phalle, la Fontaine de Château-Chinon est une œuvre unique ! Elle est inaugurée le 10 mars 1988 sur la place de la Mairie par François Mitterrand en personne qui actionne son mécanisme pour la mettre en marche ! Vidéo de l’inauguration de la Fontaine de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely à Château-Chinon en 1988

Une œuvre conjointe

Les deux artistes ont mis leur force créatrice en commun pour concevoir cette œuvre unique et imposante. Jean Tinguely a réalisé les structures et les mécanismes internes, tandis que Niki de Saint-Phalle a créé les sculptures peintes. La Fontaine prend place dans un bassin de couleur noir. Huit sculptures sont réparties à l’intérieur du bassin, disposées selon les souhaits de Tinguely

« en unité démocratique, c’est-à-dire non monumentale, ne cherchant pas à dominer l’homme ».

Elles mesurent entre 65 centimètres et 1,35 mètres pour la plus grande. On y retrouve des éléments typiques du répertoire de Niki de Saint-Phalle. Une main se dresse vers le ciel, du bout des doigts jaillissent des jets d’eau. Un ballon, percé de trous, éclabousse. Un petit buste rose qui semble danser fait jaillir de l’eau de sa paume de main. Plusieurs autres personnages s’ajoutent à cette joyeuse farandole : un profil coloré, une grande tête rayée blanc et noir, un monstre aux dents acérées, une tête bleu souriante, et bien sûr une Nana jaune en maillot de bain dont les seins expulsent des jets d’eau. Le tout est actionné par un mécanisme grinçant et bruyant conçu par Jean Tinguely à partir de bout de ferrailles et autres matériaux de récupération, sauvés du rebut. Il donne vie à ces figures étranges, qui se déplacent et tournent selon un cycle prédéfini, issues tant du monde de l’enfance et du jeu que de l’univers du carnaval, et qui rappellent les danses joyeuses d’un certain Henri Matisse. L’oeuvre fait la synthèse entre deux mondes qui s’opposent : l’univers bruyant et métallique de Jean Tinguely, et la vision joyeuse et humoristique des figures de Niki.

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Détail de la Fontaine de Château-Chinon. Nana articulée de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely.

« Mon moyen d’expression a lieu uniquement quand mes machines sont en mouvement. A l’arrêt, il y a non lieu »

précisait Jean Tinguely dans un croquis préparatoire à l’oeuvre. C’est pour cette raison qu’il a prévu de ralentir le débit de l’eau et des moteurs la nuit, lorsque la fontaine sera « seule et silencieuse ».

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Détails des sculptures de la Fontaine de Château-Chinon.

Les sœurs jumelles

Quelques autres fontaines des deux artistes sont connues dans le monde : la Fontaine de Berne installée en 1977, la Fontaine Jo Siffert à Fribourg en 1984 et la Fontaine Stravinsky à Paris, la sœur jumelle de celle de Château-Chinon ! Cette fontaine a été commandée en 1981 par Jacques Chirac, alors Maire de Paris, aux deux artistes pour orner la place Igor-Stravinsky. Elle prend place à côté du Centre Georges Pompidou qui abrite, entre autre, le Musée National d’Art Moderne et l’IRCAM, centre de recherche en musique contemporaine. La Fontaine rend donc hommage au compositeur du XXe siècle Stravinsky et à sa musique, incarnée par la danse des statues animées, et le bruit des mécanismes et des jets d’eau. Les deux artistes se sont d’ailleurs inspirés de plusieurs de ses compositions comme le Sacre du Printemps (1918), L’Oiseau de feu (1910), Ragtime (1918)… Certaines figures sont tout droit tirées de ces œuvres musicales comme la clé de sol, l’oiseau de feu, l’éléphant… Nul doute que la fontaine parisienne aura grandement inspiré les deux artistes pour leur œuvre de Château-Chinon !

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Fontaine Stravinsky, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, aluminium, acier, moteurs, polyester, fibres de verre, papier, 1983, Paris.

A voir

La rétrospective Niki de Saint-Phalle se tient au Grand Palais à Paris jusqu’au 2 févier. Outre la Fontaine, la ville de Château-Chinon abrite le musée du Septennat, installé dans un ancien couvent du XVIIIe siècle, qui conserve les cadeaux officiels et personnels reçus par François Mitterrand et offerts au département.

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