Université Sorbonne Paris Cité
Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Université de São Paulo
École doctorale 122 – Europe latine – Amérique latine
Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL)
Centre de Recherche et de Documentation des Amériques (CREDA) : UMR7227
Histoire
MÉLANIE TOULHOAT
Rire de la dictature, rire sous la dictature
L’humour graphique dans la presse indépendante :
une arme de résistance sous le régime militaire brésilien
(1964 – 1982)
Thèse dirigée par : Olivier Compagnon
Co-dirigée par : Marcos Napolitano
Date de soutenance : 20/09/2019
Jury : Olivier Compagnon (directeur de recherche), Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Marcos Napolitano (co-directeur de recherche), Université de São Paulo
Laurent Martin, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Gabriela Pellegrino Soares, Université de São Paulo
Luc Capdevila, Université Rennes 2 – Haute Bretagne
Rodrigo Patto Sá Motta, Université fédérale du Minas Gerais
Universidade Sorbonne Paris Cité
Universidade Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Universidade de São Paulo
Escola doutoral 122 – Europa latina – América latina
Instituto de Altos Estudos da América latina (IHEAL)
Centro de Pesquisa e Documentação das Américas (CREDA) : UMR7227
História
MÉLANIE TOULHOAT
Rir da ditadura, rir sob a ditadura
O humor gráfico na imprensa independente :
uma arma de resistência durante o regime militar brasileiro
(1964-1982)
Tese dirigida por : Olivier Compagnon
Co-dirigida por : Marcos Napolitano
Data de defesa : 20/09/2019
Mesa : Olivier Compagnon (orientador), Universidade Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Marcos Napolitano (co-orientador), Universidade de São Paulo
Laurent Martin, Universidade Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Gabriela Pellegrino Soares, Universidade de São Paulo
Luc Capdevila, Universidade Rennes 2 – Haute Bretagne
Rodrigo Patto Sá Motta, Universidade Federal de Minas Gerais
Titre : « Rire de la dictature, rire sous la dictature. L’humour graphique dans la presse
indépendante : une arme de résistance sous le régime militaire brésilien (1964-1982) »
Résumé : Cette thèse porte sur le rôle politique de diverses formes d’humour graphique – la
charge, la caricature, la bande dessinée, la gravure et le détournement d’images
photographiques – publiées dans la presse indépendante, sous le régime militaire brésilien
instauré à la suite du coup d’État du 31 mars 1964. Il s’agit d’analyser les styles, les
mécanismes et les pratiques contestataires spécifiques au dessin d’humour et à l’image
satirique à partir de l’institutionnalisation du pouvoir autoritaire et jusqu’à la réinvention des
moyens d’expression indépendants au début des années 1980. Dans un contexte de fermeture
progressive du régime, de répression policière, de rétrécissement drastique du champ légal de
l’action politique et de sévères limitations imposées à la liberté d’expression, l’humour
graphique fut employé par les rédactions afin de contourner les diverses formes de censure et
de lutter contre l’imaginaire autoritaire. La réinterprétation de certaines pratiques inscrites
dans la tradition de l’humour visuel brésilien, construite à partir de l’essor de la presse
imprimée au XIXe siècle, fut accompagnée d’innovations esthétiques, thématiques et
militantes majeures dans un rapport mouvant à l’interdit, au toléré et à l’autorisé. Les
périodiques, les dessinateurs et événements furent représentatifs d’importantes étapes dans
l’élaboration des luttes symboliques et légales menées par les rédactions indépendantes. La
diversité des sources iconographiques, manuscrites, imprimées et orales révèle l’important
pouvoir de synthèse et le rôle fondamental de l’humour graphique dans la construction
d’univers visuels thématiques caractéristiques des combats – et des divergences – des
mouvements brésiliens de l’opposition démocratique.
Mots-clés : Brésil, régime militaire, humour graphique, presse indépendante, caricature, bande
dessinée, satire visuelle
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Título : « Rir da ditadura, rir sob a ditadura. O humor gráfico na imprensa independente: uma
arma de resistência durante o regime militar brasileiro (1964-1982) »
Resumo : Esta tese se dedica ao estudo do papel político de várias formas de humor gráfico –
tais como a charge, a caricatura, a história em quadrinhos, a gravura e o corte-colagem de
imagens fotográficas – publicadas na imprensa independente durante o regime militar
brasileiro, a partir do golpe do 31 de março de 1964. Se trata de analisar os estilos, os
mecanismos e as práticas contestatórias específicos do desenho de humor e da imagem satírica
a partir da institucionalização do poder autoritário e até a reinvenção dos meios de
comunicação independentes no começo dos anos 1980. Num contexto de fechamento
progressivo do regime, de repressão policial, de diminuição drástica do campo legal da ação
política assim como de severas limitações impostas à liberdade de expressão, o humor gráfico
foi empleado pelas redações para contornar as diversas formas de censura e lutar contra o
imaginário autoritário. A reinterpretação de certas práticas inscritas na tradição do humor
visual brasileiro, construida a partir do crescimento da imprensa no siglo XIX, foi
acompanhada de importantes inovações estéticas, temáticas e militantes numa relação em
movimento com o proibido, o tolerado e o autorizado. Os periódicos, os cartunistas e eventos
foram representativos das maiores etapas de elaboração das lutas simbólicas e legais por parte
das redações independentes. A diversidade das fontes iconográficas, manuscritas, impressas e
orais revela o importante poder de síntese e o papel fundamental do humor gráfico na
construção de universos visuais temáticos caraterísticos das lutas, e das divergências, dos
movimentos brasileiros da oposição democrática.
Palavras chave : Brasil, regime militar, humor gráfico, imprensa independente, caricatura,
quadrinhos, satira visual
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Title : « Laughing about dictatorship, laughing under dictatorship. The graphic humor in
independent press : a weapon of resistance during the Brazilian military regime (1964-1982) »
Abstract : This thesis deals with the political role of various forms of graphic humor –
charges, caricatures, cartoons, engraving prints and photomontages –
published in the
independent press under the military regime established as a result of the 31st march 1964’s
coup. We analyze the styles, mechanisms and protester practices specific of humoristic
drawings and satirical images from the authoritarian power’s institutionalization to the
reinvention of the independent ways of expression in the early 80’s. Against a background of
progressive regime’s closure, police repression, extreme reduction of the legal scope of
political action and severe restrictions imposed on freedom of expression, the graphic humor
was used by the editorial offices in order to circumvent the various forms of censorship and
fight against the authoritarian imaginary. The reinterpretation of some practices that has been
part of the Brazilian visual humor tradition built from the rise of the print press in the XIX th
century, was accompanied by major aesthetic, thematic and militant evolutions in a moving
connection with the forbidden, the tolerated and the allowed. The newspapers, the cartoonists
and the events were representative of important steps in the development of symbolic and
legal struggles led by the independent editorial teams. The diversity of iconographic,
manuscript, printed and oral sources reveals the huge synthesis power and the crucial purpose
of graphic humor within the building of thematic and visual universes characteristic of the
fights – and the discrepancies – of the Brazilian democratic opposition’s movements.
Keywords : Brazil, military dictatorship, graphic humor, independent press, caricature,
comics, visual satire.
5
6
« Ce journal se rend responsable d'actes portant
atteinte à la morale publique, ayant pour fondement
la publication de dessins de presse accompagnés
d'écrits obscènes. […] Pourtant, il n'y a, pour ainsi
dire, aucune réelle nécessité d'illustration de
l'article1. »
Paulo MONTEIRO, détective matricule 121.748, « Chef
du groupe Étudiants », 1974
« Faire des erreurs ? On fera toujours des erreurs. Ne
fera jamais d'erreur que celui qui ne fait rien. Et c'est
déjà une erreur de départ2. »
Alipio FREIRE, journaliste et artiste, 2011
1
2
Paulo MONTEIRO, rapport adressé à la Division des opérations de recherches spéciales, archives générales de
l’État de Rio de Janeiro, fonds du Département d'Ordre Politique et Social (DOPS), Rio de Janeiro,
11/12/1974. Dans cette lettre, l'officier Monteiro justifie l'interdiction d'un croquis du dessinateur Ziraldo,
confisqué après invasion de la rédaction de l'hebdomadaire satirique brésilien Pasquim.
Alípio FREIRE in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é Preciso...” Os protagonistas desta história, São
Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD7, 00'07''46 (document audiovisuel).
7
8
TABLE DES MATIÈRES
Table des illustrations……………………………………….................……………...p. 11
Remerciements…………………………………………………………................…….p. 17
Liste des abréviations…………………………………..............……………….…….p. 19
Introduction……………………………………………………………......................…p. 21
Partie I : Entre tradition de l'humour graphique brésilien
et premiers
coups d'éclat (1964-1968) ……………………………………………....…................p. 47
Chapitre 1 : L'image satirique, l'humour graphique et la presse : un état des
lieux brésilien………………………………………………………................….p. 49
I. Construction de la nation et essor de la presse imprimée au XIXe
siècle………………………………………………………………...………p. 50
II. L'humour et la satire, des armes de lutte politique au cours du XX e
siècle………………………………………………………………...………p. 63
III. La presse indépendante opposée au régime militaire……………..……p. 75
Chapitre 2 : Pif-Paf ou l'éphémère mise en scène satirique du pouvoir…..p. 89
I. De « Pif-Paf » à Pif-Paf : genèse d'une publication..……………....……p.
90
II. Une satire de la société brésilienne….……..……..…………...…….…p. 108
III. Désacralisation du pouvoir dans les pages de Pif-Paf…………....……p. 128
Partie II: L'humour graphique, une arme de lutte politique et de
contournement de la censure durant les « années de plomb » (1968 –
1975) ……………………………………………………………………………………..p. 149
Chapitre 3: Rire sous la dictature : contournement et affrontement des
limitations imposées à la liberté d'expression…………………...……...…p. 151
I. Les caractéristiques d'un combat politique collectif……………...…….p. 151
II. Opinião et Pasquim, deux grands indépendants………………...….….p. 164
III. Entre l'interdit et l'autorisé : créativité et stratégies graphiques face à la
censure…………………………………………………………..……...…p. 199
9
Chapitre 4 : Entre l'autorisé, le toléré et l'interdit : rire de la dictature sous les
« années de plomb » …………………………………………………………..p. 215
I. Interdictions d'en rire…………………………………………...………p. 216
II. Un portrait brésilien au vitriol…………………………………………p. 232
III. Satire et caricature politiques au-delà des frontières : le Brésil et le monde
dans la Guerre froide………………………………………………...….…p. 261
Chapitre 5 : Le Salon de l’humour international de Piracicaba : rencontres et
circulations de l’humour graphique contestataire…………………...……p. 287
I. Les débuts du salon de l’humour de Piracicaba…………………...……p. 288
II. Le jeu d'échelle à Piracicaba : entre national, régional et international.p. 305
III. Le salon de l'humour face à la nécessaire valorisation du dessin
brésilien……………………………………………………………………p. 322
Partie III : L'humour graphique, révélateur de la diversification des
combats et des tensions internes à la gauche à l'aube de l'ouverture politique
(1975-1982)………………....………......…………………….……….…....………......p. 347
Chapitre 6 : Genres, sexualités, minorités : quand l'humour graphique
s'insurge contre le conservatisme……………..……………..….....….….….p. 351
I. Les combats du rire féministe…………………………………......……p. 354
II. L’émergence de la presse homosexuelle : un combat transversal en faveur
des minorités ?………………………………………………...……..……p. 381
Chapitre 7 : Multiculturalisme, pan-latino-américanisme, écologie : quelles
perspectives dessina l'humour graphique pour le Brésil ? …………...…p. 423
I. Versus et la place du Brésil en Amérique latine…………………...……p. 424
II. Vers une politisation graphique de l'écologie militante……...………...p. 454
Conclusion………………………………………………………………..............…….p. 487
Sources…………………………………………………………………….................….p. 497
Bibliographie………………………………………...……………………...............…p. 511
Documents annexes…………………………………………………….............…….p. 533
Index……………………………………………………………………….................….p. 547
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
Chapitre 1
FIG 1 : Manuel de Araujo Porto-Alegre, « A Campainha e o Cujo », lithogravure 31x41,5 cm
sur papier 37 x 48 cm, 1837………………………………………………………...…...….p. 52
FIG 2 : Careta, n°1881, 07/1944, p. 1………………………………………………...……p. 65
Chapitre 2
FIG 3 : O Cruzeiro, n° spécial, 10/04/1964, p.1………………………………………...…p. 97
FIG 4 : Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 1………………………………………………...……p. 99
FIG 5 : Charge de Claudius in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 5…………………………....p. 102
FIG 6 : Claudius, « Rigorosamente incomunicável ! » in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 8……p. 104
FIG 7 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11………………….…..p. 106
FIG 8 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 19………………...……p. 107
FIG 9 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11…………………...…p. 108
FIG 10 : Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15………………………………………………..……p. 111
FIG 11 : Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 18-19………………………………………………p. 112
FIG 12 : Femme monokini in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 4………………………………...p. 113
FIG 13 : Dessin publicitaire in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 8……………………………p. 114
FIG 14 : « Le péché originel » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 15………………………..p. 116
FIG 15 : « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15………...…p. 118
FIG 16 : Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 24…………………………………………….……p. 120
FIG 17 : Charge de Claudius in Pif-Paf, n°6, 27/071964, p. 24……………………..……p. 123
FIG 18 : « Bússola Anticomuna » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 16………………….…p. 124
FIG 19 : La plage vue par Roland in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 9……………………...p. 127
FIG 20 : « O jogo da democracia » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1 et p. 24………….……p. 130
FIG 21 : « Robô do Presidente Perfeito » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 19…………..……p. 136
FIG 22 : Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p.1……………………………………………………p. 138
FIG 23 : Concours Miss Alvorada in Pif-Paf, n°8, 27/08/1064, p. 21………...………….p. 141
Chapitre 3
FIG 24 : Opinião, n°7, 18/12/1972, p. 21………………………………………………...p. 163
FIG 25 : Pasquim, n°101, 10-16/06/1971, p. 10…………………………………….……p. 168
FIG 26 : Pasquim, n°92, 08-14/04/1971, p. 25…………………………………...………p. 169
FIG 27 : Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 24…………………………………………….……p. 171
FIG 28 : Pasquim, n°92, 08-14/04/1971, p. 10………………………………………...…p. 175
FIG 29 : Pasquim, n°35, 19-25/02/1970, p. 32……………………………...……………p. 181
FIG 30 : Leila Diniz in Pasquim, n°52, 18-24/06/1970, p. 22-23…………………...……p. 182
FIG 31 : Opinião, n°1, 6-13/11/1972, p. 2…………………………………………..……p. 185
FIG 32 : Opinião, n°54, 19/11/1973, p. 32…………………………………………..……p. 189
FIG 33 : Opinião, n°54, 19/11/1973, p. 32……………………………………………..…p. 191
FIG 34 : Opinião, n°100, 4/10/74, p. 9…………………………………………………...p. 192
FIG 35 : Opinião n°11, 15-22/01/1973, p. 3……………………………………………...p. 194
FIG 36 : Opinião, n°15, 12-19/02/1973, p. 20……………………………………………p. 195
11
FIG 37 : Opinião, n°75, 15/04/1974, p. 24…………………………………………….…p. 198
FIG 38 : Pasquim, n°72, 3-10/11/1969, p. 4…………………………………………...…p. 202
FIG 39 : Pasquim, n°73, 11-17/11/1970, p. 1…………………………………………….p. 203
FIG 40 : Pasquim, n°74, 18-24/11/1970, p. 1……………………………………….……p. 204
FIG 41 : Pasquim, n°77, 9-15/12/1970, p. 18……………………………………….……p. 205
FIG 42 : Opinião, n°15, 12-19/02/1973, p. 1……………………………………………..p. 210
FIG 43 : Ex-, n°1, 11/1973, p. 1…………………………………………………..………p. 213
Chapitre 4
FIG 44 : « Votez pour le candidat Didinho Santos n°273287 », archives personnelles de Nani,
non daté……………………………………………………………………………………p. 218
FIG 45 : « C'est un prisonnier politique », archives personnelles de Nani, non daté…..…p. 219
FIG 46 : « 13 de maio », archives personnelles de Nani, non daté…………………….…p. 221
FIG 47 : « Le nouveau salaire minimum », archives personnelles de Nani, non daté……p. 222
FIG 48 : « Appelez un exorciste », archives personnelles de Nani, non daté……….……p. 223
FIG 49 : « La méningite attaque Rio », archives personnelles de Nani, non daté…..……p. 224
FIG 50 : « Ça fait mal seulement quand je dessine », archives personnelles de Nani, non
daté………………………………………………………………………………...………p. 227
FIG 51 : Pasquim, n°284, 10-16/12/1974, p. 4……………………………………...……p. 230
FIG 52 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 9…………………………………………p. 233
FIG 53 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 29.………………………………………..…p. 236
FIG 54 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 35………………………………..………p. 237
FIG 55 : Pasquim, n°35, 19-26/02/1970, p. 1……………………………………….……p. 238
FIG 56 : Opinião, n°21, 26/03-02/04/1973, p. 9………………………………….………p. 240
FIG 57 : Opinião, n°16, 19-26/02/1973, p. 3……………………………………..………p. 241
FIG 58 : Opinião, n°71, 18/03/1974, p. 3……………………………………………...…p. 242
FIG 59 : Opinião, n°5, 04-11/12/1972, p. 7………………………………………………p. 244
FIG 60 : Opinião, n°70, 11/03/1974, p. 3…………………………………………………p. 245
FIG 61 : Opinião, n°101, 11/10/1974, p. 5……………………………………………..…p. 247
FIG 62 : Opinião, n°138, 27/06/1975, p. 1…………………………………………….…p. 248
FIG 63 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 1……………………………………….……p. 250
FIG 64 : Pasquim, n°84, 11-17/02/1971, p. 15……………………………………...……p. 252
FIG 65 : Pasquim, n°90, 25-31/03/1971, p. 11……………………………………...……p. 254
FIG 66 : Opinião, n°4, 04-11/17/72, p. 19…………………………………………..……p. 256
FIG 67 : Opinião, n°4, 27/11-04/12/1972, p. 8……………………………………...……p. 258
FIG 68 : Opinião, n°131, 09/05/1975, p. 6…………………………………………….…p. 259
FIG 69 : Opinião, n°3, 20-27/11/1972, p. 6………………………………………………p. 262
FIG 70 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 15……...……………………….………p. 264
FIG 71 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 17………………………………………p. 265
FIG 72 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 18……………………………………....p. 266
FIG 73 : Opinião, n°34, 02-09/07/1973, p. 16……………………………………………p. 268
FIG 74 : Opinião, n°49, 16-22/10/1973, p. 15……………………………………………p. 269
FIG 75 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 2…………………………………………p. 271
FIG 76 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 7……………………………………….……p. 272
12
FIG 77 : Pasquim, n°94, 22-28/04/1971, p. 16-17……………………………………..…p. 274
FIG 78 : Opinião, n°8, 25/12/1972-01/01/1973, p. 1 et 10…………………………….…p. 275
FIG 79 : Opinião, n°9, 01-08/01/1973, p. 15……………………………………..………p. 276
FIG 80 : Opinião, n°50, 22-29/10/1973, p. 1……………………………..………………p. 278
FIG 81 : Opinião, n°62, 14/01/1974, p. 5………………………………………………...p. 279
FIG 82 : Opinião, n°78, 06/05/1974, p. 3……………………………………………...…p. 281
FIG 83 : Pasquim, n°79, 06-12/01/1971, p. 28………………………………………...…p. 283
Chapitre 5
FIG 84 : Zélio Alves Pinto, affiche du 1er Salon de l’humour de Piracicaba, 1974,
CEDHU……………………………………………………………………………………p. 295
FIG 85 : Lettre manuscrite de Hermógenes Gomes Magalhães (Hermó) à Alceu Marozi
Righeto, Piracicaba, non daté, archives du CEDHU, « Correspondance 1974 »………….p. 298
FIG 86 : Délibérations des membres du jury du Ier Salon de l’humour, Piracicaba, non daté,
archives du CEDHU, « 1974 » ……………………………………………………………p. 301
FIG 87 : Laerte Coutinho, 1er prix du Salon de l'humour de Piracicaba, 1974 (dessin original
39x29 cm), archives du CEDHU…………………………………………………….……p. 303
FIG 88 : Lettre manuscrite de Tabaré aux organisateurs du Salon de l’humour, Buenos Aires,
05/08/1976, archives du CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres reçues ».………..…p. 316
FIG 89 : Geraldo, affiche du 4ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1977,
archives du CEDHU………………………………………………………………….……p. 317
FIG 90 : Henfil, carton d’invitation au lancement de l’ouvrage Henfil na China, 1980,
archives du CEHDU…………………………………………………………………….…p. 327
FIG 91 : Massaro Hotoschi, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba,
1975 (dessin original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU………………………….……p. 331
FIG 92 : Chico Caruso, Ier prix au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin
original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU…………………………………………..…p. 332
FIG 93 : Lailson de Holanda Cavalcanti, dessin primé au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1977 (dessin original 39,5x29,5 cm), archives du CEDHU……………..……p. 333
FIG 94 : Glauco Vilas Boas, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba,
1978 (dessin original 29x39 cm), archives du CEDHU……………………………...……p. 335
FIG 95 : Arnaldo Angeli Filho (Angeli) , dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba,
1975 (dessin original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU………………………….……p. 337
FIG 96 : Ivan Simões Saidenberg, prix du jury populaire au Salon international de l’humour
de Piracicaba, 1979 (dessin original 40x30 cm), archives du CEDHU……………...……p. 339
FIG 97 : Glauco Vilas Boas (Glauco), affiche du 6ème Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1979, archives du CEDHU……………………………………………………p. 341
FIG 98: Jorge Izar, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1984
(dessin original 30x37 cm), archives du CEDHU…………………………………………p. 344
Chapitre 6
FIG 99 : Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 5………………………………………...…p. 356
FIG 100 : Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 7…………………………………….……p. 357
FIG 101 : Brasil Mulher, n°15, édition spéciale, 03/1979, p. 8………………………..…p. 358
FIG 102 : Mulherio, n°4, 11-12/1981, p. 1…………………………………………..……p. 359
13
FIG 103 : Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 8……………………………...…………...….p. 361
FIG 104 : Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 13………………………...……………….….p. 363
FIG 105 : Brasil Mulher, n°1, 12/1975, p. 5………………………...……………...…….p. 364
FIG 106 : Brasil Mulher, n°9, 10/1977, p. 6…………………………...…………...…….p. 365
FIG 107 : Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 2………………………………………...……p. 366
FIG 108 : Brasil Mulher, n°11, 03/1978, p. 11………………...……………………....…p. 367
FIG 109 : Brasil Mulher, n°10, 12/1977, p. 3……………………………...…………..…p. 368
FIG 110 : Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 16…………………………………...……p. 369
FIG 111 : Brasil Mulher, n°12, 05/1978, p. 15……………………………...………...….p. 372
FIG 112 : Nós,Mulheres, n°1, 06/1976, p. 5………………………………………………p. 375
FIG 113 : Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 12……………………...……………….…….p. 377
FIG 114 : Brasil Mulher, n°2, 05/1976, p. 10…………………………...………………..p. 378
FIG 115 : Nós,Mulheres, n°5, 06-12/1977, p. 15…………………………………………p. 379
FIG 116 : Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 3………………………...……………...…….p. 380
FIG 117 : Lampião, n°0, 04/1978, p. 1……………………………………………………p. 385
FIG 118 : Lampião da Esquina, n°3, 25/05/1978, p. 5……………………………...……p. 387
FIG 119 : Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 8…………………………………….…p. 388
FIG 120 : Lampião da Esquina, n°11, 04/1979, p. 7…………………………………...…p. 390
FIG 121 : Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 15……………………………………p. 391
FIG 122 : Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 13……………………………………p. 392
FIG 123 : Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 5…………………………………..…p. 397
FIG 124 : Lampião da Esquina, n°23, 04/1980, p. 4…………………………………..…p. 399
FIG 125 : Lampião da Esquina, n°29, 10/1980, p. 3……………………………..………p. 400
FIG 126 : Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 5……………………………..………p. 401
FIG 127 : Lampião da Esquina, n°16, 09/1979, p. 5…………………………………..…p. 402
FIG 128 : Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 4………………………………...…p. 406
FIG 129 : Lampião da Esquina, n°30, 11/1980, p. 2………………………………...……p. 410
FIG 130 : Lampião da Esquina, n°21, 02/1980, p. 8…………………………………..…p. 415
FIG 131 : Lampião da Esquina, n°28, 09/1980 , p. 5………………………………….…p. 418
FIG 132 : Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 11………………………………….…p. 421
Chapitre 7
FIG 133 : Versus, n°1, octobre 1975, p. 1…………………………………………...……p. 428
FIG 134 : Versus, n°2, 12/1975, p. 44…………………………………………….………p. 430
FIG 135 : Versus, n°7, 12/1976, p. 24…………………………………………….………p. 432
FIG 136 : Versus, n°3, début 1976, p. 29…………………………………………………p. 435
FIG 137 : Versus, n°4, 1976, p. 12……………………………………………….….……p. 436
FIG 138 : Versus, n°4, 1976, p. 10…………………………………………………..……p. 438
FIG 139 : Versus, n°14, 09/1977, p. 9………………………………………….…………p. 439
FIG 140 : Versus, n°18, 01/1978, p. 16………………………………………...…………p. 441
FIG 141 : Versus, n°23, 07-08/1978, p. 1…………………………………………………p. 445
FIG 142 : Versus, n°17, 12/1977, p. 38…………………………………………...………p. 446
FIG 143 : Versus, n°15, 10/1977, p. 40…………………………………………...………p. 448
FIG 144 : Versus, n°19, 03-04/1978, p. 15………………………………………..………p. 451
14
FIG 145 : Versus, n°29, 02/1979, p. 1…………………………………………….………p. 453
FIG 146 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 23………………………………………………….…p. 459
FIG 147 : Pasquim, n°89, 18-24/03/1971, p. 29………………………………….………p. 460
FIG 148 : Josanildo Dias de Lacerda, dessin primé au Salon international de l'humour de
Piracicaba, 1979 (dessin original 30x40 cm), archives du CEDHU………………………p. 461
FIG 149 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 12……………………………………………….……p. 463
FIG 150 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 13……………………………………………….……p. 464
FIG 151 : Ovelha Negra, n°1, 07/1976, p. 19……………………………………….……p. 465
FIG 152 : Ovelha Negra, n°4, 01/1977, p. 16…………………………………….………p. 466
FIG 153 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 3………………………………………………...……p. 467
FIG 154 : Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 10………………………………..……p. 468
FIG 155 : Luiz Renato Bitencourt Silva, dessin primé au Salon international de l'humour de
Piracicaba, 1974 (dessin original 39,5x29,5 cm), archives du CEDHU………………..…p. 469
FIG 156 : Neltair Abreu (Santiago), dessin primé au Salon international de l'humour de
Piracicaba, 1978 (dessin original 40x30 cm), archives du CEDHU………………………p. 470
FIG 157 : Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 2………………………………………p. 471
FIG 158 : Varadouro, n°3, 08/1977, p. 20…………………………………………...……p. 472
FIG 159 : Varadouro, n°6, 12/1977, p. 20…………………………………………...……p. 473
FIG 160 : Varadouro, n°7, 02/1978, p. 10-11………………………………………..……p. 474
FIG 161 : Varadouro, n°19, 05/1980, p. 1……………………………………………...…p. 475
FIG 162 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 20……………………………………….……p. 477
FIG 163 : Barranco, n°3, 11/1979, p. 16…………………………………………….……p. 478
FIG 164 : Barranco, n°4, 12/1979, p. 18…………………………………………………p. 479
FIG 165 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 9………………………………………………...……p. 480
FIG 166 : Ovelha Negra, n°1, 05/1976, p. 23……………………………………….……p. 480
FIG 167 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 14………………………………………….…p. 481
FIG 168 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 10………………………………………….…p. 482
Conclusion
FIG 169 : Laerte Coutinho, affiche du 45ème Salon international de l’humour de Piracicaba,
2018, archives du CEDHU…………………………………………………………...……p. 495
15
16
REMERCIEMENTS
Il n’est pas simple de résumer en quelques mots ma gratitude envers toutes les
personnes qui ont contribué au développement de ce travail, au déroulement de mes réflexions
intellectuelles et à la réalisation concrète de cette thèse.
Tout d’abord, je tiens à remercier la Région Île-de-France, l’Institut des Amériques,
l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et le Centre de recherche et de documentation des
Amériques (CREDA-UMR 7227) pour les financements ponctuels accordés au cours de ces
années, notamment pour partir faire mes recherches sur le terrain brésilien.
Mes deux directeurs, Olivier Compagnon et Marcos Napolitano, m’ont fait confiance
et m’ont largement soutenue dans cette vaste entreprise. Exigeants et stimulants, ils ont
littéralement orienté mon parcours intellectuel – entre la France et le Brésil – et m’ont ouvert
les yeux sur les enjeux de mon travail avec sérieux, finesse et bienveillance : qu’ils en soient
largement remerciés. Ma reconnaissance se dirige également vers celles et ceux qui m’ont
accompagnée, aidée ou conseillée de manière plus informelle : Isabel Lustosa, Angelica
Müller, Juliette Dumont, Maria Paula Araujo, Laurent Martin et Jean-Claude Gardes. Ce
dernier m’ouvrit par ailleurs les portes de l’Équipe interdisciplinaire de recherche sur l’image
satirique (EIRIS) et de sa revue, Ridiculosa. Merci à lui. Je voudrais également remercier les
membres du bureau de l’Association pour la recherche sur le Brésil en Europe (ARBRE), des
amies avec qui j’ai largement partagé les doutes et difficultés inhérentes à ce doctorat, ainsi
que mes collègues à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Je souhaite également adresser mes remerciements à Nani, Ricky Goodwin, Rubem
Grilo, Sergio Cabral (pai), Bernardo Kucinscki, José Luiz del Roio et Sérgio Gomes, qui ont
eu la gentillesse et la patience de m’accorder leur temps, leurs souvenirs et leurs témoignages.
Merci également aux fonctionnaires des centres d’archives consultés, principalement à
l’APERJ, à l’UFRJ et à l’Institut Vladimir Herzog.
Je suis extrêmement reconnaissante envers Lucie Hémeury, Antoine Acker et Régine
Toulhoat, dont les indispensables relectures, commentaires, corrections, critiques et
encouragements m’ont permis d’avancer.
Un immense merci à tous mes ami.e.s proches qui m’ont aidée, accueillie, soutenue et
hébergée au cours de ces innombrables allers et retours, encouragée, réconfortée et fait
confiance : vous vous reconnaîtrez. Merci enfin à mes parents, qui ont eu le malheur de laisser
17
traîner le Canard enchaîné, merci à ma famille pour son soutien inconditionnel, son aide et sa
patience. Et merci à Francisco (Chico), le plus joli effet collatéral de ces années de recherches
au Brésil, qui a réussi à me supporter (bravo à lui).
18
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AI-2 :
AI-3 :
AI-5 :
AERP :
AGRAF :
ALN :
AP :
APERJ :
APESP :
AQC-ESP :
ARENA :
BNDE :
CALQ :
CBA :
CETPA :
CPC :
CS :
DAFA :
DCDP :
DCE :
DIP :
DOPS :
DPF :
ESALQ :
FRELIMO :
FMI :
GALF :
IDAC :
IMS :
ISEB :
JUC :
MDB :
MEP :
MFPA :
MNU :
MPB :
MPLA :
MR-8 :
Acte institutionnel n°2
Acte institutionnel n°3
Acte institutionnel n°5
Service spécial de relations publiques
Association graphique d'artistes et de photographes
Action de libération nationale
Action populaire
Archives publiques de l’État de Rio de Janeiro
Archives publiques de l’État de São Paulo
Association des dessinateurs de bande dessinée et caricaturistes de
l’État de São Paulo
Alliance rénovatrice nationale
Banque nationale de développement économique
Centre académique Luiz de Queiroz
Comité brésilien pour l'amnistie
Coopérative d’édition et de travail de Porto Alegre
Centre populaire de culture
Convergence socialiste
Direction académique de la faculté d'architecture
Division de censure des divertissements publics
Direction centrale des étudiants
Département de presse et propagande
Département d'ordre politique et social
Département de police fédérale
École supérieure d’agriculture Luiz de Queiroz
Front de libération du Mozambique
Fonds monétaire international
Groupe d’action lesbo-féministe
Institut d’action culturelle
Institut Moreira Salles
Institut supérieur d’études brésiliennes
Jeunesse universitaire catholique
Mouvement démocratique brésilien
Mouvement d’émancipation du prolétariat
Mouvement féminin pour l’amnistie
Mouvement Noir unifié
Musique populaire brésilienne
Mouvement populaire de libération d'Angola
Mouvement révolutionnaire du 8 Octobre
19
OAB :
OBAN :
OPAEP :
OSI :
PAIGC:
PCB :
PCdoB:
PDT :
PMDB :
POC :
PORT :
PSD :
PSOL :
PT :
PTB :
SAC :
SNI :
UDN :
UFRGS :
UFRJ :
UNE :
USP :
Organisation des avocats du Brésil
Organisation bandeirante
Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole
Organisation socialiste internationale
Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert
Parti communiste brésilien
Parti communiste du Brésil
Parti démocratique travailliste
Parti du mouvement démocratique brésilien
Parti ouvrier communiste
Parti ouvrier révolutionnaire trotskiste
Parti social démocratique
Parti socialisme et liberté
Parti des travailleurs
Parti travailliste brésilien
Salon d’art contemporain
Service national d’informations
Union démocratique nationale
Université fédérale de Rio Grande do Sul
Université fédérale de Rio de Janeiro
Union nationale des étudiants
Université de São Paulo
20
INTRODUCTION
« Quelques dessins de presse censurés... »
Au cours d'un entretien réalisé à Rio de Janeiro en novembre 2013, le caricaturiste
brésilien Ernani Diniz Lucas, dit Nani, détaillait les difficultés induites par l'instauration de la
censure préventive des publications indépendantes puis son installation en 1974 à Brasília,
capitale fédérale du Brésil depuis 1960. Il dévoilait ainsi l'existence dans ses archives
personnelles d'un dossier dont le rôle s'avéra fondamental pour nos recherches :
« Avant mon arrivée à Rio, il y avait un censeur dans la rédaction de Pasquim.
Parfois, Jaguar3 apportait ses dessins dans la maison du censeur. Il y a beaucoup
d'anecdotes assez folkloriques à propos de ces censeurs. Après, à une époque, la
censure est partie à Brasília, nous devions envoyer le contenu là-bas et il fallait en
envoyer trois fois plus pour qu'il en reste suffisamment pour faire le journal. J'ai
gardé quelques dessins par ici, quelques dessins de presse censurés que je peux te
donner4. »
Nani avait reçu ces dessins par voie postale, bien des années après les avoir envoyés à
Brasília afin qu'ils soient inspectés par les fonctionnaires responsables de la vérification des
contenus. Il se souvint en 2013 de sa grande incrédulité à la réception du colis inespéré et
évoqua la surprise ressentie en constatant que les travaux comportaient de nombreuses
annotations, autant de traces des interdictions apposées sur ses dessins. Il suggéra que
l'ambition de préservation de la société émanant des autorités induisait la reconnaissance du
fort pouvoir de communication des images :
« Notre fonction de dessinateur à l'époque était toujours de dénoncer. Parfois ce que
Pasquim publiait sortait dans la grande presse, parfois non. Le dessinateur était
3
4
Le dessinateur Sérgio de Magalhães Gomes Jaguaribe, dit Jaguar, né en 1932 à Rio de Janeiro, fit partie en
1969 du groupe fondateur de l'hebdomadaire Pasquim. Il en était l'un des membres permanents dans les
années 1970 et occupait la fonction d' « éditeur d'humour ».
Ernani DINIZ LUCAS (NANI), entretien réalisé le 05/11/2013 à Rio de Janeiro (texte retranscrit et traduit en
français par l'autrice, toutes les sources et références bibliographiques en version originale figurent en
annexes de cette thèse).
21
important avec son dessin de presse, il diffusait une information que le journal de la
grande presse ne pouvait pas donner. Les informations, non publiables à l'écrit,
pouvaient parfois être imprimées dessinées. Notre fonction était donc importante
car nous occupions un canal de communication avec le public, en faisant passer
certains messages et en assumant un certain type de résistance 5. »
Comment comprendre l’existence de ce « type de résistance » et en dessiner les
contours ? Tout l'enjeu de ce travail réside dans l'analyse de certaines brèches du système
autoritaire brésilien mis en place en 1964 et de l'espace de liberté ainsi constitué, qui mena
progressivement à l'affaissement du régime à partir de la fin des années 1970. Nous prétendons
démontrer que l'humour graphique paru dans la presse indépendante fut l'une des principales
pratiques à profiter de cette marge de manœuvre pour entraîner la société brésilienne dans la
faille qui s'élargit à mesure que la contestation politique, sociale et culturelle gagna du terrain
sous le régime militaire brésilien. Vaste entreprise, qui suscite son lot d'interrogations : quels
furent les mécanismes concrets de l'action des dessinatrices et dessinateurs de presse ? De
quoi, de qui et avec qui riaient-ils ? Peut-on réellement parler de résistance, à l'instar des
quelques protagonistes de cette histoire jouissant encore de nos jours d'une visibilité
médiatique relativement importante ? Qui étaient ces acteurs de la contestation, d'où venaientils, où se rencontraient-ils, quels parcours les conduisirent à la production de diverses formes
d'humour graphique et contestataire ? Quel fonctionnement régissait les rédactions des
publications indépendantes ? Comment, en somme, esquisser une socio-histoire du dessin
d'humour politique brésilien ? Quelles convictions politiques et sociales animèrent la
production des dessins ? Que révèlent ces derniers des tensions internes aux différents groupes
de la société civile engagés dans l'opposition démocratique ? Avec quels outils
méthodologiques en mesurer l'impact et les conséquences ? En quoi nos réponses pourraient
finalement apporter un éclairage nouveau à l'histoire politique, sociale et culturelle du régime
militaire brésilien ?
Il s'agira de baliser le périmètre des critiques formulées par les publications
indépendantes à travers le dessin d'humour et l'image satirique, d’en analyser les mécanismes
et les évolutions au sein d’une zone grise de la légalité, menacée par la censure et les
pressions, mais bénéficiant d'une réelle marge de manœuvre. L’irrévérence, l’ironie, le
5
Ernani DINIZ LUCAS (NANI), entretien réalisé le 05/11/2013 à Rio de Janeiro. La transcription des entretiens en
portugais du Brésil et leur traduction en français ont été réalisées par l’autrice de cette thèse. Les entretiens
cités figurent en annexes.
22
cynisme, la métaphore et la métonymie, la contestation politique, le traitement innovant de
thématiques culturelles, sociales ou environnementales ainsi que l’espace prépondérant
accordé à l’humour graphique – la caricature, le dessin de presse, la bande dessinée, la gravure
ou le montage photographique – furent autant de caractéristiques qui transformèrent les titres
indépendants en foyers potentiels de subversion et donc en cibles de la surveillance, sous un
régime à la fois censorial et répressif.
Presses alternatives, presse indépendante : une approche critique
Le concept de « presse alternative », largement dominant dans le paysage intellectuel et
historiographique brésilien lorsqu'il s'agit d'évoquer les publications engagées contre le régime
ou en faveur de la diffusion de pratiques artistiques contre-culturelles, fut employé à partir de
la seconde moitié des années 1960 pour désigner ces périodiques. Ceux-ci revendiquaient euxmêmes cette qualité, s'identifiant et se désignant fréquemment en tant qu' « alternatifs ».
D'autres termes faisaient référence aux mouvements contre-culturels nord-américains
(« imprensa underground »), aux procédés techniques employés pour imprimer les pages
(« imprensa mimeografada ») ou aux dimensions et moyens réduits ainsi qu'au mythe d'une
minorité pensante et active contre l'inertie de la majorité (« imprensa nánica »). La floraison
de périodiques indépendants durant les années 1970 traduisit sans nul doute une volonté de
malmener les limites imposées à la liberté d'expression par les mesures restrictives successives
et de bousculer les normes en vigueur en matière de contenu, d'apparence, de format, de
couleurs ou de mise en page.
Dès lors, la qualification polysémique de « presse alternative » renvoie à une grande
diversité de variables – structure interne, rapport aux autorités, propos, périodicité, longévité –
et traduit plusieurs niveaux d'analyse : tout d'abord, ces journaux et revues incarnaient un
contexte de travail différent, une réelle alternative pour les journalistes et dessinateurs ayant
auparavant œuvré au sein de la grande presse. De fait, ces titres étaient caractérisés par un
circuit de production et un mode d'organisation des rédactions singuliers : certaines
expérimentèrent la constitution en coopératives de journalistes, bannirent la publicité,
développèrent des pratiques d'auto-financement ou de financement participatif. Ces rédactions
revendiquaient également des convictions et des lignes éditoriales en opposition plus ou moins
frontale avec le régime militaire. Leurs membres avaient des origines sociales et des parcours
intellectuels divers, mais partageaient des valeurs communes, une culture politique et un refus
23
de l'autoritarisme. En outre, certains groupes menèrent une vaste réflexion sur le rôle et la
place du journalisme dans la cité. Sur le plan formel, les titres expérimentaient de nombreuses
innovations esthétiques telles que l'usage de couleurs, de typographies et de mises en pages
dépassant le cadre normatif qui régissait alors la presse écrite. Finalement, ces publications
attribuèrent au fil de leurs pages une place de choix à l'humour graphique. Les caricatures,
dessins de presse et bandes dessinées étaient généralement dispersées dans l'ensemble des
sections et furent parfois publiés au sein de pages ou numéros spéciaux.
Revenons sur les termes « presse alternative » employés de manière quasiment
hégémonique par la majorité des travaux de l'historiographie brésilienne consacrés à ces
publications, termes qui peuvent à nos yeux prêter à confusion. La section « Imprensa
Alternativa » du projet « Memórias da Ditadura » – projet d'une grande utilité du point de vue
de la diffusion de l'information sur l’histoire du régime militaire auprès du grand public –
rassemble par exemple les publications régionales, clandestines, syndicales ou contreculturelles6. Nous préférons nous démarquer de ce choix sémantique et éviter l'emploi du
terme « alternatif », vague et imprécis dans le cadre de notre étude, puisque ni les titres
clandestins ni les publications affiliées de manière assumée à une organisation partisane ou
syndicale n'entrent dans le cadre de nos recherches. Il convient de préciser ici que notre
préférence pour le terme de presse « indépendante » n'est ni le symptôme ni la conséquence de
la négation des engagements politiques pris ou des postures idéologiques assumées qui
participèrent à la construction de l'identité des rédactions étudiées. Cela dit, il nous sembla
important d'écarter de notre corpus les périodiques ayant entretenu des liens d'affiliation
explicites dépassant le stade de la sympathie idéologique avec tel ou tel parti politique.
Dans l'article « Experiências de Resistência ao Regime Militar7 », Maria Paula
Nascimento Araujo analysa trois lieux de l'action politique définis par d'anciens militants
politiques : « la prison, les salles de rédaction des journaux de gauche et alternatifs, et la
rue8 ». Ces espaces voués à la réflexion et à l'action politiques, nous dit l'historienne
brésilienne, s’organisèrent dans le contexte de restriction des libertés individuelles et
collectives imposé par les gouvernements successifs. Ainsi, les journaux caractérisés par leur
6
7
8
Le projet « Memórias da ditadura » mené par l'Institut Vladimir Herzog propose sur son site internet une
importante documentation sur l'histoire de la dictature militaire brésilienne, divisée en onze entrées
thématiques : http://memoriasdaditadura.org.br/imprensa-alternativa/ (consulté le 20/04/2019).
Maria Paula Nascimento ARAUJO, « Experiências de Resistência ao Regime Militar » in Dimensões, vol. 13,
juillet-décembre 2001, p. 104-111.
Maria Paula Nascimento ARAUJO, op. cit., p. 107.
24
opposition au régime autoritaire, au conformisme moral régissant la société brésilienne et aux
codes formels en vigueur dans le champ journalistique, auraient été motivés par la recherche
d'espaces « privilégiés9 » de dialogue, d'expression et de créativité. L'article identifiait une
zone frontière de la pratique politique, ni ouvertement interdite ni totalement acceptée, ni
officielle ni clandestine, aux contours fluctuants et délicats à situer : « L'absence de démocratie
crée un champ spécifique et particulier de l'activité politique, qui opère aux marges de la
légalité, dans une confrontation permanente entre le légal et le clandestin 10 ». L'un de nos
objectifs réside dans la compréhension des possibilités de contention des interdits hors de cette
zone tampon située entre la légalité et l'illégalité. Nous exclurons donc nécessairement les
périodiques dont la production était explicitement revendiquée par des organisations politiques
interdites après 1964, puisque ce type de publication clandestine entretenait avec les autorités
en charge de la censure et de la répression des rapports fondés sur sa propre illégalité.
Les périodiques de la presse syndicale brésilienne, objet d'étude animé par des objectifs
et des revendications spécifiques11, ainsi que les publications réalisées par des journalistes, des
intellectuels ou des militants brésiliens en exil, seront également écartés. Souvent l’œuvre de
membres d'organisations politiques interdites après 196412, ces titres épaulés par les réseaux
d'accueil des exilés et mus par des liens de solidarités militantes13 étaient soumis à des
contraintes différentes de celles en vigueur au Brésil, dépassant dès lors le cadre de notre
étude. Ce travail considère cependant le rôle des premiers exilé(e)s politiques de retour au
9 Idem.
10 Maria Paula Nascimento ARAUJO, op. cit., p. 106.
11 Voir à ce sujet : Silvia Maria Pereira de A RAUJO, Imprensa sindical: instrumento de ação e objeto de
conhecimento, 1976-1990, Thèse de doctorat en Sciences de la communication, sous la direction de José
Marques de Melo, São Paulo, ECA/Université de São Paulo, 1991 ; Maria Nazareth FERREIRA, A imprensa
operária no Brasil, São Paulo, Ática, 1988 ; SECRÉTARIAT SPÉCIAL DE COMMUNICATION SOCIALE DE LA VILLE DE RIO DE
JANEIRO, Breve história da imprensa sindical no Brasil, Rio de Janeiro, Préfecture de la ville de Rio de
Janeiro, 2005.
À propos du rôle des charges dans la presse syndicale, voir les travaux de Rozinaldo Antonio Miani :
Rozinaldo Antonio MIANI, A utilização da charge na imprensa sindical na década de 80 e sua influência
política e ideológica, Mémoire de master en Sciences de la communication, sous la direction de Antonio Luiz
Cagnin, São Paulo, ECA/Université de São Paulo, 2000 ; Rozinaldo Antonio MIANI, As transformações no
mundo do trabalho na década de 1990: o olhar atento da charge na imprensa do Sindicato dos Metalúrgicos
do ABC paulista, Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Zélia Lops da Silva, São Paulo,
Université de l’État de São Paulo (UNESP), 2005.
12 Nous pensons notamment à Brasil Hoy publié au Chili par des membres du Parti communiste brésilien (PCB)
en exil et au Bollettino Informativo della Resistenza Brasiliana lancé en 1970 en Italie par d'anciens militants
de l'Action de libération nationale (ALN).
13 Dans son ouvrage We Cannot remain silent consacré à l'opposition au régime militaire brésilien à la fois au
Brésil et aux États-Unis, l'historien James Nancy Green s'intéresse notamment aux conditions d'existence et
aux manifestations de ces solidarités militantes transnationales qui trouvèrent souvent leur origine dans
l'expérience de l'exil. Voir : James Naylor GREEN, We Cannot Remain Silent: Opposition to the Brazilian
25
Brésil durant la seconde moitié des années 1970 ainsi que leur fonction de médiation culturelle
et de circulation politique dans l'importation de nouvelles thématiques sociétales ayant abouti
à la création de périodiques tels que les publications féministes.
Une histoire à partir des images
Le manque de légitimité dont souffraient les sources iconographiques en histoire
jusque dans les années 1970 est aujourd'hui fortement atténué. En 2006, Christian Delporte
entamait son ouvrage Images et politique en France au XXe siècle par un constat heureux, mais
néanmoins contrasté :
« De nos jours, un historien français du contemporain s'intéressant aux images n'est
plus tout à fait considéré comme une sorte de marginal – pour ne pas dire un
extraterrestre – dans le monde de la recherche. […] Il reste pourtant beaucoup à
faire : l'inscription des sources visuelles dans la formation de l'apprenti-historien est
encore peu courante et les images ne comptent pas encore parmi les outils familiers,
pour ne pas dire banals, des historiens du XXe siècle14. »
S'il est vrai que l'apprentissage des méthodes d'analyse des images en histoire n'est
toujours pas généralisé au sein des universités, l'abondance des programmes de recherche issus
du paysage universitaire international semble traduire une considération accrue, un intérêt
intellectuel croissant et une compréhension affinée des enjeux liés à ce champ d'étude. Le
récent développement du champ de la Culture visuelle (Visual Culture) provoqua également
certaines avancées significatives marquées par le décloisonnement des barrières disciplinaires
et l'échange d'outils méthodologiques, autorisant l'émergence d'une réelle réflexion
comparative15.
Military Dictatorship in the United States, Durham, Duke University Press, 2010.
14 Christian DELPORTE, Images et politique en France au XXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2006, p. 7.
15 Notons une récente déclinaison de ce champ par aire culturelle et contexte politique. En 2009, Cordelia Arias
Toledo remporta le Prix Fernand Braudel délivré par l'IHEAL et l'Ambassade de France au Venezuela pour sa
thèse intitulée « Culture visuelle et révolution : changements et transitions dans l'identité culturelle de la
République de Grande Colombie (1819-1830) ». Quatre années plus tard, l'historien François Brunet dirigeait
l'ouvrage L'Amérique des images. Histoire et culture visuelle des États-Unis, la consécration d'un projet
collectif d'histoire sociale et culturelle qui contribua à la légitimité d'un champ de recherche encore émergent.
Signalons également le récent focus thématique des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, organisés en 2018
autour de « La puissance des images », ainsi que la multiplication des départements consacrés aux visual
studies dans les universités anglo-saxonnes.
26
Dès 2001, le spécialiste de l'histoire de l'art des XIX e et XXe siècles Eric Michaud se
demandait « de quelle connaissance historique une image peut-elle être la source ?16 ». Il
insistait dans son article « La construction de l'image comme matrice de l'histoire » sur la
méthodologie d'interprétation – et donc la légitimité scientifique – des sources historiques,
s'attardant sur les mécanismes à l’œuvre dans leur réalisation : « La production d'une image
[…] n'engage pas tant un processus de figuration du réel qu'un processus de sélection et
d'interprétation de ce qu'elle mémorise17 ». Cette remarque n'apparaît que plus pertinente dans
le cadre de notre travail. S'il est bien un type de production dessinée qui permet la sélection, la
déformation, l'interprétation, l'exagération du réel afin d'en restituer certains traits avec force et
pouvoir, c'est l'humour graphique sous ses diverses déclinaisons. Ernst Gombrich consacra le
chapitre « L'arsenal des humoristes » de ses Méditations sur un cheval de bois 18 à certains
procédés employés par les dessinateurs d'humour en quête d'efficacité : la métaphore, la
personnification d'abstraction et la condensation. Son propos portait également sur la
« sélection » opérée par le dessinateur d'humour : « Le satiriste, et c'est ce qui fait à la fois la
force et le danger de ses effets, s'appuie sur cette inévitable inclination pour nous inciter à
considérer des abstractions comme s'il s'agissait de réalités tangibles. Autrement dit, il tire
parti de tout ce que le langage a déjà rendu acceptable 19. » Il est intéressant de noter le
dialogue entretenu entre les deux auteurs qui, plutôt que d’envisager l’image comme une
fidèle reproduction du réel, la conçurent davantage comme un miroir déformant dont il fallait
percer à jour les angles et les courbures :
« L'historien ne peut certes plus ignorer que l'inévitable part d'interprétation dont se
charge l'image interdit l'illusion d'un accès au réel historique « brut » ; que toutes
les formes de la représentation imagée construisent leur propre réalité par
transfiguration. […] Mais ce n'est pas sur ces usages historiens des images, souvent
commentés, que ces quelques pages voudraient attirer l'attention ; elles souhaitent
bien plutôt contribuer, par le rappel intempestif de quelques lieux communs, à
réorienter temporellement le regard porté sur les images de sorte que, du statut de
16 Eric MICHAUD, « La construction de l'image comme matrice de l'histoire » in Vingtième siècle. Revue
d'Histoire, n°72, octobre-décembre 2001, p. 41.
17 Idem.
18 Ernst GOMBRICH, Méditations sur un cheval de bois et autres essais sur la théorie de l'art, Paris, Phaidon,
2003 (1ère éd. anglaise 1963).
19 Ernst GOMBRICH, op. cit., p. 128.
27
témoins, elles passent à celui d'acteurs de l'histoire dont la puissance ne saurait être
trop soulignée20. »
Considérer les images comme autant d' « acteurs de l'histoire » revient à s'interroger
sur leurs discours, leurs impacts et les réactions qu'elles suscitèrent auprès du public lecteur.
Dès lors, la réflexion consacrée à la diffusion, la réception et donc l’efficacité de l’humour
graphique brésilien nous semble indispensable. Le passage de l'image-témoin révélatrice à
l'image actrice implique de considérer les étapes et circonstances de sa production ainsi que les
intentions de son auteur. Le philosophe et historien de l'art Laurent Gervereau souligna
notamment l’importance de cette réflexion dans son ouvrage méthodologique Voir,
comprendre, analyser les images21. Déplorant notamment certaines approximations et
interprétations hâtives, il appelait de ses vœux une indispensable réflexion pluridisciplinaire et
formulait certaines mises en garde, tout à fait pertinentes lorsqu'elles sont appliquées à
l'analyse de l’humour graphique. Assurément, l'épineuse interprétation d'une image satirique,
d'une caricature ou d'un dessin de presse nécessite la mise en place d’une méthodologie
spécifique et contraint à la remise en question :
« Qui n'émet pas, sur un ton péremptoire, des avis définitifs sur telle ou telle image ?
L'interprétation nécessite pourtant de solides garde-fous. Elle s'appuie – sous peine d'égarements
– sur la description et le rappel du contexte. Elle blâme le paradoxe érigé en règle. Elle s'impose
une modestie : celle des hypothèses22. »
Pour tenter de résoudre certaines de ces problématiques, l’historien Vinícius Liebel
s’intéressa à la méthode documentaire d’analyse de l’image développée par le sociologue
allemand Ralf Bohnsack, elle-même fondée sur les travaux de Karl Mannheim 23. Le
déplacement de la focale du sens de l’image vers la reconstruction des conditions et du
moment de sa production, principe de base de cette méthode, impliquerait d’après Liebel toute
une reconsidération de la nature profonde et sociale des sources iconographiques : « Une telle
reconstruction contextuelle ne se réfère pas seulement à l'étude de sa période et de sa “place”,
mais également à celle de ses structures mentales et praxiologiques, qui ont un rôle évident
20
21
22
23
Eric MICHAUD, op. cit., p. 41.
Laurent GERVEREAU, Voir, comprendre, analyser les images, Paris, La découverte, 2014 (1ère éd. 1996).
Laurent GERVEREAU, op. cit., p. 75.
Vinícius LIEBEL, « O historiador e o trato com as fontes pictóricas – a alternativa do método documentário »
in Topoi, vol. 17, n°33, juil.-déc. 2016, p. 372-398.
28
dans sa “production de sens”24. » Puisque ces « structures mentales » orientent les
comportements, les pratiques quotidiennes et les engagements – l’habitus – des groupes
sociaux, l'analyse des charges et des images satiriques serait donc une porte d'entrée sur la
perception des imaginaires et cultures politiques de ces groupes, sur leur vision du monde,
sorte d'habitus mental issu de l’imaginaire, vaste ensemble d’images. On interrogera donc au
cours de notre analyse la nature de ces images, ce qu’elles représentèrent pour les dessinateurs
de presse et les facteurs extérieurs ayant pesé sur leur production. En somme, il s’agira
d’identifier l’imaginaire des caricaturistes, dessinateurs et journalistes indépendants et ses
permanences au sein de la production humoristique, satirique et graphique. Liebel signale
également le conditionnement partiel des perceptions, des pensées et des actions à l’origine de
pratiques individuelles et collectives à certaines expériences antérieures sujettes à diverses
formes de réadaptation au contexte historique. Ainsi, les images satiriques publiées dans la
presse indépendante brésilienne renseignent à la fois sur des pratiques contestataires mises à
l’œuvre entre les années 1960 et 1980 et sur des mécanismes de réappropriation d’une
tradition de l’humour graphique national remontant aux débuts du XIXe siècle.
Une histoire de la contestation par le rire ?
Jean Duvignaud posa dans Le propre de l'homme25 en 1985 son regard de sociologue et
d'anthropologue sur les mécanismes sociaux et culturels à l’œuvre dans les manifestations de
l'humour. Téméraire entreprise d'étude du « Délabrement des mythes26 » depuis la Grèce
antique, l'ouvrage incitait à redoubler de finesse dans l'analyse du comique :
« Rien n'est simple – surtout pas le comique ou le rire... Car il ne suffit pas de
répéter que « le rire est le propre de l'homme » ni d'associer des idées floues autour
d'un mot, élevé par une sorte de magie à la dignité d'un mythe, de mesurer des
réflexes, de spéculer sur des archétypes ou sur une douteuse tradition. Il vaut mieux
se demander : qu'est-ce que l'homme cherche à atteindre à travers le comique 27 ? »
24
25
26
27
Vinícius LIEBEL, op. cit., p. 375.
Jean DUVIGNAUD, Le propre de l'homme. Histoires du rire et de la dérision, Paris, Hachette, 1985.
« Le joyeux délabrement des mythes » est le titre de la première partie de l'ouvrage.
Jean DUVIGNAUD, op. cit., p. 13.
29
Qu’est-ce que les dessinateurs de presse brésiliens cherchèrent à atteindre à travers la
publication de charges, caricatures et bandes dessinées ? Que tentèrent-ils de (dé)construire et
atteignirent-ils leurs objectifs ? Nous prétendons dépasser l'analyse du portrait du régime
militaire dressé par les publications indépendantes au travers de l’humour dessiné afin de
décrypter les canaux de ces représentations contestataires et les paramètres des interactions
entre les autorités normatives et les divers groupes sociaux ancrés dans l’opposition. Les
sources analysées constituent à cet égard un laboratoire idéal en ce qu'elles sont la
manifestation de conflits majeurs, de circulations intellectuelles, de réappropriations de
références culturelles constitutives de la société brésilienne du milieu des années 1960 au
début des années 1980.
La dimension conflictuelle et idéologique de facteurs exogènes et endogènes
aboutissant à la production de l’humour graphique est fondamentale. Les dessins de presse, les
images satiriques et autres représentations graphiques analysées s’engouffrèrent dans une
brèche permise par le régime militaire brésilien pour en redéfinir constamment les parois et les
angles, contribuant à l’affrontement d’idéaux et de projets de sociétés 28. Mais il ne s’agit ni
évidemment du seul vecteur de l’affrontement politique et culturel en contexte autoritaire, ni
d’une production harmonieuse émanant d’un groupe homogène. Dans sa préface de l’ouvrage
Cinéma et régimes autoritaires au XXe siècle. Écrans sous influence29, Pierre Sorlin identifiait
un « système » de la contestation culturelle notamment caractérisé par la permanence de
conflits internes :
« Le silence de l'opinion et le contrôle policier ne suppriment pas les conflits, les
dictatures sont en permanence travaillées par des affrontements internes qui
affectent tous les secteurs d'activité, y compris le cinéma. C'est ici que nous
trouvons le sujet de cet ouvrage : le destin du cinéma, en régime autoritaire, ne
28 Duvignaud pointait également du doigt la corrélation entre la production d'images satiriques et la discorde
sociale : « Pour que la caricature ou le « dessin satirique » apparaisse, il faut sans doute que s'effrite l'unité
d'esprit et de croyance qui accompagne les grandes visions du sacré et qu'émerge ce que l'on appelle
« idéologie », que diverses images de l'homme s'affrontent et cristallisent des émotions et des passions
contraires » (Jean DUVIGNAUD, op. cit., p. 39).
Vingt-six années auparavant, l'auteur avait déjà examiné « L'idéologie, cancer de la conscience », lui
attribuant le bienfait d'éveiller les hommes et de leur donner la capacité d'agir tout en l'assimilant à une
affection réductrice et limitante. Voir : Jean DUVIGNAUD, « L'idéologie, cancer de la conscience » in Cahiers
internationaux de sociologie, vol. 46, janv.-juin 1969, p. 37-50. Le propre de l'homme atteste d’une évolution
de sa vision de l'idéologie, condition sine qua non au surgissement de dessins satiriques dans l'espace public.
29 Raphaël MULLER et Thomas WIEDER (dir.), Cinéma et régimes autoritaires au XXe siècle. Écrans sous
influence, Paris, PUF, 2008.
30
dépend pas seulement des décisions du pouvoir ; la production filmique fluctue au
gré des heurts entre factions, son évolution serait difficilement compréhensible si on
ne la rattachait pas à l'ensemble du système dans lequel il prend place 30. »
Les dessins parus dans la presse indépendante sont à replacer dans leurs
environnements de production connexes à la gauche brésilienne, non exempts de divergences
et de conflits au sujet des modalités de l’opposition politique et de la valorisation ou non de la
diversité sociale et culturelle en son sein.
Arnaud Mercier identifia dans « Pouvoirs de la dérision, dérisions des pouvoirs 31 »
trois fonctions remplies par la dérision : l'expression d'une agressivité régulée, l'affirmation de
la créativité d'un groupe et la régulation des conflits et frustrations. Tout en reconnaissant le
potentiel d’affirmation d’un groupe fondé sur la collusion et donc de création d’une identité 32,
il insistait sur la constitution d’une transgression si ce n’est autorisée, du mois tolérée par les
autorités33. Il ne s’agit pas pour nous de nier le rôle cathartique de l’humour, canal de
l’expression critique oralisée ou dessinée court-circuitant l’action directe et violente. Mais une
analyse excessivement bergsonienne34 du rire ne tiendrait pas compte des évolutions et des
ouvertures permises par l’emploi de l’humour contestataire qui, s’il ne prit certes pas
directement les armes contre le régime brésilien, permit d’en exposer les failles, les absurdités
et les contradictions. Nous prétendons démontrer que si la marge de manœuvre initiale de
l’humour graphique fut bel et bien concédée par les autorités militaires durant la seconde
moitié des années 1960, la pratique de la contestation politique, l’affirmation d’une
30
31
32
33
Raphaël MULLER et Thomas WIEDER (dir.), op. cit., p.13.
Arnaud MERCIER, « Pouvoirs de la dérision, dérision des pouvoirs » dans Hermès, La Revue, n°29, 2001/1.
Arnaud MERCIER, op. cit., p. 12.
La politiste Amandine Régamey formula également dans « 'Prolétaires de tous pays, excusez-moi !' Histoires
drôles et contestation de l'ordre politique en ex-URSS » certains doutes à propos du potentiel contestataire
des histoires drôles oralisées. Voir : Amandine RÉGAMEY, « 'Prolétaires de tous pays, excusez-moi !' Histoires
drôles et contestation de l'ordre politique en ex-URSS » in Hermès, La Revue, n°29, 2001/1, p. 43-44.
34 Henri BERGSON, Le rire : essai sur la signification du comique, Paris, Félix Alcan, 1900. Le philosophe y
analysait cinq procédés principaux du rire en insistant sur leur fonction éminemment sociale. Il envisageait le
rire comme un phénomène de complicité lié à un groupe, à un cercle fermé, en lui attribuant des fonctions à
la fois libératrices et régulatrices. Pouvoir de correction, pouvoir de sanction corrélé à la vie en société, le
rôle du rire analysé par Bergson est donc lié au maintien de la norme.
Dans l’article « Le rire de Bergson et ses limites », Daniel Grojnowski pointa du doigt les failles de cette
conception du rire : « D’une efficacité pédagogique incontestable, cette conception peine à rendre compte de
la double nature du rieur. […] Les jeux de rôles du rieur sont ceux d’un Janus qui se moque d’un poète
infatué, de son interlocuteur dans l’embarras, et qui en même temps libère ses pulsions réprimées, jouissant
par procuration de sa muflerie : tout à la fois normatif et transgressif, il joue sur tous les tableaux. […] Cette
fonction libératrice du rire par le jeu, la subversion des normes et des interdits, est source de plaisir, parce
qu’elle défie les règles et les usages de la vie sociale. De la jouissance qu’on tire de cette composante
subversive, Le Rire de Bergson échoue à rendre compte. »
31
connivence militante et la remise en question de l’idéal autoritaire par le rire dessiné
entraînèrent un élargissement insoupçonné de la brèche et contribuèrent à l’affaissement du
pouvoir. Malgré la ritualisation de la contestation politique, dont nous étudierons les degrés,
rendue indispensable par la censure gouvernementale et la répression du régime, les
dessinateurs et les rédactions indépendantes mirent en œuvre des procédés graphiques à la
capacité réelle d’affaiblissement du discours et des pratiques politiques autoritaires.
Les questionnements liés à la place des dessinateurs d’humour politique dans les
sociétés autoritaires ou démocratiques sont en cours de renouvellement et on assiste dans le
champ universitaire français à un récent dynamisme 35. La carence de synthèses récentes
consacrées à la période contemporaine est cependant regrettable. L'ambitieuse Histoire du rire
et de la dérision36 publiée en 2000 par l'historien des mentalités religieuses Georges Minois
fait figure d'exception. Bien que davantage centré sur les périodes médiévales et modernes,
l'ouvrage traitait également de la satire politique au XIXe siècle et finissait par identifier une
forme édulcorée de comique à la fin du XXe siècle. L'historien Bertrand Lemonnier, spécialiste
d'histoire culturelle et d'histoire du rock n’roll en Grande-Bretagne, constatait en 2008 les
difficultés et tâtonnements inhérents à toute entreprise de recherche en histoire consacrée au
rire : « On l’aura compris, l’espace humoristique est encore en défrichement sinon en
déchiffrage, territoire propice aux hypothèses les plus stimulantes, mais aussi aux inévitables
approximations méthodologiques37 ».
Les études latino-américaines apportent à cet égard quelques excellents éclairages. La
sociologue argentine Mara Burkart se penche dans ses récents travaux 38 sur le rôle politique et
Voir : Daniel GROJNOWSKI, « Le rire de Bergson et ses limites » in Études, n°11, nov. 2014, p. 60.
35 Signalons les travaux de l’historien français Laurent Martin consacrés à l’hebdomadaire satirique Le Canard
enchaîné : Laurent MARTIN, Le Canard enchaîné ou les Fortunes de la vertu. Histoire d’un journal satirique
1915-2000, Paris, Flammarion, 2001 ; Laurent MARTIN, « L’humour et la satire dans la stratégie
argumentative du Canard enchaîné » in A contrario, n°12, 2009/2, p. 26-45. Voir également : Marc
Bonhomme, « La caricature politique » in Mots. Les langages du politique, n°94, 2010, p. 39-46.
La revue Humoresques publiée par l'Association pour le développement des recherches sur le comique, le
rire et l'humour (CORHUM) et le Centre de recherche interdisciplinaire sur l'humour (CRIH – Paris VIII)
atteste la rencontre de nombreux champs disciplinaires pour étudier les acteurs et groupes à l'origine de
l'humour, les mécanismes et lieux du fait humoristique, la diversité de ses pratiques et son insertion au sein
des sociétés. La revue Ridiculosa consacrée à l'analyse de l'image satirique et de la caricature au cours des
XIXe et XXe siècles et publiée par l’Équipe Interdisciplinaire de Recherche sur l'Image Satirique (EIRIS)
constitue un autre lieu important de la recherche consacrée aux formes graphiques de rire et de satire.
36 Georges MINOIS, Histoire du rire et de la dérision, Paris, Fayard, 2000.
37 Bertrand LEMONNIER, « L'entrée en dérision » in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°98, 2008/2, p. 43.
38 Mara BURKART, De Satiricón a HUM®. Risa, cultura y política en los años setenta, Buenos Aires, Mino y
Dávila, 2017 ; Mara BURKART, HUM® : La risa como espacio crítico bajo la dictadura militar 1976-1983,
Thèse de doctorat en Sciences sociales, sous la direction de Laura Malosetti Costa et Waldo Ansaldi, Buenos
Aires, Université de Buenos Aires, 2012 ; Mara BURKART, « Avatares de la crítica y de la sátira: HUM® y la
Guerra
de
Malvinas »
in
Questions
du
temps
présent,
2013
[en
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32
social de l’humour graphique publié par la revue satirique Humor, parue sous le régime
militaire instauré en 1978 par le général Jorge Rafael Videla. Isabel Lustosa, historienne
brésilienne spécialiste de l’Empire et des débuts de la République, consacra elle ses recherches
aux liens complexes entre l’humour graphique et la presse définissant l’identité politique
brésilienne, mais également à la permanence de stéréotypes sociaux et culturels dans l’usage
du rire et de l’humour en Europe et en Amérique latine 39. Mentionnons également l'ouvrage
dédié au caricaturiste et compositeur de samba carioca Antônio Gabriel Nássara qui publia ses
dessins dans la presse brésilienne entre les années 1930 et les années 1970 40. Le poids de
l'humour graphique dans la construction de représentations collectives est également le sujet
des travaux publiés par l'historien Elias Thomé Saliba, professeur à l'Université de São Paulo
et spécialiste de l'histoire culturelle brésilienne à la période républicaine. Citons enfin l'étude
comparative de Waldomiro Vergueiro intitulée « O humor gráfico no Brasil pela obra de tres
artistas : Ângelo Agostini, J.Carlos e Henfil41 » ayant pour objet la continuité historique et
l'influence de trois figures majeures de l'humour graphique brésilien, depuis ses débuts à partir
de 1830 jusqu'aux années 1970.
Une histoire du régime militaire brésilien
L'année 2014 fut au Brésil le théâtre de nombreux événements universitaires et
artistiques montés autour du cinquantenaire du coup d’État militaire de 1964. De considérables
rencontres organisées aux quatre coins du pays par les universités 42, les commissions de la
https://journals.openedition.org/nuevomundo/64808] (consulté le 24/04/2019).
39 Isabel LUSTOSA, « Humor e política na Primeira República » in Revista USP, n°3, 1989, p. 53-64 ; Isabel
LUSTOSA, Insultos Impressos. A guerra dos jornalistas na Independência (1821-1823), São Paulo, Companhia
das Letras, 2000 ; Isabel LUSTOSA, O nascimento da imprensa brasileira, Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 2003 ;
Isabel LUSTOSA (dir.), Imprensa, humor e caricatura: a questão dos estereótipos culturais, Belo Horizonte,
Editora da UFMG, 2011.
40 Isabel LUSTOSA, Nássara, o perfeito fazedor de artes, Rio de Janeiro, Relume Dumará/RioArtes, 1999.
41 Waldomiro VERGUEIRO, « O humor gráfico no Brasil pela obra de tres artistas : Ângelo Agostini, J.Carlos e
Henfil » in Revista USP, n°88, 2010/2011, p. 39-49.
42 Pour ne citer que quelques exemples, parmi une liste difficilement exhaustive, mentionnons l'Université de
São Paulo (USP) qui organisa l'événement « O golpe de 1964 e a onda autoritária na América latina » du 24
au 27 mars avril 2014 ; l'Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), responsable de la tenue du colloque
« 1964-2014 : Um olhar crítico para não esquecer » du 18 au 20 mars 2014 ; l'organisation conjointe de
l'événement « 1964-2014. 50 anos do golpe de 1964 » par l'Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ),
l'Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), l'Université Fédérale Rurale de Rio de Janeiro (UFRRJ),
l'Université Fédérale Fluminense (UFF), l'Université Pontificale Catholique (PUC) durant la première
semaine du mois d'avril 2014 ; l'Université Fédérale de Rio de Janeiro qui coordonna l'événement « Foi
golpe ! Essa noite, 50 anos » entre du 1er au 4 avril 2014 ; l'Université Fédérale de la Frontière Sud (UFFS)
qui organisa la rencontre « 50 anos do golpe militar » du 7 au 11 avril 2014 ; l'Université Fédérale du Ceará
(UFC) qui organisa la journée d'étude « 50 anos do golpe contra o Brasil » le 10 mars 2014 ; l'Université
33
vérité, les centres d'archives, les bibliothèques et les centres culturels agitèrent le Brésil depuis
sa frontière sud jusqu'aux régions les plus septentrionales. Le Centre culturel de la banque du
Brésil (CCBB) s’illustra avec l'exposition temporaire et nomade « Resistir é preciso43 » qui
circula en 2013 et 2014 entre Brasília, Rio de Janeiro, São Paulo et Belo Horizonte. Le
cinquantenaire du coup d’État vit également la publication de nombreux ouvrages historiques
et de manuels collectifs consacrés au régime militaire qui impulsèrent certaines révisions
historiographiques importantes. Ces publications attestent d'un renouvellement partiel des
perspectives de recherche et de l'approfondissement de questionnements déjà soulevés dix ans
auparavant par l’historiographie brésilienne44.
L'historien brésilien Marcos Napolitano, professeur à l'Université de São Paulo, publia
en 2011 un article45 consacré à l’évolution historiographique des travaux sur le régime
militaire à mi-parcours entre le quarantenaire et le cinquantenaire du coup d’État. Il indiquait à
cette occasion certaines directions suggérées par un « nouvel agenda historiographique46 »
pour lutter contre les processus de mythification et permettre une compréhension affinée des
mécanismes politiques dans la longue durée. Il mettait en garde les historiens contre les pièges
idéologiques d'une vision romantisée des mouvements de l’opposition, mais également contre
une forme libérale de révisionnisme à propos du gouvernement de João Goulart défait en
1964. L'historien insistait sur la nécessité d'approfondir les recherches consacrées aux
complicités du système politique, notamment du Congrès national, dans la rupture du pacte
Catholique de Pernambuco (UCP), théâtre de la rencontre « 50 anos do Golpe e a nova agenda da justiça da
transição no Brasil » entre le 10 et le 14 mars 2014 ; l'Université Fédérale de Goiás (UFG) qui organisa
plusieurs débats à la fin mars 2014.
43 L'exposition « Resistir é preciso » fut créée à l’initiative de l’Institut Vladimir Herzog, fondé en 2009 par les
proches et anciens collègues du journaliste et professeur naturalisé brésilien né en Yougoslavie en 1937. Il fut
torturé et assassiné le 25 octobre 1975 dans les dépendances du Département d'opérations et d'informations –
Centre d'opérations de défense intérieure (DOI-CODI), subordonné à la Seconde division de l'Armée de Terre
et installé dans la rue Tomás Carvalhal à São Paulo. Le projet « Resistir é Preciso... » est une vaste entreprise
de collecte de témoignages d'anciens journalistes, écrivains et militants politiques ayant contribué à la presse
d'opposition sous le régime militaire brésilien, du coup d’État de 1964 jusqu'à l'Amnistie de 1979. Il est
également consacré au recensement des titres publiés durant la période, ainsi qu'à la constitution d'un fonds
spécifique consultable au siège de l'institution, avenue Brigadeiro Faría Lima à São Paulo. Le projet de
l'Institut Vladimir Herzog aboutit à la mise en ligne d'importantes archives écrites et audiovisuelles, ainsi qu'à
la réalisation d'un cycle d'expositions organisées dans les villes de Brasília (du 6 août au 22 septembre 2013),
São Paulo (du 12 octobre 2013 au 6 janvier 2014), Rio de Janeiro (du 12 février au 28 avril 2014) et Belo
Horizonte (du 21 mai au 28 juillet 2014).
44 Voir : Carlos FICO, Além do golpe : versões e controvérsias sobre 1964 e a Ditadura Militar, Rio de Janeiro,
Record, 2004 ; Daniel Aarão REIS, Marcelo RIDENTI, Rodrigo Patto Sá MOTTA (dir.), O golpe e a ditadura
militar : 40 anos depois (1964-2004), Bauru, EDUSC, 2004 ; Rodrigo Patto Sá MOTTA, Jango e o golpe de
64 na caricatura, Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 2004.
45 Marcos NAPOLITANO, « O golpe de 1964 e o regime militar brasileiro. Apontamentos para uma revisão
historiográfica » in Historia y problemas del siglo XX, vol. 2, 2011, p. 209-217.
34
démocratique ainsi qu’aux étapes de la construction et de l'institutionnalisation du régime
militaire. Il répétait les dangers d’une vision dichotomique de la société opposant les autorités
militaires à la société civile victime et passive. Nous adhérons à cette exploration des nuances
dans l'analyse des rapports entre le régime autoritaire et les mouvements de l’opposition. S'il
est vrai que la gauche brésilienne fut jusqu’à présent l’objet de davantage d’études que les
secteurs militaires et conservateurs, cette tendance très marquée jusque dans les années 1990
est actuellement en cours de renversement47.
L'ouvrage de Marcos Napolitano publié en 2014, História do Regime Militar
Brasileiro48 constitue une synthèse fouillée de l'histoire de la période nourrie de « points de
vue fondés sur la recherche documentaire et la relecture critique de l'historiographie
consolidée sur le coup d’État et le régime49. » L'historien insista sur la force de
l'anticommunisme chez les élites militaires et civiles brésiliennes, imprégnées du mythe de
l'ennemi intérieur subversif et de la doctrine de sécurité nationale. Déconstruisant certains
mythes tenaces, il affirmait notamment que si le moment du coup d’État militaire avait été le
fruit d'une coalition entre des secteurs civils et militaires conservateurs, il importait de
reconnaître la nature profondément militaire du régime mis en place sans pour autant nier les
phénomènes de complicité et de soutien de la part d'importantes franges de la société civile.
Nous assumerons une position sémantique similaire en qualifiant le régime instauré en 1964
de « militaire » et non « civil-militaire50 ». Napolitano récusait également l'image d'une
dictature molle ou ditabranda51, durant les quatre premières années du régime. Loin
d'amoindrir l'impact de l'Acte Institutionnel n°5 intensifiant le 13 décembre 1968 la répression
politique et les persécutions, l'historien analysa précisément les étapes de construction et les
objectifs de l'autoritarisme dès 1964 et mit en lumière les contradictions d'un régime qui ne
46 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 213.
47 Dans cette perspective, l'historienne française Maud Chirio, spécialiste du pouvoir, de l'appareil d’État et de
l'institution militaire sous le régime des généraux présidents brésiliens publia en 2012 l’ouvrage A política
nos quartéis. Revoltas e protestos na ditadura militar brasileira. Fine analyse des contradictions, des luttes
d'influences et des divergences d'intérêts au sein des différents corps des forces armées brésiliennes, ce travail
contribue à la destruction de mythes historiographiques tenaces et s'inscrit dans une complexification des
perspectives de recherches. Voir : Maud CHIRIO, A política nos quartéis. Revoltas e protestos na ditadura
militar brasileira, Rio de Janeiro, Zahar Editor, 2012.
48 Marcos NAPOLITANO, 1964. História do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014.
49 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 9 .
50 De nombreux historiens se sont interrogés sur la qualification du régime brésilien et certains ont opté pour la
dénomination « civil-militaire ».
51 Cette conception des premières années du régime militaire caractérisées par une grande tolérance à l’égard
des mouvements contestataires avant la rupture et l’intensification extrême de la répression en 1968 est
symbolisée par le calembour « ditabranda » (dicta-molle) en opposition à « ditadura » (dicta-dure).
35
pouvait tolérer ni critiques ni dissensions, mais était soucieux de conserver un large soutien
civil et l'appui des classes populaires. C'est d'ailleurs dans cette optique que les autorités
permirent « la paradoxale situation de la culture d'opposition au Brésil52 » : entre 1964 et 1968,
la grande richesse de la vie culturelle permit l'éclosion d'un champ artistico-intellectuel opposé
au régime qui trouva dans le théâtre, le cinéma, la musique populaire ou la poésie les moyens
de l'expression critique.
Cette publication fut concomitante de la réédition de l'un des principaux travaux du
sociologue Marcelo Ridenti : Em busca do povo brasileiro. Artistas da Revolução, do CPC à
era da TV53. Initialement publié en 2000, cet ouvrage constitue un travail indispensable à la
compréhension des mécanismes régissant la production culturelle de gauche des années 1950
aux années 1980. La postface de l'auteur précise certains éléments, quatorze ans après la
publication de la première édition : Ridenti y insiste notamment sur l'importance de la censure,
un système à l'architecture et à l'organisation bureaucratiques, capable d'atteindre de très
nombreux domaines, de la production théâtrale aux programmes radiophoniques, du champ
cinématographique à la photographie. Il souligne en outre l'ampleur des travaux récents et le
renouveau de l'histoire des gauches et du marxisme. Em Busca do Povo Brasileiro contribue
ainsi largement à l'entreprise de cartographie des innombrables groupes constitutifs d'un
paysage politique de gauche extrêmement morcelé et complexifié durant les vingt-et-une
années du régime militaire. Si Marcos Napolitano redoutait à juste titre l'existence d'une vision
romantisée des mouvements d'opposition, et notamment de lutte armée, au sein de travaux
universitaires, Marcelo Ridenti axe justement son analyse de la contestation culturelle autour
du concept central de romantisme révolutionnaire, passé au crible sociologique et historique.
Ce dernier traitait par ailleurs en 2007 des conditions structurelles ayant permis l'émergence de
cultures contestataires au Brésil dans l'article « Intelectuais e artistas brasileiros nos anos
1960/70 : 'entre a pena e o fuzil' 54 ». Ridenti identifiait la conjonction de facteurs matériels
répandus à la surface du globe, tels que la croissance des classes moyennes, l'urbanisation
accélérée des sociétés, l'importante part de la population occupée par la jeunesse ou l'accès
étendu à l'université, ainsi que de facteurs spécifiques liés à l'instauration du régime militaire
après 1964 au Brésil, à l'interruption du projet réformiste et à la conviction émanant d'une
52 Marcos NAPOLITANO, op. cit, p. 98.
53 Marcelo RIDENTI, Em busca do povo brasileiro. Artistas da revolução, do CPC à era da TV, São Paulo,
Editora UNESP, 2014 (2nde édition).
54 Marcelo RIDENTI, « Intelectuais e artistas brasileiros nos anos 1960/70 : 'entre a pena e o fusil' » dans
ArtCultura, vol. 9, n°4, janv.-juin 2007, p. 185-195.
36
frange intellectualisée de la société de la nécessité de mener le peuple vers un idéal
révolutionnaire. Les travaux de l'historienne Miliandre Garcia de Souza s'avèrent
particulièrement intéressants pour comprendre le rôle fondamental des Centres populaires de
culture (CPC) de l'Union nationale des étudiants (UNE), principal syndicat d'étudiants
brésiliens au niveau national fondé en 1937, passé dans la clandestinité à l'arrivée au pouvoir
des militaires en 1964 et reconstruit progressivement à partir de 1977 55. L'ouvrage Do teatro
militante à música engajada : A experiência do CPC da UNE (1958-1964)56 se penche sur
certains laboratoires de la création artistique nationale et populaire brésilienne, tels que le
Théâtre Arena et la Bossa Nova, analysant dans le détail les éléments de constitution d'une
culture de gauche aux ambitions révolutionnaires. L'historienne mettait en lumière le paradoxe
de manifestations culturelles complexes dont l'analyse doit nécessairement surmonter les
dichotomies et accepter la coexistence de caractéristiques a priori contradictoires57.
Les tensions régnant entre la répression imposée par l’État autoritaire, les nécessités de
modernisation et les concessions réalisées par d'importantes franges de la société civile sous le
régime militaire sont analysées sous un autre angle par l'historien Rodrigo Patto Sá Motta dans
son récent ouvrage As Universidades e o regime militar 58. Consacré aux ambivalences de la
relation entre le régime militaire et le système universitaire, ce travail propose une brillante
approche du caractère modernisateur et autoritaire du régime tout en en disséquant les
permanentes conciliations et oscillations. Les recherches de Maria Paula Nascimento Araujo
déjà mentionnées auparavant s'emploient elles à définir les diverses formes de résistance au
régime militaire dans le cadre de recherches consacrées à l'histoire des gauches et des
mouvements d'opposition. Contraints au silence ou à la clandestinité, les militants politiques
brésiliens auraient cherché les possibilités d'une action légale d'opposition bancale, mais
55 À propos de l'Union Nationale des Étudiants (UNE) sous le régime militaire : Angélica MÜLLER, « O
Congresso de Ibiúna : uma narrativa a partir da memória dos atores » in Carlos FICO, Maria Paula ARAUJO
(dir.), 1968 – 40 anos depois : história e memória, Rio de Janeiro, 7Letras, 2010, p. 63-77 ; Angélica
MÜLLER, « 'Você me prende vivo, eu escapo morto' : a comemoração da morte de estudantes na resistência
contra o regime militar » in Revista Brasileira de História, vol. 31, n°61, p. 167-184.
56 Miliandre Garcia de SOUZA, Do teatro militante à musica engajada : A experiência do CPC da UNE (19581964), São Paulo, Editora Fundação Perseu Abramo, 2007.
57 C'est également le propos de Marcos Napolitano dans l’ouvrage Seguindo a canção: engajamento político e
indústria cultural na MPB (1959-1969) consacré aux dilemmes rencontrés par la Musique Populaire
Brésilienne (MPB) durant les années 1960, notamment tiraillée entre les défis de sa propre insertion dans le
marché du disque naissant et sa teneur politique critique, anticonformiste et avant-gardiste. Voir : Marcos
NAPOLITANO, Seguindo a canção : engajamento político e indústria cultural na MPB (1959-1969), São Paulo,
Annablume/Fapesp, 2001 et Marcos NAPOLITANO, « MPB, a trilha sonora da abertura política (1975-1982) » in
Estudos Avançados, vol. 24, n°69, 2010, p. 389-402.
58 Rodrigo Patto Sá MOTTA, As Universidades e o regime militar, Rio de Janeiro, Zahar, 2014.
37
réelle, amplifiée à partir des prémices de l'ouverture politique amorcée par Ernesto Geisel au
milieu des années 1970. Bien que nous n'employions pas le qualificatif « alternatif », nous
partageons totalement l'analyse de Maria Paula Araujo lorsqu'elle identifie une zone mouvante
propice aux réflexions militantes et à la contestation, située aux confins de la légalité et de
l'illégalité. L'historienne souligna également la diversité des combats menés par les
publications situées à gauche de l'échiquier politique et dans l'opposition au régime militaire,
mais animées par des convictions distinctes et souvent conflictuelles.
En effet, certains groupes spécifiques émergèrent au sein de la presse indépendante à
partir de la seconde moitié des années 1970 et revendiquèrent un espace souvent difficile à
conquérir face aux réticences d'une majorité de la gauche brésilienne, à l'instar du mouvement
de défense des droits des personnes homosexuelles, du mouvement féministe ou du
mouvement noir. Malgré les divergences et désaccords existant au sein des très diverses
rédactions indépendantes, nous estimons que le concept de « front politico-culturel » employé
par l'historienne brésilienne Miriam Hermeto à propos du groupe Casa Grande s'avère
particulièrement utile59. Ce collectif imprégné de culture politique communiste naquit en 1974
lors d'une réunion organisée par le PCB dans le but d'encourager le vote aux élections
législatives et sénatoriales. Dans le contexte des premières années de l'ouverture politique, un
groupe d'intellectuels et d'artistes désireux de prolonger le débat démocratique se forma à la
suite de l'événement, créant ainsi un groupe de production culturelle, une structure de
sociabilité politisée. Le collectif organisa des débats attirant journalistes, producteurs culturels
et artistes, permettant l'exercice des libertés individuelles et collectives démocratiques. Front
hétérogène, mais fondé sur le partage de valeurs et de projets, à l'instar de la presse
indépendante, le groupe Casa Grande se situait clairement en opposition avec le régime
militaire. L’historienne proposa un recentrage de l'analyse sur l'identité culturelle et politique
constituée par le collectif regroupant différents éléments autour d’une opposition commune au
régime. Le front politique et culturel de résistance devint ainsi le lieu de l'adaptation et de la
négociation, renforcé dans sa cohésion par les menaces extérieures de l'autoritarisme. Cette
vision particulièrement intéressante permit d'expliquer, à l'inverse, l'exacerbation des tensions
internes au sein de ces groupes de résistance culturelle et politique concomitante de la
diminution des interdits et du progressif allègement des mesures répressives. Envisager la
59 Miriam HERMETO, « Grupo Casa Grande (1974-1979). Uma frente político-cultural de resistência » in Marcos
NAPOLITANO, Rodrigo CZAJKA, Rodrigo Patto Sá MOTTA (dir.), Comunistas brasileiros. Cultura política e
produção cultural, Belo Horizonte, Editora da UFMG, 2013, p. 293-315. Miriam Hermeto consacra
également un paragraphe de sa thèse doctorale au groupe Casa Grande.
38
presse indépendante publiée sous le régime militaire comme un front d'opposition alourdi par
ses tensions internes, désaccords et ruptures, mais à la cohérence assurée par un idéal et des
valeurs communs, nous autorise certains points de comparaison avec l'ensemble des
mouvements de l’opposition démocratique. Il s'agit bien là pour nous de refuser l'essentialisme
en replaçant les journalistes et dessinateurs d'humour politique au sein d'un riche
environnement intellectuel aux diverses composantes reliées entre elles, qui communiquaient
et s'influençaient mutuellement. En ce sens, et c'est bien là tout l'intérêt de nos recherches, les
formes, les supports, les rôles et les significations de l'humour graphique publié dans les titres
indépendants s’avèrent d'excellents révélateurs de l'état des mouvements de gauche,
intellectuels, artistiques et culturels, et de leur rapport aux institutions du régime militaire.
Si, on l'a vu, certains historiens brésiliens s’intéressèrent aux mécanismes de
développement de la presse satirique et de l'humour graphique publié dans la presse du XIX e à
la première moitié du XXe siècle, le rire politique des périodiques indépendants qui nous
occupent fit davantage l'objet de monographies ponctuelles, fruits de travaux d'étudiants en
Master ou Doctorat souvent issus de départements de communication et de journalisme 60. Les
classifications proposées sont intéressantes, mais le ton parfois manichéen glorifie l'humour
comme moyen de lutte contre le contrôle imposé. L'intérêt de ces travaux réside cependant
dans l'étude de l'imaginaire politique véhiculé par les formes graphiques analysées, envisagées
comme des textes visuels générant de nouvelles significations et de nouvelles esthétiques.
Nous avons par ailleurs publié plusieurs articles au sujet de certains périodiques indépendants
brésiliens61, mais il n'existe en revanche à ce jour aucune étude historique transversale et
60 Le mémoire de Master en journalisme de Lygia Maria Silva Rocha dirigé par Daisi Irmgard Vogel s'intéresse
à l'espace médiatique occupé par le périodique Pif-Paf au sein du champ journalistique. Voir : Lygia Maria
Silva ROCHA, PIF-PAF : O JORNALISMO QUE RI. Uma análise do campo jornalístico a partir da imprensa
alternativa brasileira, Mémoire de master en Journalisme, sous la direction de Daisi Irmgard Vogel,
Université Fédérale de Santa Catarina, Florianópolis, 2011. L'hebdomadaire satirique Pasquim paru pour la
première fois en 1969 fait également l'objet de diverses études dont le mémoire de master de Paulo Petrini,
également issu de la communication et du journalisme. Voir : Paulo PETRINI, Gêneros discursivos
iconográficos de humor no jornal O Pasquim : uma janela para a liberdade de expressão, Mémoire de
master en Communication, sous la direction de Rozinaldo Antonio Miani, Université de l’État de Londrina,
Londrina, 2012. Beaucoup moins connu que l'hebdomadaire Pasquim, un autre périodique carioca fit l'objet
en 2005 de l'analyse conjointe de Alessandra Daflon dos Santos et Ana Maria Jacó-Vilela : le périodique
Rádice – Revista de Psicologia, publié entre 1976 et 1981 par des psychologues à Rio de Janeiro. Voir :
Alessandra Daflon dos SANTOS, Ana Maria JACÓ-VILELA, « Rádice : passado e futuro » in
Psicologia&Sociedade, vol. 17, n°3, Porto Alegre, sept.-déc.2005, p. 26-32. C'est également l'ambition de
décryptage des évolutions d'une société en proie à de nombreux bouleversements qui anime les travaux de
Gustavo Ferreira Simões, spécialiste du parcours du militant et écrivain anarchiste Roberto Freire ainsi que
du périodique O inimigo do rei. Voir : Gustavo Ferreira SIMÕES, « Por uma militância divertida : o inimigo do
rei, um jornal anarquista » in Verve, n°11, 2007, p. 168-181.
61 Mélanie TOULHOAT, « Versus, une publication indépendante brésilienne en résistance (1975-1979). Une arme
politique contre les régimes militaires et en faveur de l'affirmation d'une identité 'latino-afro-américaine' » in
39
comparative rendant compte de la diversité des formes graphiques d'humour publiées dans la
presse indépendante et de leur rôle politique et culturel au sein de la société brésilienne sous le
régime militaire. L'objectif de notre thèse doctorale est donc de dépasser ces visions
cloisonnées afin de permettre la compréhension des mécanismes régissant la production
d'images satiriques et caricaturales en contexte autoritaire, sans toutefois négliger le poids des
dissensions, désaccords et divergences idéologiques caractéristiques de la presse indépendante
et des mouvements de l'opposition.
Rire de la dictature, rire sous la dictature
Le projet de cette thèse est en définitive celui d'une histoire des interstices et des
brèches, du contournement des normes et du jeu entre l'interdit et l'autorisé, de la frontière
entre militantisme, compromis et accommodation62, de l'émergence de thématiques sociales et
culturelles innovantes ayant permis une redéfinition de l'engagement politique au début des
années 1970, ainsi que des nombreuses contradictions inhérentes à la gauche brésilienne sous
le régime militaire. Il s'agira d'interroger le rôle résistant assumé a posteriori par de nombreux
dessinateurs d'humour et journalistes en analysant les complexes conditions d'existence
d'espaces de liberté d'expression éclos sous le régime militaire. L'analyse des diverses formes
d'humour graphique publiées dans la presse indépendante, ensemble hétérogène s'il en est, se
Cahiers de l'URMIS [En ligne], n°16, juillet 2016, mis en ligne le 12 juillet 2016 (consulté le 23 novembre
2017) ; Mélanie TOULHOAT, « Le rire féministe de Brasil Mulher et Nós, Mulheres : les combats de l'humour
graphique dans la presse féministe, sous le régime militaire brésilien (années 1970) » in Anne-Claire BONDON,
Philipp LEU (dir.), L'image contestataire. Les pouvoirs à l'épreuve de la culture visuelle, Guyancourt, Éditions
numériques du CHCSC, 2016, p. 73-91 ; Mélanie TOULHOAT, « Le Salon de l’humour international de
Piracicaba, ou l’affirmation de l’humour graphique en faveur de la liberté d’expression sous le régime
militaire brésilien (1974-1985) » in Ridiculosa, n°23, 2016, p. 155-169.
62 Les historiens brésiliens Rodrigo Patto Sá Motta et Diogo Cunha proposent leur définition du concept
d'accommodation sous le régime militaire brésilien dans leurs travaux respectifs : Rodrigo Patto Sá MOTTA,
« A estratégia de acomodação na ditadura brasileira e a influência da cultura política » in Revista Digital de
la Escuela de História, n°17, vol. 8, 2016, p. 9-25 et Diogo CUNHA, L'Académie brésilienne des lettres
pendant la dictature militaire, Paris, Lambert-Lucas, 2017. Voir également la thèse doctorale de laquelle fut
tirée cet ouvrage : Diogo CUNHA, Les intellectuels conservateurs entre le culturel et le politique : l'Académie
Brésilienne des Lettres pendant la dictature militaire (1964-1979), Thèse de doctorat en Histoire, sous la
direction d'Annick Lempérière, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014. Dans sa thèse, Diogo
Cunha analyse le silence ainsi que les différentes modalités de l'accommodation des membres de l'Académie
brésilienne des Lettres, une institution censément apolitique qui se révéla une instance de légitimation du
régime partageant avec les militaires de nombreux réseaux de sociabilité.
L'historien suisse Philippe Burrin proposa dès 1995 dans La France à l'heure allemande, 1940-1944 son
analyse des mécanismes d'accommodation de la population française sous l'occupation allemande, étudiant le
terrain sociologique favorable, les zones de négociations et les différents niveaux d'un tel phénomène. La
distinguant de la collaboration, il proposait la cartographie de cette délicate frontière entre compromis et
40
tourne dès lors vers la compréhension des mécanismes de la subversion des codes, normes et
références politiques et culturelles autorisée par ces discours visuels contestataires. Nous
identifierons les composantes du potentiel combatif de l'humour graphique et définirons les
procédés spécifiques de résistance politique par le rire employés au sein des rédactions
indépendantes. Si les journaux et revues étudiés questionnaient les normes esthétiques en
vigueur, proposant des projets graphiques et des systèmes d'organisation interne innovants, ils
se situèrent dans la continuité idéologique des groupes constitutifs du débat démocratique.
Nous en analyserons les conditions concrètes d'existence, les publics lecteurs et les projets
politiques, les contenus graphiques et humoristiques, les parcours des dessinateurs d'humour
politique qui contribuèrent à forger leur trajectoire de périodiques indépendants. Nous
estimons qu'il est possible, malgré la grande diversité qui les caractérise, d'établir une analyse
à partir de caractéristiques communes. Nous tenterons également de projeter les
problématiques soulevées à l'échelle régionale, en questionnant la vision du Brésil et de
l'Amérique latine formulée par des dessinateurs et des journalistes conscients de
l'omniprésence de régimes militaires et autoritaires sur le continent. Nous verrons de quelle
manière les circulations des caricaturistes dans la région, mais également les échanges et
communications avec certains périodiques européens ou nord-américains, contribuèrent à
alimenter et redéfinir l'engagement politique et la perspective internationale des luttes contre
l'autoritarisme et en faveur de la libération des mœurs au cours des années 1970.
Dans une perspective d'histoire culturelle et politique valorisant le rôle et l'importance
des images dans le décryptage du fonctionnement des sociétés, nos sources sont
principalement iconographiques. Nous avons consulté, photographié, reproduit un très grand
nombre de périodiques indépendants conservés dans divers fonds d'archives au Brésil 63. Le
principal critère de sélection fut l'existence de projets graphiques, d’espaces et de fonctions
spécifiques accordés aux charges, bandes dessinées, caricatures, gravures et montages
photographiques au sein de ces publications, au-delà du simple rôle illustratif des images.
Cependant, d'autres facteurs tels que le fractionnement des collections, les mauvaises
conditions de conservation ou l'impossible accès à certains titres orientèrent également nos
choix animés par la quête de représentativité. Les fermetures répétées de certains centres
d'archives, les exemplaires manquants ou isolés, les pages moisies ou déchirées, les
malheureux concours de circonstances et le déménagement de certaines collections rendant
compromission : Philippe BURRIN, La France à l'heure allemande, 1940-1944, Paris, Le Seuil, 1995.
63 Voir l'annexe consacrée à la présentation des sources.
41
impossible leur consultation, ne furent évidemment pas sans provoquer de nombreuses
frustrations au cours de nos recherches. Face à des règlements intérieurs parfois
décourageants, limitant drastiquement le nombre de reproductions photographiques autorisées
ou interdisant par exemple jusqu'en 2014 d'entrer dans la salle de consultation des Archives
publiques de l’État de Rio de Janeiro (APERJ) avec autre chose que du papier blanc et un
crayon gris, il fut nécessaire de s'armer de patience, de diplomatie et de batteries de rechange.
Il serait ingénu et mensonger de ne pas reconnaître l'impact de ces contraintes matérielles sur
le contenu à la fois iconographique et textuel reproduit et analysé. Loin de prétendre à
l'exhaustivité, au-delà de ces aspects pratiques bien réels qui ont pesé au fil de plusieurs
années de recherche, il nous faut également reconnaître notre propre subjectivité. La
valorisation de certains dessins, de certains auteurs ou périodiques ne signifie pas l’absence
d'intérêt scientifique ou de considération intellectuelle pour les autres.
Bien qu'ils ne constituent pas l'objet premier de ce travail, les contenus textuels des
journaux et revues nous intéressèrent tout autant puisqu'ils participèrent fréquemment à notre
compréhension des éléments graphiques au sein d’un jeu sémantique entre image et texte,
entre écrit et dessiné. Ces sources imprimées, majoritairement issues de périodiques
indépendants, comportent plusieurs biais évidents – idéologiques, militants, subjectifs – qui
firent justement leur richesse dans le cadre d'un tel travail d'histoire culturelle des
représentations politiques. Les extraits et citations reproduits dans cette thèse sont loin de
rendre compte du volume des lectures réalisées, indispensables à une bonne compréhension du
propos des périodiques ayant employé l'humour graphique comme arme politique. Comment
en effet analyser correctement une caricature sans s'imprégner du propos, sans décrypter
l'éditorial, sans lire ni colonnes ni articles, sans au moins parcourir l'ensemble des pages du
journal ?
Rappelons ici que les sources graphiques constituèrent un socle, un vivier pour
l'analyse de certains aspects politiques et culturels de la société brésilienne sous le régime
militaire et nous incitèrent à emprunter des outils de linguistique, de sémantique, d'histoire de
l'art. Cependant, nous ne nourrîmes pas le désir de nous faire critique d'art, suivant à cet égard
les traces de Marcelo Ridenti : « Dans les limites du travail proposé, nous ne nous focaliserons
pas à proprement parler sur la valeur intrinsèque de l’œuvre d'art, mais sur sa temporalité, en
d'autres termes, l'histoire d'une société peut également être contée grâce à la production
42
artistique64. » Nous avons également eu accès en 2016 à l'ensemble des archives du Salon de
l'Humour de Piracicaba conservées au sein du Centre national de Documentation, Recherche et
Divulgation de l'Humour graphique de Piracicaba (CEDHU). Les documents mis à notre
disposition sont de nature diverse – affiches des différentes éditions, dessins primés numérisés
en haute définition, revues de presse, livres de comptes, correspondances, listes de participants
et de membres du jury, actes de délibération – et révèlent la création en 1974 d’un véritable
lieu de rencontre et de sociabilité des dessinateurs d’humour graphique à l’échelle rapidement
internationale.
À ces sources iconographiques, manuscrites et imprimées s'ajoutèrent les entretiens
réalisés avec des dessinateurs et journalistes ayant exercé leur profession au sein d'un ou
plusieurs périodique(s) indépendant(s), rencontrés et interrogés entre 2011 et 2016. Ces
sources orales nous imposèrent une méthodologie et des critères d'analyse spécifiques, nous
permettant d’affiner notre appréhension des motivations, des sensibilités, des représentations
et des imaginaires ayant animé la production et la publication de l'humour graphique. Ces
entretiens s'avérèrent en outre particulièrement révélateurs des parcours personnels, des
relations sociales et des anecdotes que taisent les dessins publiés, mais également de la
représentation qu'alimentent de nos jours ces acteurs au sujet de leur propre activité militante
sous le régime militaire.
Face à cette variété de documents et d'images issus des dessinateurs et des périodiques
indépendants, nous avons examiné les quelques traces de l'activité censoriale imposée à la
presse d'opposition, bien plus rares que celles concernant d'autres productions culturelles.
Certains documents découverts dans les archives comportent cependant la marque des
interdictions et matérialisent les points de vue, les conceptions et la vision du monde émanant
des autorités et des personnes en charge de la censure. Le dessinateur Nani nous accorda en
2013 au cours de notre entretien les droits d'utilisation et de reproduction à des fins de
recherche universitaire du dossier de dessins originaux qui lui avait été renvoyé par la censure.
Ces sources d'une richesse inouïe nous permirent d'envisager les systèmes de valeurs qui
commandèrent les ciseaux de l’Anastasie brésilienne. Elles témoignèrent des représentations
construites par les censeurs au sujet des dessinateurs de presse, tout en révélant certaines
fragilités, instabilités et dissensions du régime militaire.
64 Marcelo RIDENTI, Em busca do povo brasileiro. Artistas da revolução, do CPC à era da TV, São Paulo,
Editora UNESP, 2014 (2nde édition), p. 6.
43
Ce travail de recherche vise tout d’abord à inscrire la pratique de l’humour graphique
brésilien et ses liens avec la presse satirique dans un continuité historique, afin d’en cerner
l’imaginaire, les représentations et les spécificités sous le régime militaire brésilien. Nous
avons souhaité remonter aux débuts de la caricature politique et à l’essor de la presse
imprimée pour montrer que la satire dessinée devint peu à peu une caractéristique essentielle
de l’identité brésilienne (Chapitre 1). Les diverses formes d’humour graphique prirent position
de chaque côté de l’échiquier politique en pleine constitution et s’inscrivirent durablement
dans la culture politique nationale. Il s’agira ensuite d’interroger les impacts du coup d’État
militaire de 1964 dans les usages de la caricature et de l’humour, ainsi que la constitution
d’une presse indépendante à la fois novatrice et héritière de cette tradition graphique. Jusqu’à
la promulgation de l’Acte Institutionnel n°5 le 13 décembre 1968, sous le gouvernement de
Humberto de Alencar Castelo Branco puis le début de celui de Artur da Costa e Silva, les
dessinateurs aiguisèrent leurs armes et mirent à contribution l'important héritage de l'humour
graphique brésilien. La première publication indépendante née au cours de cette phase fut PifPaf, un titre précurseur à bien des égards fondé par l'intellectuel Millôr Fernandes en 1964
(Chapitre 2). L’étude approfondie de la publication aux huit numéros et des formes
humoristiques employées au fil des pages nous permettra de rentrer de plein fouet dans
l’analyse de la contestation politique et de contribuer à la déconstruction de certains mythes
historiographiques au sujet des premières années du régime militaire, à la lumière de l'humour
politique.
Le deuxième volet de notre travail débute à la fin de l’année 1968, comprenant la toute
fin du gouvernement de Costa e Silva remplacé par une junte en août 1969, puis la présidence
du général Emílio Garrastazu Médici à partir d’octobre 1969 et les premiers temps de
l’administration de Ernesto Geisel. À en croire Marcos Napolitano, « si la persécution du
milieu intellectuel n'était pas une nouveauté, elle connaîtrait une nouvelle échelle et de
nouveaux moyens d'action répressive comme la censure et la surveillance policière
constante65. » L'arsenal législatif fut considérablement aiguisé, le régime organisa la répression
et la surveillance en systématisant l'emploi des décrets secrets en 1971 et en créant la Division
de censure des divertissements publics au sein du Département de police fédérale en 1972. Les
conditions de la mobilisation et de la contestation politiques s'en trouvèrent substantiellement
modifiées et les formes de la résistance culturelle et artistique, caractérisées par le paradoxe
65 Marcos NAPOLITANO, 1964. História do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 215.
44
d'une cohabitation de projets alternatifs et contestataires avec l'insertion de la culture dans une
logique de marché, furent touchées de plein fouet par la censure. Les publications
indépendantes firent l'objet d'un contrôle accru marqué par la suspicion de subversion et
développèrent un ensemble de stratégies d'expression délimitant une zone frontière, aux
confins de la légalité. En focalisant notre étude sur deux grands périodiques indépendants nés
durant cette période, Pasquim et Opinião, nous mettrons en avant les caractéristiques d’un
combat mené collectivement ainsi que les possibilités de contournement et d’affrontement des
limitations imposées à la liberté d’expression par le biais de l’humour graphique (Chapitre 3).
Nous nous intéresserons ensuite aux thématiques fluctuant au sein de cette zone frontière aux
confins de l’interdit, du toléré et de l’autorisé durant les années de plomb (Chapitre 4) avant de
nous pencher sur un objet d’étude singulier : le Salon international de l’humour de Piracicaba,
né en 1974 dans une petite ville de l’État de São Paulo et rapidement constitué en centre
névralgique du dessin politique contestataire, lieu de rencontres, d’exposition et de circulations
(Chapitre 5).
À partir de la seconde moitié des années 1970, l’humour graphique prit peu à peu les
traits de la diversification et de l'enrichissement des luttes menées par la presse indépendante à
l’aube de l'ouverture politique du régime. Si l'intensité de la répression diminua
progressivement durant cette période, nous signalerons l'émergence de nouvelles formes de
violence politique telles que les attaques menées par les secteurs les plus conservateurs de la
société contre les revendeurs de la presse indépendante. De nouvelles pratiques coercitives
émergèrent et la centralisation de la censure préalable à Brasília en 1974 provoqua pour les
rédactions indépendantes un ensemble de difficultés liées aux processus de transfert du
contrôle. Dans le même temps, de nouvelles thématiques culturelles et sociales émergèrent
dans les pages de périodiques indépendants tentant d’élargir la définition de la lutte politique
revendiquée par la gauche brésilienne. Certains groupes minoritaires trouvèrent dans la presse
indépendante et l'humour politique de nouveaux espaces d'expression, à l'instar du mouvement
féministe et des associations de défense des personnes homosexuelles à l’origine des
périodiques Brasil Mulher, Nós, Mulheres et Lampião da Esquina. Nous verrons dans quelle
mesure les images contestataires et satiriques alimentèrent les nouvelles revendications au sein
de ces publications, également inscrites dans la lutte pour la redémocratisation (Chapitre 6).
Nous tenterons in fine de caractériser les perspectives dessinées par l’humour graphique pour
la nation au moment de l’affaissement de l’idéal promu par le gouvernement, en analysant les
mécanismes de valorisation d’une identité brésilienne multiculturelle et pan-latino-américaine
45
ainsi que la promotion du mouvement environnemental et la défense des populations indigènes
en Amazonie (Chapitre 7). Les formes d’humour employées participèrent à la reconstruction
d’un nouveau socle culturel et politique national anti-colonial, anticapitaliste et profondément
ancré dans l’opposition au régime militaire.
Marqués par la recherche d’un équilibre intellectuel et économique précaire, des
velléités d’indépendance, un discours critique et contestataire, les périodiques indépendants
durent affronter à l’aube des années 1980 un ensemble considérable de difficultés dont
l’accroissement alla de pair avec le progressif calendrier de l’ouverture démocratique. Balise
chronologique de ce travail, l’année 1982 vit l’organisation d’élections générales, directes
pour les gouverneurs des États fédérés, provoqua une série de scissions idéologiques et de
rattachements partisans au sein des rédactions indépendantes et signifia à nos yeux la fin d’une
dynamique propre à l’humour graphique et politique tel que pratiqué depuis 1964. Une
nouvelle génération de dessinateurs brésiliens hérita de ce type d’humour qui essaima au cours
des années 1980 l’une de ses caractéristiques fondamentales, l’esprit critique, désormais
davantage tourné vers la crise économique, la morale et les évolutions comportementales.
46
PARTIE I
Entre tradition de l'humour graphique brésilien
et premiers coups d'éclat (1964-1968)
Pourquoi remonter à l’instauration des presses royales en 1808 à Rio de Janeiro et
traiter de l’essor des périodiques imprimés brésiliens au sein d’un travail de recherche
consacré aux usages contestataires de diverses formes d’humour graphique publiées à partir de
1964 sous le régime militaire brésilien ? Le panorama historique qui suit n’aura pas la
vocation bancale de retracer l’histoire des premiers périodiques satiriques illustrés au Brésil,
mais bien davantage d’exposer les racines communes ainsi que le parcours indissociable de la
presse imprimée et des représentations humoristiques et satiriques dessinées depuis le début du
XIXe siècle dans le pays.
Les caricatures, les charges et les bandes dessinées seront ici envisagées comme autant
de portes d’entrée vers la compréhension des imaginaires désignés par Vinicius Liebel : fruits
de l’imagination et du travail des dessinateurs, elles furent donc assurément les produits
d’époques, de contextes, de pratiques politiques et de relations de pouvoir. Pensées et
analysées dans la longue durée, elles nous permettront également de retracer certaines
évolutions techniques de l'imprimerie et de la reprographie brésiliennes. Si d’intenses
bouleversements marquèrent la période allant des débuts du XIX e siècle au coup d’État de
1964, nous prétendons identifier certains éléments caractéristiques des usages de l’humour
graphique et de l’image satirique qui se développèrent, persistèrent et se transmirent à travers
les décennies, formant progressivement les bases d’une tradition graphique à la brésilienne.
Objet d’adaptations et de réappropriations permanentes au cours du XX e siècle, cette
tradition graphique fut alimentée de stratagèmes graphiques inventés dans le but de contourner
les censures et les pressions imposées par le régime de Getúlio Vargas, puis renouvelés à partir
de 1964 et perceptibles au sein des périodiques indépendants sous le régime militaire, au
premier rang desquels figura le mensuel satirique Pif-Paf. Opérant au fil de ses huit numéros
une éphémère, mais consistante satire du pouvoir, la publication orchestrée par l’intellectuel,
journaliste et dessinateur Millôr Fernandes s’inscrivit dans certaines pratiques et
représentations héritées du siècle précédent tout en inaugurant en grandes pompes la pratique
de l’humour politique contestataire sous le régime militaire.
47
Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 1
48
Chapitre 1
L'image satirique, l'humour graphique et la presse :
un état des lieux brésilien
Dès les premières productions de périodiques contrôlées par la monarchie à partir de
1808, de solides liens se nouèrent entre la presse brésilienne et la construction des
représentations de la nation. Les titres imprimés s’employèrent à faire état des évolutions
politiques d’un intense XIXe siècle, notamment à partir de la proclamation de l’Indépendance
et de l’instauration de l’Empire en 1822 qui provoquèrent la multiplication des lieux
d’impression et un véritable essor des périodiques brésiliens. Les années 1820 virent
l’irruption dans les débats des journaux qui occupaient alors un rôle de premier plan dans la
socialisation et la politisation des élites intellectuelles, constituant un canal de diffusion
d’informations quasiment hégémonique. Entamés dans les années 1870, les premiers grands
débats autour de l’instauration de la République puis de l’abolition de l’esclavage
confirmèrent le rôle des périodiques satiriques et des caricaturistes dans la création, le
maintien et la fixation de nouvelles constructions mentales, ainsi que dans la diffusion et le
renforcement de préjugés largement enracinés dans la société brésilienne. Certaines pratiques
de circulation des dessinateurs d’humour politique au sein de divers périodiques et entre des
milieux culturels différents s’enracinèrent entre la fin du XIXe siècle et la Belle Époque.
La satire et l’humour visuels contribuèrent donc, nous le verrons, à forger des pans de
l’identité nationale brésilienne dans un processus double orienté vers l’accentuation des
stéréotypes raciaux et sociaux, mais également vers les luttes progressistes notamment
marquées au XIXe siècle par l’abolition de l’esclavage. Ils constituèrent peu à peu l’imaginaire
politique, l’emploi de la caricature et du dessin de presse se diffusant de part et d’autre de
l’échiquier partisan, avant d’entreprendre plusieurs phases de réagencement sous l’Estado
Novo de Vargas et la recrudescence de la censure. Les années 1940 virent en effet l’émergence
de stratégies de contournement des interdictions notamment caractérisées par le traitement de
thématiques internationales pour évoquer, en creux, la vie politique nationale. Cet ensemble de
techniques graphiques et textuelles fut largement développé durant la Guerre froide – période
d’augmentation des phénomènes de capillarités entre le contexte international et les
représentations brésiliennes – pour finalement se multiplier à l’aune de l’instauration du
régime militaire en 1964.
49
I. Construction de la nation et essor de la presse imprimée au XIXe siècle
a) De la Imprensa Regia aux caricatures politiques
Dans l'article « Le versant brésilien de l'Atlantique-Sud : 1550 - 185066 », l'historien
Luiz Felipe de Alencastro insistait sur la dimension transnationale des bouleversements
politiques survenus en Europe à l'aube du XIXe siècle qui « modifièrent la cartographie de
l’Atlantique-Sud67 ». Les troupes napoléoniennes chassèrent en 1808 la Cour de Lisbonne,
accusant la monarchie portugaise de ne pas respecter le blocus continental décidé par
Napoléon contre l'Angleterre. La Couronne décida le transfert du siège de son Empire vers
l'Amérique et la famille royale accompagnée d'environ quinze mille personnes embarqua pour
la colonie, sous la protection de la marine anglaise. Après l'arrivée à Salvador et en route pour
Rio de Janeiro, le prince régent D. João VI décréta l'ouverture des ports de la colonie et donc
du commerce brésilien, aux pays tiers amis de la couronne, satisfaisant ainsi la demande de
l'Angleterre. Rio de Janeiro demeura capitale de la monarchie de 1808 à 1821 et le Brésil
devint Royaume-Uni du Portugal, Brésil et Algarve en 1815. Cette nouvelle nomination
administrative allait dans le sens d'une installation pérenne de la cour à Rio. Le transfert de la
couronne portugaise au Brésil entraîna un remaniement important des institutions existantes et
la création de nouvelles entités liées à cette influence européenne également présente dans les
domaines culturel, artistique et intellectuel. Le début du XIXe siècle fut notamment caractérisé
par la création du jardin botanique le 13 juin 1808, le transfert des livres et documents royaux
pour progressivement constituer les fonds de la bibliothèque nationale à partir de 1810, la
venue de la Mission artistique française68 en mars 1816 ainsi que la naissance et le
développement de la presse.
Considéré comme le premier journal brésilien en langue portugaise non censuré, le
Correio Braziliense fut lancé clandestinement le 1er juin 1808 à Londres par Hipólito José da
Costa Pereira et y circula jusqu'en 1822. Les presses royales, ou Impressão Régia, furent
instaurées par décret à Rio de Janeiro le 13 mai 1808 et devinrent dès lors le lieu de production
66 Luiz Felipe de ALENCASTRO, « Le versant brésilien de l'Atlantique-Sud : 1550 - 1850 » in Annales. Histoire,
Sciences Sociales, 2006/2, p. 339-382.
67 Luiz Felipe de ALENCASTRO, op. cit., p. 363.
68 Voir à ce sujet le numéro 10 de la revue Brésil(s) qui consacra un dossier spécial à la mission artistique
française : Brésil(s), n°10, « Les artistes de D. João : des Français à Rio de Janeiro en 1816 », 2016 [en
ligne : https://journals.openedition.org/bresils/1970] (consulté le 20/06/2018).
50
des périodiques imprimés avec l'autorisation de la monarchie, placés sous la surveillance et la
censure royales. Auparavant, une telle production de documents était interdite dans la colonie.
Premier périodique imprimé sur le territoire brésilien par la presse royale, la Gazeta do Rio de
Janeiro née le 10 septembre 1808 faisait l'éloge de la monarchie et de la colonie portugaises,
contrairement au Correio Braziliense qui remplissait le rôle de publication d'opposition depuis
l'Angleterre. Sérgio Hamilton da Silva Barra associe l'installation de la presse royale au
développement progressif de la bureaucratie de l'Empire portugais au Brésil :
« […] nous pouvons envisager l'important rôle politique qui lui était réservé au sein
de la structure administrative de l’État portugais. Le nouvel organe était en charge
de l'impression de toute la législation et des papiers diplomatiques émanant de
n'importe quel secteur du service royal. Et, comme il n'y avait pas d'autre
typographie dans la colonie, au moins officiellement, il devait également imprimer
toutes les autres œuvres, mais seulement après avoir accompli la tâche de publier
les actes du gouvernement, nécessaire et essentielle au bon fonctionnement de la
bureaucratie.
En juin 1808, une junte administrative composée de trois membres fut nommée
pour la Presse royale et parmi ses attributions figuraient l'examen de tout ce qui
était envoyé à la publication ainsi que l'interdiction d'impression des documents et
livres dont le contenu contrariait le gouvernement, la religion et les bonnes
mœurs69. »
Cette censure préalable à l’impression fut abolie en 1821 avant de resurgir à diverses
périodes au cours des XIXe et XXe siècles. Les changements politiques majeurs du XIXe siècle
brésilien furent étroitement corrélés à la création de périodiques dans le pays. En avril 1821,
Don João rentra au Portugal et laissa à Rio de Janeiro son fils, le prince héritier Don Pedro qui
avait refusé de céder à l'appel des Cours de Lisbonne exigeant son retour. Face à la perte
progressive de son autorité et épaulé par son conseiller José Bonifacio de Andrade e Silva,
Don Pedro orienta le pays vers l'Indépendance, proclamée le 7 septembre 1822 sur les rives de
la rivière Ipiranga au sud de l'actuelle São Paulo. À partir de l'instauration de l'Empire, la
multiplication des lieux d'impression entraîna la diversification des périodiques brésiliens. Le
début des années 1820 fut marqué par l'irruption des journaux dans les débats et les processus
69 Sérgio Hamilton da Silva BARRA, « A Impressão Régia do Rio de Janeiro e a criação no novo Império
Português na América » in Revista de História (São Paulo), n°173, déc. 2015, p. 262-263.
51
politiques contemporains de l'Indépendance du pays70. Quelques années plus tard, Manuel de
Araujo Porto-Alegre publiait la première image satirique d'auteur connu au Brésil.
L'intellectuel et artiste, passé par l'Académie impériale des Beaux-Arts de Rio de Janeiro,
voyagea en 1831 à Paris et y fit notamment la connaissance d'Honoré Daumier. Marqué
durablement par la presse satirique française, il publia à son retour au Brésil en 1837 une série
de lithogravures satiriques dont la première, « A Campainha e o Cujo », critiquait les
accointances entre le directeur du Correio Oficial Justiniano José da Rocha et le
gouvernement.
FIG 1 : Manuel de Araujo Porto-Alegre, « A Campainha e o Cujo »,
lithogravure 31 x 41,5 cm sur papier 37 x 48 cm, 1837
Porto-Alegre fonda en 1844 la revue pionnière Lanterna Mágica et publia de nombreux
dessins satiriques au cours des années 1850. Entre 1860 et 1930, près de deux cents
périodiques circulèrent dans la ville de Rio de Janeiro malgré un marché encore insuffisant et
l’inexistence d'un large public alphabétisé. Le dynamisme de la presse durant la seconde
moitié du XIXe siècle était intrinsèquement lié aux demandes issues d'une élite brésilienne
70 Voir à ce sujet : Isabel L USTOSA, Insultos Impressos. A guerra dos jornalistas na Independência (1821-1823),
São Paulo, Companhia das Letras, 2000.
52
minoritaire et à l'absence d'autres canaux de diffusion de la culture lettrée. Dans ce contexte,
les périodiques imprimés occupèrent un rôle de premier plan dans la vie politique nationale.
Dans l'article « A Républica nos traços do Humor : A Imprensa Ilustrada e os Primeiros
anos da Campanha Republicana no Brasil71 », l'historien brésilien Aristeu Elisandro Machado
Lopes analysa en ce sens les représentations véhiculées par la presse à Rio de Janeiro au cours
des années 1870, au début de la campagne en faveur de la République. Instauré en 1889, le
changement de système politique signifiant l'avènement d'un ordre libéral inédit ainsi que
l'arrivée au pouvoir de nouvelles forces sociales et politiques fut précédé de débats acharnés.
L'auteur se pencha sur les liens tissés entre différents périodiques, leurs caricaturistes et la
construction d'imaginaires parfois contradictoires autour des mécanismes du système
républicain. Il s'intéressa à la récurrence de l'allégorie républicaine et à l'omniprésence de la
satire, notamment visuelle, au fil des pages du périodique Vida Fluminense hostile au nouveau
régime :
« Dans la production, l'allégorie féminine de la République, séductrice et fascinante,
débarque dans un port brésilien et provoque une grande fureur, les hommes tombent
à ses pieds et ne parviennent pas à résister à ses charmes (et ses idées). Cependant,
ce qui semble être traité avec sympathie par le journal démontre de nouveau sa
répulsion vis-à-vis des idées et des nouvelles propositions que cette « dame » amène
au Brésil, puisqu’elle est présentée au public lecteur comme une « cocotte »72. »
Deuxième périodique analysé dans l'article, le Mosquito, fondé en 1869 par le
journaliste Cândido Aragones de Faria, manifestait graphiquement son mépris des liens entre
l’État brésilien et l'institution catholique « avec des caricatures ridiculisant les évêques et
l’Église, ainsi que des articles critiquant férocement les relations entre le gouvernement et la
religion73 ». L'auteur évoque également la circulation fréquente des caricaturistes entre les
périodiques et la pratique courante de l'absorption d'un titre par un autre, insistant finalement
sur le rôle croissant des dessinateurs dans la naissance du débat favorable au système
républicain : « les productions artistiques et la production textuelle de ces périodiques
71 Aristeu Alisandro Machado LOPES, « A Républica nos traços do Humor : A Imprensa Ilustrada e os Primeiros
anos da Campanha Republicana no Brasil » in Revista Virtú, n°8, 2009/1 [en ligne :
http://www.ufjf.br/virtu/files/2009/11/2-Republica-e-Humor-UFRGS.pdf ] (consulté le 16/06/2018).
72 Aristeu Alisandro Machado LOPES, op. cit., p. 6-7.
73 Aristeu Alisandro Machado LOPES, op. cit., p. 8.
53
constituent une source abondante pour l'analyse de la participation des caricaturistes à un
moment important de la vie politique brésilienne, qui accompagnèrent le développement des
idées républicaines depuis le début de leurs activités 74. » Lopes s'attarda également sur la
vision du scénario politique impérial véhiculée par l'humour graphique issu de périodiques du
sud du Brésil dans l'article « O Império do Brasil nos traços do humor: política e imprensa
ilustrada em Pelotas no século XIX75 ». L'article fait le constat de l'immense pourcentage de
périodiques cariocas dans la production totale et propose une focale sur les caricaturistes
pelotenses76. L'historien posait dans son analyse la question des spécificités régionales des
images humoristiques imprimées dans la presse au sujet de Don Pedro II, empereur du Brésil
de 1840 à 1889, de la princesse Isabel et d'autres personnalités politiques de premier plan issus
de la sphère politique impériale.
Entre le milieu du XIXe et le début du XXe siècle, les périodiques illustrés constituèrent
donc un moyen de diffusion de l'humour graphique brésilien émergent qui cherchait à
s’affirmer au sein des débats agitant la société brésilienne. Les sous-titres des publications
s'avèrent particulièrement révélateurs des intentions émanant des rédactions ainsi que d'un
certain mélange des genres, une oscillation des ambitions. Apparu au Pernambouc dans les
années 1840, A Carranca se présentait comme « politico-moral-satirique-comique ». Le titre
Borboleta Poetica publié à Rio de Janeiro à partir de mars 1849 assumait lui un caractère
« périodique et satirique ». Quelques décennies plus tard, l'Alvorada publiée entre 1912 et
1913 à Rio Pardo dans le Rio Grande do Sul se considérait comme un « organe littéraire,
humoristique et de nouvelles » alors que l'Alvorada de Rio de Janeiro affichait entre 1910 et
1929 les qualificatifs de « bimensuel de nouvelles, littéraire et humoristique », multipliant les
chroniques, nouvelles, photographies, gravures, charades et calembours. Le caractère satirique
ne fut pas l'apanage des périodiques illustrés, mais bien une caractéristique intrinsèque de
certains titres de presse gagnés à la critique politique, l'analyse des mœurs et des coutumes
brésiliennes, ainsi qu'aux questionnements fondamentaux agitant le Brésil récemment
indépendant au cours de la seconde moitié du XIXe, comme le rapport du pays à l'esclavage et
à la question raciale.
74 Aristeu Alisandro Machado LOPES, op. cit., p. 15.
75 Aristeu Alisandro Machado LOPES, « O Império do Brasil nos traços do humor: política e imprensa ilustrada
em Pelotas no século XIX » in Almanack Braziliense, São Paulo, n°10, 2009, p. 98-114.
76 Le terme se réfère aux habitants de la ville de Pelotas, située dans le sud-est de l’État du Rio Grande do Sul.
54
b) Abolition de l'esclavage et représentation des Noirs dans la caricature :
subversion
du pouvoir ou consolidation des hiérarchies ?
Tous les secteurs de l'économie du Brésil moderne et leurs dynamiques étaient
organiquement reliés à la traite des Noirs, « chaque nouvelle période productive brésilienne
[entraînant] une accélération des importations d’Africains77 ». Dès les années 1820, la
perspective d'un arrêt de la traite provoqua de nombreuses craintes chez les responsables
politiques et économiques brésiliens soucieux de ce qu'ils considéraient comme une potentielle
atteinte à la souveraineté du pays récemment indépendant. Extrêmement diffusée dans la
société brésilienne de la moitié du XIX e siècle, la possession d'esclaves constituait l'un des
facteurs de cohésion de l’État et du territoire 78. Dans le même temps, la première moitié du
siècle fut caractérisée par l’essor du mouvement abolitionniste accompagné de grands
soulèvements d'esclaves au retentissement fort et à l'impact majeur dans les imaginaires
sociaux, à l'instar de la révolte des Malés survenue en 1835 dans l’État de Bahia. La loi
Eusébio de Queiroz du 4 septembre 1850, précédée par un premier texte de 1831 non appliqué,
représenta une rupture majeure lorsqu'elle établit la répression du trafic d'esclaves.
La production caricaturale contemporaine de l'époque dessina largement les contours
de ce bouleversement économique, politique, social et culturel. La seconde moitié du XIX e
siècle fut également marquée par la présence grandissante des dessinateurs et artistes dans les
débats agitant la société brésilienne et leur rôle croissant dans l'émergence de certaines
représentations politiques, notamment autour de l'esclavage. Devenus « formateurs de
l'opinion publique dans un sens jusqu’alors peu observé dans le pays 79 », ils contribuèrent à la
large diffusion de ces représentations au sein de la population :
« La popularité de leurs dessins garantissait la pénétration de leurs idées dans la
société et les représentations constitutives de leurs travaux firent rapidement partie
de l’imaginaire de l’époque. Le fait qu’il se soit agi d’éléments essentiellement
picturaux donnèrent aux charges une importance inégalée dans la société, puisque
cela incluait dans le débat, dans une certaine mesure, les illettrés et les
77 Luiz Felipe de ALENCASTRO, op. cit., p. 364.
78 Voir : Luiz Felipe de ALENCASTRO, « La traite négrière et l'unité nationale brésilienne » in Revue française
d'Histoire d'Outre-Mer, tome 66, n°244-245, 1979, p. 395-419.
79 Vinícius LIEBEL, « Ângelo Agostini e a Charge no Crepúsculo Imperial – Apontamentos Preliminares acerca
da Questão Abolicionista » in Almanack, n°11, 12/2015, p. 798.
55
analphabètes, une part non négligeable de la société de l'époque. A ce sujet,
Joaquim Nabuco déclara que la Revista Illustrada était la « bible de l'abolition de
ceux qui ne savaient pas lire »80. »
En citant l'intellectuel et homme politique connu pour son ferme engagement
abolitionniste, Vinícius Liebel mit à jour la corrélation entre la publication d'images satiriques
dans la presse sous l'Empire, la diffusion des idées politiques et l'élargissement des débats au
sein de la société brésilienne.
La Revista Illustrada fut fondée en 1876 à Rio de Janeiro par Ângelo Agostini,
dessinateur né en 1843 en Italie, ayant grandi en France et parti pour le Brésil en 1859. Le
début de sa carrière pauliste avait été marqué par le lancement de deux publications engagées,
O Diabo Roxo et Cabrião. Éphémères et déjà très critiques envers le gouvernement,
l’aristocratie et les institutions religieuses, elles eurent un impact considérable sur la vie
politique de São Paulo et laissèrent présager du ton des parutions postérieures :
« La caractéristique corrosive de son pinceau ne disparut pas avec le temps et
Agostini emporta avec lui dans ses travaux postérieurs le signe de la critique de
l'esclavage et de la monarchie, en frappant également le clergé et la politique de
l’Église dans le pays. Le fait de rester à São Paulo devint impossible après la
fermeture de Cabrião et Agostini partit alors pour Rio de Janeiro81. »
Dessinateur extrêmement prolixe, Agostini était républicain et abolitionniste, mais ses
travaux furent également les outils de la reproduction et de la diffusion de certains stéréotypes
raciaux, ainsi que du postulat de la supériorité blanche. Liebel analysa deux dessins publiés
dans le contexte antérieur à l'abolition : « De volta do Paraguai », paru dans la Vida
Fluminense en 1870 et « Preto e Amarelo » publié par la Revista Illustrada en 1881.
Dénonçant respectivement le contraste entre les violences perpétrées contre les esclaves et leur
rôle prépondérant en tant que « volontaires de la patrie82 » enrôlés de force pendant la Guerre
du Paraguay, ainsi que la société brésilienne hiérarchisée où l’homme blanc domine les figures
80 Vinícius LIEBEL, op. cit., p.798.
81 Vinícius LIEBEL, op. cit., p. 796-797.
82 Voir notamment André Amaral de T ORAL, « A participação dos negros escravos na guerra do Paraguai » in
Estudos Avançados, vol. 9, n°24, 1995, p. 287-296 [en ligne : http://www.scielo.br/scielo.php?
script=sci_arttext&pid=S0103-40141995000200015] (consulté le 25/06/2018).
56
du Noir et de l'Asiatique, ces dessins révèlent pourtant toute l'ambiguïté des représentations
véhiculées par Agostini :
« C'est cette structure imaginaire de la société qui constitue le champ dans lequel
Agostini et ses dessins agiront, d'une part en propageant et de l'autre en produisant
et renforçant des visions du monde. Le caractère engagé des dessins de Agostini
rend ce rôle encore plus évident. Dans le dessin ci-dessus, c'est vérifiable à travers
l'utilisation de la figure du maître d'esclaves qui devient un signe (en comportant
une série de qualités négatives inhérentes) dans les représentations agostiniennes.
Le dessin prend des airs de dénonciation avec la représentation du maître qui
« grimpe » sur les deux têtes, ce qui met en évidence le caractère d'exploitation de
son action. Cependant, dans le même temps il présente de manière graphique une
position « supérieure » du blanc face aux deux autres éléments83. »
Ces caricatures semblent dès lors représentatives des paradoxes inhérents au traitement
politique de la question abolitionniste avant 1888, mais apparaissent également comme des
éléments producteurs et diffuseurs de stéréotypes racistes et s’avèrent révélatrices de toute une
« structure imaginaire de la société ».
La reproduction et la diffusion de préjugés raciaux par les dessins satiriques se
poursuivit après l'abolition de l'esclavage en 1888 et l'instauration de la République en 1889,
au sein des débats du début du XXe siècle brésilien centrés sur la définition de l'identité
nationale et la valorisation progressive d'un Brésil métissé. Dans « Do (in)visível ao risível: o
negro e a “raça nacional” na criação caricatural da Primeira República84 », Silvia Capanema et
Rogério Sousa Silva soulignent certaines représentations des Noirs dans les travaux de
caricaturistes issus de périodiques de la fin du XIX e et du début du XXe siècles : Tagarela,
Don Quixote, O Mercurio, Fon-Fon et Revista da Semana. Les historiens insistent sur la
diversité des images véhiculées par les dessinateurs plus d'une décennie après l'instauration de
la République : « soit ils mettent en évidence les particularités culturelles, soit ils ironisent sur
les élites d'après le point de vue du Noir, soit ils reproduisent les préjugés de couleur
dominants85 ». L'analyse des caricatures révèle l'accaparement par les dessinateurs et la presse
83 Vinícius LIEBEL, op. cit., p. 807.
84 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, « Do (in)visível ao risível: o negro e a “raça nacional” na criação
caricatural da Primeira República » in Estudos Históricos, Rio de Janeiro, vol. 26, n°52, juillet-décembre
2013, p. 316-345.
85 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, op. cit., p. 320.
57
illustrée de préjugés raciaux, qu'ils contribuèrent à diffuser et renforcer. En creux, les images
satiriques révèlent les interrogations au sujet du rôle social des Noirs dans la société
brésilienne du tournant du XXe siècle, un contexte d'immigration européenne encouragée par
le gouvernement pour blanchir la population, mais également de valorisation progressive de
l'idée d’un Brésil métissé chez certains intellectuels nationalistes. Capanema et Silva
s'intéressent à la permanence de hiérarchies dans les sphères intimes et sociales entre l'avant et
l'après abolition, à la résurgence du travail esclave ainsi qu'aux craintes exprimées par les
caricatures d'un renversement de l'ordre établi.
Il n'est pas anodin que Silvia Capanema ait analysé de nombreuses caricatures dans ses
travaux86 consacrés aux enjeux de la période nouvellement républicaine et post-abolitionniste,
ainsi qu'aux liens entre question raciale et citoyenneté. Dans l’article « Race, révolte,
république : les marins brésiliens dans le contexte post-abolitionniste87 », elle retrace les
phénomènes d’exclusion et les inégalités liées à la couleur de peau à une époque de
remaniement d'une société brésilienne extrêmement hiérarchisée. Tout en insistant sur la
permanence de tensions raciales durablement enracinées, l’historienne parvient à démontrer
sur la base des images l'existence de mécanismes d'assimilation des valeurs du nouveau
régime politique par les secteurs les plus défavorisés : « Si, à l’origine, la République n’était
pas le projet des personnes afro-descendantes et des couches populaires, elle a cependant fait
l’objet d’une réappropriation, notamment par l’utilisation de ses symboles 88. » Dans « Do
(in)visível ao risível », Capanema et Silva avaient souligné le rôle et les mécanismes de
communication des caricatures, notamment celles du dessinateur J.Carlos, dans la
représentation des marins révoltés en 1910 et de leurs revendications spécifiques. Les œuvres
analysées employaient d’une part l'inversion des valeurs hiérarchiques tout en alimentant
d’autre part certains préjugés et conceptions racistes persistant dans la représentation physique
et sociale des marins noirs par J.Carlos :
« […] les marins blancs, au garde-à-vous, sont pieds nus, alors que le commandant
noir porte des souliers, malgré ses pieds tordus et des déformations osseuses
accentuées qui indiquent le manque d'habitude de l'usage de chaussures, dont
86 Silvia CAPANEMA, « 'Nous, marins, citoyens brésiliens et républicains' : identités, modernités et mémoire de la
révolte des matelots de 1910 », Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Juan Carlos Garavaglia,
Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 2009.
87 Silvia CAPANEMA, « Race, révolte, république : les marins brésiliens dans le contexte post-abolitionniste » in
Le Mouvement social, vol. 252, n°3, 2015, p. 159-176.
88 Silvia CAPANEMA, op. cit., p. 161.
58
l'absence était directement reliée au stigmate de l'esclavage. Il porte une médaille
sur laquelle on peut lire « 23 novembre 1910 » (le jour postérieur à la révolte),
utilisée dans le dessin comme date fondatrice d'une nouvelle ère dans la Marine 89. »
Le travail des deux historiens montrant le double jeu des représentations satiriques du
début du XXe siècle coïncidait avec une problématique également soulevée par Isabel Lustosa
dans l'article « Negro Humor. A imagem do negro na tradição cultural brasileira 90 ». Elle y
analysait la reconnaissance plus ou moins explicite de l'infériorité des esclaves dans diverses
productions culturelles datant d'avant 1888, même au sein de celles issues d'auteurs engagés en
faveur de l'abolition.
À l'aube de la Première Guerre mondiale puis à partir de l'entrée du Brésil dans le
conflit en 1917, le métissage tendit à apparaître dans les caricatures 91 comme un élément de
construction de l'identité nationale, « comme un destin que le Brésil devrait accomplir, et le
noir allait se diluer au milieu des autres races, renforçant et reflétant ainsi le débat intellectuel
racial de l'époque, qui possédait également un versant dans la production culturelle 92. »
Lustosa insistait également sur l'un des canaux de valorisation de la culture afro-descendante à
partir des années 1920 : la musique diffusée à la radio et associée aux innovations
technologiques, au métissage et à la modernité. À travers la question raciale et la
représentation des évolutions de la société, c'est donc nécessairement la question de l'identité
brésilienne qui était posée dans les caricatures et les représentations humoristiques de la Belle
Époque qui contribuèrent largement à la diffusion d'un imaginaire collectif du Brésil métissé,
mais également à la persistance de stéréotypes culturels, sociaux et raciaux durant la première
moitié du XXe siècle.
89 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, op. cit., p. 332.
90 Isabel LUSTOSA, « Negro humor. A imagem do negro na tradição cultural brasileira » in Revista USP, n°9,
1991, p. 161-170.
91 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, « La Guerre est là-bas : le premier conflit mondial et l'imaginaire
brésilien à travers la caricature » in Ridiculosa, n°20, 2014, p. 13-26.
92 Silvia CAPANEMA, Rogério Sousa SILVA, « Do (in)visível ao risível : o negro e a 'raça nacional' na criação
caricatural da Primeira República » in Estudos Históricos, Rio de Janeiro, n°52, juillet-décembre 2013, p.
338.
59
c) Satire visuelle et identité nationale
Lustosa dirigea en 2011 l'ouvrage Imprensa, humor e caricatura: a questão dos
estereótipos culturais93 consacré à l'impact des préjugés culturels dans la production de
dessinateurs en Amérique latine et en Europe, entre le XVIII e et le XXe siècle. Il posait la
question du rôle politique, social et culturel de l'humour graphique, véhicule de discours
idéologiques et de visions du monde souvent contradictoires, également révélateur des
mentalités et donc riche source pour l'histoire. Les formes graphiques satiriques ou
humoristiques publiées dans la presse permettent en effet de répondre partiellement à la
question des représentations politiques et culturelles en circulation à une époque donnée.
L'article « Cruzamentos, Encontros e Sincretismos humorísticos na História Brasileira dos
anos vinte e trinta94 » publié en 2001 par le chercheur Elias Thomé Saliba constitua à cet égard
une réflexion passionnante sur les caractéristiques de la construction de l'identité nationale
brésilienne sur la base de mécanismes humoristiques :
« La recherche tente de documenter les formes spécifiques de représentation de la
nationalité brésilienne à travers la production comique, satirique ou humoristique.
Elle cherche surtout à documenter les subtils processus de transfert, d'assimilation,
de filtrage et recréation de la production de style belle époque – principalement
fondée sur les ressources verbales – vers le langage oral du disque, de la
radiophonie et d'autres moyens connexes, qui se développèrent à partir des années
193095. »
Comment la nation brésilienne en construction fut-elle perçue et représentée par
l'humour au début du XXe siècle ? L’historien insista sur l'importance et les subtilités d'une
« tradition quasi séculaire de contacts entre de nombreux groupes sociaux, dont la frontière est
toujours difficile à distinguer96 », incitant les chercheurs à se pencher sur les étapes et
mécanismes de construction du rire brésilien afin d'en éviter l'essentialisation. Dans son
93 Isabel LUSTOSA (dir.), Imprensa, humor e caricatura : a questão dos estereótipos culturais, Belo Horizonte,
Editora UFMG, 2011.
94 Elias Thomé SALIBA, « Cruzamentos, encontros e sincretismos humorísticos na história brasileira dos anos
vinte e trinta » dans Dimensões, vol. 1, janv.-juin 2001, p. 162-178.
95 Elias Thomé SALIBA, op. cit., p. 162.
96 Elias Thomé SALIBA, op. cit., p. 163.
60
brillant ouvrage Raízes do Riso97, Saliba étudiait le rôle de l'humour dans les processus
d'invention des imaginaires nationaux, notamment brésilien, par le biais d'une circulation des
humoristes entre les élites intellectualisées et les secteurs culturels populaires sous la
République. Cette époque contrasta, nous disait-il, avec la phase de développement de
l'impression durant la première moitié du XIXe qui fut davantage caractérisée par un certain
mépris à l'égard du recours comique. L'auteur s'intéressa dans cet ouvrage à divers canaux de
circulation de la production comique et notamment à l'adaptation des humoristes à une
industrie radiophonique émergente à partir des années 1930. La recherche d'une définition du
rire brésilien, l'identification des étapes de sa construction et de ses composantes, l'analyse de
ses acteurs, de ses passeurs et des chemins sinueux qu'il emprunta à travers la société qui lui
fut contemporaine, sont des défis transversaux à l’œuvre de Saliba. Mais le spécialiste du rire
brésilien se pencha également sur la capacité de communication et le langage des diverses
productions humoristiques :
« Comme de nombreux spécialistes l'ont montré, lorsque nous abordons des
procédés comiques verbaux, nous sommes confrontés non pas à des textes que l'on
peut lire (lisibles, dans le sens de Roland Barthes), qui obéissent à des conventions
acceptées de lecture et d'interprétation, mais à des textes pouvant être écrits
(scriptibles), des textes qui défient les conventions linguistiques générales. Puisque
nous savons 'comment' les lire – les textes dits lisibles – nous les lisons de manière
passive en trouvant en eux les signifiés que nos conventions identifient à notre
place. La grande majorité des textes humoristiques, pour le moins ceux qui
produisent de grands déplacements de significations, constituent des textes
scriptibles, qui entament la production de signifiés, au lieu de transmettre les
signifiés en eux-mêmes98. »
Cette dichotomie identifiée par Barthes dans l'ouvrage S/Z99 entre texte « lisible » et
texte « scriptible » permit à Saliba de classer les productions humoristiques dans la catégorie
des producteurs de significations pour lesquels l'intervention du lecteur est indispensable. La
pluralité des interprétations possibles et l'absence de structure figée autour du sens d'une
97 Elias Thomé SALIBA, Raízes do Riso. A representação humorística na história brasileira : da Belle Epoque
aos primeiros tempos do rádio, São Paulo, Companhia das Letras, 2002.
98 Elias Thomé SALIBA, « Cruzamentos, encontros e sincretismos humorísticos na história brasileira dos anos
vinte e trinta » dans Dimensões, vol. 1, janv.-juin 2001, p. 163.
99 Roland BARTHES, S/Z, Paris, Éditions du Seuil, 1970.
61
caricature, par exemple, sont les témoins de son caractère multidimensionnel et complexe,
ainsi que du renouvellement perpétuel de ses niveaux de lecture.
Les réflexions de Saliba sont tournées vers le début du XX e siècle et la Belle Époque
brésilienne caractérisée par une quantité importante de périodiques et la création de nouveaux
espaces de production culturelle brouillant les frontières entre les professions :
« De ce fait, l'humoriste typique de cette période de l'histoire brésilienne condense
en lui-même les figures du caricaturiste et du chroniqueur de la presse légère, du
publicitaire, du critique et, dans certains cas, du musicien et de l'acteur. L'humoriste
est une figure multiple, donc, avec une très grande capacité de circulation entre
différentes pratiques culturelles100. »
Cette grande adaptabilité des humoristes, leur capacité à exercer plusieurs professions
et à graviter au sein de cercles culturels et intellectuels diversifiés, bien que reliés entre eux,
persistèrent, nous le verrons, durant la seconde moitié du XX e siècle chez les dessinateurs
d'humour politique travaillant au sein de périodiques indépendants. Millôr Fernandes,
créateur en 1964 du périodique Pif-Paf
accumula ainsi les fonctions de dessinateur,
d'humoriste, d'intellectuel, de journaliste, de traducteur et de dramaturge101.
Progressivement, les productions graphiques humoristiques et satiriques publiées dans
la presse brésilienne évoluèrent dans la société en pleine mutation du début du XX e siècle.
Véhicules de stéréotypes raciaux et sociaux, outils du renforcement de la hiérarchisation
effective du paysage social brésilien, elles accompagnèrent également leur époque, entrant de
plein fouet dans la modernité et contribuant à la construction des représentations de l'identité
multiple de la Nation : « l'humour aidait à transformer graduellement, par l'invention, des
symboles à proprement parler ethniques en symboles nationaux102 ». La caricature et la satire
apparurent à partir des années 1930 et de l'arrivée au pouvoir de Getúlio Vargas de plus en
plus tributaires du contexte politique, marqué par l'afflux de pratiques autoritaires et de
contrôle des libertés individuelles et collectives, parmi lesquelles figurait notamment la liberté
d'expression.
100 Elias Thomé SALIBA, op. cit., p. 165.
101 Nous reviendrons en détail sur le parcours et l’œuvre de Millôr Fernandes dans le deuxième chapitre de cette
thèse.
102 Elias Thomé SALIBA, op. cit., p. 163.
62
II. L'humour et la satire, des armes de lutte politique au cours du XXe siècle
a) Censures et pressions : quelle caricature sous l'Estado Novo ?
Les années 1920 virent l'émergence progressive de nouvelles pratiques du pouvoir
politique largement orientées vers le contrôle social et les limitations des libertés individuelles.
L'épisode de la Révolution de 1924 à São Paulo 103 apparaît à ce titre emblématique. D'une
révolte de militaires de basse extraction débutée le 5 juillet 1924 et de l'occupation
relativement calme de la ville par les rebelles, le conflit se transforma en quelques jours avec
l'instauration de l'état de siège et le bombardement intensif des quartiers centraux et
populaires, dont les victimes sont aujourd’hui estimées en milliers. L'adhésion massive
d'immigrants, d'ouvriers et de syndicats à la cause des militaires révoltés contre l'ordre établi
ne fut pas étrangère à la démesure de ce massacre urbain en plein cœur industriel du pays. Les
menaces contre l’État, l'autorité et l'ordre public furent les prétextes de la répression massive
et de l'instauration de nouvelles pratiques de contrôle social et d'enfermement carcéral sous la
présidence de Arthur Bernardes104.
La prise en compte des effets politiques et sociaux de l'industrialisation, de l'émergence
des classes populaires urbaines en tant que force sociale et des contestations répétées de jeunes
officiers ayant alimenté le tenentismo105 à partir de 1920 est indispensable à la compréhension
du mouvement qui mena Getúlio Vargas au pouvoir quelques années plus tard. Sous la
présidence de Washington Luis, ancien gouverneur de l’État de São Paulo, la perspective
d'élections organisées le 1er mars 1930 attisa les tensions entre les paulistes et les élites de
l’État du Minas Gerais. Celles-ci formèrent le 22 août 1929 avec les habitants de l’État du Rio
Grande do Sul l'Alliance libérale afin de soutenir la candidature du gaúcho Getúlio Vargas à la
présidence, avec son vice-président João Pessoa. La victoire de Julio Prestes, candidat soutenu
par Washington Luis, ainsi que l'assassinat de João Pessoa le 26 juillet 1930 provoquèrent la
Révolution entamée le 3 octobre à partir du Minas Gerais et du Rio Grande do Sul. À la tête
103 Ilka STERN COHEN, Bombas sobre São Paulo. A Revolução de 1924, São Paulo, Editora UNESP, 2007.
104 Carlo ROMANI, « Antecipando a era Vargas : a Revolução Paulista de 1924 e a efetivação das práticas de
contrôle político e social » in Topoi, vol. 12, n°23, juil.-déc. 2011, p. 161-178.
105 Dérivé du mot « lieutenant » (tenente), le terme tenentismo se réfère à un mouvement politique et militaire
initié en 1922 au Brésil, qui revendiquait d'importantes réformes institutionnelles dans le pays. Née dans les
casernes militaires, émanant de secteurs composés de jeunes officiers issus des classes inférieures, la révolte
alliait un désir de modification de la structure du pouvoir à l'échelle du pays et de démocratisation du
processus électoral, une critique du système fédéraliste et des revendications spécifiquement militaires.
63
d'un gouvernement provisoire jusqu'à la promulgation de la Constitution de 1934, Vargas fut à
l'origine de transformations politiques et sociales majeures, du renforcement de l’État et de
l'encadrement accru des masses ouvrières en pleine expansion, entre corporatisme et
nationalisme. Empruntant largement à la rhétorique de la menace communiste malgré
l'emprisonnement effectif des principaux dirigeants du mouvement, Vargas modifia la
Constitution en 1937 afin d'empêcher les élections prévues l'année suivante. La fermeture du
régime aboutit à la mise en place de l'Estado Novo le 10 novembre 1937 et à l'interdiction des
partis politiques le 3 décembre de la même année. Fondé sur un modèle économique
développementaliste et nationaliste, l'Estado Novo fut surtout caractérisé par le contrôle
renforcé des institutions politiques, culturelles, éducatives et militaires, par une persécution
systématique des communistes et un strict contrôle des moyens de communication. Prévue de
manière explicite par la Constitution de 1937, la censure préalable des moyens de
communication et des activités artistiques toucha de plein fouet la presse écrite. Ce contrôle
franchit une étape supplémentaire avec la création en 1939 du Département de presse et de
propagande (DIP) dont les objectifs étaient la coordination de la propagande interne et externe,
l'organisation des hommages rendus au chef de l’État, la diffusion de programmes officiels du
gouvernement ainsi que la censure de tous les moyens de communication, du théâtre, du
cinéma et de la littérature.
L'exposition virtuelle « Charge, Caricatura e Política - 1930 a 1937 », organisée en
2013 par les Archives publiques de l’État de São Paulo (APESP), attesta une importante
production d'humour et de satire graphiques entre la Révolution de 1930 et l'instauration de
l'Estado Novo. Malgré le contexte de limitations imposées à la liberté d'expression, l'intérêt
des dessinateurs de presse et caricaturistes pour les personnalités et les rouages de la vie
politique ne fit qu'augmenter.
Les artistes durent cependant s'adapter aux nouvelles
contraintes imposées par le gouvernement. J. Carlos, de son vrai nom José Carlos de Brito e
Cunha, entama sa carrière en 1902 en publiant ses dessins dans le périodique O Tagarela fondé
à Rio de Janeiro par les deux caricaturistes Calixto Cordeiro, dit K.Lixto, et Raul Pederneiras.
Il travailla également en tant que directeur de la revue hebdomadaire Careta dès sa fondation
en 1908 par l'entrepreneur Jorge Schmidt. La publication profita largement des innovations
technologiques liées au développement de l'impression, de l'usage de couleurs et de nouvelles
typographies afin d'élargir son lectorat. J.Carlos était responsable de l'illustration de couverture
et de nombreux dessins au fil des pages. Il quitta Careta en 1921 pour diriger les publications
de l'entreprise O Malho, tout en continuant à collaborer aux principaux périodiques illustrés de
64
l'époque. Le caricaturiste dépeignit avec élégance et audace les modifications du contexte
urbain de Rio de Janeiro au début du XX e siècle et le rapport de ses habitants à la modernité,
les évolutions sociales et de mœurs, les innovations technologiques et la vie politique
nationale.
Autre dessinateur extrêmement prolixe, également peintre, écrivain et chroniqueur,
Benedito Bastos Barreto, dit Belmonte, publia inlassablement au cours de la première moitié
du XXe siècle. Il créa dans les années 1920 le personnage de Juca Pato, archétype masculin de
la classe moyenne de São Paulo. Ses dessins satiriques et érudits critiquant la corruption,
l'inflation et la politique menée par Getúlio Vargas parurent dans la Folha da Noite jusqu'à la
victoire de la Révolution en 1930. Censuré à partir de 1937 et donc dans l'impossibilité de
caricaturer la vie politique nationale, Belmonte fut contraint de traiter uniquement de
thématiques internationales et dessina la montée du nazisme, l'antisémitisme, les effets des
impérialismes et les étapes de la seconde Guerre Mondiale 106. De Chamberlain à Hitler, de
Staline à Roosevelt, de Mussolini à Churchill, tous les grands dirigeants des pays belligérants
furent caricaturés par le dessinateur. J.Carlos qui opéra également ce changement thématique
contraint à partir de la fin des années 1930, s'engagea dans l'antinazisme et chroniqua les
avancées de la guerre à travers ses dessins.
FIG 2 : Careta, n°1881, 07/1944, p. 1
106 BELMONTE, Caricatura dos Tempos, São Paulo, Edições Melhoramentos, 1982 (1ère édition : 1948).
65
Belmonte s'intéressa de nouveau au scénario brésilien à partir de 1945, date marquant la fin du
conflit mondial et la déliquescence de l'Estado Novo, mais poursuivit son travail de
représentation de l'actualité internationale et des péripéties de la Guerre froide. L'importante
production graphique de deux des plus célèbres dessinateurs brésiliens de la première moitié
du XXe siècle, véritables chroniqueurs visuels des mutations sociales et culturelles de leur
époque, semble cependant marquée par une apparente impossibilité de caricaturer la vie
politique nationale sous Vargas.
Sheila do Nascimento Garcia analysa le rôle de la publication Careta entre 1937 et
1945107, dans un contexte marqué par l'hostilité du régime envers la production graphique et
humoristique largement censurée. Elle exposa les stratégies de contournement des limitations
imposées à la presse par l'Estado Novo développées dans la revue Careta qui poursuivit tant
bien que mal la publication de caricatures critiques, alors que l’État mettait en place un
ensemble de canaux de communication à vocation hégémonique destinés à forger l'image
officielle du régime. Face aux fermetures et à la présence de censeurs au sein des rédactions,
aux contraintes imposées et aux interdictions de certaines thématiques, Careta semble avoir
fait de la satire un outil utile à la permanence de l’esprit critique et contestataire. La revue
jouait avec les perméabilités entre texte et image au fil des pages, accordant les éditoriaux aux
caricatures publiées en couverture. Garcia mit en lumière l’emploi de la réappropriation
satirique des discours officiels, de l’inversion de certaines hiérarchies, des métaphores et
métonymies linguistiques et visuelles, des jeux de mise en page et des parallèles entre les
contextes étrangers et la politique nationale. Alberto Gawryszewski précisa dans son étude
comparée de la représentation de Vargas au sein de Careta et de périodiques communistes108
l’intensité croissante du traitement de thématiques politiques par la revue, « en particulier à
partir de 1930 quand la situation politique [exigea] d'elle qu'elle soit moins humoristique. En
réalité, le débat politique, économique et social du pays acquit un rôle plus important dans son
contenu, y compris dans l'usage des dessins de presse et des caricatures en ce sens 109. »
L’historien confirma également que les difficultés de représentation du contexte politique
national par la caricature augmentèrent considérablement entre 1937 et 1945, la revue Careta
107 Sheila do Nascimento GARCIA, « Revista Careta : um estudo sobre humor visual no Estado Novo (19371945) », Mémoire de master en Histoire, sous la direction de Tania Regina de Luca, Assis, Université de
l’État de São Paulo Júlio de Mesquita Filho, 2005.
108 Alberto GAWRYSZEWSKI, « Getúlio Vargas: um estudo comparativo entre a revista ilustrada “Careta” e a
imprensa comunista (1945‐1954) » in Tempo e Argumento, vol. 9, n°20, janv.-avril 2017, p. 186-229.
109 Alberto GAWRYSZEWSKI, op. cit., p. 190-191.
66
délaissant progressivement les thématiques internationales à la fin de la Guerre pour se tourner
de nouveau vers le leader travailliste.
Les attaques de la presse communiste contre Vargas se multiplièrent à partir de 1945,
année marquant le terme de l'Estado Novo, la fin de la clandestinité pour le Parti communiste
brésilien (PCB) et l'amnistie des prisonniers politiques. Les différentes formes d'humour
graphique employées par les publications communistes servirent le discours contre Getúlio,
combattu et sévèrement critiqué. Gawryszewski citait l'exemple de l'artiste Quirino
Campofiorito, auteur en janvier 1947 d'une série de diptyques publiés dans Tribuna Popular
mettant en scène l'écart abyssal entre les discours et les actes de Vargas. En pleine période de
Guerre froide caractérisée par l'opposition de visions du monde contradictoires, de nombreux
artistes souvent restés anonymes contribuèrent à la création de représentations de Vargas dans
la presse communiste en s'appuyant sur une série de mécanismes communicationnels permis
par l'humour graphique. D'après Gawryszewski, la principale différence entre les
représentations de Vargas et de l'Estado Novo véhiculées par Careta d'une part et par la presse
communiste d'autre part résidait dans la marge de manœuvre des dessinateurs, presque
inexistante au sein des titres liés au PCB « dans la mesure où le journal devait 'orienter' le
lecteur vers la compréhension de la situation politique, économique, sociale et syndicale en
vigueur110 ». Il est extrêmement intéressant de constater que l'absence, la présence ou la
récurrence de caricatures et de représentations satiriques de Vargas à certaines époques sont
révélatrices du contexte politique, de la prégnance de la censure, mais également des stratégies
et des revirements opérés par le PCB entre la fin des années 1940 et la décennie suivante.
Mise en difficulté sous la présidence de Dutra entre 1946 et 1951, la presse
d'opposition retrouva son dynamisme et renoua avec la critique acerbe au retour de Vargas au
pouvoir. D'après Rodrigo Rodriguez Tavares, l'analyse de la culture visuelle communiste
permet en ce sens de reconstituer la lecture formulée par le Partidão111 de la réalité politique
brésilienne. Dans l'article « O humor contra Vargas : desenhos comunistas do período da
campanha eleitoral ao suicídio (1950-1954)112 », l'auteur analysa un ensemble de caricatures et
de charges publiées dans la presse communiste entre 1950 et 1954, regrettant un relatif
manque d'intérêt de la part des chercheurs pour les sources graphiques communistes :
110 Alberto GAWRYSZEWSKI, op. cit., p. 224.
111 Le terme « Partidão », littéralement « grand parti », désigne le PCB dans le langage populaire brésilien.
112 Rodrigo Rodriguez TAVARES, « O humor contra Vargas : desenhos comunistas do período da campanha
eleitoral ao suicídio (1950-1954) » in Tempo e Argumento, vol. 8, n°18, mai-août 2016, p. 68-101.
67
« Il n'y a toujours pas d'aperçu complet autour du rôle de l'image dans le
mouvement communiste brésilien identifiant les artistes et techniques de production
des images, consacrant des recherches à la circulation des images dans la presse
communiste, analysant la fréquence à laquelle elles apparaissent à certaines
périodes, mettant en relation les influences artistiques etc 113. »
Tavares décrypta l’élaboration de la figure de l'ennemi Vargas dans l'iconographie
communiste et la déconstruction par les images de la propagande de l'Estado Novo vouée à
forger la vision d'un dirigeant favorable aux travailleurs et aux classes populaires. La
caricature fut l'un des instruments graphiques les plus employés par la presse communiste en
vue de cette déconstruction, également rendue possible par la récurrence de certains procédés
comme l’animalisation. Les dessins tendaient à dénoncer les affinités supposées entre Vargas
et le fascisme, à critiquer ses liens avec les États-Unis d'Amérique et à éloigner les ouvriers de
la figure du dirigeant travailliste, concurrent direct du PCB : « en 1952, les thèmes de la
défense du pétrole national, la campagne de la Paix contre l'envoi de troupes à la guerre de
Corée et contre l'accord militaire Brésil – USA furent récurrents dans la presse communiste
carioca114. » Les images satiriques renforcèrent la vision d'un gouvernement brésilien soumis à
l'Oncle Sam. Le suicide de Getúlio Vargas, lié aux mouvements exigeant son renoncement et
aux difficultés secouant le pays, entraîna à partir de 1954 un changement radical de la part du
PCB qui commença à véhiculer une image bien différente de l'ancien dirigeant, métamorphosé
en allié post-mortem dans la production graphique issue de la presse communiste.
La revue Careta n'épargna pas la brève présidence de Café Filho 115, ancien viceprésident de Vargas, mais la figure du dirigeant fut relativement peu représentée dans les pages
qui mirent principalement en exergue les difficultés contextuelles entre le suicide de Vargas et
la fin officielle de son mandat, ainsi que les conséquences sociales de la crise économique. La
revue satirique caricatura en revanche bien davantage la vie politique nationale à partir de
l'élection puis de la prise de fonction en janvier 1956 de Juscelino Kubitschek, accompagné de
son vice-président João Goulart. Le programme de développement national et le transfert de la
capitale de Rio de Janeiro à Brasília116, inaugurée en 1960, furent très critiqués par l'opposition
113 Rodrigo Rodriguez TAVARES, op. cit., p. 70.
114 Alberto GAWRYSZEWSKI, op. cit., p. 217.
115 Leonardo Dallacqua de CARVALHO, Breno Sabino Leite de SOUZA, « A representação humorística do Presidente
Café Filho nas capas da Revista Careta (1955 - 1956) » in Revista Brasileira de História e Ciências Sociais,
vol. 7, n°13, juillet 2015.
116 Laurent VIDAL, Les larmes de Rio. Le dernier jour d'une Capitale, 20 avril 1960, Paris, Flammarion, 2009.
68
et firent l'objet de nombreuses charges. Wagner Cabral da Costa montra que le registre
iconographique de la revue Careta contribua à créer tout un imaginaire au sujet de la nouvelle
capitale fédérale dans son article « 'Eu vou pra Maracangalha, eu vou...' JK e a Distopia
Brasiliae na música popular e nas charges da revista Careta (1956 - 1960)117 » . Son approche
extrêmement riche mit à jour les inspirations réciproques, les perméabilités et les systèmes de
renvoi entre les musiques populaires de carnaval et les dessins satiriques aux différents
niveaux de lecture :
« […] l'interprétation ne se limite pas au thème de la résistance au changement,
puisqu'il est possible d'ajouter d'autres niveaux de lisibilité. Pour cela, il est
nécessaire d'échapper à la tentation de rechercher la 'signification essentielle' du
dessin ou de le réduire à la simple intention subjective de l'auteur. Au contraire,
notre intention est d'analyser les relations entre le dessin et les circonstances et
conditions dans lesquelles il fut produit, en d'autres termes, de penser le circuit de
production, de circulation, de migration, de réception et d'appropriation de cette
image satirique118. »
Ce regard porté sur les entrecroisements entre musique populaire et caricature souligna
l'importance de la chanson « Maracangalha » composée par Dourival Caymmi et qui remporta
un grand succès durant le carnaval de février 1957. La fin des années 1950 fut marquée par
une intense propagande de l’État en vue d'attirer les habitants et investisseurs dans la future
Brasília, érigée en symbole de renouveau, d'intégration nationale et de modernité119. Wagner
Cabral da Costa prouva tout l'intérêt de se pencher sur les représentations populaires,
humoristiques et satiriques afin de construire une analyse fine et complexe des enjeux de la
période du changement de capitale, marquée par une forte opposition à Kubitschek :
« l'analyse de la série iconographique de Careta permet d'appréhender les sévères disputes
politiques qui marquèrent une période généralement qualifiée dans la mémoire sociale (et une
partie de l'historiographie) d' “époque dorée”120. » Au fil des années, la ligne politique de la
revue se rapprocha des positions défendues par le parti d'opposition Union démocratique
117 Wagner Cabral da COSTA, « 'Eu vou pra Maracangalha, eu vou...' JK e a Distopia Brasiliae na música popular
e nas charges da revista Careta (1956 - 1960) » in Varia Historia, vol. 29, n°49, janv.-avril 2013, p. 303-332.
118 Wagner Cabral da COSTA, op. cit., p.306.
119 Luciana SABOIA, « Brasília et Oscar Niemeyer : le contexte politique et la dimension esthétique » in Cahiers
d'histoire. Revue d'histoire critique, n°109, 2009, p. 27-54.
120 Wagner Cabral da COSTA, op. cit., p. 313.
69
nationale (UDN), mais également de certains périodiques issus de la presse à grand tirage,
opposés au gouvernement :
« De fait, Careta se situait à l'intérieur d'un réseau de presse d'opposition, où
circulaient et étaient (re)produits des discours parlementaires et des manifestes
partisans (sa face officielle), mais également des blagues et des rumeurs, des dessins
satiriques et des caricatures, des surnoms et des vers dont était affublé le pouvoir
établi (sa face informelle). La revue participait, de fait, à l'élaboration et à la
diffusion de la culture politique libérale-udéniste, forgée lors de l'affrontement de
l'Estado Novo et de la redémocratisation121. »
La caricature et la satire politiques occupèrent en ce sens un rôle tangible dans les
affrontements idéologiques et politiques, contribuant à la création de représentations puis les
véhiculant à une large échelle. L'originalité du propos de Costa réside dans la révélation de
passerelles entre les paroles de sambas chantées lors du carnaval et la satire visuelle : les
dessins réemployaient fréquemment certains vers tout en enrichissant graphiquement leurs
niveaux de signification. Ils furent employés au sein de ces conflits de représentation au sujet
de la nouvelle capitale et du gouvernement de Juscelino Kubitschek, contribuant largement à
la déconstruction de la propagande officielle : « la nouvelle capitale fut transfigurée
politiquement et esthétiquement dans les textes et les charges de la revue, qui à travers les
armes du sarcasme, de l'ironie et de la satire, la reconstruisirent en tant qu'utopie négative et
autoritaire (d'après la lecture de l'UDN du passé récent)122. »
Ce type de sources iconographiques permet donc d'affiner la connaissance historique
de la période de 1955 à 1961 caractérisée par une importante croissance économique,
l'augmentation de la production industrielle, d'importants investissements publics et privés
ainsi que l'éclosion de mouvements artistiques tels que la Bossa Nova et le Cinema Novo. Il
autorise l’analyse des dissensions, des désaccords et des conflits idéologiques disséminés dans
la société brésilienne de la fin des années 1950 pourtant considérée comme une « époque
dorée123 ». Le candidat de l'opposition soutenu par l'UDN, Jânio Quadros, remporta les
121 Wagner Cabral da COSTA, op. cit., p. 319.
122 Wagner Cabral da COSTA, op. cit., p. 332.
123 Voir notamment, à propos de la construction de ce mythe par la presse : Rose Mary Guerra AMORIM, « O
Governo JK e a revista Manchete : a criação do mito dos anos dourados », Mémoire de master en Biens
culturels et projets sociaux, sous la direction de Alzira Alves de Abreu, Rio de Janeiro, Centre de Recherche
et de Documentation d'Histoire Contemporaine du Brésil (CPDOC) de la Fondation Getúlio Vargas (FGV),
70
élections présidentielles en 1960. Présenté comme l'héritier politique de Vargas et issu du Parti
travailliste brésilien (PTB), João Goulart fut élu à la vice-présidence. Jânio Quadros prit le
pouvoir le 31 janvier 1961 et appliqua un programme économique très conservateur tout en
prenant des mesures contradictoires en matière de politique extérieure, avant de renoncer à ses
fonctions présidentielles le 25 août 1961 et de céder le pouvoir à son vice-président.
b) Presse à grand tirage, caricature(s) et affirmation d'un imaginaire sous Jango
La prise de pouvoir de Goulart fut fortement contestée par des ministres militaires
largement opposés à son arrivée à la présidence. Le gouverneur de l’État de Rio Grande do Sul
Leonel Brizola mena la « Campagne de la légalité » pour rendre effective son entrée en
fonction. Le Congrès trancha en faveur de Goulart, mais imposa le parlementarisme afin de
limiter les pouvoirs du président intronisé le 7 septembre 1961. Son gouvernement fit l'objet
d'interprétations divergentes marquées par les enjeux politiques successifs de l'après 1964 et
vingt-et-une années de dictature. Marcos Napolitano s’employa justement dans son ouvrage
1964. História do Regime Militar Brasileiro124 à montrer l’importance effective de la période
allant de septembre 1961 à mars 1964 afin de déconstruire certains mythes largement ancrés
dans l'historiographie125. L'historien rappelait que Goulart eut le mérite de « revoir l'agenda de
la politique brésilienne en direction d'une démocratisation de la citoyenneté et de la
propriété126 » et tenta de mettre en place de vastes réformes agraire, fiscale, bancaire,
administrative et éducative. Lesdites « réformes de base » furent relancées le 1er mai 1962 et
considérées par le président comme nécessaires à la marche du pays vers le progrès. Son
gouvernement fut caractérisé par une effervescence créatrice dans les domaines du théâtre, de
la musique populaire et du cinéma ainsi que par la formation à Rio de Janeiro du premier
Centre populaire de culture (CPC) de l'Union nationale des étudiants (UNE) voué à la
diffusion d'un art populaire révolutionnaire127. La période correspondit également à
l’intensification du regroupement des entreprises de communication entamé dans les années
2008.
124 Marcos NAPOLITANO, 1964. História do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Editora Contexto, 2014.
125 Marcos NAPOLITANO, « Utopia e Agonia do governo Jango » in Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 13-42.
126 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 17.
127 Vera CALICCHIO, « Centro Popular de Cultura (CPC) » in Alzira Alves de A BREU et al (coord.), Dicionário
Histórico-Biográfico Brasileiro – Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010 [en ligne :
http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/dicionarios/verbete-tematico/centro-popular-de-cultura-cpc] (consulté le
12/07/2018).
71
1950 et vit l'émergence de vastes groupes journalistiques concentrant plusieurs périodiques.
Analysant le rôle de la presse à grand tirage après le coup d’État militaire dans l'article « Calar
é consentir ! Jornalistas Colaboradores e Censores no Pós-1964 128 », Beatriz Kushnir insista
sur l'importance de cette configuration dès le début des années 1960. Napolitano évoquait
également la part importante prise par la « grande presse » dans l'évolution de la politique
interne dès 1963 :
« Traditionnellement liée à la ligne libérale-conservatrice, la grande presse
brésilienne consolida la lecture d'un pays qui cheminait vers le communisme et où
la subversion commençait au cœur du pouvoir, en d'autres termes, dans la
Présidence de la République elle-même. La lutte pour les « réformes », aux yeux de
la presse libérale en accord avec le discours anti-communiste de la Guerre froide,
était devenue l'excuse pour subvertir l'ordre social, menacer la propriété et
l'économie de marché. Dans cette perspective, le président Jango était otage des
mouvements sociaux radicaux dirigés par son beau-frère, Leonel Brizola, ou
pire, manipulé par le Parti Communiste Brésilien129. »
L'ouvrage Jango e o golpe de 1964 na caricatura130 publié en 2006 par Rodrigo Patto
Sá Motta constitue à de nombreux égards une référence indispensable à la compréhension de
cette période précédant le coup d’État militaire de 1964. L’historien y décryptait la
construction de représentations collectives au sujet de l’arène politique à partir de la
production et de la diffusion de caricatures publiées dans la presse. L'auteur analysa les
mécanismes d'animalisation, l'usage de métaphores classiques ou populaires réajustées dans le
contexte des années 1960, l’emploi de la dérision et de la satire dans les représentations du
président défait en 1964. Il s'intéressa spécifiquement aux procédés de fixation dans
l'imaginaire brésilien de symboles, d'emblèmes et d'effigies forgés par les caricatures de part et
d’autre de l’échiquier politique, à l'instar de la figure du gorille :
« Un personnage curieux qui surgit à cette période fut le « gorille », figure qui
continua à peupler l'imaginaire social – principalement dans les représentations
128 Beatriz KUSHNIR, « Calar é consentir ! Jornalistas Colaboradores e Censores no Pós-1964 » in Revista
Contemporânea, n°1, 2011, p. 170-182.
129 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 46.
130 Rodrigo Patto Sá MOTTA, Jango e o golpe de 1964 na caricatura, Rio de Janeiro, Zahar, 2006.
72
issues de la gauche – durant les années suivantes et qui servait à critiquer et
dénoncer l'autoritarisme de la dictature militaire. Autant qu'il nous fut possible de le
vérifier, cette représentation surgit au début des années 1960, au cœur de la
polarisation idéologique typique de l'époque. La construction du « gorille » s'insère
parfaitement dans les théorisations classiques du rire, puisqu'il s'agissait de se
moquer de l'autre au moyen de l'abaissement grotesque, dans ce cas précis en
représentant l'ennemi politique comme un animal. Et la bête ne fut pas choisie de
manière aléatoire : le gorille suggère un être doté de force massive, brutale, mais
évoque en même temps – et c'est ici que réside une partie de l'effet comique – l'idée
de rudesse, d'ignorance131. »
La constitution progressive de la figure caricaturale du gorille en symbole de
l'ensemble des forces conservatrices et autoritaires pour les mouvements de gauche, durant la
période précédant le coup d’État et pendant le régime militaire, fut également traitée par
l'article « A figura caricatural do gorila nos discursos da esquerda132 ». Rodrigo Patto Sá Motta
y disséqua les étapes de l'appropriation et de la diffusion de cette représentation importée de
l'Argentine au sein d'une partie de la société brésilienne133.
Mais les recherches de l’historien se concentrèrent davantage sur les représentations
forgées par la presse conservatrice au sujet du président João Goulart et de son gouvernement,
confirmant que l'usage de la caricature politique ne fut pas l'apanage des périodiques de
gauche ou progressistes. Les dessins satiriques publiés au cours de l'année 1962 firent état des
oscillations du gouvernement entre une inscription dans la continuité du projet politique de
Vargas et une certaine appétence pour les réformes sociales. Ils critiquèrent également les
efforts déployés par Goulart pour éroder le système parlementariste en faisant se succéder les
premiers ministres, alimentant une
sensation d'inefficacité et d'instabilité. Le plébiscite
anticipé organisé le 6 janvier 1963 vit le vote populaire confirmer largement le retour du
présidentialisme et fit croître les exigences de la gauche pour la mise en place des réformes.
Rodrigo Patto Sá Motta reproduisit notamment une caricature signée par Lan et publiée dans
le Jornal do Brasil le 20 avril 1963, qui mit en scène San Tiago Dantas, allié de Goulart et
131 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p. 41.
132 Rodrigo Patto Sá MOTTA, « A figura caricatural do gorila nos discursos da esquerda » dans ArtCultura, vol. 9,
n°15, juil.-déc. 2007, p. 195-212.
133 Rodrigo Rodriguez Tavares montrait cependant dans l’article « O humor contra Vargas : desenhos comunistas
do período da campanha eleitoral ao suicídio (1950-1954) » que les représentations caricaturales simiesques
d'hommes politiques brésiliens étaient antérieures à l'appropriation de la figure du gorille et que Getúlio
Vargas en fit les frais dès 1954, représenté en macaque en couverture de Notícias de Hoje.
73
ancien ministre des Relations étrangères et de l’économie, tenant du bout des doigts une
faucille et un marteau. Le dessin synthétisait brillamment l’ambiguïté de l'entourage du
personnage présidentiel accusé de communisme par les secteurs les plus conservateurs, mais
visiblement mal à l'aise et circonspect avec les emblèmes historiques du PC. Les charges
témoignaient des difficultés du gouvernement à mettre en place son projet de réformes sociales
et des résistances rencontrées par une telle entreprise émanant aussi bien de l'UDN et du Parti
social démocratique (PSD), deux partis conservateurs, que des syndicats vent-debout contre
les mesures du plan triennal élaboré par Celso Furtado vouées à contenir l’inflation. Une autre
caricature de Lan publiée dans le Jornal do Brasil en juin 1963 représenta un Goulart
équilibriste mal assuré menacé de chuter d'un côté sur un amoncellement de faucilles et de
marteaux, de l'autre sur les épées aiguisées des forces armées, autant de symboles des attaques
et menaces reçues de tous côtés par le président.
Durant les mois précédant le coup d’État militaire du 31 mars 1964, les liens se
resserrèrent entre le poids des discours, la force des représentations collectives, l'évolution du
scénario politique marqué par une crise politique et économique majeure ainsi que la
conjonction d'acteurs « unis par l'anti-communisme, la maladie infantile de l'anti-réformisme
des conservateurs134. » Napolitano précisa le rôle de la presse et notamment du Jornal do
Brasil dans la fabrication d'un environnement intellectuel hostile à Goulart et favorable à
l'interruption de son gouvernement :
« La presse prépara le climat pour que les partisans du coup d’État de tous les types,
de toutes les tailles et tendances se sentent davantage soutenus par l'opinion
publique ou du moins par l'opinion 'publiée'. Comme à d'autres époques de l'histoire
du Brésil, l'opinion publiée n'était pas nécessairement l'opinion publique
majoritaire135. »
Face aux tensions et aux divisions, les dessinateurs suivirent attentivement les
soubresauts de la vie politique et forgèrent – parfois en les enracinant – certaines
représentations des principaux acteurs du scénario national. Certaines constructions
graphiques et mentales eurent un impact considérable dans le déroulement des événements :
134 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 44.
135 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 47.
74
« À propos de la perception des groupes conservateurs, l'image menaçante qu'ils donnaient de
Goulart fut décisive pour l'éclosion du coup d’État qui le fit tomber136. »
Le consensus historiographique est aujourd'hui établi au sujet du soutien massif de la
presse à grand tirage à l'interruption du mandat présidentiel de Goulart, même si elle était
« divisée entre la dévotion à la liberté et l'amour de l'ordre, oscillant entre le désir d'autonomie
et la dépendance ainsi que les faveurs de l’État 137 ». À la faveur de ces hésitations, nous dit
Rodrigo Patto138, de nombreux caricaturistes opposés à l'autoritarisme travaillèrent au sein de
périodiques ayant soutenu ouvertement le coup d’État militaire et employèrent les ressources
permises par l'humour graphique pour exprimer leurs messages critiques. La caricature servit
également le discours de dessinateurs enthousiastes à l'arrivée au pouvoir du maréchal
Humberto de Alencar Castelo Branco et fervents soutiens des mesures répressives. L'évolution
des discours et des prises de position revendiqués par les périodiques durant les premiers mois
du régime militaire provoquèrent le départ, choisi ou contraint, de nombreux dessinateurs de
l'opposition vers des rédactions indépendantes défendant un projet éditorial davantage en
accord avec leurs convictions. Une fois effectué ce constat de la cohabitation de champs
journalistiques non hermétiques, mouvants et dont la composition fut dépendante des
évolutions du contexte politique, il convient désormais de questionner le rôle effectif de
l'emploi de l’image satirique et de l'humour graphique par un type de presse ancré dans
l'opposition au régime militaire, circonscrit par l’État à une zone intermédiaire entre légalité et
illégalité dont les acteurs n’eurent de cesse d’en élargir les limites et les ambitions.
III. La presse indépendante opposée au régime militaire
a) Restrictions successives et censure imposées à la liberté d'expression
La publication d'une caricature, la récurrence d'un strip 139 ou le détournement
humoristique d'une photographie par un périodique indépendant sous le régime militaire
résultaient de la créativité des dessinateurs et du projet politique porté par les rédactions
136 Rodrigo Patto Sá MOTTA, Jango e o golpe de 1964 na caricatura, Rio de Janeiro, Zahar, 2006, p. 46.
137 Rodrigo Patto Sá MOTTA, « A ditadura nas representações verbais e visuais da grande imprensa : 1964-1969 »
in Topoi, vol. 14, n°26, janv.-juil. 2013, p. 67.
138 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p. 62-85.
139 Le nom masculin « strip » intégré au dictionnaire de langue française vient de l'anglo-saxon et désigne une
bande dessinée courte, composée de quelques cases disposées à l'horizontale et publiée dans un périodique.
Au Brésil, le terme employé est tira (ou tirinha).
75
souhaitant repousser les limites imposées à la liberté d'expression. Ils profitèrent des
possibilités offertes par divers procédés graphiques tels que l'inversion, la satire ou la
métaphore afin de questionner certains interdits et de s'attaquer aux symboles – et donc aux
détenteurs – du pouvoir. Les images analysées dans cette thèse témoignent ainsi de l’étroit
rapport entre d'une part l’amplitude de la répression et d'autre part la pratique de l'humour
politique par les dessinateurs de presse.
« Le régime militaire n'a pas non plus inventé la censure, mais il l'a amplifiée 140 »,
nous rappelle Napolitano dans son ouvrage 1964. História do Regime Militar Brasileiro. Le
Département de presse et de propagande (DIP) créé le 27 décembre 1939 au Brésil par le
gouvernement de Getúlio Vargas fut en effet remplacé en 1946 par la Division de la censure
des divertissements publics (DCDP) dépendante de la police fédérale, siégeant à Rio de
Janeiro et disposant de succursales dans les différents États. Jusqu'en 1964, cette forme de
décentralisation de la pratique censoriale préserva de fait une toute relative liberté
d'expression. Le premier Acte institutionnel (AI) promulgué par le régime militaire le 9 avril
1964 inaugura un ensemble de décrets et de mesures d'exception voués à dicter les grandes
lignes de la politique des gouvernements successifs, établissant les bases d'un strict contrôle
psychologique et social. La Loi de presse n°5.250 datée du 9 février 1967 imposa à l'activité
journalistique une série de limitations significatives notamment fondées sur les dispositions du
chapitre III, « Des abus dans l'exercice de la liberté de manifestation de la pensée et
d'information » :
« Art.12 : Ceux qui, par le biais des moyens d'information et de divulgation,
commettraient des abus dans l'exercice de la liberté de manifestation de la pensée et
de l'information, s'exposeront aux peines définies par la présente loi et répondront
des préjudices commis. Paragraphe unique : Les moyens d'information et de
divulgation concernés par les effets de cet article sont les journaux et autres
publications périodiques, les services de radiodiffusion et les services de
nouvelles141. »
140Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 129.
141 Loi de presse, loi n°5.250, 09/02/1967, Brasília, Chambre des députés – Coordination de publications, 2000.
76
Le texte signé par le général Humberto de Alencar Castelo Branco, premier président
du régime militaire de 1964 à 1967, détailla les peines encourues en fonction des « abus »
commis dont voici quelques exemples parmi les plus significatifs :
« Art.14 : Faire de la propagande de guerre, de procédés de subversion de l'ordre
politique et social ou de préjugés de race ou de classe : peine – de un à quatre ans de
détention. […]
Art.16 : Publier ou divulguer de fausses nouvelles, ou des faits avérés tronqués ou
pervertis susceptibles de provoquer :
I – une perturbation de l'ordre public ou une alarme sociale ;
II – une méfiance à l'égard du système bancaire ou des secousses du crédit
d'institutions financières ou de n'importe quelle entreprise, personne physique ou
juridique ;
III – un préjudice porté au crédit de l'Union, de l’État, du District fédéral ou de la
municipalité ;
IV – une perturbation sensible dans la cotation des marchandises et des titres
immobiliers dans le marché financier : peine – de un à six mois de détention, s'il
s'agit de l'auteur d'un écrit ou d'une transmission incriminée, et une amende d'une
valeur de cinq à dix fois le salaire minimal en vigueur dans la région. […]
Art. 17 : Offenser la morale publique et les bonnes mœurs : peine – détention, de
trois mois à un an, et une amende d'une valeur de une à vingt fois le salaire minimal
en vigueur dans la région. […]
Art. 20 : Calomnier quelqu'un, en lui imputant faussement un acte défini comme un
crime : peine – détention de six mois à trois ans, et une amende d'une valeur de une
à vingt fois le salaire minimal en vigueur dans la région. […] 142 »
La loi de 1967 prévoyait même un alourdissement des peines encourues en cas de
diffamation ou de calomnie des plus hauts représentants de l’État : le président de la
République, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat ou les dirigeants de
gouvernements étrangers. Ce nouveau cadre législatif expliqua en partie, nous le verrons, la
relative rareté des caricatures visant directement les personnalités politiques à partir de la fin
des années 1960. L'un des derniers articles prévoyait la saisie des périodiques imprimés
contenant « de la propagande de guerre ou des préjugés de race ou de classe, et qui feraient la
142 Loi de presse, loi n°5.250, 09/02/1967, Brasília, Chambre des députés – Coordination de publications, 2000.
77
promotion de l'incitation à la subversion de l'ordre politique et social » et des titres qui
« porteraient atteinte à la morale publique et aux bonnes mœurs143 ». L'imprécision de la
définition des mœurs jugées adéquates permit l'interdiction de très nombreux dessins satiriques
brésiliens.
Jusqu'alors prérogative des différents États, la censure fut centralisée en décembre 1968
par le gouvernement fédéral qui publia l'Acte institutionnel n°5 (AI-5) et fut largement épaulé
par le Département d'ordre politique et social144 (DOPS). Signé le 13 décembre 1968, l'AI-5 est
considéré à de nombreux égards comme une étape fondamentale de l'institutionnalisation de la
« grande machine répressive qui retomba sur la société, fondée sur le trépied : surveillance –
censure - répression145 ». Il permit la fermeture du Congrès National, des assemblées
législatives et des conseils municipaux ; il autorisa également la suppression des droits
civiques de tous les citoyens ainsi que la cassation de n'importe quel mandat électif. En
suspendant les protections garanties par l'habeas corpus, il permit finalement les
emprisonnements sans jugement en cas de « crimes politiques, contre la sécurité nationale,
l'ordre économique et social, et l'économie populaire146 ». Dans son ouvrage consacré aux
rapports des divers courants artistiques brésiliens nés entre les décennies 1950 et 1970 avec
l'engagement
militant,
politique
et
révolutionnaire,
Marcelo
Ridenti
évoqua
un
« perfectionnement » de l'appareil répressif dans la phase immédiatement postérieure à la
promulgation de l'AI-5 :
« […] en plus des Départements étatiques d'ordre politique et social (Deops) déjà existants, [la
dictature] créa en juin 1969, de manière extra-officielle, l'Opération Bandeirante (Oban), un
organisme spécialisé dans le 'combat contre la subversion' par tous les moyens y compris la
torture systématique. En septembre 1970, la Oban a été intégrée à l'organisme officiel,
143 Loi de presse, loi n°5.250, 09/02/1967, Brasília, Chambre des députés – Coordination de publications, 2000.
144 Les origines du Département d'ordre politique et social (DOPS) remontent à la décennie de 1920 : la
première section régionale créée en 1924 à São Paulo (DOPS-SP) occupait le rôle d'une police politique,
chargée de la surveillance, du contrôle et de la répression des organisations ouvrières, des groupes anarchistes
et des communistes. D'autres sections régionales furent créées dans les années 1930 afin de constituer un
système répressif et de contrôle social sur l'ensemble du pays. Sous les gouvernements de Getúlio Vargas de
1930 à 1945, les sections régionales du DOPS remplirent des fonctions de surveillance des manifestations
politiques et de contrôle de la société civile. À partir du coup d'État de 1964, elles occupèrent une place
majeure dans l'organisation de la persécution des opposants au régime, de la répression et de la torture. Les
archives publiques des différents États brésiliens permettent aujourd'hui la consultation de l'importante
documentation produite à l'issue de plus de quarante années de fonctionnement de cet organe majeur de la
surveillance et de la répression politiques au Brésil.
145 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 128.
146 Acte institutionnel n°5, 13/12/1968, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat général, sous-direction
aux thèmes juridiques.
78
récemment créé par l'Armée de terre, connu comme le DOI-Codi (Département d'opérations
d'information / Centre d'opérations de défense interne). La Marine avait son propre organe
d' « intelligence » et de répression politique, le Centre d'information de la Marine (Cenimar),
qui correspondait au Centre d'information et de sécurité de l'Aéronautique (Cisa), ainsi qu'au
Centre d'information de l'Armée de terre (CIE) 147. »
De nombreuses rédactions furent envahies manu militari le jour suivant la promulgation
de l'AI-5. Les journalistes optèrent pour la presse clandestine ou indépendante, contraints
d'assumer les risques d'un tel choix, ou restèrent en acceptant les conditions de travail
imposées. Certains furent renvoyés par les directions ou les propriétaires des périodiques,
d'autres placés sous surveillance, arrêtés, torturés. Dans « Calar é consentir ! Jornalistas
Colaboradores e Censores no Pós-1964148 », Beatriz Kushnir cite l'exemple de Jorge Miranda
Jordão, renvoyé de la Folha da Tarde au début de l'année 1969 au motif officiel de chute des
ventes du périodique. La ligne du journal changea radicalement, à l’image de celle de
nombreux périodiques soumis aux exigences gouvernementales. L'historienne analyse les
relations entre une partie de la presse et le pouvoir autoritaire, entre censeurs et journalistes,
ainsi que l'aide apportée par ces derniers à l’État autoritaire pour exercer son pouvoir dans un
contexte de concentration des grands groupes de presse. Elle se penche également sur l'arrivée
de policiers au sein des rédactions dès 1969 et sur les choix partiaux effectués par les
directions dans le but de valoriser certains discours, certains récits des événements. Il est
important de garder à l'esprit la participation de nombreux titres de la presse brésilienne
majoritaire à la construction de l'imaginaire autoritaire et leur contribution à « la mise en place
du notable soutien civil attribué au coup d’État de 1964149 ». À l'instar de Sérgio Caparelli150, il
nous paraît également nécessaire d'envisager la réintroduction et le renforcement des
techniques de contrôle à la lumière de la croissance d'un véritable marché de biens culturels, à
une période d'augmentation du public lecteur de la presse écrite. Depuis l'arrivée au pouvoir
de Castelo Branco en 1964 jusqu'à la présidence de João Baptista de Oliveira Figueiredo de
147 Marcelo RIDENTI, Em busca do povo brasileiro. Artistas da Revolução do CPC à era da TV (2nde édition),
São Paulo, Editora UNESP, 2014, p. 26.
148 Beatriz KUSHNIR, « Calar é consentir ! Jornalistas Colaboradores e Censores no Pós-1964 », Revista
Contemporânea, n°1, 2011, p. 170-182.
149 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p. 63.
150 Sergio CAPARELLI, Ditaduras e Industrias Culturais no Brasil, na Argentina, no Chile e no Uruguai, Porto
Alegre, Editora da Universidade/UFRGS, 1989.
79
1979 à 1985, de très nombreuses publications considérées comme des entraves au projet de
sécurité nationale porté par le régime furent surveillées, contrôlées, censurées ou fermées.
Dans son article programmatique paru dans la revue Sociétés & Représentations en
2006, l’historien Laurent Martin invitait à « Penser les censures dans l’histoire151 » en insistant
sur la complexité d’un tel champ d’étude. Parmi les aspects soulignés, la typologie de la
censure proposée nous semble particulièrement pertinente dans le cadre de notre étude : les
censures préventive et répressive étaient justifiées par des préoccupations d'ordre politique,
religieux, économique et social. À ces deux formes de contrôle s'ajoutaient les pressions
économiques, mais également l'autocensure, l'ensemble de ces « mécanismes intérieurs,
psychiques, qui président à l'élaboration ici d'une œuvre littéraire, là de toute manifestation de
la pensée152 », qu'il ne nous fut possible d'appréhender que grâce à une fine étude des
trajectoires personnelles des auteurs et dessinateurs couplée à celle du contexte politique et
social de l'époque. En effet, « la censure personnelle de pensées ou d'actes jugés
répréhensibles est directement liée à la surveillance qu'exercent les diverses instances de la
société sur chacun des individus153 ». Martin incitait finalement les chercheurs à s'interroger
sur l'évolution des sociétés dessinée par l'étude de la censure, sur le laboratoire que cette
dernière propose au sujet des représentations mentales et sociales en vigueur dans un contexte
donné :
« Penser les censures dans l'histoire, c'est […] s'interroger sur les refus, les tabous, les interdits,
les peurs d'une société, sur les représentations et les imaginaires sociaux liés au partage entre le
licite et l'illicite, le visible et l'invisible, le dicible et l'indicible, etc., en somme proposer des
éléments d'histoire sur les usages de la morale tels qu'ils apparaissent dans les textes législatifs et
juridiques, les interventions des leaders d'opinion, les débats, les manifestations qui marquent
l'adhésion à, ou le refus des mesures apparentées à la censure 154. »
Nous proposons d'apporter notre modeste pierre à cet ambitieux édifice en analysant
quelques uns des acteurs de la presse indépendante, foyers privilégiés de la critique des
politiques mises en œuvre par le régime et de la lutte contre la censure gouvernementale.
151 Laurent MARTIN, « Penser les censures dans l'histoire » dans Sociétés & Représentations, n°21, 2006/1, p.
331-345.
152 Laurent MARTIN, op. cit., p. 340.
153 Laurent MARTIN, op. cit., p. 341.
154 Laurent MARTIN, op. cit., p. 341-342.
80
b) Les listes du Service national d'informations : presse indépendante, presse
alternative, presse subversive ?
Le Service national d'informations (SNI), organe instauré par la loi n°4.341 du 13 juin
1964 et chargé de « superviser et coordonner, sur l'ensemble du territoire national, les activités
d'information et de contre-information, tout particulièrement celles liées à la Sécurité
nationale »155, établit en 1980 deux listes attestant les préoccupations du gouvernement
concernant les titres de la presse indépendante 156. Les deux inventaires dactylographiés
différencièrent 22 « journaux alternatifs » d'une part, complétés par sept titres inscrits à la
main ; et 22 « journaux alternatifs d'organisations subversives » d'autre part, dont la liste fut
également renforcée par trois titres manuscrits157. Ayant obéi à des critères de sélection
incertains, les listes lacunaires attestent cependant de l'attention toute particulière accordée à la
presse indépendante par les services de renseignements. La typologie employée retient
l'attention en ce qu'elle distingue les titres selon leur affiliation ou non à une organisation
considérée comme « subversive ». Parmi les publications associées à de tels groupes figurent
Voz da Unidade, Correio Sindical de Unidade, Voz Operária, Vanguarda et Novos Rumos,
toutes les cinq liées au Parti communiste brésilien (PCB) caractérisé selon Ridenti par « un
historique idéologique de jonction du marxisme-léninisme(-stalinisme) avec un tenentismo de
gauche, d'inspiration positiviste158 ».
Le premier document citait également le Parti communiste du Brésil (PCdoB),
dissidence du PCB à tendance maoïste rendue célèbre par sa lutte contre les forces armées de
1972 à 1974 au sein d'un mouvement de guérilla rurale situé entre les rives des fleuves
Araguaia et Tocantins, dans le nord du pays. Il était associé à la Tribuna da Luta Operária
lancée en novembre 1979 et au titre Classe Operária, né en 1925, publié dans la clandestinité
155 Loi n°4.341, 13/06/1964, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat général, sous-direction aux
thèmes juridiques. Le SNI était directement lié au Président de la République, la nomination de son directeur
devait être approuvée par le Sénat fédéral brésilien. Créé en 1964, il s'inscrivit dans la continuité du Service
fédéral d'informations et de contre-informations (SFICI) et fut caractérisé en 1967 par l'instauration d'une
agence centrale et de douze agences régionales réparties sur le territoire.
156 Ces deux listes sont reproduites en annexes de cette thèse.
157 La graphie des noms de publications rajoutés aux deux listes du SNI est très proche de celle des indications
complémentaires figurant en haut des documents, il s'agit donc très probablement d'informations produites
par les fonctionnaires des archives consultées par le journaliste Aluízio Palmar, créateur du site internet
http://www.documentosrevelados.com.br (consulté le 26/04/2019) qui publia en ligne les deux inventaires.
L'ancien militant et exilé politique parcourut de très nombreux centres d'archives brésiliens et réunit une
importante documentation émise par les services de renseignements et d'informations durant le régime
militaire, qu'il met à disposition des chercheurs et du grand public sur son site internet.
158 Marcelo RIDENTI, op. cit., p. 46.
81
sous Getúlio Vargas puis de nouveau à partir du coup d’État de 1964. L'Organisation socialiste
internationale (OSI), née en 1976 de la fusion de deux groupes dissidents du Parti ouvrier
révolutionnaire trotskiste (PORT) – la Fraction bolchevique trotskiste et le groupe 1er Mai –
fonda les publications O Trabalho et Luta de Classe dans la clandestinité : toutes deux figurent
sur la liste des « journaux alternatifs d'organisations subversives » à l'instar du titre Frente
Operária, publié par le PORT lui-même. Etaient également mentionnés, entre autres, le titre
Convergência Socialista publié par le groupe trotskiste Convergence socialiste (CS), deux
publications du Mouvement pour l'émancipation du prolétariat (MEP), Companheiro et A
nova Luta, trois périodiques émanant du Mouvement révolutionnaire du 8 Octobre (MR-8) –
dissidence du Parti Communiste Brésilien baptisée à la mémoire de la capture de Ernesto Che
Guevara en Bolivie le 8 octobre 1967 – Hora do Povo, Brasil Hoje et Cadernos do Terceiro
Mundo.
La majorité des 22 publications citées, motifs de l’inquiétude et objets de la
surveillance du SNI, était donc issue d'organisations politiques interdites après le coup d’État
de 1964, valorisant l'action de guérilla et convaincues du rôle prépondérant d'une avant-garde
intellectualisée et armée dans la conduite du processus révolutionnaire. Certaines furent
éditées et publiées dans la clandestinité, circulant au sein de réseaux informels, de main en
main ou par courrier. La liste de ces périodiques « subversifs » fournie par le SNI est loin
d'être exhaustive : parmi les absents, signalons par exemple Libertação, publié par le groupe
Action populaire (AP) et O Guerrilheiro de l'Action libératrice nationale (ALN), le groupe
dissident du PCB dirigé par Carlos Marighella.
A contrario, les listes recensèrent également certains titres qui n'étaient pas à
proprement parler affiliés à une organisation politique clandestine : Coojornal, Movimento et
Versus. Ce dernier était inscrit à la main, son insertion dans la liste n'ayant sans doute pas été
le fruit du travail d'un fonctionnaire du SNI, mais celui d'un responsable des archives en
charge du traitement du document. Lancé en octobre 1975 à São Paulo, à la périodicité
oscillant entre mensuelle et bimestrielle, Versus était dirigé par le journaliste Marcos Faerman
et animé par la volonté de penser le politique au-delà des sphères partisanes. Influencée par les
convictions de ses membres, certes, mais pluraliste de 1975 à 1977, la rédaction changea de
ton à la fin de l'année 1977 au moment de l'arrivée dans ses rangs d'un nombre important de
militants du groupe Convergence socialiste159. D'après Maria Paula Nascimento Araújo :
159 Voir le dernier chapitre de cette thèse.
82
« Versus est devenu un journal politique, pratiquement l'organe de divulgation des
positions de la Convergence. Avant cette transformation plus radicale, survenue en
1977, des militants politiques et des journalistes de gauche étaient déjà présents
dans le journal, beaucoup d'entre eux étaient influencés par le trotskisme. Il
s'agissait, cependant, d'une influence théorique et pas d'un lien organique. Versus
représentait, dans son projet initial, un point de vue de gauche qui critiquait le
stalinisme et le modèle soviétique. Mais sa transformation en organe de la
Convergence Socialiste l'inséra dans le cadre d'un discours plus doctrinaire et
dogmatique160. »
Cette absence de « lien organique » avec une organisation politique signalée à propos
des deux premières années de Versus est l’une des caractéristiques fondamentales, à nos yeux,
de la presse indépendante. Le mensuel Coojornal parut entre octobre 1976 et mars 1983, à
l'initiative de la Coopérative de journalistes de la ville de Porto Alegre, fondée en août 1975.
Assimilé par le SNI à une « organisation subversive », il n'était pourtant directement lié à
aucun groupe politique, mais plutôt animé par un collectif de professionnels soucieux
d’élaborer un contenu critique et indépendant, au sein duquel les reportages d'investigation
occupèrent une place prépondérante. Le titre fut pourtant associé dans la liste à l'ensemble des
journaux lancés sous l'impulsion de groupes clandestins de gauche en quête d'un espace de
communication. Le cas de Movimento, également mentionné dans la liste, est particulier : sa
rédaction revendiqua à sa création en 1975 le projet d'une publication animée par un front
politique, un ensemble de militants sous la houlette du journaliste et éditeur Raimundo Pereira.
Dans la pratique, les accointances prononcées de ce dernier avec le PCdoB orientèrent
largement la ligne éditoriale de Movimento et provoquèrent le départ de nombreux journalistes
indépendants de la rédaction en 1977, puis sa fermeture en 1981.
La seconde liste regroupait 22 titres dits « alternatifs » inscrits par le SNI accompagnés
de sept titres manuscrits. Vingt mentions comportaient des informations complémentaires
précisant le lieu d'édition, l'organe responsable de la publication ou la teneur dominante au fil
des pages. Barranco était associé à la ville de Recife, dans l’État de Pernambuco, alors que la
publication d’opposition naquit en juillet 1979 à Porto Velho, capitale de l’État de Rondônia.
Au titre Chanacomchana est simplement accolé l'adjectif « lésbico » (« lesbien ») et le
160 Maria Paula Nascimento ARAUJO, « Imprensa Alternativa » in Alzira Alves de ABREU et al (coord.),
Dicionário Histórico-Biográfico Brasileiro – Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010 [en ligne :
http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/dicionarios/verbete-tematico/imprensa-alternativa] (consulté le 07/03/2017).
83
document précisait que O Trabalhador émanait du « Centre culturel ouvrier de São Paulo ».
La diversité des publications figurant dans le document lui confère un caractère tout à fait
hétérogène, à l'image des thématiques traitées par les périodiques : l'hebdomadaire de
l'archidiocèse de São Paulo, O São Paulo, connu pour son engagement dans la défense des
Droits humains et la lutte contre la répression physique sous le régime militaire, précédait
Porantim, périodique publié à Manaus à partir de 1979 par le Conseil indigéniste missionnaire
et pensé comme un outil de protection des indiens et de leur patrimoine. Le journal
Companheiro Metalúrgico, rédigé et imprimé par le syndicat des ouvriers du secteur
métallurgique de Guarulhos, suivait immédiatement le titre déjà cité Chanacomchana publié
par le Groupe d'action lesbien féministe (GALF) dès 1981. Le périodique anarchiste Inimigo
do Rei, né en 1977 et réalisé par des étudiants de l'Université fédérale de Bahia à Salvador,
côtoyait Varadouro dont la rédaction militante promut la défense de l'environnement et
critiqua l'impact des politiques menées en Amazonie par le régime militaire. Radice (Luta e
Prazer), revue de psychologie carioca traitant de la répression politique, des conditions
d'existence des patients enfermés en hôpitaux psychiatriques et des nouveautés en matière de
thérapies comportementales, figurait également dans la liste. L'hebdomadaire satirique
Pasquim, né en 1969 à l'initiative de dessinateurs et journalistes issus du quartier aisé de
Ipanema, à Rio de Janeiro, était également cité et précédait le mensuel Afinal, paru à
Florianópolis entre 1980 et 1981. Bien que les critères de distinction opérant dans la
classification des publications dites « alternatives » au sein de l'une ou l'autre des listes
semblent flous, ces deux documents produits par le SNI ont le mérite de soulever plusieurs
questions primordiales : comment analyser ces imprécisions et ces amalgames de la part des
services de surveillance ? De quelle manière les autorités considéraient-elles les titres
« alternatifs », non affiliés à des organisations politiques clandestines ? Comment se
matérialisait dans les faits cette différence de traitement entre les sphères légale et illégale ?
Comment, enfin, délimiter le champ de nos recherches face à la grande diversité des
périodiques opposés au régime militaire ?
Les travaux réalisés par l'Institut Vladimir Herzog161 dans le cadre du projet « Resistir
é Preciso… » mentionné en introduction employèrent une classification ternaire relativement
répandue parmi les travaux consacrés aux publications d'opposition, fondée sur la distinction
161 L'institution affirme sur son site internet « réalise[r] des activités consacrées à différents secteurs des Droits
humains, en préservant l'histoire récente du Brésil avec des livres et des documentaires, en réalisant des
actions culturelles telles que des concerts, des pièces de théâtre et des projets éducatifs sous la forme de
conférences, séminaires et prix » (http://vladimirherzog.org/o-instituto/preservar/, consulté le 01/03/2017).
84
entre la « presse clandestine », la « presse depuis l'exil » et la « presse alternative162 ». Ce
dernier qualificatif comprend différentes acceptions, variables selon les spécialistes ayant
parcouru le sujet, mais également selon les époques et les contextes de recherche. L'écrivain
brésilien Bernardo Kucinski, ancien journaliste ayant travaillé au sein de plusieurs rédactions
indépendantes sous le régime militaire avant et après une période d'exil en Angleterre de 1971
à 1974, consacra en 1991 sa thèse de doctorat aux « Journalistes et Révolutionnaires163 ».
L'ouvrage tiré de ce travail de recherche Jornalistas e Revolucionários. Nos tempos da
Imprensa Alternativa164 constitua à de nombreux égards une étude pionnière proposant une
analyse détaillée de plus de cent cinquante titres nés entre 1964 et 1980. Organisé en trois
livres respectivement consacrés au « Panorama de la presse alternative au Brésil », aux
« Journalistes » puis aux « Révolutionnaires », l'ouvrage différenciait sans les isoler les titres
publiés légalement et soumis à la censure, des titres plongés dans la clandestinité. Kucinscki
intégra explicitement à son étude les publications issues d'organisations politiques militant en
faveur de la lutte armée, consacrant l’un de ses chapitres à « La fascination pour la
guérilla165 ». Il identifiait « deux grandes classes de journaux alternatifs » caractérisées par
leurs contenus respectifs, davantage que par l’indépendance de leur ligne éditoriale :
« […] certains, à dominante politique, puisaient leurs racines dans les idéaux de
valorisation du national et du populaire des années 1950 et dans le marxisme
popularisé par les milieux étudiants dans les années 1960. […] Ils révélèrent de
nouveaux personnages de notre scénario, comme les bóiasfrias [travailleurs
saisonniers ruraux], accordèrent un rôle de protagonistes aux mouvements
populaires de revendications et de protestation et débattirent des thèmes classiques
des gauches, tels que le chemin de la révolution brésilienne et les tactiques et
stratégies de l'opposition durant le long processus de l'ouverture. […]
L'autre classe de journaux puisait ses racines justement dans les mouvements de
contre-culture nord-américains et, à travers eux, dans l'orientalisme, l'anarchisme et
l'existentialisme de Jean-Paul Sartre. Ils rejetaient la primauté du discours
idéologique. Davantage tournés vers la critique des mœurs et la rupture culturelle,
162 Nous avons justifié ces choix sémantiques en introduction.
163 Bernardo KUCINSCKI, « Jornalistas e revolucionários : a imprensa alternativa no Brasil (1964-1980) », Thèse
de doctorat en Sciences de la communication, sous la direction de Alice Mitika Koshiyama, São Paulo, École
de Communication et Arts de l'Université de São Paulo (ECA-USP), 1991.
164 Bernardo KUCINSKI, Jornalistas e Revolucionários. Nos tempos da imprensa alternativa, São Paulo, Scritta
Editorial, 1991.
165 Bernardo KUCINSKI, « O Fascínio da Guerrilha » in op. cit., p. 32-41.
85
ils luttaient principalement contre l'autoritarisme dans la sphère des mœurs et du
moralisme hypocrite de la classe moyenne166. »
S'il reconnut que ce second type de publications menait également un combat d'une
nature profondément politique contre le régime militaire, « et même plus viscéralement que les
marxistes167 », Bernardo Kucinscki tendit à minimiser dans son ouvrage – une source
d'informations par ailleurs très utile – les mécanismes de capillarité et de perméabilité entre
ces deux « classes » de périodiques. Il posa cependant un regard très juste sur les motivations
animant un vaste phénomène journalistique et social auquel lui-même participa :
« La presse alternative a surgi de l'articulation de deux forces également
compulsives : le désir des gauches d'être les protagonistes des transformations
qu'elles proposaient et la quête, de la part de journalistes et d'intellectuels, d'espaces
alternatifs à la grande presse ainsi qu'à l'université. C'est dans la double opposition
au système représenté par le régime militaire et aux limitations imposées à la
production intellectuelle et journalistique sous l'autoritarisme, que se trouve le lien
de cette articulation entre journalistes, intellectuels et activistes politiques 168. »
Maria Paula Nascimento Araujo s'est intéressée de près, on l'a vu, à la presse
d'opposition sous le régime militaire brésilien169. L'historienne définit quant à elle trois grands
types de publications « alternatives » :
« 1) les journaux de gauche (qui étaient aussi bien reliés à des journalistes de l'opposition qu'aux
partis et aux organisations politiques clandestines) ;
2) les revues de 'contre-culture' (qui réunissaient des intellectuels et des artistes 'alternatifs' ou
'maudits' – ceux qui produisaient hors du circuit commercial) et
3) les publications de mouvements sociaux (englobant dans ce champ le mouvement étudiant, les
mouvements de quartier et, principalement, un type spécifique de presse alternative, reliée à des
groupes et mouvements de minorités politiques, comme la presse féministe, la presse dite 'noire',
les journaux de groupes homosexuels organisés, les publications indigènes etc) 170. »
166 Bernardo KUCINSKI, op. cit., p. 5-6.
167 Bernardo KUCINSKI, op. cit., p. 6.
168 Idem.
169 Voir notamment : Maria Paula Nascimento ARAUJO, « A imprensa alternativa no Brasil dos anos 70 » in Isabel
LUSTOSA (dir.), Imprensa, história e literatura, Rio de Janeiro, Fundação Casa de Rui Barbosa, 2008.
170 Maria Paula Nascimento ARAUJO, « Imprensa Alternativa » in Alzira Alves de ABREU et al (coord.),
Dicionário Histórico-Biográfico Brasileiro – Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010, accessible en ligne :
86
Cette définition de la presse « alternative » distingue ici les publications en fonction
des motivations et convictions prêtées aux individus dont elles émanent – qu'elles soient
politiques, culturelles ou sociales – et intègre les titres élaborés et diffusés dans la
clandestinité. Certes, Araujo précisa que chaque groupe présentait une grande diversité interne,
mais il nous paraît cependant problématique d'envisager les différentes catégories du champ de
la presse « alternative » comme autant de blocs hermétiques. Cette approche rend difficilement
compte de la complexité des projets éditoriaux des rédactions et des imaginaires sollicités
d'une part, de celle des profils de leurs rédacteurs, dessinateurs et lecteurs de l'autre. À titre
d'exemples, les publications féministes Brasil Mulher et Nós, Mulheres accordèrent un espace
prépondérant aux combats pour l'émancipation des femmes, à la lutte contre les violences de
genre et à l'éducation sexuelle, tout en se manifestant ouvertement pour l'amnistie et contre la
répression du régime militaire. Les deux rédactions étaient composées de nombreuses
militantes politiques « de gauche » qui comptaient sur le soutien d'artistes et d'intellectuels,
tout en représentant un mouvement de minorité politique et de genre. Maria Paula Nascimento
Araujo identifia elle-même cette duplicité de l’engagement militant dans sa très juste
définition de la « conception alternative de la politique » de ces journaux féministes : « Ils
valorisaient, de ce fait, un sujet politique qui parlait de sa propre et singulière expérience. Ils
souhaitaient articuler le combat plus général en faveur du socialisme à la lutte pour
l'émancipation des femmes, cherchant à donner un ton 'féminin' à la lutte socialiste171. »
Au sein de cet ensemble hétérogène aux contours délicats à définir, notre propos sera
centré sur la place occupée et le rôle rempli par les images satiriques et les diverses formes
d'humour graphique, autant d'éléments particulièrement révélateurs des projets portés par les
rédactions indépendantes dans une sphère politique en constante évolution. Dans l'article « Les
images de la police politique (DOPS) : utilisations, appropriations et controverses172 »,
Rodrigo Patto Sá Motta proposa une analyse de l'image publique des Départements d'ordre
politique et social fondée sur des caricatures critiques parues dans le périodique Última Hora,
insistant sur : « la liberté presque totale de l’artiste au moment où il crée son dessin. Certes, il
http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/dicionarios/verbete-tematico/imprensa-alternativa (consulté le 07/03/2017).
171 Maria Paula Nascimento ARAUJO, op. cit.
172 Rodrigo Patto Sá MOTTA, « Les images de la police politique (DOPS) : utilisations, appropriations et
controverses » in Brésil(s), n°8, 2015 [en ligne : http://journals.openedition.org/bresils/1673] (consulté le 23
mars 2018).
87
est tributaire de conventions (graphiques, esthétiques, politiques) qui influent sur sa création,
mais la feuille blanche lui permet de débrider son imagination [...]173. »
Il s'agira d'identifier, de décrypter et d'analyser les mécanismes et caractéristiques de
cet espace de « liberté » dont jouissaient les dessinateurs d’humour graphique sous le régime
militaire, considérés comme autant d’acteurs de la subversion puisque contribuant à la
consolidation de représentations contradictoires dans l'imaginaire social et politique. La notion
ambivalente de subversion fut largement utilisée par le régime militaire brésilien dans le but de
condamner ses ennemis, mais elle fait également référence à un potentiel combatif sublimé. En
ce sens, Pierre Rimbert, alors rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique, posait en août
2010 certaines conditions nécessaires à la constitution du rire en instrument de résistance des
opprimés : « S'il dispose d'une assise populaire ; si son éclat libère une vision globale du
monde ; si enfin il entretient avec l'ordre social un rapport de renversement174 ». Le journaliste
définissait ainsi certains préalables à l'emploi de l’humour militant par les dessinateurs et
insistait sur les aspects indispensables à la transformation du rire en arme susceptible de
déstabiliser, voire de faire chanceler le pouvoir établi. Considérant la subversion comme « une
action visant à saper les valeurs et les institutions établies 175», le rire défini par Rimbert,
ambitieux, moqueur et partagé massivement, devient immanquablement subversif. Interrogés à
ce propos, certains journalistes et dessinateurs176 reconnurent, une quarantaine d'années après
leur action effective au sein de rédactions indépendantes, la réactualisation du potentiel
destructeur traditionnellement attribué à leur production à partir de l’instauration du régime
militaire. Cité à de maintes reprises comme l’un des piliers de la tradition de l’humour
graphique brésilien dont nous avons tenté de tracer les contours, l’intellectuel et humoriste
Millôr Fernandes fit office de précurseur en publiant de mai à août 1964 le périodique Pif-Paf,
éphémère et satirique lecture de la réalité politique brésilienne accordant aux charges,
caricatures et autres formes d’humour dessiné un espace fondamental.
173 Rodrigo Patto Sá MOTTA, op. cit., p.4.
174 Pierre RIMBERT, « Éloge du rire sardonique. De l'exutoire à la résistance » in Le Monde diplomatique, n°677,
08/2010, p. 28.
175 Dictionnaire
de
français
Larousse,
version
électronique
[en
ligne
:
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/subversion/75149?q=subversion#74293] (consulté le 12 juillet
2017).
176Nous avons réalisé à Rio de Janeiro et São Paulo une dizaine d'entretiens avec d'anciens dessinateurs et
journalistes de la presse indépendante brésilienne dans le cadre de nos recherches doctorales, entre 2011 et
2014.
88
Chapitre 2
Pif-Paf ou l'éphémère mise en scène satirique du pouvoir
En 2014, à l'occasion du cinquantenaire du coup d’État militaire, l'Institut Moreira
Salles (IMS) situé à Rio de Janeiro figura parmi les nombreux centres culturels et musées qui
consacrèrent une exposition à l'histoire très contemporaine du Brésil. Avec « En 1964. Art et
culture durant l'année du coup d’État », l'institution prétendait proposer « une immersion dans
ce moment décisif pour le pays à partir du point de vue des artistes et intellectuels »,
permettant au spectateur d' « [explorer] les faits culturels de la période par le biais d’œuvres
marquantes de la littérature, de la photographie, du cinéma et de la musique présentes dans les
collections de l'IMS177». Les couvertures et quatrièmes de couverture des huit numéros du
périodique Pif-Paf figuraient parmi les pièces constitutives de ce « tunnel dans le temps » aux
côtés de films en salle à l'époque, de photographies de Jorge Bodanzky, Chico Albuquerque et
Henri Ballot, de créations musicales et d’œuvres littéraires.
L'étude des huit exemplaires du bimensuel satirique parus entre mai et août 1964 révèle
les mécanismes graphiques et textuels de la subversion de l’ordre politique et social durant les
premiers mois du régime militaire. Assumée par une rédaction indépendante extrêmement
personnalisée regroupant autour de Millôr Fernandes quelques proches collaborateurs issus du
milieu intellectuel de Rio de Janeiro, cette première expérience éditoriale d'opposition au
régime autoritaire par l'humour, l'affront et le sarcasme occupa un rôle central dans
l'imaginaire des dessinateurs de presse à partir de la fin des années 1960. Si le propos restait
conservateur à l'égard du féminisme et renforçait largement certains préjugés machistes, si PifPaf retranscrivait la vision d’hommes formés dans les années 1950 sur les évolutions de la
société et les bouleversements des mœurs, nous prétendons démontrer que ce fut avec le
détournement de l'iconographie populaire, les métaphores textuelles et graphiques, les doubles
sens, le renversement des systèmes de valeurs et la resignification des images - notamment
religieuses - que le périodique orchestra sa contestation politique et s’attaqua précocement aux
valeurs défendues par le régime militaire.
177 Le site internet de l'Institut Moreira Salles propose un compte-rendu détaillé de chaque exposition organisée
en son sein. Il permet la visualisation de certaines œuvres exposées lors de « En 1964 », retrace l'ensemble
des manifestations organisées en marge de l'événement et rend accessibles tous les textes de l'exposition [en
ligne : https://ims.com.br/] (consulté le 18 juillet 2017).
89
I. De « Pif-Paf » à Pif-Paf : genèse d'une publication
a) Millôr Fernandes et la « véritable histoire du paradis »
Dessinateur, écrivain, traducteur, dramaturge, Millôr Fernandes fut l'archétype de
l'intellectuel et artiste brésilien extrêmement prolifique dont la production diversifiée attestait
un goût prononcé pour la philosophie, l’humour absurde et le mot d'esprit. Celui qui d’après
son ami Claudius Ceccon se disait « libre comme un taxi178 » circula entre les techniques, les
supports, les médias et les formats. Né Milton Fernandes en 1923 dans le quartier populaire de
Meier au nord de Rio de Janeiro, il travailla au sein de la revue O Cruzeiro dès l'âge de quinze
ans, y occupant diverses fonctions subalternes grâce à son oncle maternel, directeur des
presses de la revue. Il rédigea ensuite des fables et des chroniques régulières pour A Cigarra.
Le registre du conte, les textes courts et comiques propices à l'élaboration de réflexions sur la
condition humaine, souvent grâce aux métaphores animales, furent souvent employés par
Millôr Fernandes qui signait dès ses débuts sous le pseudonyme Vão Gogo. De son propre
aveu, il découvrit à l'âge de dix-huit ans que la graphie de son prénom sur son acte de
naissance correspondait davantage à « Millôr » qu'à « Milton » et adopta cette nouvelle
identité. Au cours des quelques entretiens accordés à la presse entre les années 1980 et 1990 179,
il raconta régulièrement cette anecdote de son arrivée à l'état civil pour demander un acte de
naissance et la découverte de la calligraphie du fonctionnaire qui avait transformé les lettres de
son prénom.
Tout en poursuivant ses publications dans A Cigarra, Millôr Fernandes retourna
travailler au sein de la rédaction de O Cruzeiro en 1941. Il y inaugura en 1945 la rubrique
« Pif-Paf », la double page centrale rédigée par lui et illustrée par le dessinateur Péricles
Maranhão jusqu'en 1955, année à partir de laquelle il en prit totalement les commandes et
illustra ses textes. L’auteur fit de la concision et de l’humour deux outils parmi les plus
efficaces pour faire passer ses messages. Le trait simple, presque naïf, parfois à l'aspect
infantile et toujours coloré, attestait une grande liberté dans le traitement de thématiques
variées telles que la politique, l'économie, les mœurs, l'art, la religion, la métaphysique ou la
nature humaine. Les années 1950 virent l’organisation de ses premières expositions, au Musée
178 INSTITUTO MOREIRA SALLES, Conversas na Galeria, Claudius Ceccon à propos de « Millôr: obra gráfica », 05'04''
[en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=pWM54WJgybc] (consulté le 27/04/2019).
179 Voir par exemple : TV CULTURA, « Roda Viva », São Paulo, 03/04/1989, 32'56'' [en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=A7tNSWjN0H8] (consulté le 27/07/2018).
90
de la caricature de Buenos Aires avec Saul Steinberg en 1956 et au Musée d'art moderne de
Rio de Janeiro en 1957. Écrivain, traducteur et auteur de théâtre, il remporta notamment un
très grand succès avec sa pièce satirique écrite en 1955 et éditée en 1962, « Um elefante no
caos180 ». Autodidacte inventeur d'aphorismes, amateur des courts poèmes japonais haïku181,
Millôr Fernandes publia des centaines de dessins dans divers périodiques et traduisit en
portugais du Brésil plus de cinquante pièces de théâtre, de Sophocle à Molière, de Tennesse
Williams à Shakespeare, de Brecht à Edward Albee.
L'auteur et dessinateur fut désavoué par O Cruzeiro après la parution le 5 octobre 1963
d'une satire du dogme religieux et de la théologie revisitant les quatre premiers chapitres de la
Genèse : « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso 182 ». La nouvelle poétique et
ouvertement provocante concentrait en dix pages de textes et d'images les doutes
philosophiques de Millôr Fernandes à l'égard de la religion et son interprétation de la condition
humaine. Certains éléments du récit avaient déjà été utilisés par l'auteur au sein de créations
artistiques antérieures : « Représentée des centaines de fois dans de nombreux théâtres du pays
et narrée et dessinée à la télévision, avec un immense succès, par l'auteur lui-même, 'La vraie
histoire du paradis' est maintenant publiée pour la première fois dans 'O Cruzeiro'.183 » Sous la
pression de groupes catholiques ultra conservateurs, la rédaction publia deux semaines plus
tard un éditorial désavouant publiquement le travail de Millôr Fernandes et l'accusant d'avoir
rendue publique l'histoire du paradis sans avoir obtenu l'autorisation de la direction. Celle
dernière se confondait en excuses auprès de son lectorat et devant Dieu, regrettant avec
paternalisme les offenses faites au christianisme par la section « Pif-Paf » :
« EXPLICATION
Il existe une conscience individuelle et une conscience collective. La société
commet des erreurs en tant que telle. Une entreprise journalistique également. 'O
Cruzeiro' a commis une erreur. Il a failli dans la surveillance de la liberté d'écrire
180 Millôr FERNANDES, Um elefante no Caos, Rio de Janeiro, Édition de l'auteur, 1962.
181 L’emploi et l’efficacité communicative de ce type de poésie en trois vers d’origine japonaise par Millôr
Fernandes sont analysés dans l’article « O uso do haikai no jornalismo de Millôr Fernandes », fondé sur les
concepts de la théorie de guérilla artistique : Marcio ACSELRAD, Raphael Barros ALVES, « O uso do haikai no
jornalismo de Millôr Fernandes » in TecCom Studies, n°2, avril-juin 2011 [en ligne :
http://www.teccomstudies.com/numeros/revista-2/184-o-uso-do-haicai-no-jornalismo-de-millor-fernandes]
(consulté le 28/04/2019).
182 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 64-73.
183 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 64.
91
qu'elle concède traditionnellement à ses collaborateurs. Les protestations sincères
qui commencent à arriver à la rédaction contre la publication du contenu considéré
insultant envers les convictions religieuses du peuple brésilien, qui sont les nôtres,
furent précédées de notre propre sentiment de culpabilité. Pour avoir permis que
nous soyons nous-mêmes offensés dans nos pages d'une manière si brutale. Ça n'est
pas ici le lieu pour présenter des excuses de manière adéquate. Ça serait facile, mais
ne changerait rien. Nous souhaitons simplement transmettre à nos lecteurs, aux
millions de brésiliens qui sont orientés par la doctrine chrétienne, une information :
ces faits ne se reproduiront plus dans 'O Cruzeiro'. Nous serons plus vigilants,
principalement au sujet de la section qui provoqua les justes réclamations de nos
lecteurs : 'O Pif-Paf'. Nous avons commis une faute. Nous avons eu confiance en
l'honnêteté intellectuelle de celui qui, il y a plus d'une décennie, a pris l'engagement
envers nous et envers les lecteurs de 'O Cruzeiro' de créer un humour intelligent et
sain. Nous faisons ici pénitence.
Il nous reste à dire que cette explication serait inutile si elle n'était pas impérieuse.
Nous nous sentons autant offensés dans notre sensibilité que nos lecteurs des quatre
coins du pays. En l'espace de trois décennies, depuis qu'elle fut fondée, cette revue,
faite avec amour pour nos lecteurs, a toujours cherché à témoigner, avec
authenticité, de son christianisme, de plus, beaucoup plus que la simple croyance en
Dieu. C'est devant Dieu que nous faisons pénitence.
La direction184. »
L’interprétation de la création de l'univers à l'origine d'un tel désaveu arborait la touche
naïve, surréaliste et avant-gardiste caractéristique de son auteur. Les traits sobres et dépouillés
de Millôr Fernandes se coordonnaient dans ses œuvres à des textes au fort caractère
philosophique et métaphysique, constituant les bases d’une critique des mœurs, du pouvoir,
des institutions politiques, de la morale, de la religion et de ses contemporains. Son style
verbal185 tout à fait singulier faisait un ample usage de calembours, contrepèteries, métaphores,
inversions et autres procédés humoristiques également identifiables sous leur forme graphique
pour mieux tourner en dérision en opérant tous types de décalages et de désacralisations.
Millôr Fernandes entama donc son récit religieux alternatif en réduisant d’emblée l’aspect
184 « Explicação » in O Cruzeiro, n°02, 36ème année, 19/10/1963, p. 3.
185 Voir notamment : Eduardo COLEONE, Millôr Fernandes – Análise do estilo de um escritor sem estilo através
de suas fabulosas fábulas, Mémoire de master en Études littéraires, sous la direction de Maria de Lourdes
Ortiz Gandini Baldan, Araraquara, Université de l’État de São Paulo, 2008.
92
grandiose et épique de la Création, la décrivant comme une œuvre collective et non le seul fait
de Dieu, tel que décrite dans le premier chapitre de la Genèse :
« Un jour le Tout-Puissant se leva au sein de cette immensité désolée dans laquelle
il vivait, il convoqua les anges, les archanges et les chérubins et dit : -'Mes amis,
nous allons avoir une semaine remplie. Nous allons créer l'Univers et, en son sein,
le paradis. Nous devons créer la Terre, le Soleil, la forêt, les animaux, les minéraux,
la Lune, les étoiles, l'Homme et la Femme. Et nous devons faire tout ça très vite,
parce que nous devons nous reposer dimanche186. »
Le comique naissait de l'anticipation du repos perçu par Dieu comme une anachronique
obligation, une condition sine qua non à l'effort fourni durant la semaine. La deuxième page de
la « Véritable histoire du Paradis » était entièrement occupée par un dessin de la figure divine
entourée d’anges. Le fond sombre, mais toujours coloré, les épaisses lignes noires des
personnages les démarquant de la composition, tous les éléments conjuguaient minimalisme et
expressivité. Notons que l'ange situé à droite de la page portait des vêtements modernes, un tshirt sans manches de couleur rose et un petit short, créant de nouveau un décalage entre la
scène et son contexte supposé. La satire du premier chapitre de la Genèse se poursuivait en
troisième page : la légende du premier dessin, un arbre magnifique chargé de fruits et entourés
de petits oiseaux avant même la création des animaux, en indiquait la dangereuse nature : « Il
fit, donc, les minéraux et les végétaux. Tous les végétaux étaient bons et beaux et leurs fruits
pouvaient être mangés. De mauvais, il y avait seulement ledit Arbre de la connaissance du
Bien et du Mal, au beau milieu du Paradis 187. » Sur la partie droite de la page figurait la
« future garde-robe d’Adam et Ève188», un simple croquis de vigne. Les anachronismes de ce
genre étaient légion dans la rubrique « Pif-Paf » de même que les considérations absurdes ou
tragi-comiques et les manifestations du point de vue personnel de Millôr Fernandes érigées en
vérités absolues :
« Et puis Dieu fit les animaux : le Lion, le Tigre, le Cheval, la Girafe (on voit
parfaitement que la Girafe fut une erreur de calcul), les Oiseaux, les Poissons...
186 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 64.
187 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 66.
188 Idem.
93
Comme même les petits lecteurs les moins attentifs peuvent le constater, il fit deux
exemplaires de chaque animal, preuve qu'il ne croyait pas en la Cigogne 189. »
À la suite de la création du serpent, de l'eau et de la pluie, le créateur de la rubrique
intervint directement dans le récit à la première personne du singulier, comme pour en
souligner l’intertextualité : « Mais une chose que je vous garantis qu'Il n'a pas inventée. Il
inventa le Soleil. Et les Arbres, et les animaux et les minéraux. Mais soudain, à sa grande
surprise, il regarda et vit, émerveillé, que chaque chose avait une Ombre ! Honnêtement, ça, Il
n'y avait pas pensé !190 » Le texte put être considéré comme blasphématoire en ce qu'il
décrivait une figure divine dépassée par certains éléments apparus sans relever de sa propre
volonté. Le dessin jouxtant cette légende représentait un Dieu visiblement irrité, les traits
tendus, le regard jeté avec colère vers sa propre ombre. Millôr Fernandes poursuivit son
entreprise de désacralisation en assimilant l'invention de nouveaux animaux à la découverte
par Dieu des ombres chinoises avec ses mains.
Consacrée à la naissance du premier homme, la cinquième page questionnait la
supposée perfection de la création humaine, l'auteur exprimant certains doutes existentiels et
d'autres plus prosaïques toujours en jouant avec l'absurde, ici source du comique. Le dessin
représentait Adam debout et nu, une croix autour du cou – encore un anachronisme. Derrière
lui figurait un serpent enroulé autour d'un petit arbre et Dieu, observant de loin ses créations.
Le récit énumérait les avantages pour Adam d'être né directement à l'âge adulte, mettant en
perspective des situations contemporaines désagréables ainsi évitées au nouvel homme : « il
n'a pas eu besoin de faire son service militaire, il n'est pas passé par cette transition terrible
entre la première et la seconde dentition, et il n'a jamais eu dix-sept ans. En plus, il n'a jamais
dû acheter de cadeaux pour la fête des mères 191. » Critique à l'égard du moralisme régnant au
sein de la société brésilienne et des interdictions pesant déjà sur la liberté d'expression, Millôr
Fernandes précisa : « À ce moment, Adam ne portait pas encore de feuille de vigne, mais nous
l'avons ajoutée sur le dessin pour éviter la censure192. » Quatre numéros se rapportaient aux
« petits problèmes métaphysiques créés par le TOUT-PUISSANT 193 » reliés aux légendes sur
189 Idem.
190 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 67.
191 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 68.
192 Idem.
193 Idem.
94
le côté de la page. Entre jeux de mots, calembours et maximes philosophiques, la composition
remettait en question la logique et la crédibilité de la Genèse avec insolence : « 4. MAÎTRE, je
Vous respecte, mais je ne respecte pas votre Œuvre : qu'est ce que c'est que ce Paradis qui a
des serpents194 ? ».
Le scepticisme à l'égard de la perfection de la création divine se poursuivait à la page
suivante : « En vérité, Adam n'était pas vraiment très beau. Dieu, en tant que sculpteur, laissait
à désirer. Mais, naturellement, il comptait sur l’Évolution pour améliorer son Œuvre 195. »
L'auteur s'appuyait sur la multitude des niveaux de lecture d'expressions populaires pour
dénoncer des pratiques contemporaines de l'époque de production de son travail, comme
lorsqu'il expliqua le privilège conféré à Adam d'être le premier à nommer les éléments : « C'est
lui qui appela un arbre un arbre, une feuille une feuille, et une vache, une vache. Il fit ce que
l'on appelle 'donner un nom aux bœufs'. Il avait tant de talent pour ça que tous les noms qu'il
donna restèrent196. » Le double sens de la phrase, source du comique, ne peut être ici ignoré :
l'expression populaire « dar um nome aos bois » signifie littéralement « donner un nom aux
bœufs », mais elle désigne également dans le langage courant le fait de pratiquer la délation.
La troisième phrase peut être interprétée de deux manières : Adam était si talentueux et
inventif que les noms qu'il choisit passèrent à la postérité (« pegaram ») ; ou il était tellement
doué pour la délation que toutes les personnes dont il dénonça les noms furent attrapées
(« todos os nomes que botou, pegaram »). Ce jeu avec les significations était extrêmement
courant dans la rubrique « Pif-Paf » puis dans le périodique du même nom, la partie graphique
apportant de nouveaux éléments indispensables à la perception d'informations sous-jacentes
dans les textes. En-dessous d'un dessin de Dieu penché sur le corps d'Adam, prêt à lui extraire
une côte à l’aide d’une paire de ciseaux pour créer Eve, le récit devint digne d'une série à
suspense divisée en plusieurs épisodes : « Dieu réussira-t-il à créer une femme à partir de la
côte d'Adam ? Le serpent mènera-t-il à bien son sinistre plan ? Ève arrivera-t-elle à mener
Adam sur la voie du Mal ? Adam et Ève seront-ils expulsés du Paradis ? Ne manquez pas de
lire la suite !197 » L'enchaînement de l'histoire prit la forme d'une bande dessinée narrant la
naissance de la femme, le pêché d'Adam et Dieu chassant le couple du paradis, passablement
irrité, l'index gauche pointé vers la sortie. La dernière page de la « Vraie histoire du Paradis »
194 Idem.
195 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 69.
196 Idem.
197 Idem.
95
apportait une parodie de morale en guise de conclusion, prétexte à l’auto-portrait de Millôr
Fernandes : assis derrière une machine à écrire, il tendait son index accusateur vers la figure
divine à l'air penaud. Le texte remettait finalement en question l'origine divine du monde à la
lumière des défauts et des erreurs commises par le Créateur :
« De toutes façons, à l'intérieur et en dehors du Paradis, le Monde ne fut pas
réellement une création sensée, faite sur la base d'études et de calculs. Il a bien ses
moment d'inspiration magnifique, ses couchers de soleil, ses aurores, mais le
Seigneur fit tout précipitamment, laissant un terrible exemple d'improvisation que
les moins bons architectes suivent encore aujourd'hui, surtout ceux de Brasília.
Dans le cas précis du Tout-Puissant, cependant, il n'y a aucune excuse. Personne ne
lui a imposé un délai, il n'avait pas de date de livraison.
CETTE hâte désinvolte
prouve qu'il est incompétent
pourquoi faire le Monde en sept jours
alors qu'il avait jusqu'à la fin des temps198? »
Le départ de Millôr Fernandes en 1963 après la publication de l'éditorial accusateur
contribua à alimenter la crise vécue par O Cruzeiro depuis le début des années 1960 à la suite
de l'accident vasculaire cérébral de Assis Chateaubriand, fondateur de la revue 199. La perte de
vitesse du périodique concurrencé par la télévision fut accentuée par le départ de plusieurs
grands noms qui avaient contribué à sa renommée et par le suicide de Péricles Maranhão en
décembre 1961. Les difficultés financières entraînèrent l'augmentation des annonces
publicitaires et le propriétaire David Nasser influença l'orientation politique de la revue contre
le président João Goulart. O Cruzeiro encensa le coup d’État militaire orchestré dans la nuit du
31 mars au 1er avril 1964. Le 10 avril 1964, l'édition spéciale avait pour couverture une
photographie du gouverneur de l’État du Minas Gerais José de Magalhães Pinto, partisan actif
et fervent soutien du renversement du président élu démocratiquement. Le numéro titrait
« Édition historique de la Révolution200 », affichant son parti pris pour l'usage du vocabulaire
198 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 73.
199 Muza Clara CHAVES VELASQUEZ, « O Cruzeiro » in Alzira Alves de ABREU et al (org.), Dicionário HistóricoBiográfico
Brasileiro
–
Pós-1930,
Rio
de
Janeiro,
CPDOC,
2010
[en
ligne :
http://www.fgv.br/CPDOC/BUSCA/dicionarios/verbete-tematico/cruzeiro-o] (consulté le 28/04/2019).
200 O Cruzeiro, n°spécial, 10/04/1964, p. 1.
96
mélioratif employé par les militaires à propos du coup d’État. Un mois plus tard, Millôr
Fernandes publiait le premier numéro de son périodique Pif-Paf.
FIG 3 : O Cruzeiro, n° spécial, 10/04/1964, p. 1
b) Un premier numéro de Pif-Paf programmatique
Le bimensuel Pif-Paf vit le jour le 21 mai 1964 à Rio de Janeiro. Un mois et demi
auparavant, le 9 avril 1964, les dirigeants militaires décrétèrent le premier Acte Institutionnel
supprimant les garanties démocratiques datant de la Constitution de 1946 et permettant les
premières suspensions de droits civiques ou de mandats électoraux. Le 11 avril, le général
Castelo Branco devint président de la République, élu de manière indirecte à l'Assemblée
Nationale et seul candidat. Ce climat d'installation du régime autoritaire vit la publication du
premier numéro de Pif-Paf. Millôr Fernandes fut épaulé par le directeur commercial et
photographe Yllen Kerr et par Eugênio Hirsch, directeur artistique. Né à Vienne en 1923,
97
émigré en Argentine en 1938, Hirsch débuta sa carrière à Buenos Aires en tant qu'artiste
graphique et illustrateur. Il s'installa au Brésil au milieu des années 1950 et travailla en étroite
collaboration avec la maison d'édition Civilização Brasileira, pour laquelle il dessina la
couverture de nombreux ouvrages. Responsable du projet graphique de Pif-Paf, il contribua au
renouvellement de l'esthétique des couvertures de livres dans les années 1960 ainsi qu'au
développement du design graphique brésilien. Millôr Fernandes s'entoura également des
dessinateurs Jaguar, Ziraldo, Claudius et Fortuna, ainsi que de l'intellectuel, humoriste,
écrivain et journaliste Sérgio Porto, dit Stanislaw Ponte Preta. Ce dernier se rendit célèbre à
l'échelle nationale deux ans plus tard avec la publication du premier ouvrage de la trilogie
« FEBEAPÁ », O Festival de Besteira que assola o País 201 (le « Festival de bêtise qui ravage
le pays »). Ses chroniques humoristiques publiées initialement au sein du journal Última Hora
dénonçaient l'absurdité et le grotesque des détenteurs du pouvoir sous le régime militaire. Les
fonctionnaires du DOPS et la répression furent particulièrement visés par les textes ironiques.
L'équipe du nouveau périodique était présentée dans le détail à la 22ième page du premier
numéro de Pif-Paf intitulée « Qui distribue les cartes dans Pif-Paf ?202 », qui faisait le portrait
romancé et absurde de chacun des collaborateurs : « Fortuna est réellement un humoriste né.
Beaucoup de gens préféreraient qu'il soit mort, mais il est toujours là 203 » ; « quand Jaguar
raconte une blague tout le monde est sérieux et quand Jaguar est sérieux tout le monde éclate
de rire204 » ; « en politique Claudius n'est ni contre ni pour, bien au contraire 205. » L'originalité
du projet Pif-Paf résida, entre autres, dans la rencontre de journalistes et d'artistes de renom
aux parcours et à l'humour bien différenciés.
Le format type tabloïd du premier numéro fut reproduit pour la réalisation des sept
autres. Les vingt-quatre pages de Pif-Paf alternaient l'usage des couleurs et du noir et blanc,
proposaient un certain nombre de rubriques récurrentes ainsi que des chroniques, des dessins
de presse et des brèves. Le périodique contribua au renouvellement esthétique des années 1960
en employant des typographies différenciées, en jouant avec les encadrés, les couleurs et les
201 Stanislaw PONTE PRETA, O Festival de Besteira que assola o País, Rio de Janeiro, Editôra do Autor, 1966.
Les deux volumes furent respectivement publiés en 1967 et 1968. Les trois ouvrages rassemblent des
chroniques écrites par Sérgio Porto pour le journal Última Hora après le coup d’État militaire de 1964.
Publiés initialement dans la rubrique « Fofocalizando » sous la forme de parodies de dépêches
journalistiques, les textes satiriques tournent en dérision les autorités nationales et locales, les forces de
police, les militaires, l'esprit de délation et la répression, les mœurs conservatrices et la morale...
202 « QUEM DÁ AS CARTAS NO PIF-PAF » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 22.
203 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 22.
204 Idem.
205 Idem.
98
plans, en multipliant les illustrations, en proposant un laboratoire de créativité à l'équipe
rédactrice et dessinatrice. La couverture206 du premier numéro était envahie par une immense
tâche d'encre, comme s'il s'agissait des conséquences d'un geste malencontreux. Un tampon à
l'encre rouge indiquait « Je suis le premier numéro de Pif-Paf207 ». La prosopopée
personnalisant la publication lui conférait d'emblée une identité bien marquée appuyée par un
court texte indiquant : « Chaque numéro est exemplaire, chaque exemplaire est un numéro208 ».
La lettre A du titre était inscrite avec une typographie différente en rouge et vert, marque de
non-alignement et d'originalité.
FIG 4 : Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 1
206 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 1.
207 Idem.
208 Idem.
99
Ce premier numéro instaura une organisation et certaines rubriques récurrentes dans les
éditions suivantes. En deuxième page, le courrier des lecteurs était alimenté par des lettres
élogieuses au caractère factice complètement assumé par la rédaction : « INÉDIT !
Enthousiasmés par la très grande qualité morale (ne ratez pas le Stripif-tease en page 19) de
PIF-PAF, les lecteurs n'ont pas attendu la sortie du premier numéro de notre revue et ont
commencé à nous écrire à son propos 209. » Attribué à João Telles de São Paulo, l’un des
courriers insistait explicitement sur les intentions parodiques de la rédaction :
« J'ai immensément apprécié toute votre revue. Mais ce que j'ai vraiment trouvé
super, c'est que vous avez publié la section avec le courrier des lecteurs dès le
premier numéro. Très fin. Cela représente une satire de la section des autres revues
qui, de manière évidente, inventent de nombreuses lettres pour soutenir leurs
propres points de vue210. »
La troisième page de chaque édition était dédiée à une section intitulée « Un point de
vue carioca » composée de la présentation de l'équipe de rédaction, d'une citation célèbre mise
en exergue et de l'encadré « En résumé » faisant office d'éditorial signé par Millôr Fernandes.
À partir du deuxième numéro, Fortuna y publiait également une charge graphique analysant la
situation politique. Dès le début, le « point de vue carioca » affirma la cohésion de la
rédaction de Pif-Paf en réaction à la direction de O Cruzeiro qui s'était désolidarisée de Millôr
Fernandes en octobre 1963 : « Les points de vue exprimés dans cette revue, aussi disparates,
paradoxaux, conflictuels ou stupides soient-ils, sont de l'absolue responsabilité de la
direction211. » S'en suivit une déclaration de principes en dix points mêlant considérations
ironiques et satiriques, qui présentait le projet libertaire et philosophique du périodique. Le
texte annonçait le ton très critique vis-à-vis du régime militaire tout en affichant
l’anticonformisme et l’humour défendus par la rédaction. Il attestait également une critique de
l’ensemble du paysage politique brésilien, à droite comme à gauche de l’échiquier, témoignant
des prises de position de Millôr Fernandes bien davantage influencées par le radicalisme
209 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 2.
210 Idem.
211 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 3.
100
idéologique que par le socialisme212 à l’image d’une frange importante des intellectuels ancrés
dans l’opposition :
« I/ Nous sommes convaincus que le pire, dans notre Démocratie, c'est qu'elle finit
toujours entre les mains des démocrates. [...]
III/ Nous prétendons mettre le nez exactement où nous n'avons pas été appelés. Le
sens de l'humour n'a rien à voir et ne doit absolument pas être confondu avec la
campagne sordide du « Souriez en permanence ». Cette campagne est antihumoristique par nature, elle révèle un conformisme primaire, incompatible avec la
haute dignité de l'humoriste. Celui qui sourit en permanence, ou c'est un idiot, ou
alors son dentier est mal ajusté.
IV/ Notre intention de base est de donner des regrets aux hommes de bien.
V/ Les communistes sont contre le profit. Nous sommes seulement contre le
préjudice.[…]
VIII/ Cette revue sera de gauche dans les numéros pairs et de droite dans les
numéros impairs. Les pages en couleur seront, naturellement, réactionnaires et
celles en noir et blanc seront populistes et nationalistes. Tous les commerçants et
industriels qui ne feront pas d'annonce publicitaire seront regardés d'un mauvais
œil, puisque 'celui qui n'annonce pas se cache'213. »
L'éditorial politique burlesque signé par Millôr Fernandes était accompagné par une
charge très critique de Claudius Ceccon. Un dessin publié dans le premier numéro représentait
un jeune enfant vendeur à la sauvette, attrapé par un militaire à la carrure déformée et qui
tentait de se défendre alors que tout un groupe s'enfuyait en arrière-plan : « J'ai prévenu sans
faire exprès – J'ai juste crié 'Regardez les DROPS'214 ».
212 Nous analyserons dans le troisième chapitre de cette thèse la diversité des grands courants idéologiques et des
familles politiques représentés par les dessinateurs d’humour politique brésiliens sous le régime militaire.
213 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 3.
214 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 5.
101
FIG 5 : Charge de Claudius in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 5
Le rire provenait du décalage grotesque entre les gabarits des personnages et de la similarité
phonétique entre le Drops, petit bonbon très populaire dans les années 1960 au Brésil et le
DOPS, organe chargé de la surveillance et de la répression sous le régime militaire. Claudius
profita de l’espace dont il disposait dans Pif-Paf pour dénoncer le climat de suspicion
permanente, la répression et les menaces pesant sur la société civile. Il fut emprisonné à cause
de ce dessin, comme le déplora la rédaction dès le numéro suivant :
« Claudius en tôle
Merci au DOPS, ou Nous aussi sommes prisonniers
Nous demandons pardon à nos lecteurs d'occuper cet espace avec un sujet
personnel. Nous étions en train d'écrire les règles du Jeu de la démocratie, dans la
colonne d'à côté, quand nous avons appris l'emprisonnement de Claudius Ceccon,
notre jeune compagnon, ami et collaborateur. C'est pour cela que nous avons arrêté
d'écrire les règles du Jeu de la démocratie et que nous avons commencé à rédiger
cette note, puisque, chaque jour qui passe, il semble que des règles pour ce type de
jeu deviennent de plus en plus inutiles. […]
Ainsi, ils viennent d'emprisonner également un humoriste ! Ainsi, nous sommes
soulagés. Parce qu'il semble que jusqu'à maintenant, notre classe prétentieuse était
la seule à ne pas avoir son martyre. Peu à peu l'engrenage se grippe, à mesure qu'il
102
prend avec lui des innocents, des indépendants, de simples anticonformistes. Merci
au DOPS, qui finalement s'est souvenu de nous. Nous espérons que la famille de
Claudius – épouse, fils, parents, frères – puisse voir avec la même compréhension
saine et le même sourire de satisfaction sur les lèvres son jeune chef être emmené
de chez lui au cours d'une embuscade pour une brève période d'incommunicabilité
et de terreur215. »
L'ironie de cette note fut réemployée dans une parodie d'annonce publicitaire datée de
juillet 1964 qui faisait dans Pif-Paf à la manière des réclames théâtrales la promotion du récit
de Claudius « Rigoureusement incommunicable » :
« Dans le prochain numéro,
Cláudius
Le 1° humoriste-martyre
écrit et dessine son expérience hilarante intitulée
Rigoureusement incommunicable
Ne ratez pas : prison, alimentation, interrogatoire et libération d'un véritable et
dangereux humoriste
N.B. Pif-Paf tient à rappeler au lecteur le moins avisé qu'il n'est pas une revue
politique216. »
Le texte en question fut publié dans le cinquième numéro et Claudius y dénonça
l'absurdité, l'arbitraire et la verticalité des emprisonnements en général et du sien en
particulier.
215 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 2.
216 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 10.
103
FIG 6 : Claudius, « Rigorosamente incomunicável ! » in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 8
Au centre de la masse impersonnelle de silhouettes entassées dans une cellule de prison aux
parois anormalement hautes et à la fenêtre inaccessible, Claudius se dessina. Il dénonça avec
beaucoup d'ironie l'anticommunisme primaire, l’emprisonnement d'innocents et la confession
obtenue sous la torture :
« Si tu n'as jamais pensé à dynamiter un porte-avion, à envoyer dans les airs une
soute remplie de munitions, à mitrailler le Palais du Gouvernement, détruire le pont
Rio – Niterói ou crever les pneus du directeur de la circulation routière, attention !
Tu peux être emprisonné (1) à tout moment.
Ne te serviront ni tes cris d'innocence – tous les coupables font la même chose – ni
ton passé sans aucun péché – Hitler était végétarien – ni ton alibi transparent
prouvant que tu n'as pas pu participer au Soulèvement communiste de 1935 puisque
104
tu n'étais pas né – d'autres prétendirent la même chose et finirent par
« confesser ». »
Le système de note de bas de page employé par Claudius lui servit à dénoncer
l'hypocrisie d'un vocabulaire voué à atténuer la répression du régime militaire. Ainsi, être
« emprisonné » correspondait au fait d'être « Détenu pour vérifications – Appelé à présenter
des éclaircissements : euphémisme qui signifie entre quinze jours et deux ans de détention et, à
la fin, des excuses pour la 'terrible erreur'217 ». Se trouver en situation de « rigoureuse
incommunicabilité » signifiait « rester seul dans une cellule où se trouvent déjà quatre-vingt
personnes218 », alors que le « bon traitement » correspondait au fait de « dormir par terre, sans
draps et avec un seul repas par jour constitué d'éléments non identifiés219 ». La dénonciation
porta également sur le climat de suspicion généralisée et la méfiance à la sortie de prison,
accentuant encore l'incompréhension de Claudius face à l'absurdité d'une telle situation.
Le premier numéro de Pif-Paf proposa également aux lecteurs plusieurs autres
rubriques répétées dans les éditions suivantes. À titre d'exemple, la section « Pensamento
Vivo » offrait une carte blanche à un collaborateur chargé de rédiger un abécédaire ironique,
fait de détournements et de calembours politisés intercalés d’illustrations. Stanislaw Ponte
Preta220 fut le premier à exprimer sa « pensée vive », suivi par l'écrivain et journaliste Rubem
Braga221 dans le deuxième numéro, le chroniqueur et humoriste Don Rossé Cavaca222 dans la
quatrième édition puis finalement Leon Eliachar 223, journaliste et humoriste, dans le septième
numéro. Cela dit, la majeure partie des sections récurrentes présentes dès le premier numéro
de Pif-Paf accordaient à l'image et au graphisme une importance prépondérante.
La « Cartilha para o povo » – « fascicule destiné au peuple » – était un album illustré
en couleurs offrant un espace à la critique de la politique nationale et du contexte international
marqué par la guerre froide. Les dessins satiriques étaient accompagnés d'une légende au style
faussement explicatif baigné de burlesque et de cynisme. Les deux premières vignettes
s’employèrent à définir avec humour le patriotisme et la fonction du Président de la
République :
217 Pif-Paf, n°5, 07/1964 p. 8.
218 Idem.
219 Idem.
220 « Pensamento vivo do vivo Ponte Preta » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 6.
221 « Pensamento vivo de Rubem Braga » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 4-5.
222 « Pensamento vivo de Don Rossé Cavaca » in Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 5.
223 « Pensamento vivo de Leon Eliachar » in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 4-5.
105
FIG 7 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11
Millôr Fernandes confrontait le nationalisme exacerbé du régime militaire avec ses
contradictions et insinuait sans citer nommément Castelo Branco la nécessité de remplacement
rapide du détenteur de la fonction suprême brésilienne : « Le Président gouverne le peuple.
Combien d’épines comporte la fonction de Président ? La fonction du Président est très
épineuse. Le Président se sacrifie beaucoup pour le peuple. C’est pour ça que le peuple ne doit
jamais laisser le Président se sacrifier plus de cinq ans 224. » Il prévenait les autorités
récemment installées au pouvoir que la partie n’était pas encore complètement gagnée,
qu’elles devraient affronter bon nombre d’obstacles et l’opposition de la population
brésilienne. Le second fascicule publié dans le septième numéro de Pif-Paf, « béni par le
clergé, approuvé par le gouvernement et à juste titre confisqué par la police 225 », mit en
lumière les tensions internes à l’appareil du pouvoir en proposant une définition du poste de
gouverneur des États fédérés : « Un gouverneur n'est pas président. Un gouverneur veut être le
président. Qu'est-ce que fait le gouverneur ? Il gouverne ? Non, un gouverneur combat le
président. C'est donc faux d'appeler gouverneur le gouverneur. Le gouverneur doit être appelé
un combattant226. »
224 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11.
225 Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 19.
226 Idem.
106
FIG 8 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 19
La description du luxueux palais présidentiel de l’Alvorada avec vue sur le coucher du soleil et
l'architecture de l’administration fédérale caractéristique de la ville de Brasília, redoublait de
doubles sens et de calembours : « Le Palais de l'Aurore est le lieu où ils déposent le président.
C’est un très joli palais avec beaucoup de verre plat du Dr. Sebastião Pais de Almeida. Là au
loin, apparaissent le soleil et le Congrès. Le soleil est là-bas pour l'aurore. Et le Congrès ? Il
n'est là pour rien, comme toujours. Toutes les heures, dans le palais, les soldats sonnent le
réveil [l’aurore]227. » Sous ses airs faussement naïfs et extrêmement descriptifs, Millôr
Fernandes s’attaquait directement à la militarisation des institutions et des lieux du pouvoir
brésiliens, comme lorsqu’il associa le dessin d'un char à chenilles conduit par un soldat à une
urne électorale ou dessina la violence politique au sein du Congrès national.
La figure du militaire lui permit également dans ces faux abécédaires de proposer sa
vision du contexte international largement marqué par la guerre froide et la soumission du
Brésil aux intérêts nord-américains : « Un général est un soldat du peuple. Le général de
gauche est américain. Le général de droite est russe. Le général américain souhaite le bien du
peuple américain. Le général russe souhaite le bonheur du peuple russe. Ceci est ce que l'on
appelle la Guerre froide228. » Les deux personnages jouaient au badminton avec un missile,
comme pour souligner le décalage entre l’inconscience des dirigeants politiques et les risques
réellement encourus par les populations sur l’ensemble de la planète.
227 Idem.
228 Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11.
107
FIG 9 : « Cartilha para o povo » in Pif-Paf, n°1, 21/05/1964, p. 11
II. Une satire de la société brésilienne
a) Quelles assignations de la femme ?
Interrogé en 1989 par le journaliste Ruy Castro dans l'émission « Roda Viva » de la
chaîne TV Cultura de São Paulo, Millôr Fernandes manifesta ouvertement son mépris envers
les féministes :
« Je ne sais pas, mais ça peut même être une coïncidence. Toutes les femmes que
j'ai connu étaient des femmes avec une capacité de survie supérieure à la mienne. Si
demain une bombe atomique explose, ou une catastrophe, ou une crise, n'importe
quoi qui te fait revenir à la réalité fondamentale, toutes les femmes de mon
entourage étaient bien supérieures à moi, définitivement. Et je ne suis pas en train
de faire l'éloge des femmes présentes ici. Regardez, parmi les femmes puissantes
intellectuellement, les femmes puissantes du point de vue de la survie, les femmes
avec une capacité de personnalité propre, je ne me souviens d'aucune qui ait été
féministe229. »
229 TV CULTURA, « Roda Viva », São Paulo, 03/04/1989, 1'11''08 [en ligne : https://www.youtube.com/watch?
v=A7tNSWjN0H8] (consulté le 27/07/2018).
108
Ces propos témoignaient de l’un des traits majeurs de l’œuvre et de l’humour d’un
intellectuel dont les propos, les écrits et les dessins contribuèrent à leur mesure à la
perpétuation au sein de la société brésilienne de diverses formes de la domination masculine
analysée par Bourdieu230. Ainsi, Millôr Fernandes alimentait un discours verbal et visuel de
légitimation de la supériorité des hommes en essentialisant les femmes, prisonnières
d'attitudes, d'activités et d'images censément féminines. Sa misogynie imprégna maintes
réflexions, principalement lorsqu’il tentait d’analyser les évolutions des comportements
caractéristiques des années 1960 et 1970. En ce sens, une continuité de ce type d'humour se
dessina entre les rédactions de Pif-Paf et de l’hebdomadaire satirique Pasquim né en 1969.
Parallèlement à un profond dédain ressenti pour les personnes engagées en faveur de
l'émancipation des femmes, les travaux de Millôr Fernandes attestaient paradoxalement une
critique, toute relative, du sexisme attribué à la religion catholique. En parodiant la parole
divine dans « La véritable histoire du paradis231 », il avait déjà mis en lumière l'hypocrisie des
péchés attribués au genre féminin :
« Les dieux, mes descendants ; les prophètes, mes relations publiques ; les
législateurs, mes avocats, t'interdiront sous prétexte de luxure, d'adultère, de crime
et d'attentat à la pudeur ! Mais eux-mêmes ne résisteront pas et pleureront comme
des saints après avoir péché avec toi ; comme des hérétiques après avoir, dans tes
bras, renié leurs propres croyances ; comme des traîtres après avoir modifié la Loi
pour te servir232. »
À cette occasion, l’écrivain poussa le blasphème jusqu'à insinuer que Dieu lui-même
avait succombé aux charmes de sa création féminine :
« Donne-moi un baiser et vas-y. Hmmmm, je ne pensais pas que ça serait aussi bon.
Hmmmm, formidable ! Vas-y, vas-y. Ce n'est pas moi que tu dois tenter, jeune fille.
[…] (Note importante : ce discours du Tout-Puissant est révélé pour la première fois
de tous les temps ici dans cette revue. Il n'a jamais été divulgué avant. Pas même
par son organe officiel, LA BIBLE.) »
230 Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
231 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 64-73.
232 Millôr FERNANDES, « Esta é, realmente, a verdadeira história do paraiso » in O Cruzeiro, n°52, 35ème année,
05/10/1963, p. 71.
109
Au fil des pages de Pif-Paf, il apparut clairement que Millôr Fernandes et ses
collaborateurs critiquaient les interdits et la morale prohibant la nudité et le charme, sans
jamais remettre en question le statut d'infériorité des femmes dans la société. En ce sens, les
dessins et montages photographiques publiés contribuèrent à la diffusion de représentations
stéréotypées consolidant la domination masculine dans la société brésilienne et constituant
d'importants véhicules de l'anti-féminisme au sein d'un lectorat principalement masculin, de
gauche, blanc et intellectualisé.
La
vie conjugale devint sous le crayon de Millôr Fernandes une « guerre éternelle entre
mari et femme233 », chacun redoublant de créativité afin d'irriter l'autre le plus possible, dans
une bande dessinée renforçant largement les stéréotypes de genre. Pour énerver sa compagne,
l'homme faisait écouter à ses comparses une conversation entre sa femme et les amies de celleci, perdait l'argent du foyer au jeu, forçait son épouse à laver la lessive à la main, posait un
portrait de sa secrétaire sur la table de nuit ou détruisait le corset permettant à sa conjointe de
paraître plus mince. En d'autres termes, il cherchait à l'humilier, à porter atteinte à l'estime
qu'elle aurait pu nourrir d'elle-même. De son côté, la femme cachait le dentier de son mari,
découpait son journal, invitait sa mère à la maison, brûlait les habits masculins au fer à
repasser et finissait par empoisonner son mari au cyanure. Elle utilisait des armes vicieuses ou
lâches typiquement attribuées au genre féminin. Dans le numéro précédent, le dessinateur
Jaguar avait déjà caricaturé la femme adultère, prise en flagrant délit avec son amant dans le lit
conjugal234. La charge à l’intensité narrative caractéristique du dessinateur semblait justifier le
crime imminent bientôt commis à la hache par le mari trompé :
233 Millôr FERNANDES, « A eterna guerra Marido X Mulher » in Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 18-19.
234 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15.
110
FIG 10 – Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15
Déclinant la même thématique, Millôr Fernandes publia la série de dessins légendés « Les
mille symptômes qui indiquent que les femmes nous trahissent235 » qui instaura avec l’emploi
de la première personne du pluriel une relation d'amère complicité entre lui et le lectorat
masculin. Il s'agissait d'aider à décrypter dans les comportements féminins les signes indiquant
une relation extra-conjugale : à de nombreuses reprises, la femme était dessinée menteuse,
intéressée, manipulatrice. Une double page publiée dans le troisième numéro de Pif-Paf
renforça également cette vision fondée sur la traîtrise et le mensonge en figurant littéralement
et graphiquement l’idée reçue de la femme pleine de promesses charnelles, mais simple
illusion se dérobant face aux volontés masculines. La silhouette féminine, allongée et
sensuelle, était représentée par de gros points noirs et blancs rendant la vision impossible de
près. Le titre « Toi qui n'a jamais vu une femme de près » interpellait le lecteur et la légende
inscrite en toutes petites lettres prenait le relais afin d’expliquer les raisons d'une telle
disparition : « tu veux justement une exception à cette situation ? Regarde-la de loin, à au
235 Millôr FERNANDES, « Os mil sintomas das mulheres nos traírem » in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 18 ; Pif-Paf, n°6,
27/07/1964, p. 13 ; Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 13.
111
moins six mètres de distance. Oui, parce que quand tu te rapproches d'une femme elle
disparaît236. »
Épouse acariâtre ou beauté inaccessible, la figure féminine était également hyper
sexualisée, exposée, voire prostituée237. Elle se confondait avec la représentation iconique de la
ville de Rio de Janeiro dans une double page de Santiago238, sa poitrine et son bassin formant
les deux collines du Pain de sucre. Ce dessin reprenait à son compte une représentation
classique très répandue de la femme brésilienne à l'étranger, lascive, dénudée et offerte, prête à
être conquise.
FIG 11 : Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 18-19
La section « Cara e Coroa » du quatrième numéro239 opposa par ailleurs délibérément, telles
deux faces de la même pièce de monnaie, la femme autoritaire aux cheveux attachés, lunettes
sur le nez et vêtue d'un tailleur à carreaux et la femme séduisante et dévêtue. La légende des
deux photographies insistait sur l'importance capitale de l'apparence physique féminine :
« Une femme dépend beaucoup... /… de comment elle se présente 240 ». La rubrique
236 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 4-5.
237 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 15.
238 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 18-19.
239 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 15-16.
240 Idem.
112
« Stripif/tease » assemblait des clichés érotiques à la manière d'un roman photo et contribua
dans cinq numéros de Pif-Paf à diffuser la vision d'une femme réifiée sous le regard du lecteur,
censé choisir la gagnante du concours de strip-tease : « la fille la plus Paf de l'année ». Dans le
même registre, cette fois dessinées par Eugênio Hirsch, les « alphabètes » Anabela et Baby
étaient deux créatures féminines très pulpeuses progressivement dénudées en quatre images.
L’enfouissement des visages sous des cascades de cheveux accentuait la déshumanisation
entamée. Ici, le lien à l'alphabet n'était ni l'érudition ni la pratique de l'écriture, mais
simplement la première lettre du prénom de chaque créature féminine. Dans le cinquième
numéro, le corps d'une femme photographiée en monokini devint même un espace d'annonce
publicitaire, sa poitrine étant affublée de deux cercles blancs libres pour y afficher la réclame
d’un produit241.
FIG 12 : Femme monokini in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 4
Le pifini, une amélioration du monokini inventée par la rédaction, servit de prétexte à la
publication de la photographie d'une femme nue de dos, assise sur ses talons aiguilles, sur
laquelle était inséré le dessin d'une sorte d'énorme soutien-gorge recouvrant ses fesses.
La sexualisation assumée des corps féminins prit une connotation raciste lorsque PifPaf publia la photographie d'une jeune femme noire portant une robe blanche aux fines
241 Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 4.
113
bretelles qui découvrait sa poitrine accompagnée du commentaire : « Flagrant délit qui prouve
définitivement que le nouveau type de maillot révolutionnaire n'est le privilège d'aucune
classe. On voit ici, par exemple, notre spécialiste en cuisine exhibant son splendide 'topless'
sur le sable de la praia do Pinto242 ». Le terme « pinto » désigne à la fois un petit poussin et
l'organe sexuel masculin dans le langage informel. On peut donc traduire la fin de la phrase
par « la plage du pénis ». Cela dit, la Praia do Pinto était également une favela située dans les
très riches quartiers de Leblon et Ipanema, incendiée en 1969 et détruite par le gouvernement
militaire243. L'association de la jeune femme noire à une catégorie sociale inférieure et un statut
d'employée domestique ainsi que les connotations sexuelles du texte et de l'image traduisaient
le sexisme et le racisme de la rédaction. Un dessin publicitaire faisant la promotion de la
Banque Nationale du Minas Gerais publié dans le septième numéro de Pif-Paf confirma par
ailleurs une grande tolérance envers les représentations extrêmement stéréotypées du sauvage
noir, responsable de la capture d'un aventurier blanc sauvé de justesse par un fonctionnaire de
la banque venu payer une rançon et indiquant à quel point il se préoccupait du bien être de ses
clients.
FIG 13 : Dessin publicitaire in Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 8
242 Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 23.
243 La destruction de la Praia do Pinto eut lieu dans le cadre du programme d'élimination des favelas organisé
entre 1968 et 1973 par la Coordination d'habitat d'intérêt social de la zone métropolitaine (Coordenação de
Habitação de Interesse Social da Área Metropolitana CHISAM) dépendant du gouvernement fédéral. Le
projet avait pour objectif l'éloignement des zones de pauvreté et le relogement des populations vers les zones
nord et ouest de la ville de Rio de Janeiro, dans de nouveaux ensembles urbains tels que la Cidade de Deus
ou la Cidade Alta. Voir : Mario Sergio BRUM, « Memórias da remoção : o incêndio da praia do pinto e a
'culpa' do governo » in I Encontro Nacional de História Oral - Memória, Democracia e Justiça, Rio de
Janeiro,
ABHO,
2012
[en
ligne :
http://www.encontro2012.historiaoral.org.br/resources/anais/3/1339790201_ARQUIVO_MemoriasdaRemoc
aoABHO2012.pdf] (consulté le 19/08/2018).
114
Parallèlement à ces représentations de la femme vue à travers la focale érotisante du
désir et du plaisir masculins, Pif-Paf tournait en dérision le conservatisme et le puritanisme
d'origine religieuse. A cet égard, la couverture du quatrième numéro fut significative : le dessin
signé par Jaguar représentait une scène de psychanalyse vue de profil : un homme en costume
allongé sur un divan à côté d'un second personnage masculin assis dans un fauteuil, un carnet
de notes à la main. Le contenu de l'inconscient déposé lors de cette séance, représenté
graphiquement dans une bulle rose immense occupant presque l'intégralité de la page,
comprenait des corps féminins nus enchevêtrés et entassés dans diverses positions. Le dessin
traduit l'assimilation d'interdits ressurgissant massivement dans le cadre de la thérapie. Dans le
même registre, Millôr Fernandes publia un article intitulé « Le sexe que nous avons raté244 »
dans lequel il regrettait la représentation du péché originel dans les textes religieux :
« pourquoi la pomme, probablement le plus insipide des fruits insipides, fut utilisée comme
symbole d'une chose tellement plus savoureuse et succulente ?245 ». Au lecteur avisé capable
de percevoir les différents niveaux de significations, Millôr Fernandes expliquait son refus
d'une sexualité conformiste, simple et sans saveur imposée par la religion catholique, au
détriment d'une multitude d'expériences considérées d'emblée comme impossibles :
« Et en pensant à cela, nous pleurons de frustration en imaginant le sexe que nous
avons raté. Oui, puisque si la pomme si insipide correspond au sexe que nous avons,
vous avez déjà imaginé le sexe que nous aurions si la première dame nous avait
tenté avec un tamarin bien mûr, de ceux qui donnent l'eau à la bouche ?246 »
À travers une série de dessins consacrée aux « grands thèmes bibliques », le
dessinateur Jaguar revisita également à sa manière certains épisodes religieux marquants : la
« justice de Salomon247 », « le péché originel248 », « la tour de Babel249 » et « la pluie de feu de
Sodome250 ». Le deuxième tournait en dérision l'hétéronormalité du couple créé par Dieu en
mettant en scène Adam embrassant langoureusement le serpent enroulé autour de sa taille
244 Millôr FERNANDES, « O sexo que nós perdemos » in Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 7.
245 Idem.
246 Idem.
247 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 16.
248 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 15.
249 Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 16.
250 Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 18.
115
devant une Ève imposante et révoltée, sous-entendant l'existence d'une tentation originelle
déviante.
FIG 14 : « Le péché originel » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 15
Le style extrêmement détaillé et minutieux des grands formats réalisés par Jaguar trouva au
sein du
septième numéro de Pif-Paf un terrain privilégié dans la représentation d'une
gigantesque tour de Babel en construction inspirée de l’œuvre de Pieter Brueghel l'Ancien
datée du XVIème siècle. Au premier plan du dessin de Jaguar, un personnage masculin tentait
d'étouffer une femme se débattant
et criant le mot « non » en six langues différentes.
L'épisode de la construction de la tour relaté dans la Genèse, origine mythique de la dispersion
des peuples et de la création des différentes langues, permit à Jaguar de mettre en lumière avec
ironie l'universalité et l'atemporalité des violences faites aux femmes. Symbole de la
corruption et de l'orgueil humains, l'épisode de la tour de Babel suivi du châtiment divin
sembla renforcer l'idée d'une double peine incombant aux femmes. Le dernier thème biblique
116
revisité par le caricaturiste dans Pif-Paf fut la destruction de la ville de Sodome par une pluie
de feu et de soufre, autre punition infligée par Dieu et citée dans la Genèse. Les interprétations
diffèrent au sujet des crimes commis par les habitants de Sodome, des relations sexuelles entre
hommes à l'inhospitalité et l'agressivité envers les visiteurs. Le récit mythique servit cependant
largement de prétexte à la punition de l'homosexualité par l’Église Catholique. Dans le dessin,
un personnage masculin faisait du chantage sexuel à une jeune fille, souhaitant profiter de la
situation alors que la pluie de boules de feu rouges s'apprêtait à détruire la ville. La lecture de
la scène renvoie également à la critique de l'hypocrisie des textes religieux, dans lesquels les
relations entre hommes sont vivement condamnées, mais au sein desquels le viol et les
relations sexuelles forcées en échange de faveurs sont monnaie courante251.
Ces exemples de productions graphiques humoristiques attestent d'un scepticisme
accru envers les interdits et dogmes religieux de la part des membres de la rédaction qui
s'insurgèrent contre le puritanisme et les tabous sexuels. Mais le cri de liberté et le rejet de la
morale semblaient toujours privilégier les hommes par rapport aux femmes, cantonnées au rôle
d'objets de désir érotisés ou, a contrario, d’arides mégères. Cette mise au point semble
fondamentale dans le cadre d'une analyse critique du combat politique et libertaire mené par la
rédaction de Pif-Paf, ayant largement privilégié certains fronts aux dépens d'autres.
b) La liberté selon Pif-Paf
Malgré les contradictions précédemment évoquées et le caractère sélectif du combat
mené par les dessinateurs du périodique, le thème de la liberté semblait très cher à Millôr
Fernandes. Dans le deuxième numéro, il posa pour la première fois une question par la suite
récurrente : « Mais, en fin de compte, qu'est-ce que la liberté252 ? ». La demi-page comportait
une parodie graphique de la statue de la Liberté new-yorkaise, une ampoule électrique peinte
en noir brandie dans la main droite à la place de la torche enflammée et tenant contre elle en
guise de Table des lois le livre Mein Kampf.
251 Dans la Genèse, Dieu envoie des anges à Sodome afin d'attester de la véracité des crimes dont sont
soupçonnés les habitants. Les anges sont accueillis par le neveu d'Abraham, Loth, qui les héberge et les
protège des avances des hommes de la ville. En échange, Loth propose à ces derniers ses deux filles vierges
pour calmer leurs ardeurs.
252 Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15.
117
FIG 15 : Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? »
in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15
L'ampoule électrique était branchée à une prise située sur le piédestal, le dessin insinuant de
fait que cette brillante liberté ne pouvait tenter d’irradier qu’une fois surélevée, survalorisée.
L'ironie résidant souvent dans les détails chez Millôr Fernandes, notons qu'un chien urinait sur
un angle du même piédestal et qu'en arrière-plan, un homme noir se faisait agresser à la
matraque par un policier en uniforme. Le texte, sceptique, s'interrogeait sur le concept de
liberté et annonçait la publication d'un article conséquent sur le sujet dans le numéro suivant:
« La Liberté est-elle française, belge ou croisée danoise ?
La Liberté est-elle un fait ou une abstraction ?
La Liberté est-elle un produit de l'hallucination collective ?
La Liberté vaut-elle de l'argent ?
L'argent, vaut-il la Liberté ?
Le prix de la Liberté est-il vraiment l'éternelle vigilance ?
Existe-t-il, réellement, la Liberté au Brésil ?
La Statue de la Liberté est-elle un monument ou une blague de mauvais goût ?
Mais, en fin de compte, qu'est-ce que la Liberté ?
118
Ne ratez pas les réponses à toutes ces émouvantes questions dans le prochain
numéro de Pif-Paf dans l'article magistral253. »
Discrètement, entre diverses considérations philosophiques, Millôr Fernandes
questionnait l'existence ou non de libertés individuelles et collectives au Brésil. Ce court texte
servit de prélude à l’ouvrage Liberdade, Liberdade, une pièce de théâtre publiée par Flávio
Rangel et Millôr Fernandes en 1965254 constituée de fragments de nombreux textes et chansons
célèbres consacrés à la liberté. La première du spectacle alliant contestation politique, humour
et musique eut lieu le 21 avril 1965 à Rio de Janeiro, coproduite par le groupe Opinião de Rio
de Janeiro et le Teatro de Arena de São Paulo. Les acteurs qui interprétèrent la pièce étaient
Paulo Autran, Nara Leão, Tereza Rachel et Oduvaldo Vianna Filho. La pièce eut un impact
retentissant malgré les tentatives d’intimidations et de censure. En dépit de son interdiction sur
l’ensemble du territoire en 1966, l’œuvre devint progressivement l’un des symboles de la
culture contestataire sous le régime militaire, diffusant auprès d’un public bien plus large que
le lectorat de Pif-Paf les velléités libertaires et contestataires de Millôr Fernandes.
Un an auparavant, certains indices graphiques disséminés dans Pif-Paf renseignaient
déjà le lecteur sur les restrictions de liberté au Brésil et le troisième numéro indiqua clairement
le point de vue du périodique à cet égard. La quatrième de couverture 255 en couleurs dessinée
par Vilmar réemployait la représentation précédente pour annoncer la publication d'une double
page consacrée à cette thématique. Cette fois, la Liberté éclairant le monde grâce à son
habituelle torche se trouva enchaînée à son socle néoclassique rappelant sur le dessin la tour
d’un château fort. La référence au nom commun « castelo », château en portugais, renvoyait
inévitablement au nom propre du premier président militaire Castelo Branco.
253 Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 15.
119
FIG 16 : Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 24
La liberté enchaînée, au visage fermé et antipathique sous le régime militaire brésilien,
tenait toujours dans sa main gauche le tristement célèbre ouvrage rédigé par Adolf Hitler. La
double page de Millôr Fernandes annoncée en quatrième de couverture jouait en permanence
sur l'analogie entre le fait pour les citoyens de jouir des libertés fondamentales et le monument
symbolisant la Liberté : « Les innombrables lecteurs sont sûrs, pour des raisons immédiates,
du fait que la Liberté n'existe pas, c'est une figure mythologique, pur produit de l'imagination
de l'homme. Mais la Liberté existe ! Non seulement elle existe, mais elle est faite de béton et
d'acier et fait cent mètres de haut256. » L'inexistence de libertés dans la pratique semblait dès
lors compensée par l'existence bien réelle de la statue de Liberty Island. Millôr Fernandes
ironisait justement au sujet de l'insularité du monument : « jusqu'aujourd'hui, la liberté n'est
254 Millôr FERNANDES, Flávio RANGEL, Liberdade, liberdade, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1965.
255 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 24.
256 Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 8.
120
pas rentrée sur le territoire américain257 ». Il proposait ensuite une analyse détaillée – mélange
de considérations historiques, de remarques absurdes et satiriques – de certaines parties de son
dessin de la statue : la tête, le diadème aux sept pointes, le socle et la main gauche. S'inspirant
des paroles de l'hymne de la proclamation de la République 258, Millôr Fernandes évoqua une
liberté brésilienne dotée d'ailes et, à l'instar de son dessin, électrifiée. Le cynisme de la
composition graphique était renforcé par cette allusion à deux types de torture largement
employés, souvent conjointement, dès 1964 au Brésil : la position du « perchoir du perroquet »
ou pau-de-arara et l'imposition de chocs électriques. Sur la partie droite de la seconde page du
dossier, l’auteur proposait une activité ludique et interactive aux lecteurs en incitant ces
derniers à découper leurs objets de prédilection et à les coller sur les mains de la statue. Parmi
les suggestions figuraient notamment un dentier, sous-entendant le grand âge de la Liberté, un
verre de whisky, un acte institutionnel – cynique accessoire à mettre en les mains de la statue –
ainsi qu'un grand choix d'armes : poignard, revolver, matraque de police. Malgré certaines
suggestions moins critiques, à l'instar d'une tasse de café, une brosse à dents ou un parapluie, il
émanait de l'ensemble une vision extrêmement sombre de la liberté à la brésilienne esquissée
par Millôr Fernandes. L'un des accessoires proposés pour chaque main était un sac rempli
d'argent, référence graphique au coût total de la statue de la Liberté :
« Ayant coûté autant d'argent, la Liberté met en échec les certitudes de mes amis de
l'UDN qui affirment, la bouche pleine et grâce à des phrases importées, que « le
Prix de la Liberté est l'éternelle vigilance ». C'est faux. Comme nous venons de le
prouver, la Liberté coûte 800 000 dollars. Ceci, il y a presque un siècle. Parce
qu'actuellement, le Fond Monétaire International estime le prix de notre Liberté à
approximativement 800 millions de dollars259. »
257 Idem.
258En janvier 1890, juste après la proclamation de la République au Brésil, le gouvernement du Maréchal
Deodoro Fonseca organisa un concours pour trouver l'hymne du nouveau régime. La composition écrite par
José Joaquim de Campos da Costa de Medeiros e Albuquerque et mise en musique par Leopoldo Miguez
arriva en tête, mais fut finalement cantonnée au rôle d'hymne de la proclamation de la République, sans
devenir l'hymne national. Le refrain de la chanson est le suivant :
« Liberdade ! Liberdade !
Abre as asas sobre nós
Das lutas na tempestade
Dá que ouçamos tua voz »
Notons que plus de deux décennies après la parution de l'article de Millôr Fernandes, le samba « Liberdade,
Liberdade ! Abre as asas sobre nós » composé pour le carnaval de 1989 par Jurandir, Niltinho Tristeza, Preto
Jóia et Vicentinho, rendait hommage à l'hymne de 1890 à l'occasion du centenaire de la fin du régime
monarchique. La chanson fut immortalisée par la victoire de l'école de samba verte et blanche Imperatriz
Leopoldinense, lauréate pour la troisième fois en 1989 du carnaval de Rio de Janeiro.
259 Millôr FERNANDES, « Mas, afinal o que é a liberdade ? » in Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 8.
121
Critiquant l'élite politique brésilienne membre de l'Union démocratique nationale
(UDN) qui apporta un soutien majeur au coup d’État, friande de beaux discours et de citations
grandioses à l'instar de celle attribuée à Thomas Jefferson, Fernandes ironisait au sujet de la
souveraineté de son pays réduite à un tarif fixé par le FMI.
C'est en usant ainsi en permanence de passerelles à double sens entre humour
graphique, sens littéral des phrases et second niveau de lecture, que Millôr Fernandes parvint à
interroger la permanence des libertés fondamentales au Brésil, quelques mois après le coup
d’État. Chaque détail graphique, chaque élément caricatural apportait une suggestion, un
argument, un doute supplémentaire, interférant ainsi dans l'interprétation du texte. Ce
processus était monnaie courante dans Pif-Paf : dans le quatrième exemplaire, les
« aventuriers de canapé260 » furent pris pour cibles et leur illusion de liberté, critiquée. Sous le
crayon de Claudius, ce fut un hymne à la liberté d'un autre genre et sous la forme d'une bande
dessinée en quatre étapes et en couleurs qui prit corps dans le sixième numéro 261. Un lion était
incité par son dompteur à passer à l'intérieur du cerceau qu'il tenait du bout de son bras
gauche. L'animal fouetté opérait dans la dernière image un renversement de la hiérarchie
transparaissant dans l'ensemble de la scène : il s'élançait et avalait le dompteur, laissant
dépasser de sa gueule le bras tendu et le cerceau. Le style simpliste, l'absence de paroles,
l’enchaînement des mouvements et la clarté de la situation accentuaient l'expression
d'incrédulité du lion à la fin du dessin, à qui il suffit d'un saut pour modifier sa destinée et
mettre à mal l'autorité et la tyrannie, comme par accident. Derrière cette incitation à l'envol, il
s’agissait bien d’une dénonciation de l'autoritarisme et de ses diverses facettes irradiant dans la
société.
260 Millôr FERNANDES, « Aventureiros de Poltrona » in Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 18-19.
261 Pif-Paf, n°6, 27/071964, p. 24.
122
FIG 17 : Charge de Claudius in Pif-Paf, n°6, 27/071964, p. 24
c) Portraits critiques de la société brésilienne sous le régime militaire
Les huit numéros de Pif-Paf servirent également de support à une vive critique de la
société brésilienne soutenant les valeurs et les pratiques défendues par le nouveau régime ou
du moins s’en accommodant aisément. La délation prit l'apparence concrète de son symbole le
plus direct, l'index accusateur, dans le quatrième numéro du périodique 262. La page intitulée
« Wilmar e o dedo duro » mettait en scène un personnage accompagné d'une gigantesque main
à l’index pointé. Le terme « dedo-duro », littéralement « doigt dur », désigne en portugais du
Brésil une personne qui dénonce, raconte et rapporte les actes ou comportements de tierces
personnes. Le dessinateur Vilmar Rodrigues, dit Vilmar, prit au pied de la lettre l'expression
imagée en jouant avec les ressorts comiques de l'index tendu et l'absurde des situations dans
lesquelles se retrouvait son personnage Wilmar, en bleu de travail et casquette, armé d'une
échelle et d'un marteau. Ainsi, l'index monumental était ignoré par l'ouvrier lorsqu'il désignait
un trou d'égout dans lequel le protagoniste s'apprêtait à tomber. Fatigué de porter l'objet
massif, Wilmar le posait au sol alors qu'une foule de badauds suivait du regard la direction
pointée par l'index. Après diverses péripéties, Wilmar coinçait sa propre main droite dans
l'interstice entre le pouce et l'index de la statue et préférait, finalement, repartir sans le dedo-
262 WILMAR, « Wilmar e o dedo duro » in Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 4.
123
duro. Cette bande dessinée trouvait un écho dans le huitième et dernier numéro de Pif-Paf au
sein duquel le dessinateur Santiago déclina sous seize formes différentes l' « Indicador
professional263 ». Le titre mit en avant le double sens du mot « indicador », nom du deuxième
doigt de la main, mais également adjectif désignant quelque chose ou quelqu'un qui fournit
une indication. La double page multipliait les dessins d'index en fonction de leur appartenance
à divers secteurs professionnels : le doigt entouré d'un pansement se référait à l'hôpital, le trait
devenait abstrait à la manière du Musée d'art moderne, la main fripée et les veines apparentes
se référaient à la maison de retraite... Dès lors, Santiago insistait sur l'omniprésence de la
délation dans tous les secteurs de la société brésilienne. Il distilla sa critique au travers de
détails graphiques, comme l'encre appliquée sur l'index sorti de l'Institut d'identification Felix
Pacheco, organe dépendant du gouvernement de l’État de Rio de Janeiro spécialisé dans la
reconnaissance d'empreintes digitales et lié à la police civile. De même, la créature animale
sortant du Jardin zoologique dotée d'une main poilue aux doigts opposables ne pouvait être
qu'un primate, allusion à la figure du gorille devenue le symbole des forces militaires ou
d'extrême-droite.
Corollaires de la délation qui en fut l'une des conséquences, la peur de l'ennemi interne
et l'anticommunisme répandus dans la société brésilienne en 1964 furent largement moqués
par les dessinateurs. Une parodie d'annonce publicitaire proposa dans le sixième numéro de
Pif-Paf la « boussole anti-coco » inspirée d'une ancienne gravure à vocation scientifique :
FIG 18 : « Bússola Anticomuna » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 16
263 SANTIAGO, « Indicador Professional » in Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 10-11.
124
La fausse réclame était accompagnée du texte suivant :
« La plus grande merveille de tous les temps.
Fonctionne de tous les côtés.
Dénonce la présence de communistes même dans les fêtes religieuses.
Il suffit de regarder dans l'objectif et vous verrez l'image du crime.
Il suffit de voir quelle direction indique l'aiguille, indiquer la lettre C sur le cadran
et appeler le DOPS.
Chaque communiste détenu vous coûtera moins de cinquante cruzeiros.
Pliable, elle tient dans la poche de la montre264. »
La scène rappelait le style des gravures datant du XIXe siècle représentant les débuts de
la photométrie au XVIIe siècle. La chasse aux communistes devint donc, entre image et texte,
le fruit de l'action conjointe et volontaire de l'Homme et de la machine, symbole de modernité
et de progrès. L'étroite connexion du dispositif avec le DOPS vantée en légende achevait de
parfaire le dispositif afin de rendre la dénonciation la plus aisée possible. La boussole anticommuniste se transforma en symbole absurde du sentiment de péril imminent ressenti par une
importante frange de la société brésilienne, dès l'ascension de Goulart au pouvoir à la suite du
renoncement de Jânio Quadros. Si l'anticommunisme ne datait pas des années 1960 au Brésil,
il fut caractérisé durant la première moitié de la décennie par une exacerbation grandissante et
diverses manifestations265. Pif-Paf s'en prenait également dès 1964 à l'hypocrisie régnant au
sein de la majorité des périodiques de son époque dans une page intitulée, en anglais dans le
texte, « How To Read a Newspaper266 ». La rubrique se proposait de déchiffrer les messages
réels se cachant derrière les euphémismes employés par la presse : « Collaborant à l'éclairage
des lecteurs non avisés, Pif-Paf enseigne comment on doit lire les titres d'un journal267 ».
L'image composée par Claudius mettait en scène un personnage lisant un journal au format
traditionnel grand ouvert, dont la couverture et la quatrième de couverture regroupaient de
264 « Bússola Anticomuna » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 16.
265 L'historien Rodrigo Patto Sá Motta analyse très justement le contexte historique, les mécanismes et les
pratiques de l'anticommunisme brésilien dans sa thèse doctorale soutenue en 2000 à São Paulo : « Em guarda
contra o perigo vermelho : o anticomunismo no Brasil (1917-1964) ». Voir notamment, au sujet de la période
qui nous occupe, le huitième chapitre : Rodrigo Patto Sá MOTTA, « O segundo grande surto anticomunista :
1961-1964 » in Rodrigo Patto Sá MOTTA, « Em guarda contra o perigo vermelho : o anticomunismo no Brasil
(1917-1964) », Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Suely Robles Reis de Queiroz, São Paulo,
Université de São Paulo, 2000, p. 286-341.
266 « How To Read a Newspaper » in Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 9.
267 Idem.
125
nombreuses coupures de presse. Le collage renforçait la sensation d'un déchiffrage nécessaire,
face à l'absence de sens d'un ensemble extrêmement disparate et difficilement compréhensible.
La page incitait le lecteur à rester vigilant quant aux effets d'annonce des périodiques
majoritaires et lui enseignait à lire entre les lignes, déjouant ainsi euphémismes, atténuations et
hypocrisie.
Mais la rédaction sembla également revendiquer avec humour, malgré les
circonstances politiques, la poursuite de la vie quotidienne à Rio de Janeiro. A cet égard, dix
caricatures signées par Jaguar268 et publiées dans le dernier numéro de Pif-Paf s'avèrent
emblématiques : elles s'attaquaient frontalement aux mesures de circulation routière prises par
Francisco Americo Fontenelle. Explicitement intitulé « Jaguar et le Colonel Fontenelle ou le
nazisme revisité », l'ensemble composé d'un texte et de dix dessins traitait avec cynisme des
conséquences jugées désastreuses de l’œuvre de Fontenelle qui occupa diverses fonctions
publiques dans l’État de Guanabara entre 1961 et 1965, dont celle de coordinateur des
transports. Le militaire, source de la « plus féroce mauvaise humeur jamais apparue dans la
région de Guanabara269 », fut à l'origine de modifications de la circulation routière dans la ville
de Rio de Janeiro ayant entraîné d'importants embouteillages. Il avait pour habitude polémique
de crever les pneus des véhicules mal stationnés. L'augmentation du temps passé dans les
embouteillages était graphiquement représentée par la perplexité d'un agent de la circulation
devant une toile d'araignée ou par un conducteur qui sortait son journal et se faisait cirer les
chaussures, alors que tous ses voisins cédaient aux sirènes de l'irritation et de l’agressivité dans
leur voiture respective. Jaguar ironisa au sujet des modifications de sens de la circulation,
sources de désorientation pour les conducteurs. Fontenelle lui-même se plaignit sur un dessin
de la réussite de certains changements de sens de circulation, Jaguar insinuant ainsi le
caractère intentionnel de tous les désagréments. L'augmentation des files d'attente trouva un
écho dans une autre caricature, représentation de l'arrêt de bus reliant la zone du Castelo, au
centre de la ville de Rio de Janeiro, et Copacabana, quartier aisé de la zone sud. Le colonel
Fontenelle fut nommé en février 1967 directeur du département de circulation de l’État de São
Paulo et mit en place très rapidement d'importantes mesures, drastiques et radicales, similaires
à celles prises à Rio de Janeiro. De nouveau, la nomination par le gouverneur Abreu Sodré du
268 « Jaguar e o Coronel Fontenelle ou o Nazismo Revisitado » in Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 4-5.
269 « Jaguar e o Coronel Fontenelle ou o Nazismo Revisitado » in Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 4.
126
colonel Fontenelle et les actions menées pour améliorer la circulation routière furent vivement
vilipendées270.
Ces caricatures de Jaguar critiquaient l’œuvre de Fontenelle à cause de ses
conséquences désastreuses pour les cariocas, mais également parce qu'elle écorna l'image
sensuelle et charmante d'une ville de Rio de Janeiro associée à la figure féminine et adulée par
la rédaction271. La même logique prédominait dans le dossier « Visitez Copacabana272 » signé
par Roland dans le sixième numéro de Pif-Paf : le sous-titre « Six kilomètres ininterrompus
de bruit et de saleté273 » donna le ton du dessin uniquement coloré par le jaune du sable.
FIG 19 : La plage vue par Roland in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 9
La plage bondée à l'apparence chaotique devenait terrain de jeu pour certains, lieu de travail
pour d'autres. Les déchets jonchant le sol et les corps disgracieux s'y entassaient dans une
représentation aux antipodes de la plage dessinée dans le même exemplaire de Pif-Paf par
Ziraldo, lieu de la convoitise masculine de rares corps féminins sensualisés.
270 Voir notamment : « Na Tribuna. Repercussão entre os deputados a respeito do diretor de trânsito » in
Informativo da Divisão do Acervo Histórico, ano II, n°6, avril/mai 2016, p. 8-12 [en ligne :
https://www.al.sp.gov.br/acervo-historico/publicacoes/Informativos/informativo_0006.pdf]
(consulté
le
29/08/2018).
271 Au sujet des représentations de la ville de Rio de Janeiro, voir l'ouvrage : Armelle ENDERS, Histoire de Rio de
Janeiro, Paris, Fayard, 2000. Abondamment illustré, il retrace les différentes phases de l'urbanisation de la
ville et analyse, en décryptant leur construction d'un point de vue historique, de très nombreuses
représentations symboliques, culturelles et politiques qui lui sont attachées.
Voir également, à propos des représentations cartographiques de la ville au début du XXe siècle : Paulo
KNAUSS, « Imagem do espaço, imagem da história. A representação espacial da cidade do Rio de Janeiro » in
Tempo, n°3, vol. 2, 1997, p. 135-148.
272 ROLAND, « Visite Copacabana » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 8-9.
273 ROLAND, « Visite Copacabana » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 9.
127
Diverses versions de la ville de Rio de Janeiro se côtoyaient ainsi au fil des pages de
Pif-Paf : ville rêvée, mythifiée, fantasmée, elle apparut également chaotique et corrompue, en
pleine décadence au tout début du régime militaire. Elle se transforma en métaphore du
pouvoir politique dans le périodique qui mit en place, au sein des huit numéros publiés entre
mai et août 1964, des mécanismes textuels et graphiques au service de la dénonciation des
incompétences, des vices et des travers des détenteurs de la puissance publique. L'arbitraire,
l'ignorance, la brutalité et l'absurde furent pointés du crayon et Pif-Paf s'amusa avec la
représentation des plus hautes autorités militaires.
III. Désacralisation du pouvoir dans les pages de Pif-Paf
a) Le Jeu de la démocratie : une mise en scène politique
Dès son deuxième numéro paru au début du mois de juin 1964274, Pif-Paf défia le péril
autoritaire et l'ensemble du système politique brésilien. La couverture et la quatrième de
couverture du numéro représentaient, à la manière du jeu de l'oie 275, le plateau du « Jeu de la
Démocratie276 » conçu par l'ensemble de la rédaction et dessiné par Ziraldo. Quelques
consignes étaient destinées à orienter le lecteur-joueur à gauche du plateau de jeu :
« Dans ce numéro de Pif-Paf, le Jeu de la Démocratie est présenté pour la première
fois complètement institutionnalisé.
Ce Jeu de la Démocratie est un jeu éminemment national. Il n'y a de Jeu de la
Démocratie égal à celui-ci dans aucun autre pays.
N'importe quel citoyen peut entrer dans le Jeu de la Démocratie. Il suffit pour cela
de fabriquer le dé que nous offrons ci-dessus, après l'avoir soigneusement collé sur
du carton fin. Si la personne intéressée par le Jeu de la Démocratie veut davantage
de partenaires, il suffit d'acheter plus d'exemplaires et de faire autant de dés qu'il y a
274 La date précise de publication du deuxième numéro n'est pas indiquée, mais elle est aisément imaginable en
tenant compte de la périodicité bimensuelle de Pif-Paf.
275 Au Brésil, l'adaptation du jeu de l'oie prend le nom de « Jogo do Tatu Brasilis ». Les joueurs doivent faire
arriver leur pion, un tatou, au centre du plateau à la forme caractéristique de spirale en escargot, en évitant les
obstacles et les embûches.
276 « O Jogo da Democracia » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1 et 24.
128
de partenaires. (En général, les personnes qui entrent dans le Jeu de la Démocratie
préfèrent jouer seules)277. »
L'ironie du texte accentuait le caractère exceptionnel de la situation politique
brésilienne, a priori incomparable. Les explications de la rédaction mêlaient des considérations
didactiques liées au bon déroulement du jeu et une critique du carriérisme égoïste des
personnalités politiques. Cette double page misa en outre sur la complicité avec des lecteurs
censés être capables de percer les mystères des doubles sens disséminés sur le plateau de jeu
aux apparences de distraction populaire. Un avertissement prémonitoire, mis en avant par une
typographie différenciée en italique, complétait les instructions et mettait en garde contre la
précarité des libertés encore existantes en juin 1964 : « Jouez aujourd'hui ! Jouez maintenant !
Le jeu de la démocratie peut être interdit à tout moment !278 » La première case du jeu associa
délibérément sous forme de réclame publicitaire l'achat du journal à la militance en faveur de
la démocratie. La page suivante présentait l'idée directrice et les règles basiques du
divertissement. De la création de la démocratie grecque, comparée à une distraction, à la forme
brésilienne et contemporaine du régime politique, il n'y avait qu'un pas franchi en quelques
lignes :
« Le jeu, comme le savent tous les lecteurs (exceptés les fascistes, les communistes,
les socialistes, les équilibristes et les pickpockets), consiste sous sa forme
brésilienne en l'arrivée d'une personne au palais de l'Aurore. Pour cela, cependant,
on ne suit pas la logique qui voudrait que l'on tente d'y arriver par le chemin le plus
court et le mieux pavé. L'important, que ce soit clair, n'est pas tant d'y arriver, mais
plutôt d'empêcher que quelqu'un y arrive279. »
Les références à la situation contemporaine du pays abondaient, notamment dans la
deuxième règle énumérant les pré-requis nécessaires à la participation : « Chaque joueur doit
venir accompagné d'au moins cent mille votes. Ou cent mille cruzeiros. Ou un journal. Ou une
division blindée280 ». Dans la pratique et d'après un premier niveau de lecture, l'acquisition
d'un journal suffisait effectivement aux joueurs anonymes non fortunés pour participer : PifPaf. Un second niveau d'interprétation dévoilait une féroce critique du haut personnel politique
277 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 24.
278 Idem.
279 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 2.
280 Idem.
129
brésilien arrivé en poste soit grâce à ses relations et à la pratique du clientélisme, soit grâce à
sa fortune personnelle et la pratique de la corruption, soit grâce à ses accointances avec la
grande presse majoritaire ou bien, plus simplement, grâce à l'usage de la force et son
appartenance à la sphère militaire. La rédaction, cynique, prévenait les participants de
l'importance de la loyauté dans la pratique du Jeu de la Démocratie : « Si l'un des joueurs
désobéit aux règles, et gagne illégalement, le Jeu devient le Jeu de la Dictature 281. » Elle
insistait également sur la polarisation accrue de la vie politique nationale entre gauche et droite
et dénonçait, en creux, la tendance à l'uniformisation et à la suppression des partis politiques :
« les joueurs peuvent jouer en équipes appelées Équipe de droite et Équipe de Gauche. Plus de
deux équipes, c'est le chaos282. » Une allégorie ludique et loufoque de la démocratie à la
brésilienne prenait finalement corps, corrompue, instable, injuste et élitiste, mais qui semblait
aux rédacteurs et dessinateurs de Pif-Paf tout de même préférable à son absence totale :
« Même au Brésil, pendant de nombreuses années, à différentes époques, le Jeu était seulement toléré
de manière clandestine. C'est pour cela que nous le répétons : jouez au Jeu de la Démocratie
aujourd'hui même. Demain il sera peut-être trop tard 283. »
FIG 20 : « O jogo da democracia » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1 et p. 24
281 Idem.
282 Idem.
283 Idem.
130
Le plateau de jeu très coloré s'étendait sur la couverture et la quatrième de couverture.
Il comportait soixante-cinq cases, soit deux cases supplémentaires par rapport au jeu de l'oie.
Disposées en spirale et presque toutes illustrées, ces cases représentaient littéralement la
sphère politique brésilienne, tournant en dérision les événements précédant le coup d’État de
1964, l'instauration d'un climat de suspicion permanente et la répression physique. La logique
du jeu était assez simple : certaines cases néfastes pénalisaient le joueur, d'autres au contraire
favorisaient la personne s’y trouvant. Le dessin tissait un ensemble de références à des
événements, des personnalités politiques ou des lieux emblématiques du soutien ou de
l'opposition au régime militaire.
Une première partie des cases remplissait une fonction éliminatoire justifiée par la
rencontre du joueur avec des acteurs politiques indésirables pour les dirigeants du nouveau
régime. Ainsi, il était indiqué à la huitième case « Rejoins Badger et...sors du jeu284 » en
référence à Badger Teixeira da Silveira, gouverneur de l’État de Rio de Janeiro en 1962,
fervent soutien de João Goulart, des réformes de base et des campagnes d'alphabétisation.
L’homme politique vit ses droits civils suspendus en avril 1964. Dix cases plus loin, le joueur
risquait l’élimination à cause d'une entrevue avec l'ancien gouverneur de l’État de Rio Grande
do Sul, député fédéral de l'État de Guanabara et opposant au régime militaire même depuis son
exil en Uruguay dès le mois de mai 1964, Leonel Brizola. La délation faisait à cette occasion
son entrée dans la partie puisque la terrible faute du joueur semblait être le fait de ne pas avoir
informé la police politique de cette entrevue : « Tu rencontres Brizola sans prévenir le DOPS.
Sors du jeu285 ». Trois cases plus loin, en revanche, la rencontre était identique, mais l'issue
différente : « Rencontre de nouveau Brizola et préviens le DOPS. Tu continues le jeu286 ».
Enfin, à la cinquante-cinquième case du jeu, c’était en compagnie de l'ancien président Jânio
Quadros qui succéda à Juscelino Kubitschek en 1960 et dont le vice-président était João
Goulart, que le participant perdait la partie. Adhemar Pereira de Barros, opposant historique de
Jânio Quadros lorsqu'il était l'une des personnalités majeures de la vie politique locale de São
Paulo, était également dessiné sur les cases cinq et cinquante-trois agenouillé en posture de
prière ainsi qu’à la dix-septième vignette un chapelet à la main. Il était reconnaissable à son
nez très proéminent et à sa coiffure caractéristique. Personnage ambigu, homme politique de
premier plan accusé à plusieurs reprises de corruption, notamment connu pour le slogan
284 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1.
285 Idem.
286 Idem.
131
électoral « Rouba, mas faz287 », il apporta son soutien à l'arrivée à la présidence de Goulart en
1961, mais participa par la suite à l'organisation du coup d’État de 1964. Il soutint le régime
durant ses deux premières années avant de voir à son tour ses droits politiques suspendus en
1966. Le personnage se situait du côté des cases néfastes pour le joueur, puisqu'il était
successivement la cause d'un retour au début du jeu, de deux tours passés sans jouer et
finalement d'une avancée en case cinquante-huit, fatale.
Outre ces personnalités politiques, certains lieux et événements emblématiques de
l'opposition au coup d’État et au régime militaire étaient également les prétextes de l'éviction
ou de la pénalisation des joueurs. La treizième case fut associée à une date emblématique
impliquant le repli du participant : « 13 mars. Attention avec ce numéro. Recule de cinq
cases288 ». Le 13 mars 1964, le président João Goulart organisa un immense rassemblement
devant la gare centrale de la ville de Rio de Janeiro. Ce fut au cours de cet événement
historique, le Comice des réformes289, qu'il annonça la nationalisation de toutes les raffineries
de pétrole et de nombreuses mesures liées à la réforme agraire. Il s'agissait pour Goulart
d'affirmer l'orientation nationale et réformiste de son gouvernement tout en défendant les
libertés syndicales. Les milieux conservateurs réagirent rapidement et massivement dans tout
le pays en organisant notamment la série des « Marches de la famille, avec Dieu et pour la
liberté » pour prévenir l'imminence du danger communiste. Notons que le joueur condamné à
reculer de cinq cases tombait en case huit avec Badger Teixeira da Silva et perdait donc la
partie. Un peu plus loin dans la spirale du « Jeu de la Démocratie », quatre cases consécutives
figurant chacune un rhinocéros se démarquèrent en créant un comique de répétition à mesure
qu'elles pénalisaient et favorisaient à tour de rôle le joueur. Ces vignettes se référaient à
Cacareco, une femelle rhinocéros prêtée au jardin zoologique de São Paulo par celui de Rio de
Janeiro. En 1959, sa candidature aux élections municipales paulistes fut portée par un
mouvement de lutte contre la corruption de la sphère politique locale et obtint environ quinze
pourcents des suffrages, soit cent mille votes. L'élection de l'animal fut refusée, mais la
287 Littéralement, « Il vole, mais il fait ».
288 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1.
289 Au sujet du contexte historique et de l'importance de l'événement, voir notamment :
Heloísa MENANDRO, « Comício das Reformas » in Alzira Alves de ABREU et al (coord.), Dicionário HistóricoBiográfico Brasileiro – Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010 [en ligne : http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/
dicionarios/verbete-tematico/comicio-das-reformas] (consulté le 29/04/2019) ; Marcos NAPOLITANO, « O
Carnaval das Direitas : o golpe civil-militar » in Marcos NAPOLITANO, 1964 : História do Regime Militar
Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 43-67.
132
femelle devint l'un des symboles du vote de frustration et de contestation 290, ou vote dit
« Cacareco ». Située en fin de parcours, la case numéro soixante-et-un évoquait l'ambassade
du Mexique au Brésil, une institution qui affirma au lendemain du coup d’État
l’inconstitutionnalité du nouveau gouvernement et concéda un nombre important d'asiles
politiques à des citoyens brésiliens dès 1964291. L'arrivée sur la case était synonyme de
défaite : « Rencontre à la 'Embajada'. Sors de la partie, mais tu peux rester regarder 292 ». Les
traditionnels emblèmes du communisme furent également les cibles d'un triptyque grâce à un
jeu de renvoi d'une vignette à l'autre : à la case cinquante-quatre, le joueur était invité à
récupérer le marteau dessiné et à se rendre au numéro soixante, où il lui était proposé de se
munir d'une faucille et d'aller vers la case soixante-trois. Inéluctablement, il se voyait expulsé
de la partie : « Communiste ! Sors du jeu293 ».
Certaines cases furent en revanche associées par Ziraldo à des personnalités politiques,
des mouvements et parfois des comportements conservateurs favorables au régime militaire
instauré deux mois avant la publication du numéro. Ces vignettes permettaient dans la plupart
des cas aux participants de rester dans la course et parfois les favorisaient nettement. On l'a vu
précédemment, la délation était valorisée par le plateau félicitant le joueur d'avoir prévenu les
services de surveillance et de répression d'une rencontre avec Leonel Brizola. La trentième
vignette accordait une protection pour l'ensemble du jeu grâce à la fréquentation du Parti
social démocratique : « Tu rencontres le PSD. Maintenant, tu ne sors plus de la partie d'aucune
manière294 ». Parti populiste fondé en 1945 et dissous en octobre 1965 par le régime militaire
en vertu de l'Acte Institutionnel n°2, le PSD regroupait cependant en juin 1964 d'importantes
franges de la haute société brésilienne et une partie des entrepreneurs. Cette organisation,
certes surveillée, fut tolérée jusqu’à l'interdiction de tous les partis politiques exceptés
l'Alliance rénovatrice nationale, ou ARENA, soutien actif du gouvernement, et le Mouvement
démocratique brésilien, le MDB, remplissant le rôle d'une opposition de façade consentie et
contrôlée. Le vice-président de la République fédérative du Brésil José Maria Alkmin,
290 Voir Adolpho QUEIROZ, Mariana G.F. MERGULHÃO, « Voto de protesto ou estratégia de marketing? », travail
présenté lors du cinquième congrès de Compolítica, association brésilienne de chercheurs en communication
politique, Curitiba, 05/2013 [en ligne : http://www.compolitica.org/home/wp-content/uploads/2013/05/GT09Propaganda-e-marketing-politico-AdolphoQueiroz.pdf] (consulté le 02/03/2018).
291 Voir : Daniela Morales MUÑOZ, « Exilio en tránsito. El paso por México del primer grupo de asilados
brasileños de la dictadura militar » dans Con-temporanea, n°4, juil.-déc. 2015 [en ligne : http://contemporanea.inah.gob.mx/node/113] (consulté le 02/03/2018).
292 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1.
293 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 24.
294 Idem.
133
représenté en quarante-septième case, fut membre de l'ARENA à partir de 1965. Sa présence
évitait au joueur d'inutiles tracas : « Tu rencontres Alkmin. Tu quittes le jeu seulement si tu
meurs295 ». Humberto de Alencar Castelo Branco et son vice-président Alkmin virent
respectivement Artur da Costa e Silva et Pedro Aleixo leur succéder en mars 1967. Le jeu
faisait également mention de la Marche de la famille avec Dieu et pour la liberté, cet ensemble
de manifestations de grande ampleur organisées en mars 1964 par des groupes sociaux et
politiques ultra conservateurs ainsi qu'une frange importante du clergé, en réponse au « péril »
communiste et au Comice organisé par Goulart. La première Marche de la famille organisée le
19 mars dans la ville de São Paulo devint Marche de la victoire le 2 avril 1964 à Rio de
Janeiro. Notons que la case renvoyait à la cinquante-troisième vignette et à l'ambigu Adhemar
de Barros. Autre vertu valorisée par le nouveau gouvernement, l'extrême religiosité était
tournée en dérision par le plateau de jeu, faisant à plusieurs reprises l'objet de critiques et
pénalisant les participants. En case trente-trois, âge supposé du Christ à sa mort, il était
simplement mentionné « Sors du jeu... parce que Jésus t'appelle 296 ». A la cinquante-huitième
case, c'était la main de Dieu lui-même qui expulsait le joueur, accusé du péché originel.
Ainsi, la corruption impunie, le moralisme ambiant, l'extrême religiosité, la répression
et la délation côtoyaient au sein d’une mise en scène satirique un ensemble de références à
l'histoire récente du pays. Assimilés à une imagerie populaire qui les subvertissait, comparés à
une distraction connue de tous, le régime et ses protagonistes étaient désacralisés par la
dérision : le Jeu de la démocratie transforma la sphère politique en arène, avec ses gagnants,
ses perdants, ses tricheries et ses rebondissements. Ziraldo proposait ainsi un tableau
manichéen et grotesque des évolutions de la vie politique très contemporaine de la publication
du périodique, sorte de cartographie humoristique des sympathies, des soutiens et des
oppositions aux autorités militaires.
b) Le Président et le militaire
Le deuxième numéro de Pif-Paf fut également le support de la première représentation
graphique de la fonction présidentielle dans les pages du périodique. Fausse ode à la
technologie présentée comme un palliatif aux défauts inhérents à la nature humaine, le « Robot
295 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 1.
296 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 24.
134
du président parfait297 » s'avérait nécessaire face à l'implacable constat formulé par la
rédaction :
« Après avoir étudié les habitudes et les besoins du pays, le comportement politique
de nombreux partis, la manière de voter du peuple, le désir vital de nombreuses
couches de la société, les envies de paix et de quiétude de la majorité des hommes
qui sont au pouvoir, l'ambition de gloire des intellectuels, le vif flux et reflux des
groupes économiques, l'infatigable pression de certaines réformes, l’impossible
report d'autres, les possibilités de pression de nations étrangères plus fortes et plus
riches, la capacité de négociation d'une certaine presse, la détermination à imprimer
la presse de personnalités connues, le poids économique de la fonction, l'usure
physique, intellectuelle, morale et psychologique de la personne détentrice de la
Présidence de la République, PIF-PAF est arrivé à la conclusion, avec le pardon de
ceux qui occupent actuellement la Suprême Magistrature de la nation, qu'il n'y a
pas, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais, de PRÉSIDENT PARFAIT. Ainsi,
répondant au désir de la quasi totalité des brésiliens, PIF-PAF présente ici ce Robot,
capable de nous gouverner tous tranquillement et de manière infinie, sans effort ni
difficulté. Si, patriotes de tous les secteurs, le Brésil a besoin urgemment d'être
gouverné par un cerveau électronique, par une télécommande, par une conception
technique. Mort aux hommes ! Vive le Robot de PIF-PAF298 ! »
L'offense adressée au président Castelo Branco, faussement atténuée par la déférente
demande d'excuses, la prétendue nécessité et l'argument du bien commun, était en fait
considérable. Derrière des considérations générales sur les affres de la fonction présidentielle,
le texte affirmait l'imperfection du président en poste et sous-entendait son incapacité à
gouverner le pays.
297 « Robô do Presidente Perfeito » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 18-19.
298 Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 18.
135
FIG 21 : « Robô do Presidente Perfeito » in Pif-Paf, n°2, 06/1964, p. 19
Le président parfait, figure robotique hétérogène à l'apparence désordonnée, était muni
de la tête aux pieds d'une multitude d'accessoires indispensables à la gestion des difficultés
liées à l’exercice du pouvoir. Ainsi, la boîte crânienne du robot comportait un « espace réservé
aux nouvelles idéologies », un compartiment muni d'un hamac pour les moments de paresse,
un « département de croyance aveugle » et un « levier pour changer d'opinion » fixé sur sa
partie externe. Tout dans le dessin semblait pensé pour faciliter la versatilité et l'opportunisme,
des caractéristiques attribuées au personnel politique de premier plan. La machine
présidentielle était ironiquement affublée d'une « sourde oreille », d'une « antenne reliée à
l'opinion publique », d'une « veine comique », d'une « larme de crocodile » et d'un miroir
extensif pour l’ego. Le dessin mettait en lumière l'absence de spontanéité et les calculs
politiques présents derrière chaque expression, chaque sourire, chaque réaction du président.
Le robot possédait en outre une poitrine féminine gigantesque, l'expression familière « ter
peito » signifiant faire preuve de beaucoup de courage, ainsi que deux estomacs afin d’« avaler
des couleuvres ». L'automate disposait également de nombreux membres, chacun remplissant
une fonction spécifique : le bras supplémentaire « avec main spéciale pour les petites tapes
136
dans le dos », « la main avec un doigt pour choisir les assistants (ne pas confondre avec celui
qui dénonce) », un « pied en arrière » pour rester sur ses gardes, des « cals spéciaux » pour
éviter de se faire marcher dessus et une « botte de sept lieues pour économiser les billets
d'avion entre Brasília et Rio ». Les « articulations politiques » des membres inférieurs reliaient
les pièces en acier « Made in USA », symboles des accointances marquées entre le
gouvernement militaire brésilien et l'Oncle Sam299. Ici encore, les allées et venues graphiques
étaient constantes entre le sens littéral et figuré des expressions employées. Outre la fausseté,
la manipulation de l'opinion publique et l'orchestration de l'attitude présidentielle, la
composition signalait les claires défaillances de Castelo Branco, vite devenu objet de critiques
et de moqueries récurrentes au fil des numéros de Pif-Paf.
La rubrique « 10 questions au président Castelo Branco300 » publiée dans le cinquième
numéro alimenta ces critiques. Le ton familier, la dérision, la teneur des questions posées et
l'adresse directe au président inauguraient la « nouvelle série de PIF-PAF destinée aux figures
les plus populaires du pays301 ». Le numéro suivant, publié quelques jours après la
prolongation du mandat présidentiel par amendement constitutionnel jusqu'en 1966, multiplia
les provocations destinées au chef de la Nation. La photographie d'une femme famélique
portant son enfant dans les bras, passablement désemparée et les paumes ouvertes vers le ciel
en signe de désespoir, se voyait conférer une nouvelle signification par la légende :
« Expressive photo d'une habitante de l'intérieur de l’État du Ceará lorsque, interrogée par le
président Castelo Branco à propos de ce qu'elle pensait de la prolongation de son mandat, elle
répondait : 'Et bien, Monsieur le Président !'302 ». Le détournement visait à montrer
l'impuissance de la population brésilienne face à une telle décision. L'éditorial de la troisième
page entièrement consacrée à l'événement fut accompagné d'un commentaire humoristique
révélant les craintes vis-à-vis de la liberté d'expression : « Note de la rédaction. Nous ne nous
manifestons pas encore au sujet de la prolongation des mandats parce qu'ils peuvent ne pas
299 La relation entretenue entre les États-Unis et le Brésil sous le régime militaire est toujours l'objet de débats
historiographiques. Si le rôle du gouvernement nord-américain dans la déstabilisation de João Goulart est
attesté, son action au cours du coup d’État militaire est encore à l’étude. Au sujet de la période entre 1962 et
1964, voir : Felipe Pereira LOUREIRO, « The Alliance for Progress and President João Goulart's Three-Year
Plan : the deterioration of U.S.-Brazilian Relations in Cold War Brazil (1962) » in Cold War History, vol.17,
n°1, février 2017, p. 61-79. Voir également l'ouvrage : Carlos FICO, O grande irmão: da Operação Brother
Sam aos anos de chumbo. O governo dos Estados Unidos e a ditadura militar brasileira, Rio de Janeiro,
Civilização Brasileiro, 2008.
300 « 10 perguntas ao Presidente Castelo Branco » in Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 10.
301 Pif-Paf, n°5, 07/1964, p. 10.
302 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 2.
137
prolonger notre liberté.303 » Quelques pages plus loin, un triptyque photographique dénonçait
l'aspect mensonger du modèle de maillot de bain baptisé « Castelinho », responsable d'une
illusion d'optique soupçonnée de modifier l'aspect physique des femmes. Sous le titre
« Attention, mon frère, le Castelinho est traître304 », la composition misogyne dénonçait en
creux les tromperies du président Castelo Branco.
Si la personne et la pratique politique du président firent l'objet d'attaques jusqu’alors
inédites dans la presse brésilienne, la nature profondément militaire du nouveau gouvernement
fut également prise pour cible. La couverture du troisième numéro dessinée par Ziraldo et
publiée le 22 juin 1964 représentait un général en uniforme sous l'apparence du roi de pique,
dit « rei de espada », ou « roi de l'épée » en portugais.
FIG 22 : Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 1
303 Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 3.
304 « Cuidado, irmão, o Castelinho é traição » in Pif-Paf, n°6, 27/07/1964, p. 17.
138
Le militaire portait une imposante moustache blanche, une casquette d'officier en guise de
couronne et une large épée à la main gauche. Les habits royaux généralement représentés en
rouge, noir, bleu et or, furent troqués pour un uniforme militaire coloré dont la partie
supérieure de la poitrine était chargée de décorations en tout genre. Le roi militaire portait
autour du cou une décoration semblable à la croix de guerre, symbole de mérite. Un calembour
inscrit en très petits caractères en bas du dessin complétait le tableau en jouant sur le double
sens du mot « capa », terme désignant à la fois la cape et la couverture d'un périodique :
« Voici notre couverture. Par ailleurs, de cape et d'épée 305 ». Notons que la traduction française
rend difficilement compte du jeu de mot. Le haut rang militaire et la fonction royale du
personnage inscrivaient le dessin dans une représentation satirique de Castelo Branco, devenu
carte à jouer au sein d'une réalité ludique parallèle dans laquelle politique et jeu
s'entremêlèrent. Plusieurs quatrièmes de couverture306 réalisées par Fortuna employèrent
également certains codes vestimentaires classiques pour représenter les plus hauts grades :
uniforme et épaulettes croulant sous les décorations de guerre, imposant képi ou casquette
démesurée, épée à garde dans son fourreau et bottines munies d'éperons d'une part, cheval
monté d'autre part. Les caricatures dénonçaient la truculence et l'exagération des militaires
arrivés au pouvoir, imbus d'eux-mêmes et inadaptés aux subtilités des fonctions leur
incombant désormais. Le général aux gestes grandiloquents taillant un crayon avec son sabre
et le haut gradé capricieux refusant de descendre de son cheval même affairé à son bureau
devinrent des symboles de stupidité, pathétique conséquence de l'ascension des militaires
jusqu'au pouvoir politique.
Au demeurant, le caricaturiste Fortuna était coutumier du fait au fil des pages de PifPaf, signant à partir du deuxième numéro les caricatures qui accompagnaient l'éditorial de
Millôr Fernandes. À titre d'exemple, la caricature publiée dans le troisième numéro
représentait une figure intellectuelle masculine stéréotypée qui dégainait un pistolet dans
chaque main, découvrant ainsi une ceinture à cartouchière et deux étuis, et assimilait le coup
d’État du 31 mars 1964, auto-proclamé Révolution, au braquage des institutions
démocratiques. Publié le 6 juillet 1964, un collage loufoque réalisé par Jaguar accompagnait
une chronique futuriste de Marcos de Vasconcelos contant la rencontre improbable entre un
général et son supérieur hiérarchique. L'image mêlant éléments photographiques et détails de
gravures fournissait au personnage représenté une carrure disproportionnée et un accoutrement
305 Pif-Paf, n°3, 22/06/1964, p. 1.
306 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 24 ; Pif-Paf, n°7, 13/08/1964, p. 24.
139
hybride, affublé d'écussons parmi lesquels figuraient notamment un petit cor de chasse, un
planisphère, un flacon de parfum et une croix gammée. Outre cette assimilation au nazisme, la
présence de bottines féminines conféraient à la nouvelle image un potentiel subversif de
franchissement des caractéristiques liées aux genres, arme fondamentale de la désacralisation
du pouvoir dans Pif-Paf.
c) La féminisation des détenteurs du pouvoir politique
Le 27 août 1964, la couverture du huitième numéro fut exposée en kiosque. Sous le
dessin de Ziraldo, un décor de plage à la sensualité certaine, on pouvait y lire : « Sensationnel
concours de Miss Alvorada : dispute entre Castelinha et Carlotinha307 ». Le Palais de l'aurore,
l'Alvorada, résidence officielle du président brésilien, fut construit entre 1957 et 1958 au cœur
de la nouvelle capitale fédérale Brasília. La thématique du concours « Miss Alvorada »
organisé par Pif-Paf pour accéder à la plus haute fonction présidentielle avait auparavant été
déclinée à trois reprises dans les numéros précédents. La première candidate au concours fut
présentée aux lecteurs dans le quatrième numéro : « Ademarina Urnamarajoara – Candidate de
São Paulo308 ». La créature avait une silhouette féminine élancée et le visage de l'homme
politique Ademar de Barros exerçant depuis 1963 un second mandat en tant que gouverneur de
l’État de São Paulo. Actif participant de la conspiration contre João Goulart en 1964, il fut par
la suite accusé de corruption, démis de son poste et privé de ses droits politiques en 1966 par
Castelo Branco. La pose suggestive, le léger maillot de bain deux pièces et les talons hauts
portés par Ademarina en faisaient une candidate idéale au « Concours Miss Alvorada 1965 ».
Dans le sixième numéro, la compétition changea de nom, faisant ainsi écho aux doutes au sujet
de l'organisation du concours : « Miss Alvorada 65 ou plutôt Miss Alvorada 66 si Dieu le
veut309 ».
La deuxième candidate présentée par la rédaction était « Mademoiselle Magalhinha
Boa Pinta310 », représentante de l’État du Minas Gerais. À quatre pattes dans le sable et la
poitrine mise en avant par un bikini échancré, le personnage féminin arborait le visage de José
Magalhães Pinto, gouverneur du Minas Gerais depuis 1961 et fervent partisan du régime
militaire installé en 1964. Ennemi politique de Goulart, il participa également activement à
307 Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 1.
308 Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 23.
309 Idem.
310 Idem.
140
l'organisation du coup d’État. Enfin, le septième numéro présentait aux lecteurs la
représentante de l’État de Guanabara Carlota Corwina, au corps dénudé et à la pose sensuelle.
Le visage et le surnom de la participante appartenaient à Carlos Lacerda, dit « le corbeau » ou
« o corvo » en portugais, soutien du coup d’État en 1964 devenu critique à l'égard du
gouvernement à la suite de la prolongation autoritaire du mandat de Castelo Branco311. Le texte
accompagnant le photomontage filait la métaphore du concours de beauté en tournant en
dérision les ambitions présidentielles des deux hommes politiques Castelo Branco et Carlos
Lacerda. Carlota Corwina était présentée comme l'une des candidates favorites, irritée par
l'intention de l'actuelle détentrice du titre Castelinha de rester éternellement Miss Alvorada.
Les trois montages photographiques publiés respectivement le 6 juillet, le 27 juillet et le 13
août 1964, accompagnèrent de très près l'actualité politique à nouveau assimilée à une arène au
sein de laquelle, ultime désacralisation, les combattants prirent l’apparence de futiles reines de
beauté aux corps sensuels, mais à l'apparence monstrueusement hybride.
L'annonce finale publiée en couverture du huitième numéro renvoyait à deux montages
photographiques publiés en vingt-et-unième page représentant la lutte puis la réconciliation
entre Carlotinha, alias Carlos Lacerda, et Castelinha, le président Castelo Branco.
FIG 23 : Concours Miss Alvorada in Pif-Paf, n°8, 27/08/1064, p. 21
311 Au sujet des conflits et divergences entre la droite lacerdista et le groupe formé par l’entourage et les
soutiens de Castelo Branco, voir l’ouvrage de Maud Chirio consacré à l’analyse de l’institution militaire dans
toute son hétérogénéité : Maud CHIRIO, La Politique en uniforme : l’expérience brésilienne, 1960-1980,
Rennes, PUR, 2016.
141
Le 11 mars 1964, Castelo Branco fut élu premier président du régime militaire par un Congrès
National purgé de ses éléments indésirables, puis remplacé en 1967 par le maréchal Costa e
Silva. Carlos Lacerda, premier gouverneur de l’État de Guanabara en 1960, faisait partie d'un
groupe d'hommes politiques conservateurs qui apporta un soutien notoire et applaudit à
l'arrivée des militaires au pouvoir, voyant dans ce gouvernement censément transitoire une
réponse aux projets réformistes impulsés par João Goulart. Ses prises de position idéologiques
et les voyages qu'il réalisa en Europe afin de défendre les valeurs du nouveau régime
l'associèrent à ladite ligne dure de la droite brésilienne. A partir de juillet 1964, il commença
cependant à s'en éloigner et s'inquiéta publiquement des projets de prolongation du mandat de
Castelo Branco, puis fit savoir qu'il briguait la présidence du pays. Ses ambitions furent déçues
par la suspension des élections directes prévues en 1965 et il vit ses droits politiques cassés par
l'Acte Institutionnel n°5 en décembre 1968. En août 1964, le bimensuel Pif-Paf se moquait
donc ouvertement des prétentions d'un Carlos Lacerda prêt à concourir au poste suprême, par
le biais d'une mise en scène graphique très ironique du scénario politique et de ses évolutions.
La rédaction masculine de Pif-Paf largement imprégnée par des représentations stéréotypées
de la féminité, assimilant les rivalités et mésententes entre ces deux hommes politiques de
premier plan à une vulgaire et futile dispute entre deux concurrentes d'un concours de beauté,
cherchait à en discréditer les protagonistes. Le montage photographique associait les visages
masculins bien connus du public lecteur aux corps de mannequins féminins. Chaque candidat
à la présidence était appelé par son propre prénom féminisé et rendu familier par un diminutif
faussement affectueux. La mise en page insistant sur l'intensité de la rixe puis sur la
réconciliation lui ayant succédé augmentait l’impression de cynisme politique.
En imaginant dès le début du mois de juillet 1964 une parodie de compétition pour
accéder au Palais de l'Alvorada, Pif-Paf mit le doigt sur certaines dissensions existant entre les
autorités militaires et les notables soutiens civils au coup d’État, défavorables à une
installation du régime dans la longue durée312. Le périodique signa également son arrêt de mort
312 Plusieurs historiens ont consacré leurs travaux aux évolutions historiographiques de la période du régime
militaire, analysant et expliquant ces dissensions et désaccords. Une importante part des soutiens civils au
coup d’État de 1964 se désolidarisa rapidement des autorités militaires, face aux intentions affirmées de faire
perdurer le régime après la destitution de João Goulart.
Voir : Carlos FICO, « Ditadura militar brasileira: aproximações teóricas e historiográficas » in Revista Tempo e
Argumento, n°20, vol. 9, janv.-avril 2017, p. 5-74 ; Denise ROLLEMBERG, Samantha QUADRAT, A construção
social dos regimes autoritários: legitimidade, consenso e consentimento no século XX, Rio de Janeiro,
Civilização Brasileira, 2010 ; Rodrigo Patto Sá MOTTA, « Ditadura militar no Brasil: historiografia, política e
memória » (entretien réalisé par João Teófilo) in Café História – história feita com cliques [en ligne : https://
www.cafehistoria.com.br/entrevista-rodrigo-patto-sa/] (consulté le 18/07/2019).
142
et ferma ses portes après la parution du huitième et dernier numéro, au dos duquel Millôr
Fernandes prit le soin de publier un encadré à l'ironie prémonitoire :
« AVERTISSEMENT !
Celui qui prévient est un ami : si le gouvernement continue à laisser certains
journalistes parler d'élections ; si le gouvernement continue à autoriser certains
journaux à émettre des doutes par rapport à sa politique financière ; si le
gouvernement continue à laisser certains hommes politiques oser maintenir leurs
candidatures ; si le gouvernement continue à autoriser certaines personnes à penser
par elles-mêmes ; et, surtout, si le gouvernement continue à permettre à cette revue
de circuler, avec toute son irrévérence et sa critique, d'ici peu nous tomberons dans
une démocratie313. »
Il semble que le gouvernement militaire ait suivi les conseils avisés de Millôr
Fernandes, qui évoquait dans cet avertissement les libertés caractérisant à ses yeux un régime
démocratique : liberté de presse, liberté d'opinion et liberté d'expression. Fernandes alerta les
lecteurs de Pif-Paf à propos de la perte imminente des droits énoncés en feignant de mettre en
garde les autorités contre les dérives d'un gouvernement du peuple par le peuple. L'ironie de
cette épitaphe vint s'ajouter à la désacralisation graphique du pouvoir opérée dès le premier
numéro par la publication de caricatures, de charges et de montages photographiques. Millôr
Fernandes évoqua en 1987 la complexité des raisons qui conduisirent à l'arrêt prématuré du
bimensuel satirique, expliquant les pressions exercées par le gouvernement fédéral et les
autorités locales, l'interdiction complète du huitième numéro, sa propre fatigue physique et
l'importante dette contractée314. Un mois après la fermeture, il publiait de nouveau sa rubrique
sous forme de chronique dans le journal portugais O Diário Popular. Sa contribution au
périodique lisboète se maintint jusqu'en 1974, la légende voulant qu'António de Oliveira
Salazar lui-même ait lu « Pif-Paf » et commenté le talent de son auteur : « Ce type a de
l'humour. C'est dommage qu'il écrive si mal le portugais315 ».
313 Pif-Paf, n°8, 27/08/1964, p. 24
314 Voir : Imprensa Alternativa e Literatura : os Anos da Resistência, Rio de Janeiro, RioArte, 1987.
315 La citation en langue portugaise est la suivante : « Esse gajo tem piada. Pena que escreva tão mal o
português ». Cette information fut rapportée en 2012 par de nombreux médias brésiliens et portugais rendant
hommage à Millôr Fernandes juste après son décès. Voir notamment : Pedro LOMBA, « Millôr, gênio sem
dor », Público, 29/03/2012 [en ligne : https://www.publico.pt/opiniao/jornal/millor-genio-sem-dor-24269228]
(consulté le 20 juillet 2017).
143
La fermeture de Pif-Paf en août 1964 fut annonciatrice de grandes difficultés pour la
presse indépendante dès la première année du régime militaire, une période paradoxale bien
marquée par l’autoritarisme. Napolitano revint dans 1964 : História do Regime Militar
Brasileiro sur le caractère ambigu des quatre années ayant succédé au coup d’État,
déconstruisant la représentation d’une « dictature-douce » et insistant sur la base sociale du
soutien à l’instauration du régime militaire :
« Bénéficiant d'un important soutien des classes moyennes et produit d'une
conspiration ayant impliqué des secteurs libéraux (ancrés dans la presse et les partis
conservateurs), les quatre premières années des militaires au pouvoir furent
marquées par la combinaison d'une répression sélective et de la construction d'un
ordre institutionnel autoritaire et centraliste. En d'autres termes, l'ordre autoritaire
des premières années du régime militaire brésilien était davantage intéressé par le
blindage de l’État face aux pressions de la société civile et par la dépolitisation des
secteurs populaires (ouvriers et paysans) que par le fait d'empêcher complètement la
manifestation de l'opinion publique ou de réduire au silence les manifestations
culturelles de gauche. Évidemment, la période avant l'AI-5 a été marquée par des
moments de conflit entre le régime et les secteurs de l'opposition qui ont bien
souvent entraîné des emprisonnements, des enquêtes policières-militaires et des
actes de censure d’œuvres artistiques. Mais rien de comparable à la violence
systématique et à la fermeture de la sphère publique survenues à partir de l'édition
de l'AI-5 en décembre 1968, inaugurant les « années de plomb » qui durèrent, dans
la meilleure des hypothèses, jusqu'au début de l'année 1976316. »
En effet, force est de constater que de nombreux périodiques indépendants nés au cours
de cette première phase du régime militaire furent frappés par de lourdes contraintes et
pressions. La fin des Cadernos do Povo Brasileiro, dont la vocation était la création de
passerelles entre une classe moyenne intellectualisée et les classes populaires, en fut l’une des
conséquences. Initiative conjointe de la maison d'édition Civilização Brasileira et du CPC de
l’UNE, la publication née en 1962 sous le gouvernement de Goulart et coordonnée par le
journaliste Ênio Silveira fut également fortement influencée par l'Institut supérieur d’études
brésiliennes (ISEB), lui aussi éteint en 1964. Chacun des vingt-cinq volumes thématiques de la
collection abordait une grande question politique, sociale ou économique de manière militante
316 Marcos NAPOLITANO, 1964 : História do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 71-72.
144
et didactique, largement inspiré par une conception renouvelée du nationalisme317. La période,
nous dit le sociologue Marcelo Ridenti, fut caractérisée par la naissance d'une utopie
d'intégration de l'intellectuel brésilien au peuple, un peuple originel non contaminé par la
modernisation capitaliste. Le futur apparaissait dès lors construit sur la base de luttes
politiques et culturelles fondées sur un « romantisme révolutionnaire318 » valorisant le national
et le populaire. Les Cadernos do Povo Brasileiro s'inscrivirent dans cette utopie de la
construction d'un futur brésilien, en ce qu'ils proposaient à travers les sciences sociales la
jonction d'une avant-garde intellectuelle avec le peuple et la nation. Or, cet objectif inhérent à
plusieurs publications indépendantes du même type nées au début des années 1960 allait à
l'encontre de l'un des principaux objectifs du gouvernement installé à la suite du coup d’État
de 1964, la destruction des liens réels ou supposés entre les classes moyennes intellectualisées
et les classes populaires ouvrières ou paysannes. ária
Autoritaire, la période s’étalant du 31 mars 1964 au mois de décembre 1968 fut
marquée par la croissante institutionnalisation de la répression, « dont le degré de violence et
d'arbitraire variait selon le type d'opposant et les circonstances319. » Le PCB opta pour la lutte
non armée contre le régime militaire lors de son comité central réuni en mai 1965 et divers
groupes d'opposition, terrassés par la défaite, se tournèrent progressivement vers des formes
culturelles et artistiques de militantisme. Plusieurs périodiques d'opposition virent le jour dans
ce contexte, à l'instar de la revue Revisão, publiée dès 1965 par un syndicat d'étudiants de
l'Université de São Paulo défendant une ligne éditoriale d'obédience marxiste. La revue était
rédigée par des universitaires issus des diverses sciences humaines et sociales jusqu'en 1967,
période à laquelle elle remporta davantage de succès avec de grands reportages sur l'actualité
politique latino-américaine. Fondée elle aussi en 1965 par Ênio Silveira, la Revista Civilização
Brasileira « fut le principal périodique de débats intellectuels entre 1965 et 1968, devenant le
plus important espace éditorial de réflexion et de débat dans le champ de la gauche qui
gravitait autour du Parti Communiste Brésilien320. » Née en avril 1966 et publiée durant dix
317 Voir les travaux de Angélica Lovatto au sujet de l'impact du nationalisme réformiste dans la publication,
notamment : Angélica LOVATTO, « Ênio Silveira e os Cadernos do Povo Brasileiro : nacionalismo e
imperialismo nos anos 1960 » in Anais do IV Simpósio Lutas Sociais na América Latina, Université de l’État
de
Londrina,
2010
[en
ligne :
http://www.uel.br/grupo-pesquisa/gepal/anais_ivsimp/gt8/10_angelicalovatto.pdf] (consulté le 29/04/2019).
318 Marcelo RIDENTI, « Brasil, anos 1960 : Povo, Nação, Revolução » in Marcelo RIDENTI, Em busca do povo
brasileiro : artistas da revolução, do CPC à era da TV, São Paulo, Editora Unesp, 2014, p. 7-43 (2ème
édition révisée).
319 Marcos Napolitano, op. cit., p. 83.
320 Marcos Napolitano, op. cit., p. 224.
145
ans, la revue Realidade était elle destinée à une classe moyenne relativement intellectualisée
engagée dans l'opposition. Paradoxalement éditée par la maison Abril alors dirigée par Victor
Civita, soutien du régime militaire, elle contribua au renouvellement de la production
journalistique dans la seconde moitié des années 1960, fortement marquée par le New
Journalism nord-américain et la prépondérance des grands reportages photographiques. La
rédaction abordait des thèmes innovants et progressistes, tout en cherchant l’équilibre entre
son engagement militant politique et social d’une part 321, et l’autocensure ou la promotion de
certains sujets d’autre part. Bernardo Kucinski attribue à Realidade un rôle fondateur dans les
luttes menées par la presse de gauche durant la décennie suivante.
Les périodiques ouverts vers le traitement académique de sujets de politique nationale
ou internationale se multiplièrent, mais accordaient encore peu d’espace à l’humour graphique
contestataire. Un autre type de presse essaima au cours des premières années du régime
militaire, tout en faisant les frais de la répression politique : les journaux anarchistes
notamment inspirés par le syndicalisme révolutionnaire 322. Ainsi, suite à la fermeture en 1964
du titre O Libertário notamment fondé quatre ans auparavant par Pedro Cattalo, Edgard
Leuenroth, le groupe de militants anarchistes créa à São Paulo un autre périodique afin de
poursuivre l’entreprise de communication libertaire : Dealbar. Journal anarchiste et
anticlérical dont le premier numéro parut en septembre 1965, Dealbar n’entretenait aucun lien
organique avec un parti politique, mais était lié au Centre de culture sociale fondé en 1933,
fermé sous l’Estado Novo puis réouvert en 1945. Composé de quatre pages à la présentation
très sommaire, le périodique publia quelques charges critiquant les hommes politiques au
pouvoir et vantant l’universalisme. Le titre ferma ses portes en 1968. En octobre 1967, un
autre journal anarchiste critique vis-à-vis de l’inefficacité de l’État ainsi que des conditions de
vie des masses ouvrières et des étudiants vit le jour dans la capitale de l’État du Rio Grande do
Sul : O Protesto. Le sous-titre, « Idées, critique et combat » donnait le ton d’une publication
enracinée dans le combat pour l’émancipation et la libération humaines, en accord avec les
principes défendus par le socialisme libertaire. Le mensuel était composé et imprimé rue
Garibaldi à Porto Alegre, dans les ateliers de la maison Trevo également connue pour la
321 Les exemplaires de la revue furent par exemple saisis avant diffusion en janvier 1967 à cause d’un contenu
jugé obscène. La rédaction passa en jugement en octobre 1968 en vertu de la loi de presse du 9 février 1967.
Voir : Felipe Cittolin ABAL, Gabriel Antinolfi DIVAN, « O feminino e o obsceno em tempos de ditadura : O
caso da revista Realidade e o Supremo Tribunal Federal » in Passagens. Revista Internacional de História
Política e Cultura Jurídica, vol. 9, n°1, janvier-avril 2017, p. 135-157.
322 Voir notamment : Eduardo COLOMBO (dir.), História do Movimento Operário Revolucionário, São Paulo,
Imaginário, 2004 ; Maria Nazareth FERREIRA, A imprensa operária no Brasil, São Paulo, Ática, 1988.
146
diffusion d’écrits anti-franquistes. Si O Protesto employait quelques illustrations à des fins
pédagogiques, l’humour graphique était quasiment absent de ses pages également présentées
de manière tout à fait classique.
L’hebdomadaire Amanhã, fondé en 1967 par des étudiants de l’Université de São Paulo
et dont Raimundo Pereira fut l’un des éditeurs, portait sur la situation politique brésilienne et
l’actualité internationale un regard critique. La publication tenta de faire la jonction entre les
organisations étudiantes clandestines et le mouvement ouvrier, tout en consacrant un carnet
spécial au journalisme d’investigation et à la guerre du Vietnam. Les pages comptèrent
quelques dessins de presse accompagnant les gros titres, mais la satire et l’humour dessinés y
occupèrent relativement peu d’espace. Le numéro expérimental paru en 13 mars 1967, dont
l’éditorial s’insurgeait contre la promulgation de la Loi de sécurité nationale entrée en vigueur
le 15 mars, publia tout de même une bande dessinée 323. Le numéro suivant comporta deux
illustrations, mais ni charge ni caricature. Quelques rares dessins de presse critiques
notamment signés par Fortuna ou Jaguar apparurent au fil des semaines. Le périodique à la
durée de vie très éphémère ferma ses portes après la parution du sixième numéro, précédée
d’une fouille de la rédaction par des agents du DEOPS à cause de l’entretien réalisé avec
l’historien, homme politique et éditeur d’inspiration marxiste Caio da Silva Prado Júnior.
La Loi de presse promulguée le 9 février 1967 avait constitué un grand pas vers la
radicalisation du régime, imposant à l’activité des journalistes, éditeurs et dessinateurs de
sérieuses limitations notamment fondées sur son troisième chapitre, « Des abus dans l'exercice
de la liberté de manifestation de la pensée et d'information ». La promulgation de l’AI-5 en
décembre 1968 acheva de constituer les bases d’un arsenal législatif voué au musellement de
tout type d’opposition, entamant une nouvelle période à la fois caractérisée par
l’intensification de la répression et l’explosion de la contestation : les « années de plomb ».
323 DAHER, « Os Bichos » in Amanhã, n°0, 13/03/1967, p. 7.
147
148
PARTIE II
L'humour graphique, une arme de lutte politique et de contournement de la
censure durant les « années de plomb » (1968 – 1975) ?
Avec la promulgation de l'AI-5 le 13 décembre 1968, le régime militaire franchit une
étape fondamentale vers la montée en puissance de l'autoritarisme. L’année 1969 s’ouvrit sur
une période de suffocation des libertés individuelles et collectives, conséquence du
durcissement de l'arsenal législatif. La répression des voix discordantes avec le projet porté par
le gouvernement fut amplifiée, touchant des secteurs jusqu'alors relativement épargnés tels que
la classe moyenne intellectualisée et artistique, ainsi que bon nombre de rédactions de
périodiques indépendants. Les mécanismes de la contestation politique, loin de s’éteindre sous
les « années de plomb », semblèrent contraints de se réinventer.
Le général Emílio Garrastazu Médici accéda à la fonction présidentielle en octobre
1969, autorisa la réouverture du Congrès et poursuivit, en l'intensifiant, le combat contre les
organisations politiques d'opposition et les mouvements de lutte armée. Corollaire de la
surveillance et du contrôle des esprits, la censure préventive fut instaurée par décret-loi le 26
janvier 1970 qui stipulait dans son tout premier article que « ne [seraient] plus tolérées les
publications et extériorisations contraires à la morale et aux bonnes mœurs, quels qu'en
[seraient] les moyens de communication ». La censure morale se politisa et prit une part
importante – contrainte, négociée ou parfois en partie maîtrisée – dans les mécanismes
intellectuels, dans la création artistique et dans la production littéraire, amorçant dès lors une
nouvelle configuration du champ médiatique. Les marges de manœuvre des mouvements de
l'opposition démocratique non armée et donc de la presse indépendante, se rétrécirent
drastiquement.
Nous tenterons d'en définir et d'en analyser les contours, mais également les
mécanismes d'existence, les enjeux et dilemmes, les zones troubles et mouvantes ainsi que les
usages et pratiques, par le prisme du travail des dessinateurs d'humour graphique et d'image
satirique. Entendons-nous : la censure affecta à des degrés différents la presse dans son
ensemble, mais si le fait de « normaliser et [d’]assumer la censure préalable à la grande presse
commerciale, partenaire de la conspiration qui fit tomber Goulart en 1964 » était pour le
gouvernement un exercice délicat, il lui sembla en revanche bien plus évident de censurer la
149
presse d'opposition, à l'équilibre financier précaire et davantage critique à son égard. Moins
d'un an après la promulgation de l'AI-5 naissait à Rio de Janeiro l'hebdomadaire humoristique
et satirique Pasquim, qui accorda une place de choix aux formes graphiques de l'humour
politique, de la critique de mœurs et de la satire sociale. En novembre 1972, le premier numéro
de Opinião paraissait en kiosques. Notre analyse se focalisera sur ces deux grands titres
indépendants nés durant les années de plomb, dans une logique comparative avec d’autres
périodiques à la production graphique similaire. Nous identifierons les caractéristiques du
combat politique commun mené par une très grande diversité de dessinateurs et d’artistes dont
les parcours, les trajectoires et les engagements influencèrent la production. Il s’agira de
comprendre l’élaboration de stratégies concrètes de détournement de la censure imposée à la
presse indépendante, puis d’analyser les thématiques mouvantes autorisées ou interdites sous
les années de plomb ainsi que les styles graphiques permettant la contestation dessinée. Enfin,
nous retracerons les étapes de la création en 1974 et du déroulement du Salon de l’humour de
Piracicaba, événement culturel majeur encore peu étudié et pourtant fin observatoire au cours
des années 1970 et 1980 des enjeux et évolutions inhérents à la pratique du dessin d’humour
politique jusqu’aux prémices du retour à la démocratie.
« Só doi quando eu desenho », archives personnelles de Nani, non daté
150
Chapitre 3
Rire sous la dictature : contournement et affrontement des limitations
imposées à la liberté d'expression
L’action des équipes composant les rédactions indépendantes s’inséra dans un
ensemble de pratiques contestataires développées par les mouvements de l’opposition au
régime militaire. De nombreux secteurs artistiques orchestrèrent la résistance culturelle et
politique, dont nous tâcherons de définir les contours afin de mieux cerner l’insertion en son
sein du combat politique mené par les dessinateurs d’humour et de satire. Malgré une grande
hétérogénéité des périodiques, de leurs lignes éditoriales et affinités idéologiques, certaines
caractéristiques semblent en permettre un regroupement en communauté militante fondée sur
des valeurs et une vision du monde opposées à celles défendues par le régime.
La focale sera ici portée sur les deux grands périodiques indépendants Pasquim et
Opinião, dans une optique comparative avec d’autres journaux publiés à la même période et
partageant les mêmes ambitions. Les parcours des dessinateurs, leurs trajectoires
professionnelles et personnelles, leurs engagements, leurs inspirations, leurs styles graphiques
et leurs sympathies ou engagements politiques contribuèrent à forger l’identité de périodiques
engagés dans la lutte contre la censure et les restrictions des libertés civiles.
Nous analyserons certaines stratégies graphiques de contournement de la censure mises
en place par ces périodiques et fondées sur la créativité des équipes de dessinateurs. Nous le
verrons, les images cherchaient à rendre visibles les interdictions tout en inventant des
techniques vouées à poursuivre la parution des numéros sous la censure parfois acceptée, mais
souvent affrontée ou contournée. Il s’agira de décrypter les connexions visuelles élaborées par
l’humour graphique aux frontières de l’interdit, de l’autorisé et du toléré pour comprendre ce
qui permit, malgré tout, de rire sous la dictature.
I. Les caractéristiques d'un combat politique collectif
1. Un front de résistance des dessinateurs d'humour et de satire politiques ?
L'historienne brésilienne Miriam Hermeto, qui consacra sa thèse doctorale à l'étude de
l’œuvre Gota D’Água – texte rédigé par Chico Buarque et Paulo Pontes en 1975 et envisagé
151
comme un « événement dans le champ artistico-intellectuel brésilien324» – s'employa en 2013 à
définir l'identité politique et les objectifs du groupe « Casa Grande » dans l'ouvrage collectif
Comunistas brasileiros. Cultura política e produção cultural 325. Elle y formulait certaines
hypothèses expliquant la naissance d'un tel ensemble fondée sur la convergence d'intérêts
politiques et de projets artistiques très divers au début de la période d'ouverture politique
amorcée par le gouvernement Geisel. Certains problèmes soulevés par Hermeto nous semblent
fondamentaux, comme lorsqu'elle s'interrogea sur l'identité des membres du groupe, sur les
lieux de friction et surtout de rencontre entre leurs diverses tendances idéologiques et projets
de création ou sur le chemin emprunté par le collectif afin de transformer une activité
culturelle en action militante. Elle évoqua une structuration autour d'un noyau de membres
permanents engagés dans l'organisation de débats récurrents, mais également construite avec la
collaboration occasionnelle d'un ensemble d'intellectuels, artistes, producteurs. L’enjeu de
cette analyse réside dans la définition des conditions de structuration et de maintien d'un
groupe contestataire organisé autour de projets et de valeurs, qu'elle qualifie de « front
politique et culturel de résistance » contre le régime militaire et dont l'hétérogénéité fut l'une
des caractéristiques cardinales.
Cette notion pourrait-elle fournir l’une des clés de lecture essentielles à l'examen de
l'ensemble hybride formé par les dessinateurs de presse et caricaturistes insérés dans
l’opposition au régime militaire brésilien sous les années de plomb ? Serait-elle transposable à
cet autre groupe formé d'individus aux origines sociales et parcours divers, mus par des
convictions et parfois des affiliations idéologiques disparates, mais orientés par des objectifs
communs ? Malgré les deux principales dissemblances – dans le cas qui nous occupe, la
période est antérieure à l'ouverture politique et les individus ne sont pas nécessairement reliés
par leur sympathie envers le PCB – les deux réseaux d'artistes et d'intellectuels rassemblés par
des pratiques, des valeurs et des comportements sont-ils comparables ? Toute ressemblance ne
semble en effet pas être fortuite, principalement lorsque Hermeto insiste sur la fonction du
« front politique et culturel de résistance » d’accommodation des différences et d'adaptation de
points de vue afin de créer une identité et un combat communs. La perspective d'identification
324 Miriam HERMETO, « 'Olha a Gota que falta'. Gota d'Água, um evento no campo artístico-intelectual brasileiro
(1975-1980) », Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Rodrigo Patto Sá Motta, Belo Horizonte,
Université Fédérale du Minas Gerais, 2010.
325 Miriam HERMETO, « Grupo Casa Grande (1974-1979). Uma frente político-cultural de resistência » in Marcos
NAPOLITANO, Rodrigo CZAJKA, Rodrigo Patto Sá MOTTA (dir.), Comunistas brasileiros. Cultura política e
produção cultural, Belo Horizonte, Editora da UFMG, 2013, p. 293-315.
152
des tensions au sein d'un même groupe, minorées au plus fort de la répression, mais ayant
acquis une ampleur croissante au fur et à mesure de l'ouverture politique, éclaire dès lors
l'histoire des mouvements de gauche et de l'opposition démocratique au régime militaire à
laquelle les dessinateurs et journalistes participèrent. Outre l'identité constituée par
l'appartenance à un parti ou un mouvement idéologique institutionnalisé, exista-t-il d'autres
formes de liens unissant des individus engagés dans l'opposition, par exemple rassemblés
autour de leur conception de la profession ? Pourrait-on envisager l'existence d'une
communauté dépassant le cadre restreint des rédactions ? Sur la base de quelles pratiques et
techniques propres aux dessinateurs et caricaturistes s’établit ce « front de résistance » ?
L'historiographie de la résistance dépasse largement le cadre conceptuel de notre
analyse, qui ne prétend pas son renouvellement. Cela dit, la discussion épistémologique
tendant à en définir les contours nous concerne et nous interroge : peut-on parler de résistance
politique dans le cas de l'humour graphique et des images satiriques publiés dans la presse
indépendante ? La notion subtile et versatile, fonction du contexte historique, géographique et
politique, dépend également des systèmes de représentation culturelle en vigueur. Plus encore
lorsque que le travail de recherche historique s'alimente en partie de sources orales concédées
par d'anciens acteurs des phénomènes analysés :
« Affirmer les droits de l’histoire, c’est-à-dire d’une démarche scientifique
distanciée et argumentée en vue d’une construction raisonnée, n’aboutit nullement à
récuser l’expérience vécue, mais à la situer à sa place – qui est grande, mais qui ne
doit en aucun cas occuper le fauteuil d’honneur, tandis que l’historien se verrait
réduit au strapontin326. »
Au cours des entretiens réalisés, les dessinateurs et journalistes que nous avons
rencontrés revendiquèrent l’appartenance aux mouvements de résistance au régime militaire.
Ces témoignages entrèrent en résonance avec le terme de presse « alternative » largement
employé pour désigner les périodiques indépendants et qui évoque l'affrontement avec un
premier modèle, refusé et décrié. Bernardo Kucinski, on l’a vu, attribua à cette posture
d'opposition une double nature, organisée contre les canons de la production journalistique et
contre le gouvernement. Le refus assumé de la collaboration avec le régime, militaire, ou dans
326 François BÉDARIDA, « Sur le concept de Résistance » in Jean-Marie GUILLON, Pierre LABORIE, Mémoire et
Histoire : la Résistance, Toulouse, Éditions Privat, 1995, p. 50.
153
une moindre mesure de tolérance et d’accommodation, tend à coïncider avec le premier
élément décrit par François Bédarida dans sa tentative d'application du modèle wébérien
d' « idéal-type » à l'analyse de la Résistance française sous l'occupation allemande. Sans nier
les limites d'une telle construction conceptuelle, le parallèle est intéressant : « Au point de
départ, on trouve un geste de base : dire non. Un non symbolique à la soumission et à
l'asservissement. Un non qui témoigne d'une volonté de principe. Là est l'essence de la
résistance327 ». Ou du moins celle de la construction a posteriori de souvenirs individuels et de
la mémoire collective des mouvements d'opposition. L’historienne brésilienne Denise
Rollemberg se pencha justement sur le rôle de la mémoire dans l’élaboration de rituels et de
mythes de la résistance dans son ouvrage Resistência: memória da ocupação nazista na
França e na Itália328. Le début de sa réflexion cherchait à définir le concept de résistance
depuis une perspective critique, refusant l’essentialisation et la sacralisation. Il s’agissait plutôt
d’en percevoir les complexités et ambiguïtés, ainsi que la nature profondément relative du
degré, de la nature et de l’intensité de l’autoritarisme, du totalitarisme ou de la répression.
Rollemberg insistait également sur la grande diversité des formes de la résistance, dont la
narration et la reconstruction a posteriori contribuèrent aux récits nationaux français et italien.
Marcos Napolitano s’interrogea quant à lui à propos du rôle de la culture dans l’opposition à la
dictature militaire et de la possible définition d’une résistance culturelle brésilienne dans
Coração civil: a vida cultural brasileira sob o regime militar (1964-1985) – ensaio
histórico329. L’historien cherchait à définir les mécanismes communs d’acteurs et de pratiques
culturelles divers mus par des sympathies idéologiques souvent divergentes et entretenant avec
les autorités des rapports parfois ambivalents, entre répression et soutien de certains secteurs à
partir de 1975.
L'historien britannique Harry Roderick Kedward, célèbre auteur de Resistance in Vichy
France330 en 1978, proposa dans l'ouvrage dirigé par Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie
Mémoire et Histoire : la Résistance, un modèle d'analyse fondé sur l'étude comparée de
sociétés aux antipodes de la culture européenne occidentale. A partir des recherches de Ranajit
327 François BÉDARIDA, op. cit., p. 47.
328 Denise ROLLEMBERG, Resistência: memória da ocupação nazista na França e na Itália. Uma perspectiva
comparativa acerca do uso da memória, São Paulo, Alameda, 2016.
329 Marcos NAPOLITANO, Coração civil: a vida cultural brasileira sob o regime militar (1964-1985) – ensaio
histórico, São Paulo, Intermeios, 2017.
330 Harry Roderick KEDWARD, Resistance in Vichy France, Oxford, Oxford University Press, 1978.
154
Guha331 ou de James Scott332, Kedward identifia quatre conditions indispensables à la
qualification d'un phénomène de résistance. La première était l'existence avérée d'une
« conscience de résistance, […] à la fois une conséquence et une condition préalable des actes
de résistance333 ». Le chercheur cherchait à mesurer la conscience de l’action de la part des
propres militants et ses manifestations concrètes. A cet égard, le dessinateur Nani,
collaborateur de Pasquim à partir de 1972, nous apportait en 2013 un témoignage éclairant en
insistant sur la revendication consciente de l’opposition, seule option possible pour l'humour
graphique :
« Il n'existe pas d'humour « en faveur de ». L'humour doit toujours être « contre ».
Freud lui-même disait quelque chose du genre « l'humour ne se résigne pas, il
affronte ». Il défie. L'humour graphique doit toujours défier, il ne se résigne pas.
[…] Le dessinateur naît avec un peu de cette verve et cet esprit de dénonciation et
d'opposition. C'est dur de trouver un dessinateur de droite. Ça existe, mais c'est rare.
Par exemple, durant la dictature, on a beaucoup lutté pour les partis en faisant des
dessins. C'était une plate-forme contre la dictature, pour les mouvements ouvriers.
Quand le PT est arrivé au pouvoir, dès le premier jour on faisait déjà des dessins
contre Lula. Être un dessinateur partisan, c'est à moitié abject. Un dessin « en faveur
de » perd son caractère résistant, devient un dépliant institutionnel 334. »
Cette nécessaire et fondamentale distinction entre propagande et combat politiques,
dans le cas précis du périodique Pasquim, émanait de dessinateurs et journalistes qui avaient
accumulé des expériences antérieures formatrices, parfois des échecs, et pour qui la création
d'une nouvelle publication vouée à l'humour graphique politisé devenait indispensable. La
mise en pratique de ce discours par les dessinateurs de presse se manifesta notamment contre
le gouvernement de Goulart au cours de la phase antérieure au coup d’État puis d’autre part,
331 Figure tutélaire des Subaltern Studies, l'historien bengali Ranajit Guha formula au début des années 1980 une
critique majeure de l'historiographie dominante au sein des études de l'Inde coloniale. Refusant la
prépondérance des historiographies dites « colonialiste » et « bourgeoise-nationaliste », Guha souhaitait
mettre en avant les classes populaires, protagonistes de leur histoire. Il fut notamment l'auteur de l'ouvrage
phrase Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, publié en 1983.
332 L'anthropologue et politiste nord-américain James Scott, professeur de Sciences politiques à l'Université de
Yale et directeur du programme Agrarian Studies à partir de 1991, est un spécialiste de l'étude des sociétés
paysannes du sud-est asiatique et de leurs formes de résistance à la domination.
333 Harry Roderick KEDWARD, « La résistance, l'histoire et l'anthropologie : quelques domaines de la théorie » in
Jean-Marie GUILLON, Pierre LABORIE, Mémoire et Histoire : la Résistance, Toulouse, Éditions Privat, 1995, p.
113.
334 NANI, entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro.
155
comme le disait lui-même Nani, contre la figure emblématique du Parti des travailleurs, Luiz
Inácio Lula da Silva. Conscients, donc, de leur rôle dans l’opposition, les dessinateurs
formulèrent un type singulier de critique du pouvoir militaire s’ajoutant aux manifestations
répandues au sein d’autres secteurs de la résistance culturelle, telles que la dénonciation de la
censure et de la répression instaurées par l’État. Nous le verrons dans le chapitre suivant, les
charges graphiques, les caricatures et les bandes dessinées répercutèrent ainsi – et
construisirent dans une certaine mesure – un ensemble de représentations critiques partagées
par différents groupes de l’opposition démocratique.
Les « noyaux durs » à l'origine des rédactions indépendantes partageaient des
convictions, des projets et un « héritage de valeurs335 », la deuxième condition définie par
Kedward. Nous nous garderons bien de minimiser les divergences politiques, l'importance des
caractères et des styles personnels, les conflits internes souvent liés à la gestion et
l'administration des périodiques. Mais l'existence d'un ensemble de représentations et de
références partagées fut l’une des caractéristiques majeures des journaux indépendants.
Kucinski insistait sur ce point dans Jornalistas e Revolucionários :
« Ils partageaient en grande partie un même imaginaire social, autrement dit un
même ensemble de croyances, de significations et de désirs, certains conscients et
même exprimés sous la forme d'une idéologie, d'autres cachés, sous la forme de
l'inconscient collectif. Au fur et à mesure que l'imaginaire social se modifiait, et
avec lui le type d'articulation entre journalistes, intellectuels et activistes politiques,
de nouvelles modalités de journaux alternatifs s'instituaient 336. »
L’auteur mentionnait également un héritage historique commun à la presse
indépendante pouvant être considérée « dans son ensemble, comme successeur de la presse
pamphlétaire des pasquins et de la presse anarchiste, dans la fonction sociale de création d'un
espace public en reflet, contre-hégémonique337. » Ricky Goodwin, ancien rédacteur de la
rubrique des entretiens de Pasquim, nous confirmait en 2011 cette filiation naturelle du
335 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 114.
336 Bernardo KUCINSKI, Jornalistas e Revolucionários : nos tempos da imprensa alternativa, São Paulo, Scritta
Editorial, 1991, p. 7.
337 Bernardo KUCINSKI, op. cit., p. 10.
156
périodique dans le lignage d’une tradition graphique à la brésilienne 338 impliquant la continuité
de certaines représentations :
« Donc il y a ces deux caractéristiques très fortes dans la presse de l'époque :
l'aspect de l'humour et l'aspect du dessin. Le Brésil a toujours eu de bons
caricaturistes, de bons dessinateurs de presse, Agostini fut le premier – Isabel
[Lustosa] adore Agostini. Donc Pasquim n'est pas une chose isolée. Il arrive avec
d'autres choses dans ses valises, il y a toujours eu d'autres temps, d'autre époques,
d'autres types de publications. […]
Pasquim, d'une certaine manière, se présentait en héritier. Cette tradition fut très
forte dans le Brésil des années 1960, le pays vivait une époque de grande
effervescence339. »
Les valeurs héritées et partagées par les dessinateurs de la presse indépendante furent,
d'après ces derniers, autant d'éléments constitutifs de l’identité et facteurs de cohésion au sein
des rédactions. C'est en ce sens que l'artiste Rubem Grilo, interrogé en 2013 au sujet des
gravures sur bois satiriques publiées dans la presse indépendante et notamment dans les pages
de Opinião, identifiait un point de convergence des membres de la rédaction : « J'y ai travaillé
à partir de la fin de l'année 1972, début 1973, je collaborais avec l'hebdomadaire Opinião. Qui
était un front démocratique, qui réunissait des personnes de nombreuses tendances politiques,
mais qui avaient un point commun commun : lutter pour les libertés civiles340. »
La nécessité de « transmission341 », troisième condition identifiée par Kedward apporta
un nouvel éclairage sur les ambitions professionnelles et la conception du métier de
dessinateur de presse ou de journaliste. Griló insistait sur ce point, décrivant l'une des
motivations qui le poussèrent à se diriger vers la presse indépendante et à exploiter toutes les
spécificités de la technique employée, la xylogravure, très ancrée dans la culture populaire
brésilienne :
« […] là je suis parti dans la presse pour m'éloigner un peu de cette crise naissante
au sein du marché de l'art. Et pour occuper cet espace de liaison, dans ce cas il
338 Nous dressons les contours et analysons les permanences de cette tradition graphique brésilienne dans le
premier chapitre de cette thèse.
339 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
340 Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro.
341 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 114.
157
s'agissait d'hebdomadaires, Opinião et les autres, qui me permettait de donner du
sens à ce que je faisais puisque dans la mesure où le travail était publié, il entrait en
contact avec les personnes, avec l'idée qu'il avait une raison d'être, parce qu'il
servait à défendre de bonnes idées, de bonnes causes. […] Même si elle n'arrivait
pas à transmettre un contenu critique, l'image avec sa force serait déjà suffisamment
critique. Quand on se trouve dans un moment où le pays est réduit au silence, cela
peut être une image de fou qui hurle, l'impression est qu'il commet quelque chose
d'interdit. J'avais un peu cette sensation que si j'intensifiais la communication de
l'image, la communication elle-même était critique, même si je faisais quelque
chose qui restait supposément en marge de la critique 342. »
L'autre versant de la transmission identifiée par Kedward fut largement développé par
Ricky Goodwin au sujet de l'hebdomadaire Pasquim auquel il conférait une visée pédagogique
de formation de jeunes dessinateurs, une nouvelle génération de caricaturistes ayant fait leurs
armes dans les pages du périodique aux côtés d'artistes déjà renommés :
« Une génération entière de dessinateurs est apparue avec Pasquim, parce que la
rédaction avait cette préoccupation de publier, de former, ça a toujours été un
journal avec de la place pour les jeunes, ils ont toujours pris de jeunes dessinateurs,
il y avait un espace pour les nouvelles contributions, il y a réellement eu un aspect
éducatif très fort343. »
La duplicité de la courroie de transmission, à la fois orientée vers la circulation de
messages à destination du public lecteur et vers le passage de témoin professionnel en vue de
la formation de jeunes dessinateurs, était fondée sur le fort pouvoir de communication des
images. L'humour graphique produit en vue de contribuer au combat mené par la rédaction fut
décliné en diverses formes spécifiques au fort potentiel discursif 344. Nous le verrons, les styles
graphiques et esthétiques caractéristiques varièrent en fonction, mais également au sein des
groupes, des rédactions et des générations. A titre d’exemple, au sein de Pasquim se côtoyèrent
Henfil, Jaguar et Millôr Fernandes, aux traits synthétiques et à l’économie communicative
342 Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro.
343 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
344 Voir : Paulo PETRINI, Gêneros discursivos iconográficos de humor no jornal O Pasquim : uma janela para a
liberdade de expressão, Mémoire de master en Communication, sous la direction de Rozinaldo Antonio
Miani, Londrina, Université d'état de Londrina, 2012, p. 44.
158
exemplaire, et Ziraldo, davantage ancré dans la tradition graphique de la charge détaillée et de
la bande dessinée. Originaires de São Paulo, les frères Chico et Paulo Caruso s’illustrèrent au
cours des années 1970 et 1980 grâce à leur technique graphique développée permettant de
véritables mises en scène visuelles alliant récits étoffés et fin esprit de synthèse humoristique
ou satirique.
L'une des techniques largement employées par l’humour graphique et l’image
satirique correspond à la quatrième et dernière condition définie par Kedward dans son modèle
d'analyse de la résistance, l' « inversion345 ». En décrivant la nécessité d'inversion et de
renversement du pouvoir, des valeurs morales et esthétiques, l'historien insistait sur l'intérêt
majeur de ce processus à long terme :
« Ce n'est pas forcément dans l'immédiat que cette sorte de transgression renversera
les structures du pouvoir ; mais elle 'brise le contrôle hégémonique qui rend les gens
esclaves au niveau des idées', ce qui était précisément l'objectif de la presse
clandestine (et donc illégale) des deux premières années de l'occupation. […] La
lutte pour la Résistance en 1940-1942 fut, elle aussi, un combat de position, et
notamment un combat pour les 'mots qui font vivre'. Vichy s'était approprié les mots
- 'des mots innocents (Eluard)' – qu'il fallait récupérer par une série d'actes
symboliques d'inversion. Le processus de recherche des actes de résistance
quotidiens et journaliers met nettement en relief les ressources culturelles qui furent
déployées en 1940-1942 pour permettre cette récupération 346. »
À travers cette définition des piliers d'une forme culturelle de résistance à
l'autoritarisme, Kedward confère à la récupération des symboles un statut crucial au sein des
mouvements qu'il analyse. Le parallèle nous apparaît flagrant avec les propos de Pierre
Rimbert publiés dans l'article « Éloge du rire sardonique. De l'exutoire à la résistance 347 » déjà
évoqué précédemment. Dans le cas de Pasquim, ou « pasquin », le nom du périodique
constituait un premier élément de ce rapport de renversement : la rédaction opéra une
récupération de sa connotation péjorative et en fit, dans un premier temps, une forme de
protection. Cette stratégie est également observable dans le cadre de l'analyse de titres
345 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 116-117.
346 Harry Roderick KEDWARD, op. cit., p. 117.
347 Pierre RIMBERT, « Éloge du rire sardonique. De l'exutoire à la résistance » in Le Monde Diplomatique, n°677,
août 2010, p. 28.
159
indépendants argentins sous le régime militaire voisin instauré en 1976. Le journaliste argentin
Juan Sasturain qui travailla au sein de la revue satirique Humor proposait en 1998 une analyse
qui nous semble également valide dans le contexte brésilien : « Le nom de la publication est
symptomatique. C'est presque un salut, une marque qui prévient, qui ouvre un parapluie audessus de son contenu, qui soigne : ceci est de l'humour (rien d'autre). Un geste défensif face à
la possible répression et une déclaration paradoxale de possession légale 348. » Le
fonctionnement des périodiques indépendants sous le régime militaire brésilien était axé
autour d'une série d'inversions symboliques et pratiques à différents niveaux. Les techniques
employées par les dessinateurs telles que la caricature politique et d'autres formes de création
graphique et humoristique, contribuèrent largement à ces mécanismes œuvrant à la
désacralisation, au questionnement des valeurs et de l'autorité. À une plus large échelle, en
constituant un groupe de lecteurs autour des dessins produits, mais surtout en proposant
l'ouverture d'un espace collectif d'expression en contexte répressif, les rédactions
indépendantes s'opposèrent aux restrictions imposées par le régime militaire.
Les éléments identifiés par Kedward, constitutifs de son modèle d'analyse de la
résistance, n'ont pas ici la fonction de proposer une réponse définitive à l'interrogation
épistémologique qui nous occupe : comment qualifier les pratiques contestataires des
dessinateurs d'humour politique et satirique sous le régime militaire brésilien ? S'il nous
apparaît fondamental de démystifier ce rôle résistant en tenant compte des évolutions
politiques du régime au long de la période étudiée, ce modèle n'en demeure pas moins très
intéressant, en ce qu'il définit certains piliers de l'action collective d'opposition. Les ouvrages
déjà cités précédemment, Coração civil349 de Marcos Napolitano et Resistência: memória da
ocupação nazista na França e na Itália350 de Denise Rollemberg, attestent en outre les
348 Juan SASTURAIN, « Humor era no tener que pedir perdón » in Eduardo BERSTEIN, Martin ZUBIETA, Decíamos
ayer. La prensa argentina bajo el Proceso, Buenos Aires, Colihue, 1998, p. 366.
349 Marcos NAPOLITANO, Coração civil: a vida cultural brasileira sob o regime militar (1964-1985) – ensaio
histórico, São Paulo, Intermeios, 2017.
350 Denise ROLLEMBERG, Resistência: memória da ocupação nazista na França e na Itália. Uma perspectiva
comparativa acerca do uso da memória, São Paulo, Alameda, 2016.
Voir également les travaux de Angelica Müller consacrés à la résistance des mouvements étudiants sous le
régime militaire brésilien et dans lesquels l’historienne s’inspire du modèle conceptuel développé par
François Bédarida, notamment : Angelica Müller, « A resistência do movimento estudantil brasileiro contra o
regime ditatorial e o retorno da UNE à cena público (1969-1979) », Thèse de doctorat en Histoire sociale,
sous la direction de Maria Helena Rolim Capelato et Michel Pigenet, São Paulo, Université de São Paulo en
cotutelle avec l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2010. Enfin, la thèse de l’historienne Miliandre
Garcia consacrée aux motivations politiques, sociales et culturelles de la censure théâtrale sous le régime
militaire s’intéressa également aux origines des pratiques contestataires face aux interdictions : Miliandre
GARCIA, « “Ou vocês mudam ou acabam”: teatro e censura na ditadura militar (1964-1985) », Thèse de
doctorat en Histoire sociale, sous la direction de Carlos Fico, Rio de Janeiro, Université fédérale de Rio de
160
ambitions renouvelées de l’historiographie brésilienne de définir dans une perspective
comparée les modalités et les formes prises par la résistance culturelle et politique sous le
régime militaire, mais également d’en mieux cerner les contours théoriques et
épistémologiques. Ainsi, le pouvoir synthétique de l’inversion constituée par les dessins ainsi
que la dimension de groupe, solution à l'atomisation partielle des structures sociales et
politiques traditionnelles, apparaissent comme deux des principales caractéristiques du travail
résistant des dessinateurs de la presse indépendante.
2. Le dessinateur au pluriel : l'appartenance à un collectif centré sur la lutte en
faveur des libertés civiles
Elifas Andreato, dessinateur et directeur artistique de l'hebdomadaire Opinião de 1972
à 1975, exprima dans un entretien publié en 2006 par la revue Comunicação & Educação351
son sentiment d'appartenance à un groupe militant dépassant les frontières de la simple
rédaction du périodique :
« Je suis entré dans tous ces mouvements, ces publications, parce j'ai commencé à
faire partie d'une équipe sélecte qui avait le courage de réaliser tout ça. Beaucoup de
gens aujourd'hui lisent l'histoire, mais n'imaginent pas ce que c'était réellement. Il
fallait du courage pour faire la couverture du livre de Hélio Bicudo, pour faire le
Capitão da Guerrilha... Je les ai tous faits. Nous étions des guérilleros, des militants
et à chaque fois qu'ils m'ont appelé pour dessiner une chose avec laquelle j'étais
d'accord, je l'ai toujours fait352. »
Dans les souvenirs du caricaturiste Nani, la conviction d’occuper un rôle important
décliné au pluriel était également identifiée par l'emploi du « nous » :
« Notre fonction de caricaturistes à l'époque était toujours de faire des
dénonciations. Parfois elles arrivaient à la presse, parfois non. Parfois le dessin
donnait des informations que le journal ne donnait pas. Les informations ne
Janeiro, 2008.
351 Roseli FÍGARO, « A arte de Elifas Andreato » in Comunicação & Educação, vol. 11, mai-août 2006, p. 233247.
352 Roseli FÍGARO, op. cit., p. 240.
161
pouvaient pas être imprimées sous forme écrite, mais elles pouvaient être dessinées.
Notre fonction fut donc importante, puisqu'elle occupa un canal de communication
avec le public, en transmettant certains messages et en assumant un type de
résistance353. »
L'usage par Nani de la première personne du pluriel est extrêmement intéressant : il
survint dans un second temps, après une première phase de conversation consacrée au récit de
la formation éducative, artistique et professionnelle individuelle. Le pluriel, aussi bien
référence au groupe de professionnels faisant partie d'une rédaction qu'à l'ensemble des
dessinateurs de la presse indépendante, donnait corps et consistance au militantisme raconté,
sublimé par le sentiment d'appartenance à un groupe aux parois poreuses, mais ancré dans des
valeurs communes. Exemplaire à cet égard, le périodique Singular & Plural lancé par le
journaliste Marcos Faerman en décembre 1978 à São Paulo exprima dans son titre cette
ambition de réunion de personnalités diverses au sein d'un même canal de communication. Le
graveur Rubem Grilo évoqua quant à lui la fonction de « catalyseur de chroniqueurs, de
personnes du champ de la littérature, de dessinateurs et de journalistes354 » attribuée au
périodique Pasquim, répondant ainsi aux analyses formulées par Bernardo Kucinski au sujet
du rôle rassembleur et émulateur des rédactions indépendantes :
« Dans les périodes de grande dépression des gauches et des intellectuels, chaque
journal fonctionnait comme un point de rencontre spirituelle, comme un pôle virtuel
d'agrégation dans l'environnement hostile et désagrégeant de la dictature. Il est ainsi
possible de tracer une ligne de démarcation entre la presse conventionnelle et la
presse alternative au Brésil d'après les rôles opposés en tant qu'agrégeant ou
désagrégeant de la société civile, et spécialement des intellectuels, des journalistes
activistes politiques. D'après un raisonnement original de Elizabeth Fox, la presse
alternative peut même être définie comme une forme d'affrontement de la solitude,
de l'atomisation et de l'isolement dans un contexte autoritaire 355. »
Cette dimension collective des rédactions ou à plus large échelle des professionnels de
la presse indépendante se construisit dans la somme des individualités et prit corps dans un
353 NANI, entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro.
354 Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro.
355 Bernardo KUCINSKI, op. cit., p. 10.
162
ensemble d'articles et de dessins signés par leurs auteurs, identifiés et identifiables. Les styles
et projets graphiques contribuèrent à forger un discours global engagé contre l'autoritarisme
du régime et ses conséquences. Nous avons en outre identifié certaines solidarités entre les
publications En effet, les annonces publicitaires ayant pour objectif la promotion de travaux
des collègues étaient légion dans les pages des journaux indépendants. A titre d'exemple,
l'hebdomadaire Opinião publia dès son septième numéro daté du 18 décembre 1972 des
encadrés dessinés faisant la promotion de Pasquim, en reproduisant notamment la couverture
du périodique satirique.
FIG 24 : Opinião, n°7, 18/12/1972, p. 21
Dépassant le stade de la simple annonce publicitaire, les réclames étaient réalisées par
les dessinateurs Jaguar, Ziraldo, Henfil ou Millôr Fernandes. A partir du mois d'août 1973,
Opinião fit également la promotion de revues et ouvrages spécialisés en bande dessinée tels
que A Patota, proposant des traductions en portugais de comics étrangers ou Fradim, revue
dirigée par Henfil. La grande majorité de la presse indépendante constitua ainsi un réseau
solidaire de références et soutiens mutuels dont les modalités pratiques furent la publication
d’annonces promotionnelles et parfois, nous le verrons, la mise en place de systèmes
d’abonnements groupés. Au-delà de ces encarts renvoyant à d'autres titres de la presse
163
indépendante ainsi qu'à des ouvrages d'humour graphique, la transversalité des carrières de
dessinateurs et journalistes publiant simultanément leurs travaux au sein de différents
périodiques contribua fortement au sentiment d'appartenance à un collectif dépassant les
cadres des rédactions.
L'étude des parcours individuels personnels et professionnels révèle en effet une
porosité des groupes et l'existence de nombreuses passerelles dans un univers professionnel
assez restreint, du moins dans les premières années après l'instauration de l'AI-5. Les
dessinateurs se connaissaient et s'inspiraient les uns des autres, créant un vaste réseau fondé
sur la pratique professionnelle et l'engagement militant malgré les divergences idéologiques.
Si nos travaux prétendent dépasser le cadre de l'axe urbain formé par les villes de Rio de
Janeiro et São Paulo, centres culturels et économiques du sud-est du Brésil, force est de
constater qu'avant le milieu des années 1970 ces deux pôles concentrèrent la grande majorité
des publications indépendantes. Toutefois, les dessinateurs travaillant dans ces villes n'en
étaient pas nécessairement originaires. La diversification géographique et la multiplication des
rédactions indépendantes hors de ces deux centres urbains, en zones rurales ou périphériques
ainsi que dans d'autres États, intervinrent parallèlement à la diversification thématique
assumée par les périodiques à partir de la seconde moitié des années 1970. Afin de cerner au
mieux les profils politiques se dessinant à l'aune d'un examen approfondi, intéressons-nous
aux sympathies, aux filiations idéologiques et aux engagements partisans tangibles, qui eurent
un impact tangible sur les styles graphiques et les pratiques contestataires des dessinateurs.
Les tenants du radicalisme libéral et du christianisme social trouvèrent des points de
convergence, les sensibilités libertaires s'affirmèrent, les cercles de la politisation née sur les
bancs de l'université ou à l'usine s'entrecroisèrent. Les affinités idéologiques avec certains
courants de la gauche et l'appartenance à une famille politique, dépendantes de facteurs
générationnels, sociaux et géographiques, contribuèrent à l’élaboration de formes différenciées
de la contestation dessinée.
II. Opinião et Pasquim, deux grands indépendants
1. Parcours et engagements politiques des dessinateurs
Nous ne nourrissons pas l'ambition de proposer une liste exhaustive des dessinateurs
ayant œuvré et publié au sein de la presse indépendante durant la période la plus répressive du
164
régime militaire, mais plutôt d’élaborer ici une sélection de figures emblématiques dont le
choix fut motivé par plusieurs critères : la représentativité, l’espace militant occupé,
l’expressivité et l’impact de leur travail. Ajoutons également l'accessibilité des sources, des
exemplaires et des collections, pour reconstruire les trajectoires militantes des rédactions
indépendantes. Les dessinateurs actifs sous les « années de plomb » étaient issus de différentes
générations s'entremêlant et s'inspirant mutuellement : ceux qui, d'une part, entamèrent leur
carrière entre les années 1940 et 1950, déjà pour la plupart affirmés et expérimentés au début
des années 1970, et les jeunes dessinateurs ayant fait leurs armes à partir de la fin des années
1960 et qui révélèrent leur talent entre 1969 et 1975. Si des sensibilités intellectuelles et des
cultures politiques se dessinèrent, il ne fut pas toujours évident de cerner les contours précis
d’une éventuelle affiliation directe des artistes à telle ou telle organisation politique. À travers
l'étude des trajectoires personnelles et professionnelles, l'émergence au début des années 1970
de deux pôles géographiques semble indéniable. Nous en analyserons les mécanismes de
création et les rouages de fonctionnement, en gardant à l’esprit la porosité de ces zones
d'exercice de la profession et les circulations des dessinateurs à l'échelle du pays permettant
d'observer de nombreux points de rencontre.
Figure tutélaire pour un pan important de la génération suivante, Millôr Fernandes
représenta un personnage de référence reconnu pour ses qualités de dessinateur, de poète, de
philosophe et d'intellectuel. Presque cinquantenaire, il prit la direction de Pasquim à la suite de
Tarso de Castro, l'un des fondateurs, à la fin de l'année 1970. S'il soutint ouvertement dans
certaines conjonctures des hommes politiques de gauche, dont Leonel Brizola, il rejetait et
dénonçait dans ses œuvres l'incompétence et la corruption de part et d'autre de l'échiquier
politique, s'opposant avec une ironique véhémence à l'establishment. Il n’hésita pas à
manifester son mépris pour le silence, la lâcheté et la paresse intellectuelle de la presse
majoritaire qui s’accommoda largement de l'autoritarisme. L'humour verbal et graphique de
Millôr Fernandes, simultanément hautement philosophique et amant de l'absurde, tenait de ce
rapport à la politique au sens large, à son attachement profond à la démocratie ainsi qu'aux
libertés individuelles et au peu d'appétence manifesté pour les issues révolutionnaires. Critique
et cynique dans ses dessins soulignant le grotesque et rehaussant les non-sens du scénario
politique, sa posture se rapprochait de la vision du radicalisme défendue par l’un des
intellectuels majeurs de la pensée de gauche au Brésil, Antonio Candido de Mello e Souza.
Socialiste depuis 1947 et l'un des fondateurs du Parti des travailleurs en 1980, Candido analysa
diverses manifestations de la pensée radicale dans l'histoire du Brésil au sein de l'article
165
« Radicalismos356 » en 1990. Il y envisageait le radicalisme brésilien comme un ensemble
d'idées et d'attitudes issues des secteurs les moins défavorisés de la société et portant en elles
les germes d'une hypothétique contestation :
« Provenant de la classe moyenne et de secteurs éclairés des classes dominantes, il
ne s'agit pas d'un mode de pensée révolutionnaire et, bien qu'il ait un potentiel de
transformation, il s'identifie seulement en partie aux intérêts des classes ouvrières,
qui sont le segment potentiellement révolutionnaire de la société 357. »
Ne remettant que partiellement en question les intérêts de son propre groupe, le radical
faisait donc preuve de pragmatisme et envisageait les solutions à l'échelle de la Nation toute
entière, occultant les spécificités inhérentes aux différentes classes sociales. Source possible de
conscientisation, potentiel élément provocateur de transformations révolutionnaires, la posture
radicale demeurait donc bien davantage alimentée par un espoir de modification plutôt que
d'abolition des structures de l'oppression. Le sociologue ajouta une dimension à cette
définition : le rejet du conservatisme dominant dans la société, auquel le radicalisme proposait
certaines alternatives. Dès lors, ces caractéristiques du radicalisme politique semblent
constituer un angle de lecture intéressant pour décrypter la production graphique et
humoristique de Millôr Fernandes qui s'insurgeait ironiquement contre les inégalités sociales
tout en profitant largement de sa place acquise de privilégié. Fervent démocrate, il mena le
combat dans ses ouvrages contre l'arbitraire, la censure et le pouvoir militaire, tout en
méprisant ouvertement les luttes issues de certaines minorités comme le mouvement féministe.
Dans la chronique « Cálculo político358 » publiée à la toute fin de l'année 1971, l’intellectuel fit
l'apologie d'un non alignement vis-à-vis des partis politiques et revendiqua un total libre
arbitre : « Celui qui, cependant, comme l'auteur, n'appartient à rien ni n'est rien du tout et vit
en pensant tout le temps et décide en fonction de chaque cas (la seule attitude possible pour un
intellectuel, le reste n'ayant rien à voir avec cette activité [...] est toujours vu avec méfiance par
tous, partout359. » Millôr Fernandes nuança tout de même cette posture en révélant sa
« définitive position politique » en affirmant en fin d'article après de savants calculs : « LE
RÉGIME POLITIQUE IDÉAL EST EXACTEMENT 32,3% A GAUCHE DU CENTRE 360. »
356 Antonio CANDIDO, « Radicalismos » in Estudos Avançados, vol. 4, n°8, janv-avril 1990, p. 4-18.
357 Antonio CANDIDO, op. cit., p. 4.
358 Millôr FERNANDES, « Cálculo político » in Pasquim, n°130, 28/12/71-03/01/72, p. 2.
359 Idem.
360 Idem.
166
Cette position semblait être partagée par l'un de ses collègues à la rédaction de
Pasquim, le dessinateur Ziraldo. Né en 1932 à Caratinga dans l’État du Minas Gerais, Ziraldo
Alves Pinto étudia le droit à l'Université fédérale du Minas Gerais avant de partir travailler à
Rio de Janeiro, au sein de la revue O Cruzeiro et du Jornal do Brasil. Très grand dessinateur
de bande dessinée, il fut l'un des fondateurs et éditeur du périodique Pasquim tout en
poursuivant sa collaboration avec le Jornal do Brasil sous le régime militaire, alimentant à ses
yeux une « opposition consentie361 ». Son trait fort, géométrique et d’inspiration moderniste fut
rapidement accompagné d'une typographie spécifique inventée par lui, contribuant à forger
l’identité visuelle unique362 et la teneur si caractéristique de ses travaux. Designer de ses
compositions graphiques, Ziraldo s’amusait des apports du verbal, du non-verbal et du
métalangage, jouant avec les recours à l’implicite, à l’inconscient et à l’imaginaire comme l’un
de ses modèles, Saül Steinberg, rencontré à Paris lors d’un voyage d’étude 363. Les traits
économiques, ici anguleux et sombres, là courbés et généreux, élaboraient des dessins à la
teneur à la fois poétique, parodique et critique dont la politisation attendit le début du régime
militaire pour exploser. Ziraldo réemployait dans ses charges les codes de la bande dessinée
nationale et étrangère pour en faire autant de jeux de mots graphiques et de calembours
visuels, comme dans le dessin reproduit ci-après fondé sur la polysémie du terme « bicho »
signifiant « animal » et également employé en argot pour interpeller quelqu’un :
361 TV CULTURA, « Roda Viva », São Paulo, 06/08/2018, 0'19''15 [en ligne :
https://tvcultura.com.br/videos/66048_roda-viva-ziraldo-06-08-2018.html] (consulté le 20/09/2018).
362 Voir : José Antônio Leal LEMOS, Maria Enísia Soares de SOUZA, « O contexto e implícitos na produção de
cartuns de Ziraldo e Millôr Fernandes » in Revista Labirinto, vol. 21, 2014, p. 194-207 ; Marcos Rafael da
SILVA, « As desventuras de Os Zeróis: cartuns e charges de Ziraldo, entre intenção e condição (1967-1972) »,
Mémoire de master en Histoire, sous la direction de Marcos Antonio da Silva, São Paulo, Université de São
Paulo, 2011.
363 Luis SAGUAR, Rose ARAÚJO, Almanaque do Ziraldo, São Paulo, Melhoramentos, 2007, p. 23.
167
FIG 25 : Pasquim, n°101, 10-16/06/1971, p. 10
Arrêté à plusieurs reprises, très critique envers le gouvernement autoritaire à partir de
la seconde moitié des années 1960, il prit en 1982 position en faveur de Miro Teixeira,
candidat du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) pour le poste de gouverneur
de l’État de Rio de Janeiro. Avant d'être le puissant parti politique à l'origine de la rupture du
mandat de la présidente démocratiquement élue Dilma Rousseff en 2016, le PMDB fondé en
1980 se présenta comme l'héritier du parti de l'opposition tolérée par le régime militaire éteint
en 1979, le MDB. Son orientation centriste et libérale convainquit Ziraldo lors des élections
générales du 15 novembre 1982. Cela dit, le dessinateur fut récemment à l'origine du logo du
Parti socialisme et liberté (PSOL) fondé en 2004 à la suite d'une scission de l'aile la plus à
gauche du Parti des travailleurs (PT). Plutôt situé au centre gauche de l'échiquier politique,
Ziraldo n'eut de cesse dans la seconde moitié des années 1970 de critiquer l'ARENA,
contribuant à la disqualification graphique du parti lié au gouvernement et opposé au MDB364.
Sa prise de position en faveur du MDB en 1982 opposa Ziraldo à Sérgio de Magalhães
Gomes Jaguaribe, dit Jaguar, qui apporta son soutien au candidat du Parti démocratique
travailliste (PDT) Leonel Brizola accompagné de son vice-gouverneur Darcy Ribeiro. Le parti
qui porta aux élections présidentielles de 2018 le candidat Ciro Gomes fut fondé en 1979 par
Leonel Brizola lui-même, dans une optique progressiste et démocratique de défense des droits
364 Lucia GRINBERG, Partido Político ou bode expiatório : um estudo sobre a Aliança Renovadora Nacional
(Arena), 1965-1979, Rio de Janeiro, Mauad X, 2009.
168
des ouvriers se démarquant de la ligne du PT fondé en 1980. En apportant son soutien aux
candidats du PDT pour gouverner l’État de Rio, Jaguar, né en 1932 à Rio de Janeiro, révéla
certaines de ses affinités politiques. Celui qui dessina pour les périodiques Manchete et
Senhor, puis Revista da Civilização Brasileira et Pif-Paf, avant de contribuer à fonder le
périodique Pasquim et d'en être l'un des éditeurs, était également fonctionnaire de la Banque
du Brésil jusqu'en 1971. Il y rencontra l'intellectuel et humoriste Sérgio Porto. Père du petit rat
Sig créé en référence ironique à Sigmund Freud et qui devint rapidement la mascotte de
Pasquim, Jaguar développa un style libre détaché des codes graphiques en vigueur et inventa
des personnages dont l'anarchisme, la décadence et les décalages renseignaient sur sa
conception du monde. Les traits simples extrêmement éloquents, les mimiques et expressions
faciales des personnages alimentaient un type d'humour ancré dans la blague, le quiproquo et
l'absurde, mais également le contexte politique national et les travers de l’univers carioca.
Pour dénoncer la faiblesse des infrastructures ainsi que le peu d’investissement public en
matière d’assainissement et de prévention des inondations à Rio de Janeiro, Jaguar affirma par
exemple en avril 1971 : « Le carioca est avant tout un amphibie ».
FIG 26 : Pasquim, n°92, 08-14/04/1971, p. 25
Naviguant entre les techniques et les genres, il fut également l'auteur de nombreux montages
photographiques dont les détournements s'attaquaient aux autorités répressives.
169
Issu de la même génération que Ziraldo, Jaguar et Millôr Fernandes extrêmement
inspirée par certains artistes européens tels que André François, Jean-Jacques Sempé et Saul
Steinberg365, Claudius Sylvius Petrus Ceccon, dit Claudius, est journaliste, dessinateur et
architecte. Né en 1937 dans l’État du Rio Grande do Sul, il travailla au Cruzeiro à partir de
1954, puis commença à publier ses caricatures dans le Jornal do Brasil en 1957. Membre de la
rédaction de l'éphémère Pif-Paf, il intégra l'équipe de Pasquim dès 1969 tout en étudiant
l'architecture et le dessin industriel à Rio de Janeiro. Emprisonné une première fois en 1964 à
cause d'un dessin de presse critiquant la répression du DOPS366, il fut de nouveau arrêté avec la
quasi totalité de la rédaction de Pasquim en 1970. Exilé à Genève en 1971, il rencontra
l'éducateur brésilien Paulo Freire et fonda avec lui l'Institut d'Action Culturelle, réalisant des
projets d'alphabétisation pour adultes au sein de pays africains lusophones récemment
indépendants comme la Guinée-Bissau. Claudius poursuivit ce travail à son retour au Brésil en
1978, en participant à des projets d'alphabétisation dans les quartiers de la périphérie de São
Paulo aux côtés de l'archevêque dom Paulo Evaristo Arns, influencé par le catholicisme social.
Démocrate très engagé politiquement, le dessinateur lutta à travers ses productions graphiques
aux traits délicats et synthétiques contre le régime militaire tout en rejetant une vision
coloniale de l'histoire du Brésil et des pays africains, notamment dans les ouvrages
didactiques.
Collègue de Claudius au sein de divers périodiques, Reginaldo José Azevedo Fortuna,
dit Fortuna, faisait partie de la même génération de dessinateurs de presse et d'humour ayant
débuté leur carrière entre la fin des années 1940 et la décennie suivante. Né en 1931 à São
Luis dans l’État du Maranhão, il arriva adolescent à Rio de Janeiro et publia ses premiers
dessins au sein de la revue infantile Sesinho. Il travailla pour O Cruzeiro, A Cigarra, puis PifPaf, périodique pour lequel il réalisa de nombreuses caricatures et charges de militaires.
L'ouvrage Hay Gobierno ?367 publié par Claudius, Jaguar et Fortuna et préfacé par Paulo
Francis, réunit en 1964 différents travaux des trois auteurs critiquant et tournant en dérision le
365 Le professeur de relations internationales, journaliste et dessinateur Gilberto Maringoni évoquait dans un
article paru à la fin de l'année 1994 certaines influences fondamentales dans le travail du dessinateur de
presse et caricaturiste Fortuna, influences communes à toute une génération d'artistes brésiliens marqués par
l'abolition des frontières entre humour graphique et arts plastiques. André François, Sempé, Bosc et Saul
Steinberg apparaissent comme des figures emblématiques d'une génération d'artistes européens de l'aprèsguerre qui révolutionna le trait et le style de dessinateurs brésiliens tels que Claudius, Fortuna, Ziraldo,
Jaguar… Voir : Gilberto MARINGONI, « Tchau, Fortuna » in Revista Princípios, n°35, nov.-janv. 1994-1995, p.
23-26.
366 Voir chapitre 2.
367 CLAUDIUS, JAGUAR, FORTUNA, Hay Gobierno?, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1964.
170
nouveau gouvernement. Entre 1964 et 1969, il publia ses dessins politiques dans le périodique
d'opposition au régime militaire Correio da Manhã tout en travaillant pour la Folha de São
Paulo, construisant sa carrière de dessinateur, de caricaturiste et chroniqueur visuel sur la base
de cette alternance entre des titres de la presse majoritaire et des journaux indépendants.
L'humour spontané et sarcastique, la prépondérance de la blague et du comique, le trait à
l'allure désinvolte et l'immense expressivité des visuels demeurèrent des éléments
caractéristiques de l'identité graphique du dessinateur très engagé contre le régime militaire.
FIG 27 : Pif-Paf, n°4, 06/07/1964, p. 24
Fortuna commença à dessiner dans Pasquim dès la fin de l'année 1969, avant de déménager à
São Paulo au début des années 1970. Il fut l'éditeur de O Bicho368, éphémère revue de bande
dessinée brésilienne parue en mars 1975 et valorisant le travail d'une nouvelle génération de
dessinateurs surgis du milieu universitaire pauliste, œuvrant déjà dans le périodique Balão.
368 Roberto Elísio dos SANTOS, Waldomiro VERGUEIRO, « Revistas alternativas de quadrinhos no Brasil na década
de 1970: uma análise de O Bicho » in Revista Latinoamericana de ciencias de la comunicación, n°12, janv.juin 2010, p. 22-31.
171
Parmi les innombrables dessinateurs de talent ayant fait leurs armes dans le courant des
années 1970 à São Paulo et contribué au renouvellement de l'humour graphique indépendant,
citons notamment Laerte, Angeli et Glauco. Collègues et amis, les trois partenaires de travail
créèrent notamment ensemble la série « Los tres amigos », bande dessinée publiée
régulièrement dans la revue Chiclete com Banana. Imprégnés des cultures jeunes et des
mouvements culturels alternatifs au-delà de la critique frontale du régime militaire, ils firent
l'objet tous les trois, respectivement en 2014, 2012 et 2016, d'une grande exposition organisée
par le centre culturel Itau Cultural à São Paulo dans le cadre du projet « Ocupação ». Le site
internet de l'institution présente de nombreux documents d'archives, dessins et entretiens
filmés concernant chacun des dessinateurs de cette « sainte trinité de la bande dessinée
brésilienne369 », renfermant autant d'informations précieuses pour nos recherches370.
Laerte Coutinho, dessinatrice transgenre371 à la suite d'un processus de transformation
entamé au début des années 2010, entreprit des études de journalisme à l'Université de São
Paulo en 1969, alors âgée de dix-huit ans et publia l'année suivante ses premiers dessins. Elle
fonda avec le dessinateur Luiz Geraldo Ferrari Martins, dit Luiz Gê, à l'époque étudiant en
architecture, ainsi que d'autres artistes issus du même environnement universitaire, la revue
pionnière Balão dont le premier numéro parut en novembre 1972. Malgré son tirage
extrêmement limité, la publication eut un impact qualitatif considérable et permit à de
nombreux jeunes auteurs et dessinateurs issus de la scène pauliste de se faire connaître : Paulo
et Chico Caruso, Angeli, Ignatz, Xalberto... Lauréate du premier Salon de l'humour de
Piracicaba372 en 1974 grâce à un dessin dénonçant avec humour et à coups de références
littéraires la torture et la répression physique, Laerte s'engagea très rapidement dans
369 L'origine de l'utilisation de cette expression, récurrente dans la presse et dans les blogs spécialisés en bande
dessinée au sujet du trio de dessinateurs, est difficile à identifier. Voici quelques exemples de son emploi :
https://www1.folha.uol.com.br/fsp/especial/fj1303201011.htm ;
https://www.lpm-blog.com.br/?
tag=abrobrinhas-da-brasilonia ;
http://culturafm.cmais.com.br/de-volta-pra-casa/ocupacao-itau-culturalhomenageia-cartunista-glauco-em-sua-30-edicao ; http://www.ochaplin.com/2015/07/de-angeli-a-ziraldo-ocartum-no-brasil.html … (consultés le 29 /09 /2018).
370 Voir
les
liens :
http://www.itaucultural.org.br/ocupacao/laerte/ ;
http://www.itaucultural.org.br/ocupacao/angeli/ ; http://www.itaucultural.org.br/ocupacao/glauco/ (consultés
le 29/09/2018).
371 Malgré la prépondérance du discours normatif cisgenre et fondé sur l’hétérosexualité dans la sphère
médiatique brésilienne, Laerte assuma publiquement sa transition entamée au début des années 2010 et
notamment marquée par différentes phases de sa propre compréhension du processus. Elle s’identifia
successivement comme travesti puis femme transgenre, terme que nous employons par conséquent. Voir
notamment l’article : Paulo ANDRADE, « Laerte: heroína trans ou homem vestido de mulher ? » in Jornal da
USP, 29/06/2017 [en ligne : https://jornal.usp.br/ciencias/ciencias-humanas/laerte-heroina-trans-ou-homemvestido-de-mulher/] (consulté le 01/05/2019).
372 Nous reviendrons sur l'importance du Salon de l'humour de Piracicaba dans le cinquième chapitre de cette
thèse, qui lui est entièrement consacré.
172
l'opposition au régime via son militantisme communiste au PCB puis son affiliation au MDB.
Elle milita activement pour la défense des droits des ouvriers de la périphérie de São Paulo et
créa en 1978 avec le journaliste Sérgio Gomes l'organisation OBORÉ dont l'objectif premier
était d'aider les syndicats à mettre sur pieds et faire vivre leurs périodiques, afin de contribuer
à la valorisation des luttes démocratiques. Publiant ses travaux dans la presse syndicale afin
d'inciter les ouvriers à militer, Laerte dessina également pour de très nombreux périodiques
indépendants et à grand tirage durant le régime militaire.
Son nom est fréquemment associé à celui du dessinateur pauliste Arnaldo Angeli Filho,
dit Angeli, qui entama sa carrière au début des années 1970 en travaillant dans la Folha de São
Paulo. Père de nombreux personnages baignant dans l'anarchisme et la solitude, fin amateur
d'humour noir, absolument opposé au conservatisme et très influencé par la culture
underground nord-américaine, Angeli s'engagea auprès de nombreux périodiques indépendants
et dessina notamment dans Movimento. Sceptique vis-à-vis de tous les gouvernements et des
partis politiques, le dessinateur dénonça vivement l'autoritarisme. Il remporta un prix au
deuxième salon de l'humour de Piracicaba en 1975 pour un dessin dénonçant avec humour
l'hypocrisie et le consentement de la société civile face aux dirigeants militaires, politiques,
économiques et religieux brésiliens. Il fonda en octobre 1985 la revue Chiclete com Banana
éditée par la maison Circo Editorial et qui ouvrit les portes du marché éditorial à la bande
dessinée nationale au moment de la redémocratisation du pays 373. La publication accueillit bon
nombre de dessinateurs de la nouvelle génération, extrêmement critiques vis-à-vis des partis
politiques, du dogme religieux et d'une vision moralisatrice de la sexualité. Le trait d'Angeli,
son style caricatural, ses lignes rondes et expressives, son cynisme et l'humour de
comportement le rapprochent des français Bar2 et Phane, dessinateurs successifs de la bande
Joe Bar Team. Bar2, actif entre les années 1970 et 1980, était lui-même largement influencé
par Franquin.
Angeli et Laerte travaillèrent en partenariat avec le dessinateur Glauco Villas Boas, dit
Glauco, né en 1957 dans l’État du Paraná et assassiné en 2010. Glauco commença à publier
ses travaux dans le Diário da Manhã de Ribeirão Preto et remporta deux prix au salon de
l'humour de Piracicaba en 1977 et 1978, qui contribuèrent au lancement de sa carrière de
dessinateur. Ses travaux pointaient du doigt les contradictions inhérentes à l'ouverture
373 Voir notamment Aline Martins dos S ANTOS, « 'Udigrudi' : O underground tupiniquim. Chiclete com Banana e
o humor em tempos de redemocratização brasileira », Mémoire de master en Histoire, sous la direction de
Samantha Quadrat, Niterói, Université Fédérale Fluminense, 2012.
173
politique progressive et les tensions internes aux autorités en charge de la censure et de la
répression. Il employait fréquemment la figure stéréotypée du bourreau pour tourner en
dérision la torture physique et créer des blagues visuelles à partir de situations dramatiques.
D'après Laerte, Glauco avait une conception assez générale de la société et s'insurgeait contre
les violences et les persécutions, mais ne défendait ni une idéologie ni un parti politique précis.
En 1979, il déménagea de Ribeirão Preto à São Paulo où il fut colocataire des artistes Henfil et
Nilson Azevedo, et poursuivit son travail de dessinateur de presse et de bande dessinée. Père
du personnage Geraldão créé en 1982 puis dessiné dans la Folha de São Paulo avant de faire
l'objet d'une revue éponyme, Glauco repoussait les limites de la liberté d'expression qui lui
était accordée en refusant catégoriquement de s'autocensurer. Ses dessins traitèrent au cours
des années 1980 de sexualité, de nudité, de consommation de drogues variées, des névroses
humaines. Les comportements subversifs en tous genres alimentèrent son humour corrosif et
malicieux tout en lui permettant de renforcer son style, simple, très fin et percutant. Les trois
artistes Laerte, Angeli et Glauco produisirent entre la fin des années 1970 et la décennie
suivante nombre de personnages de strips et bandes dessinées devenus populaires grâce à
l’emploi de l’argot et de la satire des mœurs, du quotidien, des comportements sociaux en
plein bouleversement et de l’esthétique underground374.
Henrique de Souza Filho, plus connu sous le mot-valise Henfil lui servant de
pseudonyme, était originaire de la périphérie très pauvre de Belo Horizonte. Né en 1944 à
Ribeirão das Neves, il grandit entouré de ses frères et de sa mère dans le quartier de Santa
Efigênia, étudia quelques temps à l'Université fédérale du Minas Gerais avant de se consacrer
au dessin tout en exerçant divers emplois alimentaires. Il publia ses dessins dans la revue
Alterosa en 1964, puis au sein du Diário de Minas et dans le Jornal dos Sports de Rio de
Janeiro à partir de 1967. Ce fut dans les pages de la presse sportive qu'il créa de célèbres
personnages issus de l'univers footballistique, teintés de critique politique et que le public
s'appropria largement dans les stades et dans la rue tout au long du régime militaire. Le
périodique Pasquim le fit connaître à l'échelle nationale, lui permit d'affirmer son trait et lui
offrit un espace de création et de perfectionnement de ses personnages 375 : les Fradinhos,
374 Eliane Meire Soares RASLAN, Mariane CARDOSO, Fabio RESENDE, Rafael GOULART, « Cultura contada através da
arte de ilustrar: quadrinhos nos anos de 1980 e 1990 » in Art&, n°15, 11/2014 [en ligne :
http://www.revista.art.br/site-numero-15/04.pdf] (consulté le 02/05/2019).
375 Voir notamment Maria da Conceição Francisca P IRES, « Cultura e Política nos Quadrinhos de Henfil » in
História, vol. 25, n°2, p. 94-114, 2006 ; Maria da Conceição Francisca P IRES, « Bode Francisco Orelana: uma
representação humorística da intelectualidade brasileira entre patrulhas ideológicas, autocensura e
odarização » in Topoi, vol. 8, n°14, janv.-juin 2007, p. 114-145.
174
l'équipe nordestine de la caatinga, le Cabôco Mamado, Ubaldo le paranoïaque... Il contribua
largement à la critique politique et de mœurs formulée par l'hebdomadaire satirique. Influencé
par le CPC de l'Union nationale des étudiants ainsi que par la Jeunesse universitaire catholique
(JUC), Henfil développa très tôt un humour graphique combatif et militant ainsi qu'une
sensibilité affirmée pour les problèmes socio-économiques, notamment dans le nord-est du
pays376. Il fit de la dénonciation des injustices et des drames frappant les classes populaires,
tout à fait liée à sa formation auprès des mouvements de la gauche catholique, le fil conducteur
de ses dessins. Ainsi, son personnage Baixim se félicitait ironiquement en avril 1971 dans
Pasquim du maintien de la variole au Brésil alors que la maladie avait été éradiquée de tous les
autres pays latino-américains.
FIG 28 : Pasquim, n°92, 08-14/04/1971, p. 10
Socialiste chrétien, il contribua activement à la presse syndicale aux côtés de Laerte après son
déménagement de Rio de Janeiro à São Paulo. Les témoignages de ses anciens collègues
évoquent son appartement, « le bunker », comme un lieu de rencontre, de réunions et de travail
accueillant de nombreux artistes, intellectuels et même certains exilés de retour au pays.
Audacieux, extrêmement critique et provoquant, convaincu du rôle politique des artistes,
376 Le chercheur Marcos Silva consacra récemment sa thèse d’habilitation à diriger des recherches (tese de livredocência) à l’œuvre combative de Henfil durant les années 1970 : Marcos SILVA, Os Dentes de Henfil
(Fradim – 1971/1980, São Paulo, Intermeios, 2018.
175
Henfil mourra en 1988 du Sida contracté à cause d’une poche de sang contaminé dans le cadre
des transfusions rendues obligatoires par son hémophilie de naissance.
Autre artiste graphique particulièrement mobile ayant beaucoup oscillé entre divers
centres urbains, Cássio Loredano vit le jour en 1948 à São Cristovão, un quartier situé au
centre nord de la ville de Rio de Janeiro. Sa famille déménagea plusieurs fois lorsqu'il était
enfant et il commença sa carrière au sein de l'hebdomadaire du département d'athlétisme du
club Espéria de la petite ville de Santo André, en banlieue de São Paulo. Il travailla ensuite
entre 1968 et 1969 au sein du Diário do Grande ABC, en tant que rédacteur, reporter,
secrétaire de rédaction et caricaturiste, puis à la radio Bandeirantes en 1970 et pour de
nombreux périodiques au début des années 1970. Il déménagea à Rio de Janeiro en 1972 et
devint l'un des principaux illustrateurs de l'hebdomadaire Opinião dès le premier numéro
publié en novembre de la même année. Artiste et poète graphique, il publia ses œuvres dans
Pasquim, mais également dans certains titres de la presse majoritaire, à l'instar de O Globo.
Entre 1975 et 1994, ses voyages au Portugal, en Allemagne, en Italie, en France, en Suisse et
en Espagne l'amenèrent à contribuer à de nombreux journaux internationaux : O Jornal de
Lisbonne en 1975, Frankfurter Allgemeine et Die Zeit de 1977 à 1981, La Repubblica et Il
Globo en 1982, Liberátion, Révolution et le Magazine Littéraire en 1983... Il commença à
dessiner pour O Estado de São Paulo à son retour au pays en 1994. Son travail de caricaturiste
révéla un engagement net contre les dirigeants militaires et civils autoritaires, ainsi qu'un
grand intérêt pour la défense de la culture brésilienne. Ses caricatures magistrales, souvent en
grand format et très interprétatives, s'inspiraient largement de l’œuvre de Luís Trimano,
dessinateur argentin né à Buenos Aires en 1943, formé à l’École nationale des Beaux-Arts
Manuel Belgrano et installé à São Paulo en 1968. Il travailla au sein de plusieurs périodiques,
dont Opinião. L'historien de l'art, collectionneur et commissaire d'exposition brésilien Pedro
Corrêa do Lago évoqua cette influence de Trimano sur le travail de Loredano, dans son
ouvrage Caricaturistas Brasileiros : 1836-1999377. D'après lui, la distorsion physique alors
peu employée au début des années 1970, caractéristique des portraits réalisés par le
dessinateur argentin, imprégna largement les productions de Cássio Loredano également
influencées par Millôr Fernandes.
Au sein de Opinião, Loredano et Trimano furent les collègues du dessinateur Chico
Caruso qui rejoint l'hebdomadaire à la fin de l'année 1973. Francisco Paulo Hespanha Caruso,
377 Pedro Corrêa do LAGO, Caricaturistas Brasileiros : 1836-1999, Rio de Janeiro, Sextante Artes, 1999.
176
dit Chico, naquit en 1949 à São Paulo quelques minutes après son frère jumeau Paulo,
également dessinateur. Chico Caruso commença sa carrière à la fin des années 1960 au sein de
la Folha da Tarde et étudia à la faculté d'architecture et d'urbanisme de l'Université de São
Paulo entre 1968 et 1973. Il y fit la connaissance de Luis Gê et contribua à la revue
universitaire de bande dessinée Balão en 1972. Son frère Paulo Caruso travailla au Diário
Popular au début des années 1960 et publia de nombreux dessins politiques. Il fit les mêmes
études que son frère, étudiant l'architecture à la USP entre 1969 et 1976. Il est possible
d'identifier dans le travail des deux dessinateurs, entre la fin des années 1960 et le milieu des
années 1970, une importance prépondérante des illustrations au détriment des productions
militantes qui reprirent le dessus à partir de 1975. À la capacité de synthèse inouïe de leurs
travaux respectifs s’ajoutaient la grande maîtrise technique des ombres, des couleurs et des
formes ainsi qu’une fine perception des connaissances, références et réactions du lectorat,
faisant d’eux les concepteurs de véritables mises en scène à la rhétorique visuelle complexe.
Chico Caruso travailla pour Opinião à partir de décembre 1973, puis pour Movimento, avant
de dessiner dans le Jornal do Brasil dès 1978. Paulo Caruso collabora à Pasquim dans les
années 1970 puis à des revues à grand tirage telles que Veja et Isto É, s’inscrivant dans un
mouvement d’insertion de l’humour et de la critique graphiques au sein des revues
hebdomadaires de la grande presse378.
Si, comme l'indiquent ces quelques profils, les dessinateurs appartenaient à des
générations différentes, avaient des origines sociales et des parcours professionnels divers, il
semble tout de même se dégager de cet ensemble un horizon commun : une culture politique
de gauche, aux déclinaisons et pratiques multipliables à l'envi. La diversité des convictions
politiques des dessinateurs sembla faire place à un engagement contre les valeurs défendues
par le régime militaire, la répression physique et le conservatisme moral imposé à la société.
Plus qu'un front organisé, nous opterions davantage pour l'identification d'une communauté
élargie fondée sur des pratiques, des valeurs, des solidarités et des réseaux de sociabilité. La
presse indépendante permit le maintien d’un espace public et légal pour les secteurs
intellectuels de la gauche, pour l’engagement des rédactions, des dessinateurs et journalistes
militants, mais également pour une nouvelle voix contestataire apparue au cours des années
1970 et davantage tournée vers les thématiques culturelle et comportementale, que Pasquim
incarna clairement. Si dans un premier temps, de 1969 jusqu'au début des années 1970, le
378 Pour un panorama des charges de Chico Caruso publiées entre 1980 et 1984 au sein de Pasquim, Jornal do
Brasil, IstoÉ et Globo, consulter : Chico CARUSO, Não tenho palavras, São Paulo, Circo Editorial, 1984.
177
périodique satirique carioca occupa réellement l'espace de la contestation de manière
hégémonique, Opinião surgit dans le paysage du journalisme indépendant en novembre 1972
puis le centre de gravité de l'humour graphique se déplaça vers São Paulo, avant de se
multiplier à l'échelle du pays dans la seconde moitié des années 1970.
2. L’humour de Pasquim : naissance et identité d’un hebdomadaire satirique
Considéré par Ricky Goodwin comme le « Hara-Kiri brésilien379 », la publication a
amplement bénéficié depuis les années 1990 d'un processus de sublimation 380 lui conférant le
statut contestable de symbole de la résistance au régime militaire. Nous le verrons, les réserves
sont nombreuses et la critique, liée à la nature élitiste d'un petit groupe d'intellectuels issus de
la zone sud de Rio de Janeiro, est en partie fondée. Le rôle rempli par le périodique est
cependant indéniable381 en ce qu'il constitua un espace d'expression verbale et graphique inédit
au début des « années de plomb ». Goodwin assimila sa création en juin 1969 à un heureux
concours de circonstances, à la réponse adéquate face à un vide à combler :
« Il manquait des espaces d'expression. Donc Pasquim, l'explosion de Pasquim,
s'est produite. Ce fut la bonne chose au bon moment. Il y avait déjà un lien dans le
champ politique, quelques journaux existaient, mais ils étaient purement politiques.
Ils n'avaient pas d'humour, il s'agissait de publications politiques très radicales, très
censurées. Ils étaient arrêtés. Parmi les principaux journaux il y avait Opinião et
Movimento, qui avaient même des liens avec des journaux similaires en Argentine.
Ils publiaient même des choses traduites. C'était des journaux politiques de gauche,
mais les gens qui n'étaient pas vraiment de gauche, qui n'étaient pas aussi politisés,
ne les lisaient pas382. »
379 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
380 La diffusion d'entretiens dans la presse, la réalisation de documentaires spécialisés et la publication
d'anthologies de dessins par les dessinateurs eux-mêmes ont largement contribué à ce phénomène.
381 De nombreux travaux brésiliens ont montré le rôle de l’humour graphique publié par l’hebdomadaire
satirique dans la contestation politique contre le régime militaire, la remise en question de paradigmes
intellectuels, la critique du conservatisme et de la morale ainsi que la promotion de comportements alternatifs
liés aux mouvements culturels, comme l’usage récréatif de drogues hallucinogènes et le sexe libéré des
tabous. Voir notamment : José Luiz BRAGA, Pasquim e os anos 70: mais pra epa que pra oba…, Brasília,
Éditions UNB, 1991 ; Andréa Cristina de Barros Q UEIROZ, « O Pasquim: um jornal que só diz a verdade
quando está sem imaginação (1969-1991) » in História & Perspectivas, n°31, juil.-déc. 2004, p. 229-252 ;
Norma Pereira REGO, Pasquim: Gargalhantes Pelejas, Rio de Janeiro, RelumeDumará, 1996.
382 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
178
L'anachronisme est intéressant : Opinião fut créé en 1972 et Movimento trois ans plus
tard, mais Ricky Goodwin les assimila au cours de notre entretien à un ensemble préexistant
en 1969 de périodiques davantage politisés, extrêmement censurés et desquels Pasquim se
serait démarqué par son humour. Malgré le décalage temporel, Goodwin pointait ainsi du doigt
l’une des valeurs ajoutées de l’hebdomadaire satirique au sein duquel il travailla. L'ancien
rédacteur évoqua également un autre facteur du succès, la jonction de deux branches de la
contestation jusqu’alors séparées :
« Il existait également un réseau de publications underground. C'était l'autre versant
de la contre-culture. Mais c'était des journaux à la circulation très réduite qui
avaient peu d'impact, ils étaient peu connus... Pasquim réussit à joindre ces deux
aspects : la lutte politique et la contre-culture. Toutes ces personnes qui travaillaient
davantage en lien avec l'humour, qui n'avaient plus d'espace ont pensé « créons
notre propre espace ». Je compare beaucoup Pasquim à un super groupe de rock :
généralement les personnes qui se réunissent pour faire un journal débutent leur
carrière... Les personnes qui se sont réunies pour créer Pasquim étaient déjà
célèbres, leur carrière était déjà construite, Millôr était le meilleur humoriste de
l'époque, Jaguar et Ziraldo étaient déjà très connus383. »
Le premier numéro de l'hebdomadaire parut en kiosques le 26 juin 1969, quelques
mois après la promulgation de l'AI-5. L'idée de créer un nouveau périodique d'humour
graphique survint à la suite du décès de l'intellectuel et humoriste Sérgio Porto en septembre
1968, alors qu'il dirigeait A Carapuça. Le journaliste Tarso de Castro, les dessinateurs Jaguar
et Claudius, le journaliste et éditeur Sérgio Cabral, l'écrivain Luiz Carlos Maciel se
regroupèrent dans l'objectif de créer un nouveau journal dans la continuité de la publication
éteinte. L'ours du premier numéro384 attribuait les fonctions d'éditeur à Tarso de Castro,
d'éditeur d'humour à Jaguar, d'éditeur de texte à Sérgio Cabral et d'éditeur graphique au
journaliste Carlos Prósperi. Claudius y figurait également, sans fonction précise. Il convient
toutefois de nuancer cet organigramme hiérarchique, puisque les témoignages des anciens
collaborateurs tendent à indiquer l'absence de direction et de ligne éditoriale précise du
journal, qui accordait ainsi aux journalistes et dessinateurs une grande liberté de création et
d'expression :
383 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
384 Pasquim, n°1, 26/06/1969, p. 2.
179
« La formule du succès du langage de Pasquim fut marquée par la personnalité
discursive et par la somme des individualités. Du fait de l'absence de la figure de
chef de rédaction, le groupe d'amis qui la composaient publiait des contenus qui
l'intéressaient, souvent en consultant d'autres membres de la « troupe », comme était
appelée l'équipe. Sans programme ni direction idéologique pré-définis, la « ligne
éditoriale » de Pasquim atteignait une singulière spontanéité385. »
Cette spontanéité et l'absence de direction du périodique fut confirmée par Ricky
Goodwin : « Les personnes apportaient leurs choses au journal... liberté totale de créativité.
Personne... tout le monde pouvait écrire et dessiner ce qu'il voulait. Ce qui a beaucoup aidé la
revue c'est cette différence avec les journaux politiques qui avaient une ligne ferme comme
ça386. »
Dans son ouvrage consacré aux journalistes de la presse indépendante sous le régime
militaire, Kucinski plaça Pasquim dans la catégorie des titres alternatifs influencés par la
contre-culture nord-américaine, l'existentialisme de Sartre et l'anarchisme, ceux qui
« rejetaient la primauté du discours idéologique. Mais tournés vers la critique des coutumes et
la rupture culturelle, ils investissaient principalement contre l'autoritarisme la sphère des
mœurs et du moralisme hypocrite de la classe moyenne 387. » Les innovations thématiques et
formelles participèrent d'un certain affranchissement vis-à-vis des codes journalistiques en
vigueur à la fin des années 1960 et contribuèrent à la création d'une identité fortement marquée
par le versant contre-culturel. Au cours de la première année d'existence de Pasquim, les
tirages augmentèrent de vingt mille à deux cent vingt-cinq mille exemplaires pour le trentecinquième numéro388, attestant un succès croissant et un lectorat considérable.
385 Bruno BRASIL, « A breve história e a caracterização d'O Pasquim » in Revista do arquivo geral da cidade do
Rio de Janeiro, n°6, 2012, p. 161.
386 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
387 Bernardo KUCINSKI, Jornalistas e Revolucionários : nos tempos da imprensa alternativa, São Paulo, Scritta
Editorial, 1991, p. 6.
388 Pasquim, n°35, 19-25/02/1970, p. 40.
180
FIG 29 : Pasquim, n°35, 19-25/02/1970, p. 32
Au fil des numéros s'ajoutèrent au noyau permanent de membres de la rédaction de
nombreuses personnalités collaborant de près ou de loin au journal, telles que Chico Buarque,
Oscar Niemeyer, Glauber Rocha, Vinicius de Morães, Madame Satã, Rubem Fonseca ou
Odete Lara. Artistes, intellectuels et journalistes composèrent peu à peu un microcosme d'amis
apportant une célébrité croissante à la publication, tout en renforçant son caractère localisé
d'hebdomadaire issu de la zone sud de Rio de Janeiro. Il est possible d'identifier une
centralisation accrue du propos sur le petit monde d'Ipanema à partir de l'année 1972, lorsque
la rédaction déménage de Botafogo pour s'installer à Copacabana, puis se fixer en 1974 au 142
rue Saint Roman, entre Copacabana et Ipanema. La toute première adresse de la rédaction était
située dans le quartier de Lapa, rue du Resende. Suite à un désaccord avec le service de
distribution, la rédaction déménagea brutalement et s'installa à partir du vingt-septième
numéro dans le quartier de Botafogo, rue Clarisse Indio do Brasil, avant de s'installer à
Copabana. L'identité carioca et les sympathies de la rédaction pour les artistes engagés dans
l'opposition au régime allèrent de pair avec cet ancrage dans les quartiers sud de la ville de Rio
de Janeiro, bohèmes, intellectuels, culturels et aisés. Le statut de muse de Pasquim accordé à
l'actrice Leila Roque Diniz, protagoniste d'une interview collective publiée dans le 22ième
numéro de l'hebdomadaire satirique, contribua à ce rapprochement évident entre le périodique
et la gauche festive, libertine et libertaire. Une photographie de l'actrice connue pour sa grande
liberté de mœurs et d'expression figura également dans le cinquante-deuxième numéro au
181
format de poster : elle représentait la « statue de la liberté brésilienne389 » à l'occasion de la
commémoration du premier anniversaire de Pasquim.
FIG 30 : Leila Diniz in Pasquim, n°52, 18-24/06/1970, p. 22-23
L'univers carnavalesque, les plages, les bistrots et lieux culturels du quartier d'Ipanema étaient
célébrés de manière récurrente, contribuant d'une part à fidéliser un lectorat socialement,
géographiquement et intellectuellement proche de la rédaction, mais alimentant d'autre part les
critiques formulées à l'encontre de cette « gauche caviar », jugée élitiste et bourgeoise.
Malgré un système de fonctionnement largement fondé sur des principes anarchistes,
certaines sections récurrentes structurèrent la maquette et constituèrent rapidement l'identité du
périodique. Les entretiens retranscrits et publiés sans retouche, reproduisant au plus près les
conversations entre un invité et plusieurs membres de la rédaction, représentèrent une grande
innovation dans le milieu journalistique. La chronique intitulée “Udigrudi”, traduction
phonétique avec accent brésilien du terme anglo-saxon underground, évoquait l'actualité des
mouvements contre-culturels européens et nord-américains ainsi que leurs échos et
réappropriations au Brésil. Signée par le journaliste Luiz Carlos Maciel, elle fut supprimée par
Millôr Fernandes lorsque celui-ci devint éditeur en 1971. Il semblait bien davantage
389 Pasquim, n°52, 18-24/06/1970, p. 22-25.
182
fondamental à l'intellectuel d'analyser la situation politique nationale que de publier des
nouvelles du mouvement contre-culturel et des courants portés par la jeunesse mondiale. De
grands intellectuels, journalistes, artistes ou musiciens, parmi lesquels Ivan Lessa, Chico
Buarque ou Vinicius de Moraes, proposaient régulièrement des articles envoyés de l'étranger,
d'autres régions du pays ou contribuaient depuis Rio de Janeiro. Pasquim ouvrit également ses
pages à une rubrique de correspondances, réclamations et recommandations des lecteurs,
parfois vivement critiques à l'égard des choix de la rédaction. Les dessinateurs publiaient
charges, bandes dessinées, montages photographiques et strips tout à fait librement, inventant
au fil des numéros des personnages récurrents devenus emblématiques, comme Sig, le petit rat
créé par Jaguar pour remplir le rôle de mascotte du journal. Plusieurs générations d'acteurs de
l'humour graphique et politique se côtoyèrent dans les pages ouvertes aux jeunes dessinateurs,
dont les moins connus d'entre eux avaient la possibilité d'envoyer leurs travaux à la rédaction
dans l'espoir d'être publiés. A titre d'exemple, le dessinateur Guidacci publia en novembre
1971 un dessin dans la section « Udigrudi » du cent-22ième numéro390 après avoir pour la
première fois la semaine précédente envoyé son travail, encensé par la direction. La grande
liberté de ton, d'action et de pensée caractéristique du fonctionnement de l'hebdomadaire
satirique contribua à son important succès et son statut incontestable d'acteur – parmi d’autres
– de l'opposition au régime militaire.
3. Opinião, un « nouvel hebdomadaire national391 » ?
Opinião possédait au même titre que Pasquim l'aura d'un grand périodique de
résistance à la dictature militaire brésilienne, mais il se démarqua de l'hebdomadaire né en
1969 à de nombreux égards. La publication naquit du projet conjoint alliant l'industriel et
entrepreneur Fernando Gasparian et le journaliste Raimundo Pereira, ancien éditeur de la
revue Realidade. Le premier numéro392 fut publié en novembre 1972 à Rio de Janeiro, à la
suite d'un numéro expérimental de quatre pages lancé le 23 octobre 1972 393. Gasparian, fils
d'un industriel arménien, né en 1930 à São Paulo, entama ses études à l'école d'ingénieur de
l'Université presbytérienne Mackenzie en 1948394. Diplômé en 1952, il adhéra au Parti
Socialiste Brésilien en 1953 après plusieurs années de militantisme étudiant puis s'engagea
390 Pasquim, n°122, 2-8/11/1971, p. 10.
391 Opinião, n°0, 23/10/1972, p. 1.
392 Opinião, n°1, 6-13/11/1972.
393 Opinião, n°0, 23/10/1972.
183
dans le syndicalisme à la fin des années 1950 et dirigea l'un des principaux syndicats
patronaux du Brésil. Après un passage à la direction financière de la Compagnie pauliste de
chemins de fer en 1960 puis son rachat de la firme América Fabril en difficulté financière, il
devint l'un des principaux entrepreneurs de l'industrie textile brésilienne. Nationaliste,
démocrate et syndicaliste, co-fondateur du MDB de São Paulo, Gasparian fut accusé de
financer des manifestations opposées au gouvernement en vertu de l'AI-5 et démis de toutes
ses fonctions patronales et dirigeantes en octobre 1969. Il quitta le pays en 1970 pour
s'installer à New York et enseigner, avant d'être professeur invité à l'Université d’Oxford. De
retour au Brésil en 1972, il proposa à Raimundo Pereira d'être l'éditeur d'un périodique
indépendant ayant pour vocation de regrouper l'opposition démocratique, de défendre les
libertés individuelles et collectives, de contribuer au développement économique, social et
politique du pays.
La famille de Raimundo Pereira, né en 1940 dans la petite ville pernamboucaine de
Exu, s'installa dans l’État de São Paulo alors qu'il était enfant. Raimundo commença à
travailler encore adolescent en tant que chroniqueur sportif. Il entra en 1960 à l'Institut
technologique de l'Armée de l'air de São José dos Campos, mais en fut renvoyé puis fut
emprisonné à la suite du coup d’État militaire, du fait de ses activités au sein du périodique O
Suplemento et dans une troupe de théâtre étudiante. Sans être affilié à un parti politique précis,
Pereira fut activement militant au sein du mouvement étudiant à partir de son entrée à
l'Université de São Paulo en 1965. Il contribua à la création et édita de mars à mai 1967
l'éphémère Amanhã, périodique publié par le syndicat étudiant clandestin de l'ancienne Faculté
de philosophie, sciences et lettres. Entre son ambition de création de passerelles entre les
mouvements étudiant et ouvrier, son contenu très critique envers le régime, ses sections
culturelles et ses grands reportages, Amanhã constitua une publication de référence parmi les
intellectuels et étudiants paulistes engagés dans l'opposition. Pereira travailla également à la
fin des années 1960 au sein de la Folha da Tarde, de Veja et de Realidade, avant de fonder
Opinião avec Gasparian en 1972. Dès la naissance de l'hebdomadaire surgirent certains
désaccords entre l'éditeur et le propriétaire, dans la mesure où Raimundo Pereira souhaitait
394 Au sujet du parcours professionnel, syndical et politique de Gasparian, voir : Sérgio LAMARÃO,
« GASPARIAN, Fernando » in Alzira Alves de ABREU et al (org.), Dicionário Histórico-Biográfico Brasileiro
– Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010 [en ligne : http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/dicionarios/verbetebiografico/fernando-gasparian] (consulté le 01/11/2018). Voir également à propos du périodique Opinião :
Antonio HOHLFELD, Elisa CASAGRANDE, Júlia MANZANO, « A América latina nos jornais brasileiros alternativos
Opinião e Movimento (1972-1976) » in Comunicação & Informação, vol. 15, n°1, janv.-juil. 2012, p. 6-20.
184
jouir de la plus grande indépendance et craignait les pressions liées à une perte de la propriété
intellectuelle. Gasparian, entrepreneur et patron, refusa de céder la majorité des parts aux
journalistes et conserva la propriété du titre, garantissant toutefois dans un premier temps à
l'équipe la plus grande autonomie.
FIG 31 : Opinião, n°1, 6-13/11/1972, p. 2
L'ours du premier numéro395, paru le 6 novembre 1972 et reproduit ci-avant, précisait
que le périodique dirigé par Fernando Gasparian et édité par Raimundo Pereira était une
publication de la maison Inúbia, entreprise d’édition spécialisée dans les ouvrages d'histoire
intellectuelle qui se rendit célèbre quatre années plus tard en publiant les débats organisés par
le groupe Casa Grande396. La rédaction de Opinião était composée d'une équipe permanente
d'éditeurs, de rédacteurs, de dessinateurs et de correspondants, tels que Bernardo Kucinski
depuis Londres, Paulo Francis de New York ou Luciano Martins à Paris, mais également de
collaborateurs occasionnels. Parmi ces intellectuels de renom figuraient notamment le
journaliste, romancier et dramaturge Antônio Callaso, le sociologue, essayiste et professeur
Antônio Candido de Mello e Souza, Fernando Henrique Cardoso – à l'époque sociologue
plutôt ancré à gauche – l'intellectuel et dessinateur Millôr Fernandes et l'économiste Celso
Furtado. Loin d'être l’organe de presse d'un parti politique, Opinião fonctionnait sur la base
d'une grande pluralité idéologique et se voulait le catalyseur d'une pensée critique issue de
l’opposition au régime militaire. Raimundo Pereira se souvint en 2011, lors d'un entretien
réalisé par l'Institut Vladimir Herzog dans le cadre du projet « Resistir é preciso », de l'impact
du groupe d’intellectuels réunis au sein de l'hebdomadaire :
395 Opinião, n°1, 6-13/11/1972, p. 2.
396 Ciclo de debates do Teatro Casa Grande, Rio de Janeiro, Inúbia, 1976.
185
« J'ai pris le journal et je suis sorti avec comme ça pour... le premier mec qui est
passé je lui ai dit « écoute, dis-moi, qu'est-ce que tu penses de ce journal ? ». Il a
regardé le journal, il l'a vu et a dit « ce journal doit être bon parce qu'il y a Paulo
Francis ». [rires] Parce que c'était comme ça, c'était un journal avec des gens
célèbres, Gasparian n'était pas si connu, mais au sein de la gauche, au sein des
intellectuels brésiliens, Celso Furtado, Fernando Henrique un peu moins, mais
c'était déjà... une liste énorme de gens célèbres. Et Paulo Francis était très connu.
Nous sommes arrivés à 38 400 exemplaires alors que Veja en vendait 42 000 en
kiosques. Nous étions le deuxième hebdomadaire du pays397. »
Opinião était imprimé au format tabloïd dont les dimensions, celles de la moitié d'un
journal traditionnel, lui conféraient praticité et confort de lecture. Les exemplaires
comportaient normalement vingt-quatre pages, à l'exception de certains numéros écourtés par
une censure trop importante. A titre d'exemple, le vingt-quatrième numéro datant du 16 avril
1973 n'était constitué que de quinze pages, excessivement tronqué à la suite de la Une
précédente affichant le portrait de Dom Paulo Evaristo Arns, archevêque de São Paulo 398.
Comme le signala Raimundo Pereira en 2011, le tirage atteignit presque 40 000 exemplaires à
l'occasion de la publication du troisième numéro le 20 novembre 1972. Cela étant, ce chiffre
exceptionnel était loin d'être une constante, le nombre d'exemplaires imprimés oscillant
fortement autour de trente mille exemplaires et chutant parfois à dix mille lors des périodes de
recrudescence de la censure. Le périodique était en vente en kiosques et disponible à
l'abonnement au Brésil, mais également vendu dans certaines capitales telles que Londres,
Paris et Santiago du Chili.
Le numéro zéro de Opinião, version expérimentale de lancement en quatre pages
publiée le 23 octobre 1972399, présentait dans un tout premier éditorial les objectifs et l'identité
de l'hebdomadaire naissant. Le texte insistait d'une part sur l'indépendance du périodique visà-vis des organisations politiques formelles, malgré le socialisme de Gasparian et les affinités
idéologiques de Pereira avec l'AP puis le PcdoB, mais également sur les combats menés par la
rédaction : critique et interprétation honnêtes des faits, thématiques intellectuelles et
397 Raimundo PEREIRA in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é Preciso...” Os protagonistas desta história, São
Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD1, 0'01''03 (document audiovisuel).
398 Nous reviendrons en détails sur les conditions de publication du vingt-troisième numéro, à la suite de la
messe célébrée le 30 mars 1973 à la cathédrale de la Sé pour l'étudiant Alexandre Vannucchi Leme, torturé et
tué dans les locaux du DOI-CODI de São Paulo.
399 Opinião, n°0, 23/10/1972.
186
culturelles, traitement de l’actualité nationale et internationale, défense des citoyens et des
libertés fondamentales. Enfin, l'éditorial présenta également le modèle financier suivi par la
rédaction, les coûts et salaires envisagés pour les rédacteurs et éditeurs, ainsi que l'ambition
d'autonomie à moyen terme grâce aux ventes hebdomadaires et à une présence modérée de la
publicité. Les vingt-quatre pages des exemplaires d’Opinião étaient effectivement divisées en
trois grandes sections consacrées respectivement aux nouvelles nationales en matière de
politique, d'économie, de santé publique ou d'éducation, à l'actualité et la géopolitique
internationales puis finalement à la culture dans la rubrique « Tendências e Cultura400 ». Les
pages internationales comprenaient l'édition brésilienne du quotidien français Le Monde avec
lequel Opinião établit un partenariat, ainsi que les traductions d'articles issus de célèbres
périodiques nord-américains et britanniques tels que The Washington Post, The New York
Review of Books, The Guardian ou New Stastesman, dont les lignes éditoriales couvraient un
large prisme politique allant du social-libéralisme à une sensibilité bien davantage ancrée à
gauche. Opinião couvrit certains des événements majeurs du début des années 1970 à l'échelle
planétaire tels que les offensives nord-américaines lors de la Guerre du Viêtnam, le scandale
du Watergate, les soubresauts politiques ayant animé le continent sud-américain, la Guerre du
Kippour opposant l’Égypte et Israël, la chute de Salazar et la transition démocratique
portugaise... La section culturelle dédiée à l'actualité artistique de Rio de Janeiro et São Paulo,
aux tendances et comportements, comprenait une page de loisirs et une colonne consacrée à la
pratique du jeu d'échecs.
Ce premier numéro de Opinião révéla également le projet graphique de la publication,
expliquant le choix assumé de privilégier le dessin de presse et la caricature à la
photographie401. La maquette travaillée et élégante accordait effectivement une place
prépondérante aux dessins, signés dans une grande majorité des cas. Chico Caruso s’exprima
en 1984 dans l'introduction de son ouvrage Não tenho palavras402 au sujet de la singularité du
travail réalisé par l'équipe artistique de Opinião, le comparant notamment au projet graphique
de Pasquim :
400 Eduard MARQUARDT, « Cultura em Opinião: as páginas de Tendências e Cultura (1972-1977) », Mémoire de
master en Littérature, sous la direction de Maria Lucia de Barros Camargo, Florianópolis, Université fédérale
de Santa Catarina, 2003 ; Eduard MARQUARDT, « Crítica e mercado. Tendências e cultura na década de 70 » in
Boletim de Pesquisa do NELIC, 2001, p. 42-58.
401 « Por que não fotografia ? » in Opinião, n°0, 23/10/1972, p. 2.
402 Chico CARUSO, Não tenho palavras, São Paulo, Circo Editorial, 1984.
187
« Et, en parlant de Pasquim […], ça ne coûte rien de rappeler que je me suis formé
professionnellement entre la naissance de Pasquim et l'absorption de ses
innovations par la grande presse : dans les journaux Opinião et Movimento, en
contact avec les artistes Luís Trimano, Elifas Andreatto et Cássio Loredano, et sous
le commandement du grand timonier et leader spirituel des peuples Raimundo
Pereira, nous avons commencé à développer un travail qui s'opposait déjà à la
spontanéité de ce brillant hebdomadaire – l'immédiateté, le ton informel des
entretiens à une époque à laquelle la première idée était généralement la plus
brillante – et en même temps : avec Millôr, Jaguar, Ziraldo, Henfil, vous vous
attendiez à quoi ? Mais aussi du fait de la couleur des années que nous vivions –
noires – nous n'avions déjà plus la moquerie si évidente, la drôlerie des dessinateurs
de Pasquim, mais une nouvelle force dramatique, principalement dans le graphisme
obsessionnel de Trimano. Et nos dessins n'avaient pas de légendes ou de bulles, ils
ne parlaient pas – ils gémissaient tout au plus403. »
À l'occasion du cinquante-quatrième numéro404 exceptionnellement composé de trentesix pages, l'hebdomadaire fêta sa première année de parution et consacra trois pages spéciales
à son équipe d'éditeur d'art et de dessinateurs, tout en publiant une rétrospective de
caricatures :
« Dans la présentation de OPINIÃO faite dans le numéro zéro, les futurs lecteurs
étaient informés du fait qu'ils ne trouveraient que peu de photos dans les pages du
journal. En évitant d'entrer en compétition avec l'immédiate diffusion d'images que
la télévision permet, en tentant également d'éviter une certaine standardisation des
photos, distribuées aux revues illustrées et aux journaux quotidiens par les agences
de nouvelles, OPINIÃO opta pour la possibilité de commenter visuellement des
personnages et des situations avec les interprétations personnelles de ses
illustrateurs. Elifas Andreato, alors directeur artistique de l'entreprise de
communication Abril Cultural, organisa une équipe de base d'illustrateurs incluant
Elifas lui-même, Luís Trimano et Cássio Loredano. OPINIÃO publia également
d'autres dessinateurs, comme Carlos Clémen, Petchó, Alcindo Cruz Maciel, David
Levine, Sabat, Allan Cobber, Gerald Scarfe et les dessinateurs de presse Oliphant et
403 Chico CARUSO, op. cit., p. 7-10.
404 Opinião, n°54, 19/11/1973.
188
Mollica. Les travaux de Elifas, Trimano et Cássio racontent une partie de l'histoire
de cette année de OPINIÃO405. »
FIG 32 : Opinião, n°54, 19/11/1973, p. 32
Elifas Andreato, dessiné ci-dessus par son collègue Cássio Loredano, fut le directeur
artistique de l'hebdomadaire depuis le premier numéro 406 et jusqu'à la fin du mois de février
1975, époque du départ de Raimundo Pereira et d'une partie de l'équipe. Né en 1946 dans la
petite ville de Rolândia dans l’État du Paraná et originaire d'une famille ouvrière modeste
rapidement installée à São Paulo, Andreato commença à travailler très jeune au sein de l'usine
d'allumettes Fiat Lux située en périphérie ouest de la ville. Il participa en 1964 à un cours
d'alphabétisation pour adultes et illustrait alors certains journaux ouvriers, avant d'être sollicité
par le patron afin de décorer la salle des fêtes de l'entreprise 407, puis choisir la programmation
musicale et cinématographique de ce haut lieu de la sociabilité ouvrière. Il fut ainsi repéré par
la critique d’art du périodique Diário da Noite Marli Medalha et entra en 1967 à la maison
d'édition Abril. Le jeune Elifas Andreato multiplia les expériences au sein de diverses revues,
travaillant notamment pour Realidade avant d'être promu directeur artistique des publications
405 Opinião, n°54, 19/11/1973, p. 32.
406 Le nom d’Elifas Andreato n'apparaît dans l'ours qu'à partir du quarante-quatrième numéro, publié le 10
septembre 1973, mais les témoignages attestent de sa présence dès les débuts de Opinião.
407 Voir Roseli FÍGARO, « A arte de Elifas Andreato » in Comunicação, vol. 11, n°2, 2006, p. 233-247.
189
féminines de la section culturelle de la maison Abril. Artiste graphique autodidacte et
polymorphe usant d'une grande diversité de techniques et de pratiques, Andreato contribua à
de nombreux titres indépendants et clandestins sous le régime militaire tout en s'illustrant dans
la réalisation de pochettes de disques vinyles, de couvertures d'ouvrages et d'affiches
théâtrales. Il dessina notamment l'affiche de la pièce « Mortos sem sepultura », adaptation
brésilienne de l’œuvre de Jean-Paul Sartre 408 et mise en scène par Fernando Peixoto. Mêlant
des références à la seconde Guerre mondiale et la dénonciation de la torture au Brésil, le
dessin fut censuré et les affiches confisquées. Ses travaux très expressifs à l'esthétique léchée
attestaient une grande liberté de création, d'un engagement politique et d'une conscience
sociale certains. Raimundo Pereira l'invita à être directeur artistique du futur Opinião dont il
fut également l'un des illustrateurs, responsable de la création de très nombreuses couvertures
et de certaines illustrations. Il racontait en 2011, également dans le cadre du projet « Resistir é
préciso », les allers-retours hebdomadaires tous les vendredis entre São Paulo et Rio de Janeiro
pour préparer l'exemplaire du lundi suivant :
« Raimundo vint me chercher et me dit « Elifas, on va faire un journal d'opposition
au régime, on va faire quelque chose au format de Pasquim, mais un journal
politique d'opposition au régime. J'ai dit « J'en suis. C'est parti ». Et pendant
presque un an je suis parti d'ici, de la maison d'édition Abril, les vendredis soirs, en
empruntant n'importe quel transport, tout ce qui était possible, parfois l'aéroport
fermait, parfois j'y allais en voiture... mais je ne dormais pas les vendredis. Et
j'emmenais avec moi une bande de fous volontaires pour faire la partie artistique,
parfois les textes du journal, bref...409 »
Visionnaire et inspiré, Andreato construisit pas à pas l'identité visuelle d’Opinião dont
la composition des premières de couverture et la place majeure accordée aux graphismes, de la
caricature à l'illustration, forgèrent la spécificité. Il avait perçu l'importance fondamentale des
408 La pièce Morts sans sépulture écrite par Sartre en 1941 fut représentée pour la première fois le 8 novembre
1946 au Théâtre Antoine à Paris. Elle fut publiée aux éditions Marguerat à Lausanne en 1946, puis à Paris en
1947. L’œuvre raconte l'histoire d'un groupe de résistants capturés par la milice et interroge les relations
humaines, les doutes et les sentiments de ces jeunes gens face aux interrogatoires et tortures. Fernando
Peixoto mit en scène la pièce en 1977 au Brésil en proposant une nouvelle interprétation du texte à la lumière
de l'autoritarisme du régime militaire. Au sujet des dialogues entre les deux œuvres, voir : Maria Abadia
CARDOSO, Mortos sem sepultura – Diálogos cênicos entre Sartre et Fernando Peixoto, São Paulo, Hucitec,
2011.
409 Elifas ANDREATO in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é Preciso...” Os protagonistas desta história, São
Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD1, 0'03''38 (document audiovisuel).
190
éléments graphiques au sein d'une mise en page relativement pauvre en noir et blanc, à
l'exception de la couverture qui pouvait comporter une seule couleur. Après la scission de la
rédaction et le départ de Raimundo Pereira, il décida de suivre l'éditeur dans la nouvelle
aventure de création de Movimento.
La maquette élaborée par Andreato et composée d'après lui sans pression de la part de
la direction du périodique410 mettait particulièrement l'accent sur les productions de Cássio
Loredano, jeune dessinateur présent dans l'équipe artistique dès le premier numéro et qui s'en
alla également au moment du départ de Pereira, après le cent-vingt et unième numéro.
Andreato publia son portrait en novembre 1973 :
FIG 33 : Opinião, n°54, 19/11/1973, p. 32
Auteurs d'innombrables dessins faisant souvent la couverture de l'hebdomadaire, Loredano
travaillait à l'encre de chine noire ou au crayon sur papier blanc, en insérant parfois des
remplissages gris. Il publia peu de charges dans Opinião – déclinant un rôle de chroniqueur
410 Elifas ANDREATO in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é Preciso...” Os protagonistas desta história, São
Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD1, 0'04''48 (document audiovisuel).
191
politique souvent assumé par ses collègues – mais se révéla un caricaturiste hors pair.
Loredano fut à l'origine de la création d'une galerie de portraits extrêmement riche constituée
de dessins centrés sur le caractère des personnes, devenus personnages composites miburlesques, mi-réalistes. Laissant sciemment transparaître ses sympathies et ses points de vue,
le dessinateur porta à son paroxysme le pouvoir synthétique de la caricature. Il reconnut
volontiers en 2015 s'imprégner en permanence de photographies des personnes représentées
afin de s'approcher au plus près de la physionomie et de l'attitude corporelle 411. Puis, par la
déconstruction des lignes et des traits étudiés, l'altération des proportions, l'exagération
accentuant le ridicule tout en conservant certains éléments physiques ou accessoires
caractéristiques, Loredano réalisait le tour de force de rendre instantanée l'identification des
personnes dont les apparences, les personnalités et les comportements étaient tournées en
dérision. Parfois, une simple ligne suffisait à l'artiste pour représenter un corps entier et
contrastait avec la minutie et le détail accordés au visage. Il caricatura pour Opinião les
dirigeants internationaux, de Nixon à Yasser Arafat, les ministres civils, dignitaires militaires
et présidents généraux du régime brésilien, ainsi que de très nombreux artistes ou champions
sportifs.
FIG 34 : Opinião, n°100, 4/10/74, p. 9
411 Voir le très court reportage consacré au dessinateur, « Loredano: um traço bem-humorado », réalisé en 2015
par la librairie brésilienne Saraiva [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=szqRCSS2gEA] (consulté le
04/11/2018).
192
L'une des sources d'inspiration indéniables de Loredano fut l’œuvre de son collègue
argentin Luís Trimano, dont le nom figure dans la liste des collaborateurs à partir du 10
septembre 1973, mais qui signa pourtant ses dessins dans Opinião dès le troisième numéro.
Son premier travail publié fut un portrait du metteur en scène José Celso Martinez Correia 412 à
l'occasion de la parution d'un article important consacré au dramaturge. Difformes, méticuleux,
détaillés, élégants et parfois monstrueux, les portraits dressés par Trimano et publiés dans
l'hebdomadaire attestaient une grande variété de techniques, s’articulant en plusieurs parties
par effet de contraste entre espaces pleins et vides, entre simples lignes et contenus fournis,
entre éléments familiers et déformations ironiques ciblées, entre abstraction, réalisme et
symbolisme. Formé aux Beaux-Arts, Trimano présenta à la chercheuse argentine Marina Poggi
en 2013 ses sources d'inspiration allant des muralistes mexicains aux expressionnistes
allemands, en passant par Pablo Picasso413. Dans le catalogue de l'exposition « Trimano :
desenhos » organisée par la Bibliothèque Nationale à Rio de Janeiro en 1993 414, Paulo Caruso
proposa quelques pistes de réflexion au sujet de la maîtrise technique et de la complexité des
créations de l'artiste argentin :
« Les dessins de Trimano ont cette caractéristique ; ils ne semblent pas être faits à la
main. D'après Nássara, son nom est une explication : TRI-MANO, c'est uniquement
avec trois mains qu'il peut réaliser ce qui semble impossible aux yeux profanes. Les
valeurs chromatiques sont traduites en un graphisme éloquent dans la pure
expression des sentiments. Pour Cássio Loredano, c'est avec Luís Trimano que nous
sommes rentrés dans l'âge moderne, en accord avec le monde qui nous entoure.
Il a créé une ligne de recherche psychologique profonde au sujet de la personnalité
de ceux qu'il caricature, jusqu'alors inexistante dans la presse brésilienne. Les
caricatures se contentaient de se heurter à l'image consentie par les grands hommes
de la vie politique nationale415. »
Cette ligne interprétative jouissant de la capacité à rendre la psyché poétique se révéla
en fait faussement décorative et acquit une fonction transgressive dans la caricature de
412 Opinião, n°3, 20-27/11/1972, p. 20.
413 Antonio Laguna PLATERO, José Reig CRUAÑES (org.), El humor en la historia de la comunicación en Europa y
América, Cuenca, Editions de l'Université de Castille – La Mancha, 2015, p. 323
414 BIBLIOTECA NACIONAL, Trimano : Desenhos, Rio de Janeiro, Fundação Biblioteca Nacional, 1993.
415 Paulo CARUSO, « O homem das três mãos » in BIBLIOTECA NACIONAL, Trimano : Desenhos, Rio de Janeiro,
Fundação Biblioteca Nacional, 1993, p. 5.
193
Trimano, à la mesure de l'ironie, fonction du degré de sympathie du dessinateur à l'égard de la
personne dessinée. À titre d'exemple, Trimano caricatura à de maintes reprises l'homme
politique et militaire Jarbas Gonçalves Passarinho, ministre de l'éducation sous la présidence
Médici de 1969 à 1974.
FIG 35 : Opinião n°11, 15-22/01/1973, p. 3
Dans la caricature reproduite ci-dessus et initialement publiée le 15 janvier 1973, le
visage fermé du ministre figurait comme en arrière-plan de la composition. Les proportions
furent faussées afin que la main droite tenant un stylo à plume, emblème scolaire s'il en est,
apparaisse minuscule et souligne l'absence de grandeur attribuée à l'occupant du poste. En
revanche, surgissant au premier plan du dessin, un trio composé des lunettes, des sourcils et
des oreilles de Passarinho semblait prendre le dessus. Gigantesques, les éléments masquaient
les yeux du personnage, devenant les protagonistes de la composition. Le col blanc et la
cravate, signes d'officialité et symboles du formalisme vestimentaire attribuée aux cadres et
hauts fonctionnaires, étaient également démesurés. Jarbas Passarinho apparut ainsi dans
l’œuvre de Trimano comme une créature animale submergée par sa fonction, paralysée par le
poids de ses lunettes et aveuglée par ses sourcils rejoignant les oreilles pour former des
194
œillères. Cette prépondérance des yeux et des oreilles dans les portraits de Trimano était
récurrente, comme en témoigne par exemple cette caricature du linguiste nord-américain
Noam Chomsky, intellectuel alors en poste au Massachusetts Institute of Technology et déjà
reconnu pour ses engagements politiques, notamment contre la Guerre du Viêtnam.
FIG 36 : Opinião, n°15, 12-19/02/1973, p. 20
La flagrante distorsion physique allongeait le visage sur un axe vertical duquel se
démarquaient deux éléments : la masse capillaire constituée de lettres de l'alphabet répétées en
séries, en référence à la qualité de linguiste de Chomsky, ainsi qu'un ensemble formé par les
lunettes et les oreilles démesurées du personnage accentuant la posture scientifique déjà
insinuée par le port d'une blouse blanche. Ici, les déformations physiques semblaient jouer en
faveur du protagoniste certes caricaturé, mais dont le dessin rendait hommage aux aptitudes
intellectuelles et à la capacité réflexive. Luís Trimano publia moins de ses incroyables
caricatures au cours de l'année 1974 puis quitta la rédaction de Opinião au début de l'année
1975.
195
En analysant l'ensemble des exemplaires de Opinião, nous avons identifié plusieurs
moments clés de l'évolution du projet graphique du périodique avec l'arrivée et le départ de
certains dessinateurs marquants. Henfil, sans être membre permanent de l'équipe, contribua
ponctuellement à l'hebdomadaire à partir du quatrième numéro 416. Ziraldo fit quelques
apparitions dans les pages de Opinião, comme le 1er juillet 1974 lorsqu'il dessina l'industrie
pharmaceutique brésilienne et les échantillons gratuits distribués systématiquement dans le
quatre-vingt-sixième numéro417. Orlando Mollica apparut pour la première fois en octobre
1973 dans les pages du périodique, signant dans le quarante-neuvième numéro 418 une
caricature de l'auteur britannique Wystan Hugh Auden. Le dessinateur et urbaniste de
formation contribuait à plusieurs titres de la presse indépendante et publia ponctuellement
dans Opinião. Peu après lui, Chico Caruso fit également son entrée dans le cercle restreint des
contributeurs graphiques réguliers : il publia une charge attaquant l'entreprise multinationale
Kodak419 le 10 décembre 1973 avant de publier énormément au cours de l'année 1974. Ses
dessins de presse, littérales mises en scène des protagonistes nationaux ou internationaux,
usaient de références politiques contemporaines et historiques, de très nombreuses figures de
style, de personnages expressifs tournés en dérision pour provoquer chez le lecteur de Opinião
diverses réactions : rire, réflexion, émotion. Le nom de Chico Caruso figura officiellement
dans la liste des contributeurs à partir du soixante-et-onzième numéro, publié le 18 mars 1974,
aux côtés du dessinateur Petchó et du graveur Rubens Campos Grilo.
Signant ses œuvres du nom de Rubem Griló, ce dernier publia sa première gravure en
décembre 1973420 et quitta la rédaction en janvier 1975, accompagnant Raimundo Pereira.
Agronome formé à l'Université fédérale rurale de Rio de Janeiro (UFRRJ), militant étudiant,
Griló fut emprisonné au cours du trentième Congrès de l'Union nationale des étudiants à
Ibiúna, puis arrêté une seconde fois en salle de cours et emprisonné durant un mois. Il nous
expliqua en 2013 que ces événements l'incitèrent à s'orienter vers une pratique artistique :
« Quand je suis sorti de l'université, diplômé, j'étais une personne fichée et donc je ne pouvais
pas travailler. Je suis resté en dehors du marché du travail et comme je n'avais pas le choix de
travailler, j'ai commencé à dessiner. Cette option est liée aux faits, plus qu'à ma propre
416 Opinião, n°4, 27/11-04/12/1972, p. 8.
417 Opinião, n°86, 01/07/1974, p. 3.
418 Opinião, n°49, 15-22/10/1973, p. 19.
419 Opinião, n°56, 10/12/1973, p. 11.
420 Opinião, n°58, 17/12/1973, p. 19.
196
volonté421. » Sans affronter directement le régime dans ses gravures tel qu'il le fit par la suite,
Rubem Griló expérimentait déjà les possibilités d'expression et de communication offertes par
la gravure sur bois et abordait dans ses œuvres publiées au milieu des années 1970 de
nombreuses thématiques culturelles brésiliennes, valorisant le théâtre, la littérature de cordel
ou le carnaval, mais également la culture populaire contemporaine et la télévision :
« Dans un premier temps, comme je faisais de la xylogravure, à chaque fois
qu'apparaissaient des articles avec des thèmes populaires – la xylogravure au Brésil
a des origines très fortement liées à la culture populaire et principalement à la
culture nordestine, à travers un type de poésie fait pour être chanté dans les
marchés, appelé littérature de cordel – donc à chaque fois qu'il y avait un article lié
à ça, ils me le donnaient parce qu'ils pensaient que la xylogravure illustrait le mieux
les thèmes populaires422. »
Convaincu de l'existence d'une double inspiration de la xylogravure brésilienne, issue à
la fois de l'expressionnisme et de la culture populaire, Griló insistait sur l'immensité des
possibilités créatrices liées à cette pratique artistique travaillant de pair avec l'imaginaire et le
syncrétisme :
« Ça n'est pas tant la forme, mais bien plus l'univers du traitement thématique qui
donne la sensation que tout est permis. […] Des références apparemment totalement
étrangères à l'histoire du pays, mais qui rassemblaient et restèrent dans la région.
Même des choses qui venaient des fables, le jaguar qui discute avec le macaque, les
personnages supposément héroïques de la région, Lampião... Tout cet univers de
l'imaginaire et en même temps la base de l'expressionnisme donnèrent à la
xylogravure brésilienne un champ très fertile de production que connaissent de très
nombreuses autres régions culturelles423. »
Enrichies de nombreuses références aux manifestations du nord-est brésilien, à la
ruralité et à l'artisanat, ses gravures publiées dans les pages culturelles de Opinião
421 Rubem GRILÓ, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro.
422 Idem.
423 Idem.
197
contribuèrent à faire connaître au lectorat des sujets éloignés de l'univers urbain de la classe
moyenne brésilienne.
FIG 37 : Opinião, n°75, 15/04/1974, p. 24
Cette gravure fut par exemple publiée pour illustrer un article consacré au Ier Congrès
national de Violeiros organisé à Campina Grande, dans l’État de Paraíba. Au premier-plan,
deux personnages jouaient de la viola et chantaient dans un microphone à pied installé devant
eux. Sur la gauche de la composition, l'un des violeiro à l’apparence très vieille, presque
macabre, arborait le chapeau en cuir porté par les vachers du nordeste brésilien, également
devenu l'un des symboles vestimentaires du célèbre bandit de grand chemin Lampião. Sur le
côté droit de la gravure, l'autre chanteur semblait plus jeune. En arrière-plan, une voiture
attendait les artistes, symbole de progrès technique, de confort matériel et de légère ascension
sociale. Griló mit en avant les transformations de la profession de chanteur et poète populaire
liées à l'avènement de la radio ainsi que la fondamentale transmission générationnelle chez les
chanteurs populaires. Ses gravures, extrêmement synthétiques et très travaillées, se référaient
directement aux illustrations de la littérature de cordel tout en employant certains ressorts
comiques, ironiques ou décalés, afin de dépasser le stade de la simple illustration et de
transmettre un message accessible et populaire, critique et donc politique.
À la fin du mois de février 1975, le départ de Raimundo Pereira suite à un profond
désaccord avec Fernando Gasparian au sujet de la ligne éditoriale du périodique provoqua une
rupture importante. Rubem Griló, Chico Caruso et Cássio Loredano imitèrent l'ancien éditeur
198
en chef pour laisser la place à une nouvelle équipe. La composition de la rédaction fut
totalement modifiée et l'ours du cent-22ième numéro, publié le 7 mars 1975, présenta le
nouvel éditeur Argemiro Ferreira, ainsi que le groupe de dessinateurs désormais en charge du
projet graphique. Mollica et Petchó, toujours présents, publièrent relativement peu de travaux
au cours de l'année 1975. Les nouvelles recrues telles que la jeune dessinatrice Mariza ou
Flávio Faria Souto, dit FAFS, côtoyaient le célèbre caricaturiste uruguayen Hermenegildo
Sabát qui avait déjà ponctuellement publié ses dessins à partir du mois d'octobre 1973 424. Le
caricaturiste brésilien Jayme Leão, l'un des cofondateurs de Movimento avec Raimundo
Pereira, participa également à Opinião à partir de l'année 1975 tout en publiant ses travaux
dans d'autres titres de la presse indépendante. Ces changements importants dans l'équipe de
rédaction qui modifièrent en profondeur l'identité du périodique intervinrent paradoxalement à
un moment durant lequel la censure, loin d'être homogène et constante, connut un léger
infléchissement. À l'instar de Pasquim, le périodique dut tout au long de son existence inventer
diverses stratégies graphiques afin de poursuivre la publication, de rendre visibles les coupes
et interdictions et de lutter, dans la mesure du possible, contre les restrictions imposées à sa
liberté d'expression.
III. Entre l'interdit et l'autorisé : créativité et stratégies graphiques face à la
censure
Les deux hebdomadaires Pasquim et Opinião subirent les attaques répétées de la
censure gouvernementale pratiquée sous différentes formes et à différentes périodes425 : billets
et consignes envoyés par courrier à la rédaction, présence physique d'un censeur dans les
locaux afin de contrôler le contenu des futurs numéros, contrôle préalable effectué à Brasília
au siège de la police fédérale, interdiction et confiscation d'exemplaires après la publication et
la parution en kiosques, diminution ou suppression de la publicité générant d'importantes
424 Le premier dessin de Sabát paru dans Opinião fut publié dans le cinquantième numéro daté du 22 octobre
1973. Il s'agissait d'un tableau caricatural des ministres du gouvernement de Perón, qui venait d’entamer son
mandat présidentiel le 12 octobre 1973.
425 Au sujet de la censure brésilienne appliquée aux périodiques O Estado de São Paulo et Movimento entre
1968 et 1978 voir : Maria Aparecida de AQUINO, Censura, imprensa, Estado autoritário (1968-1978): o
exercício cotidiano da dominação e da resistência, O Estado de São Paulo e Movimento, Bauru, EDUSC,
1999. Pour un panorama plus général de la censure au Brésil : Maria Luiza Tucci CARNEIRO, Minorias
silenciadas. História da Censura no Brasil, São Paulo, Edusp/Fapesp, 2002 ; et sur la censure appliquée aux
ouvrages littéraires : Maria Luiza Tucci C ARNEIRO, Livros proibidos, Idéais malditas, São Paulo, Ateliê
editorial PROIN/Fapesp, 2002. Enfin, à propos de la censure musicale : Maika Lois CAROCHA, « A censura
musical durante o regime militar (1964-1985) » in Questões & Debates, n°44, 2006, p. 189-211.
199
difficultés financières... Dans ce climat répressif caractérisant la fin des années 1960 et la
première moitié de la décennie suivante, le rôle de l'autocensure – souvent niée par les
protagonistes – est également à prendre en considération. Face à ces atteintes à la liberté de
création et d'expression, les équipes de rédacteurs et dessinateurs employèrent diverses
techniques et stratégies vouées à permettre la poursuite des publications tout en rendant
visibles les interdictions. L'analyse des stratagèmes visuels et graphiques développées par les
deux rédactions révéla l'existence d'une certaine marge de manœuvre de l'humour graphique et
d'interstices entre l'interdit et l'autorisé, à la faveur de subjectivités, d'interprétations, de
rapports sociaux et de seuils de tolérance mouvants.
Les travaux de Marie-Laure Geoffray et son article « Étudier la contestation en
contexte autoritaire : le cas cubain426 » nous semblent autoriser une réflexion comparative. En
se penchant sur la dimension collective de formes spécifiques de contestation, la chercheuse
analysa certains exemples de mobilisation investissant l'espace public cubain sans
manifestation politique directe afin d’éviter l'immédiate répression. Selon elle, « [l]a réception
[d'une intervention] par les destinataires qui comptent (ici les décideurs locaux), médiatisée
par les réactions des habitants, est ce qui la constitue en une action à portée politique 427 ».
Dans le contexte du régime militaire brésilien, on peut se demander si le potentiel contestataire
des caricatures et charges politiques était la cause de la censure qui leur était appliquée ou si
au contraire, elle en était l’une des conséquences dans un processus d’élaboration progressive
de la subversion. Précisons que la réaction des autorités en charge des interdictions varia au
cours de la période allant de 1969 à 1975 en fonction des inflexions et des durcissements du
régime militaire. L'histoire de la censure appliquée aux périodiques indépendants et celle des
techniques développées par ces derniers devient en ce sens l’un des révélateurs des évolutions
de la politique censoriale et de l'autoritarisme brésilien.
426 Marie-Laure GEOFFRAY, « Étudier la contestation en contexte autoritaire : le cas cubain » in Politix, n°93,
2011/1, p. 29-45.
427 Marie-Laure GEOFFRAY, op. cit., p. 39.
200
1. Pasquim, des liaisons dangereuses avec la censure428
Le 12 mars 1970, les membres de la rédaction découvrirent une bombe dans leurs
locaux. L'engin n'explosa pas, mais l'acte constitua une importante tentative d'intimidation,
quelques jours après la publication du trente-neuvième numéro le 12 mars 1970. Le numéro
suivant permit à Pasquim de s'exprimer au sujet de l'attaque et de la figurer visuellement : une
photographie du groupe de la rédaction était modifiée, les visages transformés en têtes de
mort429. Le périodique était fréquemment sujet aux interdictions et coupes, comme lors de la
parution du cinquante-deuxième numéro daté du 18 juin 1970 qui comportait une page
intégralement blanche430. Au fil des mois, les rédacteurs employèrent régulièrement
l'astérisque pour remplacer certains termes prohibés notamment par la crainte de porter atteinte
à la morale et aux bonnes mœurs. Dans l'entretien avec un hippie originaire de San Francisco,
Louis H. Rapoport, publié le 20 août 1970, le symbole servait à signifier le fait d'avoir des
relations sexuelles431. La première offensive432 contre Pasquim à réellement porter ses fruits eut
lieu en novembre 1970, un peu plus d'un an après le lancement de l'hebdomadaire et quelques
mois après la promulgation en janvier 1970 du décret-loi n°1.077 établissant le contrôle
préalable, prétexte à l'arrivée de censeurs dans les locaux de la rédaction. Le 3 novembre 1970,
le soixante-douzième numéro publia un détournement du célèbre tableau de Pedro Américo,
« L'Indépendance ou la mort ». Le dessinateur Jaguar inséra un phylactère dans la composition
afin de faire entonner à l'empereur Pedro I le refrain d'une chanson célèbre de samba-rock
composée par Jorge Ben Jor : « Eu também quero mocotó ».
428 Voir la thèse doctorale de Márcia Neme Buzalaf consacrée aux interdictions imposées au périodique Pasquim
entre 1969 et 1975, dans laquelle elle analyse les trois grandes étapes de la censure de l’hebdomadaire : une
censure de circonstances, une censure préventive présentielle et une censure délocalisée à Brasília.
L’historienne insistait également dans son travail sur le caractère générationnel du phénomène Pasquim :
Márcia Neme BUZALAF, « A censura no Pasquim (1969-1975): As vozes não silenciadas de uma geração »,
Thèse de doctorat en Histoire sociale, sous la direction de Zélia Lopes da Silva, Assis, Université de l’État de
São Paulo (UNESP), 2009.
429 Pasquim, n°40, 19-25/03/1970, p. 3.
430 Pasquim, n°52, 18-24/06/1970, p. 21.
431 Pasquim, n°61, 20-26/08/1970, p. 14.
432 José Luiz Braga explique dans son ouvrage O Pasquim e os anos 70 l'accumulation progressive de difficultés
rencontrées par le périodique à partir de la promulgation du décret-loi n°1.077, daté du 26 janvier 1970.
D'après l'auteur, la cause immédiate de l'emprisonnement de la rédaction fut la publication du montage
photographique de Jaguar, mais elle survenait à la suite d'un ensemble de problèmes antérieurs liés à la
censure préalable, à l'absence de gestion financière organisée, aux menaces pesant sur l'équipe, au
changement d'adresse de la rédaction...
201
FIG 38 : Pasquim, n°72, 3-10/11/1969, p. 4
Jaguar employait fréquemment la technique du montage photographique permettant d’altérer
le sens des images initiales, par la reconstitution ou l'ajout de nouveaux éléments tels que les
bulles de paroles. L’œuvre de Pedro Américo de Figueiredo e Melo peinte en 1888,
« L'Indépendance ou la mort », également connue comme « Le cri de Ipiranga », fit partie à
l'époque de sa réalisation à la fin du XIX e siècle d'un vaste projet de peinture historique et
politique visant à créer et nourrir le sentiment d'appartenance à la nation brésilienne. Le
régime militaire instauré en 1964 cherchait également à imposer sa définition de l'identité
nationale et censurait presque systématiquement les réflexions discordantes. Ajoutons que la
subversion provoquée par l'image opéra également dans les paroles attribuées à l'empereur
Pedro I, qui fredonnait des paroles chargées de doubles sens : le mocotó est un plat traditionnel
brésilien cuisiné à base de pieds de vache, de haricots blancs et de légumes, mais le terme était
également employé à la fin des années 1960 pour désigner les jambes féminines découvertes
par l'arrivée de la mini-jupe. La majeure partie de la rédaction fut emprisonnée à la suite de
cette publication. Absents des lieux, seuls Henfil, Millôr Fernandes et la secrétaire de
rédaction Martha Alencar en échappèrent et continuèrent à publier l'hebdomadaire de manière
clandestine, soutenus par un groupe d'artistes et d'intellectuels qui manifestèrent leur solidarité
en aidant concrètement la publication à surmonter cette période.
L'impossible évocation explicite des événements amena Henfil et Millôr Fernandes,
assistés par le dessinateur Miguel Paiva, à composer dès le numéro suivant un ensemble de
références visuelles et textuelles faisant appel à la sagacité des lecteurs. Le numéro 73 titrait
« Pasquim, un journal avec quelque chose en moins » et annonçait en couverture : « Enfin un
202
Pasquim entièrement automatique, sans Ziraldo, sans Jaguar, sans Tarso, sans Francis, sans
Millôr, sans Flávio, sans Sérgio, sans Fortuna, sans Garcez, sans la rédaction, sans la
comptabilité, sans les gérants et sans la caisse433. »
FIG 39 : Pasquim, n°73, 11-17/11/1970, p. 1
La deuxième page du numéro était constituée d'une lettre manuscrite attribuée à Sig, le petit
rat habituellement dessiné par Jaguar qui prenait cette fois corps sous le crayon de Millôr
Fernandes. Revenant d'un voyage en Italie, Sig s'étonnait de ne trouver personne à la rédaction
de Pasquim et supposait que « ça [devait] être à cause de la grippe. Personne ne contrôle cette
grippe434 ». Cet épisode fut dès lors appelé « la grippe de Pasquim » et resta gravé dans la
mémoire forgée autour du périodique, à en croire le journaliste Ricky Goodwin :
« En décembre 1970, il se produisit ce qui est connu comme la « grippe » de
Pasquim. Tout le monde emprisonné. Ils n'ont pas réussi à trouver deux personnes,
elles s'étaient cachées. Mais tous ceux qui travaillaient à Pasquim ont été
433 Pasquim, n°73, 11-17/11/1970, p. 1.
434 Pasquim, n°73, 11-17/11/1970, p. 2.
203
emprisonnés et le journal fermé. Au début, fermé pour toujours, pour une durée
illimitée. Les militaires ont emprisonné les éditeurs pour en finir avec Pasquim.
Mais il s'est passé la chose suivante : il y a eu une contestation populaire et de
nombreux journalistes, artistes et même des personnes communes se sont retrouvés
dans un endroit secret et ont fait le journal clandestinement. Ils ont publié les choses
comme si c'était Ziraldo qui écrivait, ou Jaguar qui écrivait, tout le monde... pour
que Pasquim ne meure pas. Ils ont réussi à continuer le journal pendant presque
deux mois, il a continué à paraître clandestinement 435. »
Le dessinateur Nani évoqua également cet épisode au cours de notre entretien en 2013 :
« Quand le groupe de Pasquim a été emprisonné, à l'exception de Millôr et Henfil, de
nombreux artistes et intellectuels envoyèrent du contenu pour remplir. Même Roberto Carlos a
envoyé une note !436 » Les vingt-quatre pages du numéro comprenaient différents articles,
quelques montages photographiques, des dessins de presse et une bande dessinée non signée
par son auteur Henfil, intitulée « Sig présente : D. Quixote e Sancho Pança ».
Les numéros suivants multiplièrent les allusions et les références à l'emprisonnement
des membres de la rédaction tout en poursuivant le travail de réalisation du périodique.
FIG 40 : Pasquim, n°74, 18-24/11/1970, p. 1
435 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
436 NANI, entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro.
204
La couverture du numéro 74 reproduite ci-dessus, représentait un immense labyrinthe
au milieu duquel le rat Sig cherchait désespérément la sortie. Sur les parois étaient inscrits des
noms des artistes et intellectuels solidaires : Fernando Sabino, Chico Buarque, Antônio
Callado, Roberto Carlos, Rubem Braga, Carlos Heitor Cony, Rubem Fonseca, Odete Lara...
Sans que l'on puisse distinguer le personnage à l'origine des paroles, une bulle indiquait
« Toujours avec quelque chose en moins mais maintenant avec beaucoup en plus 437 », faisant
allusion à la grande quantité de collaborateurs occasionnels qui participèrent à la réalisation de
l'hebdomadaire pendant l'emprisonnement de ses membres permanents. Dans les numéros
suivants, Henfil imita à plusieurs reprises le style de ses collègues Jaguar, Ziraldo ou Fortuna
en apposant la mention « intérimaire » après leur signature, alors que les nouveaux noms de
jeunes dessinateurs recrutés pour l'occasion apparurent au fil des pages. Millôr Fernandes
publia dans le numéro 77 un dessin à la signification symbolique majeure et visionnaire : non
signée, l'image représentait l'espace géographique de la rédaction située rue Clarisse Índio do
Brasil sous l'apparence d'un long tunnel vide multipliant l'écho à l'infini. Un vendeur à la
sauvette situé au premier plan annonçait la sortie du périodique. Le titre « Pasquim, le journal
à la plus grande répercussion dans tout le pays » parachevait la composition et insistait sur
l'impact de l'absence des personnes emprisonnées augmentant largement la visibilité et la
résonance de la publication.
FIG 41 : Pasquim, n°77, 9-15/12/1970, p. 18
437 Pasquim, n°74, 18-24/11/1970, p. 1.
205
La quatrième de couverture du même numéro détourna la photographie de deux mains
menottées en feignant de promouvoir un bracelet en métal à la mode désormais fabriqué « em
cadeia », terme signifiant à la fois « à la chaîne » et « en prison ». Le texte commentait : « Il a
fait fureur parmi certains rédacteurs de O PASQUIM et certains d'entre eux le portent déjà
depuis plus d'un mois438. » Le numéro suivant paru le 30 décembre 1970439 employa une autre
technique vouée à publier les travaux des dessinateurs alors emprisonnés. La section
malicieusement intitulée « Humour 'libre' export440 » reproduisit certains dessins de Jaguar,
Fortuna et Ziraldo publiés dans la presse étrangère :
« Dans l'impossibilité de compter sur une grande partie de notre main d’œuvre, à la
suite du choc provoqué par notre production sur le marché national et les
convulsions conséquentes dans notre industrie, nous ouvrons nos pages au marché
international. Jaguar, Fortuna, Ziraldo nous ont tellement fait plaisir ici qu'ils
doivent maintenant faire plaisir à l'étranger. For Export Only, sorry la
périphérie441. »
Ces remplacements temporaires durèrent jusqu'au numéro 80 daté du 14 janvier 1971.
Une photographie de Paulo Garcez mettant en scène les membres de la rédaction affublés de
lunettes de soleil et posant les bras croisés, accompagnée du titre : « Voici les véritables
hommes sans vision442 », fut alors publiée en couverture. Tarso de Castro, toujours en prison,
manquait à l'appel et sa silhouette fut ajoutée sur la photographie. Il est possible d'y voir une
forme d'auto-critique face au manque d'anticipation de l'arrestation de la majorité des
dessinateurs et rédacteurs du périodique, qui provoqua par la suite de nombreux changements
internes. Sérgio Cabral prit la place de Tarso de Castro à la direction afin d'organiser les
finances du journal et y resta jusqu'à la fin de l'année 1971. En charge de la censure préalable
dans la rédaction, Dona Marina fut remplacée par le général Juarez Paz Pinto.
L'emprisonnement eut pour conséquence une politisation accrue de la rédaction qui embrassa
la défense des prisonniers politiques et les mouvements de lutte démocratique, mais entraîna
également une importante chute des ventes du périodique.
438 Pasquim, n°77, 9-15/12/1970, p. 32.
439 D'importantes pertes financières furent provoquées par cet intervalle de trois semaines entre la publication du
soixante-dix-septième numéro et le suivant, respectivement parus les 9 et 30 décembre 1970.
440 Pasquim, n°78, 30/12/1970-04/01/1971, p. 2-3.
441 Pasquim, n°78, 30/12/1970-04/01/1971, p. 2.
442 Pasquim, n°80, 14-20/01/1971, p. 1.
206
La présence physique du censeur dans les locaux de la rédaction avant et après
l'emprisonnement, évidemment contraignante, se révéla tout de même en de rares occasions
bénéfique et les témoignages d'anciens collaborateurs indiquèrent qu'ils apprirent à en tirer
profit. Les interdictions étaient formulées au dernier moment par le censeur installé dans les
locaux et chargé de lire les futurs contenus, de couper ou interdire certains articles, dessins ou
photographies avant impression. La rédaction développa certains procédés rendant la censure
manifeste sans la mentionner directement443. Ziraldo se spécialisa dans l'invention de
nouveaux mots extrêmement graphiques, difficiles à bannir du fait de leur signification inédite.
Ricky Goodwin évoquait quelques avantages liés à cette proximité de Dona Marina, puis du
Général :
« Il y avait une ligne moins dure des militaires qui appréciait Pasquim, le journal a
compté sur leur soutien et utilisé les divisions. Par exemple, une femme censeur est
restée plusieurs semaines : elle était âgée, catholique, rigide. Quand elle voulait
couper quelque chose, on discutait, on parlait, on argumentait. Quelqu'un l'a
découverte par hasard au bar buvant beaucoup de whisky et donc les personnes ont
commencé à faire la chose suivante : quand elle ne voulait rien laisser passer, ils
arrivaient avec une bouteille de whisky et la laissait là. La femme regardait la
bouteille, elle se saoulait et laissait passer. Une autre histoire très drôle aussi, ils
remplacèrent la femme par un censeur qui était un général militaire de la ligne dure,
un vrai professionnel. Tout le monde s'inquiéta à la rédaction, il arriva et dit « je ne
vais pas travailler ici, ça n'est pas ma place, vous allez emmener le contenu jusqu'à
moi ». Les gens ont demandé s'il fallait tout amener chez lui et il répondit que ça
allait être à la garçonnière où il emmenait ses femmes, ses maîtresses. C'était une
manière pour lui de se valoriser devant ses amantes. Il restait avec elles et leur
montrait le journal, parlait des blagues, quand il ont découvert ça ils ont commencé
à entrer dans son jeu. Ils apportaient des contenus pour qu'il trouve ça drôle, mais ça
n'était pas voué à être publié et ils gardaient les choses les plus graves pour la fin,
quand le général était fatigué, il ne voulait plus lire donc il faisait tout rapidement :
« Non, non, non, je ne vais pas lire ça, j'ai déjà coupé certaines choses... ». À cette
443 Ces techniques n'étaient pas l'apanage de Pasquim, ni des titres indépendants. Le Jornal da Tarde sous
censure publiait fréquemment des recettes de cuisine pour remplacer les contenus interdits, alors que le
Estado de São Paulo commença en 1973 à publier des extraits poétiques pour remplir les pages censurées :
les œuvres de Gonçalves Dias et surtout de Luís Vaz de Camões furent reproduites plusieurs centaines de
fois.
207
époque, il y avait ces manières de contourner la censure, il existait un certain type
de dialogue444. »
Ces anecdotes, également rapportées par le dessinateur Nani et de nombreux autres
plusieurs décennies après les faits évoqués, comportent une part de fantasme. Elles attestent
néanmoins de l'existence d'espaces restreints, mais bien réels, de dialogue et de négociation
entre les praticiens de la censure et les rédactions des périodiques indépendants au cours de la
première moitié des années 1970, malgré la sévérité de certaines interdictions. Tous les
témoignages indiquent l'apparition de difficultés bien supérieures à partir du transfert de la
censure préalable en 1974 au siège de la police fédérale situé à Brasília. La délocalisation
éloigna les censeurs des équipes de journalistes et dessinateurs, éliminant les espaces
occasionnels de dialogue et provoquant de graves problèmes financiers et économiques pour la
majorité des journaux concernés. Nani, qui commença à envoyer ses dessins à Pasquim en
1972, évoquait en 2013 l'émergence et l'ampleur de ces difficultés :
« Quand la censure est partie à Brasília, nous devions envoyer le contenu là-bas, il
fallait ruser et envoyer trois fois la quantité normale pour qu'il reste assez de
contenu pour monter le journal. […] C'était ridicule. Le censeur devait être plus
royaliste que le roi lui-même donc il voyait des choses que personne ne voyait 445. »
Les problèmes matériels liés à cet éloignement géographique du contrôle et à l'envoi
obligatoire par courrier des textes et dessins originaux fut à l'origine de pertes de temps et
d'argent considérable pour la rédaction, à l'équilibre financier déjà particulièrement précaire.
Elle fut également menacée à de nombreuses reprises et victime de plusieurs attentats à la
bombe au cours des années 1970. Outre le caractère politique des contenus graphiques, la
grande majorité des coupures étaient justifiées par la défense de la morale, de l'éthique et des
bonnes mœurs. Les motivations des censeurs peuvent être analysées dans les documents issus
des archives du DOPS ainsi que d'autres organes de surveillance. Parmi le peu de sources de
cette nature auxquelles nous avons eu accès, le nom de Paulo Monteiro, officier dépendant du
Secrétariat de Sécurité Publique, se démarqua. Nous reviendrons sur ces mandats de censure
dans le chapitre suivant. Les pressions physiques, les difficultés économiques et préjudices
444 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
445 NANI, entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro.
208
financiers importants ainsi que les désaccords idéologiques internes à la rédaction
provoquèrent le déclin progressif de la publication à partir de la seconde moitié des années
1970, alors que le périodique fut libéré de la censure préalable en mars 1975. Millôr Fernandes
quitta l'hebdomadaire un mois plus tard à la suite de la confiscation par la police fédérale 446 du
trois-centième numéro de Pasquim réalisé sans contrôle et dans lequel l'humoriste avait publié
un éditorial concernant la fin de la censure préalable et la responsabilité censée incomber
désormais à l'équipe de rédaction, synonyme d'autocensure. Ce constat a priori paradoxal d'un
affaiblissement de la cohésion interne à la rédaction alors que la censure battit légèrement en
retraite au début de l'année 1975 – tournant également marqué par l'arrivée au pouvoir du
général Ernesto Geisel – est également valide dans le cas de l'hebdomadaire Opinião, sous
contrôle durant toute la durée de son existence.
2. Opinião et la lutte contre la censure
Né sous le joug de la censure préventive, Opinião vit un censeur arriver dans ses
locaux dès le huitième numéro paru le 25 décembre 1972. Les anciens membres de la
rédaction témoignèrent tous d'importantes difficultés, mais également de la construction
d'espaces de négociation, à l'instar des membres de Pasquim. Durant le gouvernement de
Médici, jusqu'au 15 mars 1974, les interdictions furent drastiques et entraînèrent une
augmentation considérable de la charge de travail des dessinateurs dans l'obligation de fournir
davantage de travaux afin qu'il en reste suffisamment pour produire le périodique. Opinião fut
dans l’impossibilité de paraître à plusieurs reprises : il se passa notamment une semaine entre
la publication des trente-trois et trente-quatrième exemplaires447. Sous la direction d’Elifas
Andreato, l'équipe graphique de la rédaction mit en place un ensemble de techniques visuelles
afin de contrer et de rendre visibles les interdictions. Celui-ci résuma en 2011 la nécessité de
trouver des solutions rapides et efficaces afin de publier Opinião après le passage de la
censure : « On faisait n'importe quoi d'autre, ou bien on mettait une barre noire si on n'avait
446 Le ministre de la Justice Armando Falcão signa le 31 mars 1975 l'ordonnance déterminant la censure et la
confiscation de tous les exemplaires du trois-centième numéro de Pasquim, fondée sur la Loi de presse du 9
février 1967.
CPDOC/Fundação Getúlio Vargas, « Archives Ernesto Geisel », ordonnances du ministre Armando Falcão,
1975, p. 310-312.
447 Le trente-troisième exemplaire parut le 18 juin 1973, le suivant seulement le 2 juillet de la même année, alors
que la périodicité normale était hebdomadaire.
209
pas le temps, ou alors si on avait le temps on faisait une autre illustration 448. » Il reconnut la
qualité médiocre de nombreuses productions réalisées sous pression et à la va-vite, dans
l'urgence de la situation et cita la couverture du quinzième numéro paru le 12 février 1973. La
première version de son travail graphique extrêmement détaillé représentait un indien combatif
à l'allure fière, mais sa validation par le censeur fut refusée. Andreato dut improviser pour
remplacer la couverture rapidement, dessina un profil d'indien qu'il reproduit à l'identique à
l'impression et inséra une photographie dans la composition, reproduite ci-après.
FIG 42 : Opinião, n°15, 12-19/02/1973, p. 1
Les encadrés noirs mentionnés par le directeur artistique furent employés pour la
première fois dans le numéro suivant, le 19 février 1973. Ce procédé extrêmement fréquent
dans les pages d'Opinião met en évidence l'impossibilité de remplacer tous les contenus
graphiques et textuels censurés. Notre analyse de tous les exemplaires de l'hebdomadaire nous
permit de recenser quatre-vingt-treize encadrés noirs ou vides insérés dans les pages entre le
seizième numéro et le cent-vingt-et-unième, dernier publié avant le départ de Raimundo
Pereira. La rédaction en profitait pour faire passer le message promotionnel « Lisez et
448 Elifas ANDREATO in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é Preciso...” Os protagonistas desta história, São
Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD1, 0'08''00 (document audiovisuel).
210
abonnez-vous » ou indiquer les lieux de vente à l'étranger. Ce recensement permit également
d'identifier une période de relative accalmie, entre le 31 décembre 1973 et le 29 juillet 1974,
au cours de laquelle Opinião ne publia que deux encadrés de ce genre.
L'évocation de la messe célébrée le 30 mars 1973 en hommage à Alexandre Vanucchi
Leme, étudiant en géologie à l'Université de São Paulo emprisonné par le DOI-CODI, torturé
et assassiné le 17 mars 1973 à l'âge de 22 ans, provoqua la censure de plusieurs numéros de
Opinião. Le 22ième numéro paru le 2 avril 1973 publia un court article intitulé « Messe pour
un étudiant mort449 » sans jamais mentionner le nom de famille de Vanucchi. La page comporta
également un encadré noir ainsi que la note officielle émise par le gouvernement 450 indiquant
un accident de voiture et l'enterrement du corps après vingt-quatre heures sans avoir été
réclamé par la famille. Alexandre Vanucchi Leme fut en réalité enterré dans une fosse
commune en tant qu'indigent. La couverture du numéro suivant, réalisée par Elifas Andreato,
représenta le portrait de l'archevêque de São Paulo, Dom Paulo Evaristo Arns, qui célébra la
messe le 30 mars 1973 à la cathédrale métropolitaine de São Paulo en présence de cinq mille
personnes. Andreato expliqua que le censeur valida le choix de ce dessin occupant l'ensemble
de la couverture, mais qu'il se rétracta et se sentit trahi au moment de l'impression : l'éditeur
pouvait choisir une seule couleur pour la Une et opta pour le rouge, qui conféra un sens
nouveau militant à la production graphique. Cet épisode provoqua le transfert du contrôle à
Brasília et le numéro suivant fut très sévèrement censuré par le cabinet du ministre de la
justice d'alors, Alfredo Buzaid. Cet éloignement géographique fut à l'origine de difficultés
également évoquées par la rédaction de Pasquim : délais de publication importants, diminution
de l'actualité du périodique, surcharge de travail, perte d'originaux et énormes difficultés
financières. Certains sujets furent passés sous silence, comme le coup d’État chilien du 11
septembre 1973 dont le traitement fut totalement interdit.
À partir de l'arrivée au pouvoir de Geisel en mars 1974, la censure préalable fut retirée
de certains périodiques, mais demeura appliquée à Opinião qui bénéficia tout de même d'une
relative liberté de traitement de certaines thématiques totalement proscrites auparavant. Les
ventes du périodiques augmentèrent sensiblement, à mesure que les divisions internes
concernant la direction à donner à l'hebdomadaire s'aggravèrent. En février 1975, Raimundo
Pereira et Fernando Gasparian manifestèrent leur profond désaccord à ce sujet : Pereira
appelait de ses vœux une ligne éditoriale davantage militante et combative alors que Gasparian
449 « Missa para um estudante morto » in Opinião, n°22, 02-09/04/1973, p. 5.
450 « Nota oficial sobre a morte do estudante Vanucchi » in Opinião, n°22, 02-09/04/1973, p. 5.
211
souhaitait maintenir un cap général. L'éditeur en chef quitta la rédaction accompagné par un
important groupe de rédacteurs et dessinateurs, puis fonda le titre Movimento le 7 juillet 1975
à São Paulo. L'équipe de Opinião fut entièrement réorganisée et subit une recrudescence de la
censure. La même année, la rédaction remaniée attaqua en justice le gouvernement par le biais
de la maison d'édition Inúbia au motif que la censure préalable était contraire à la Constitution.
L'avocat Adauto Lucio Cardoso obtint gain de cause devant le Tribunal fédéral des recours,
contraignant le gouvernement brésilien à reconnaître publiquement la pratique de la censure.
Au cours du mois d'avril 1976, Opinião décida de tester les contours de cette dernière en
publiant des pages censurées à Brasília, tout en ajoutant certains éléments non passés au crible.
La publication de la lettre de la Banque nationale de développement économique (BNDE)
recommandant un retrait de l’État dans certains secteurs, adressée au ministre de la
Planification économique João Paulo dos Reis Veloso, eut un impact considérable. L'année
1976 fut dès lors marquée par une nouvelle recrudescence des interdictions, coupes et retrait
de numéros de la circulation, comme le cent-quatre-vingt-quinzième confisqué par la police
car le contenu n'avait pas été approuvé. Le 15 novembre 1976, une bombe explosa dans la
rédaction du journal. L'attentat fut revendiqué par l'Alliance anti-communiste brésilienne.
Les débats s'emparèrent à nouveau de l'équipe de rédaction s'interrogeant sur la
pertinence de poursuivre la publication d'un périodique extrêmement censuré, dans un
contexte mêlant une toute progressive libéralisation du régime et de nombreuses menaces. En
avril 1977, l'éditorial de l'avant-dernier numéro de Opinião rompait avec la censure et
préparait déjà le hara-kiri de l'hebdomadaire : le deux cent-trente-et-unième numéro parut le 8
avril 1977 sans aucune censure et fut immédiatement interdit par la police. Les deux
périodiques Pasquim et Opinião employèrent à leur manière un ensemble de représentations
graphiques et visuelles vouées à critiquer le pouvoir militaire, ancrées dans un vaste
mouvement de résistance politique et culturelle que les dessinateurs de presse et les éditeurs
graphiques s’approprièrent. D’autres publications parues durant la première moitié des années
1970 participèrent au même mouvement et firent de l’humour graphique une véritable arme de
résistance. Ainsi, le mensuel Ex- publié à São Paulo entre novembre 1973 et novembre 1975
bouleversa les codes en matière de mise en page et de structuration notamment grâce à l’action
de l’artiste Hamilton de Souza. Auto-consacré « Journal de texte, de bande dessinée, de photos
et de comètes », le périodique satirique imprimé initialement à 10 000 exemplaires s’inscrivit
dans la lignée éditoriale des revues Bondinho et Grilo, employant divers moyens graphiques
pour attaquer le régime tout en dribblant la répression. En couverture du premier numéro, un
212
photomontage d’Hitler allongé sur une plage tropicale sous-entendait graphiquement la
filiation idéologique des dirigeants brésiliens avec le nazisme.
FIG 43 : Ex-, n°1, 11/1973, p. 1
Si le caricaturiste Nani estima que la fonction des dessinateurs était de formuler des
dénonciations, il nous semble qu’elle fut davantage tournée vers la synthétisation de
représentations déjà existantes au sein des différents cercles de l’opposition, vers leur
structuration et leur sublimation graphique afin qu’elles passent sans dommage le filtre de la
censure. Les rédactions indépendantes rendirent possible l’appartenance à une identité
collective fondée sur la défense des libertés civiles, constituant autant de points de jonction
entre des personnes aux convictions politiques et sensibilités idéologiques allant de l’extrême
gauche au radicalisme libéral. Au sein de ce combat commun, les dessinateurs montrèrent avec
force les contradictions et les absurdités du régime militaire, en composant un ensemble de
thématiques graphiques récurrentes dont la publication était conditionnée aux limites
mouvantes de l’interdit et de l’autorisé : le militaire, le policier, la violence de la torture, les
oppressions quotidiennes, les difficultés économiques et sociales, la situation de guerre froide
et les conflits mondiaux… tout ce qui put, d’une manière ou d’une autre, permettre de
dénoncer le régime, d’en écorner l’image et de rire de la dictature.
213
214
Chapitre 4
Entre l'autorisé, le toléré et l'interdit :
rire de la dictature sous les « années de plomb »
À l’interrogation au sujet des thématiques possibles du rire politique sous le régime
militaire entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, les premiers éléments
analysés au fil de nos recherches semblèrent plutôt élaborer une réponse par le contraire. Les
documents censurés analysés dans ce chapitre révèlent en effet un ensemble hybride de
thématiques proscrites, parce que critiquant directement le pouvoir et mettant en péril la
cohésion ou l’image d’un corps social brésilien uni autour de valeurs promues par les
militaires. La préoccupation de préservation de la jeunesse vis-à-vis de la subversion morale et
de la pornographie occupa également, nous le verrons, une importance capitale. Ces quelques
traces de la censure appliquée à l’humour graphique révèlent le caractère mouvant des
thématiques interdites, en fonction des inflexions du pouvoir politique, mais également de
variables davantage liées à l’intime, aux références et convictions des agents chargés de la
censure.
Les périodiques satiriques Opinião et Pasquim apprirent à jongler avec les injonctions
et à contourner la censure, publiant diverses formes d’humour graphique et d’image satirique
au pouvoir de synthèse incroyable, dépeignant un portrait au vitriol de la société brésilienne
sous le régime militaire : censure, répression, portraits des dirigeants civils et militaires,
conservatisme, inégalités sociales et raciales. L’une des stratégies de contournement mises en
place aboutit à la publication de nombreux dessins consacrés au contexte régional et
international, dénonçant en creux les travers de la politique brésilienne en s’attaquant
frontalement à l’impérialisme nord-américain, aux régimes de sécurité nationale latinoaméricains ou à la colonisation portugaise dans le monde lusophone. Toutes ces thématiques
évolutives au fil des années contribuèrent à délimiter les contours de la marge de manœuvre,
du champ d’action des dessinateurs sous les années de plomb, tout en renseignant largement
sur les objectifs d’un État autoritaire cherchant à protéger ses valeurs, son idéologie et sa
pratique politique.
215
I. Interdictions d'en rire
L'historien brésilien Carlos Fico insista dans son article « Versões e controversias sobre
1964 e a ditadura militar451 » sur les importantes différences entre la censure appliquée à la
presse et celle des divertissements publics :
« Il n'y eut pas une censure durant le régime militaire, mais deux. La censure
de la presse se dinstinguait beaucoup de la censure des divertissements
publics. La première était 'révolutionnaire', en d'autres termes elle n'était pas
réglementée par des normes explicites. Elle visait principalement les thèmes
politiques à proprement parler. Elle était pratiquée à couvert, au travers de
petites notes ou d'appels téléphoniques que recevaient les rédactions. La
seconde était ancienne et légalisée, elle existait depuis 1945 et était familière
aux producteurs de théâtre, de cinéma, aux musiciens et à d'autres artistes.
Elle était pratiquée par des fonctionnaires spécialistes (les censeurs) et
défendue par eux avec fierté. Elle se basait sur une longue et bien vivante
tradition de défense de la morale et des bonnes moeurs, chère à divers
secteurs de la société brésilienne452. »
Dans le cas des interdictions imposées à l'humour graphique publié par des périodiques
indépendants – entités hybrides animées par leur opposition politique au régime militaire, le
bouleversement des mœurs conservatrices et la recherche artistique contre-culturelle – les
deux dimensions semblent s'être côtoyées. Les rédactions des hebdomadaires Pasquim et
Opinião subirent, on l'a vu, une censure aux manifestations, aux formes et aux motifs variés.
Fico posait également dans cet article l'importante question de la temporalité différenciée des
types d'interdictions qui s'appliquèrent de fait durant un important laps de temps à la presse
indépendante, sujette aux deux formes de censure :
« Curieusement, il y eut une grande différence entre les phases les plus
punitives de l'une et de l'autre. La censure de la presse accompagna l'apogée
de la répression (lorsqu'on pense aux déchéances de mandats parlementaires,
451 Carlos FICO, « Versões e controversias sobre 1964 e a ditadura militar » in Revista Brasileira de História, vol.
24, n°47, 2004, p. 29-60.
452 Carlos FICO, op. cit., p. 37.
216
aux suspensions de droits politiques, aux emprisonnements, tortures et
assassinats politiques) qui se vérifia entre la fin des années 1960 et le début
des années 1970. La censure des divertissements publics, cependant, connut
son apogée à la fin des années 1970, déjà au cours de l' « ouverture »453. »
Les rares sources issues des responsables de la censure appliquée à l’humour graphique
dont nous disposons constituent différents cas de figure, dont l'analyse détaillée permet
d'identifier certains dangers supposés par le régime pour la cohésion de la société brésilienne.
Datés du milieu des années 1970, les documents examinés ci-après comportent les marques
des deux grands types de censure identifiés par Carlos Fico, nous éclairent sur les motivations
essentielles des interdictions et renseignent sur la promotion d’une vision du monde bien
particulière.
1. « Un vieux dossier de dessins censurés... »
Le journaliste Ricky Goodwin souligna dans notre entretien en 2011, à l'instar du
caricaturiste Nani cité dans le chapitre précédent, des problèmes matériels liés au transfert du
contrôle préalable à Brasília en 1974 :
« Tout ce qui était produit, tout ce qui allait sortir en kiosques, on devait tout
envoyer à Brasília, les censeurs coupaient là-bas, ils coupaient presque tout,
ils renvoyaient et on pouvait faire le journal. On devait faire plus de choses
encore, on n'avait pas de fax, pas d'internet, tout se passait par courrier. La
censure était plus professionnelle, ils coupaient réellement presque tout.
Pasquim, qui était un hebdomadaire, n'était plus en mesure de couvrir
l'actualité. Cela prenait beaucoup de temps... […] Tout ce qu'ils ont censuré
est resté à Brasília, beaucoup de choses se sont perdues 454. »
Il nous a été extrêmement difficile d'avoir accès à ces sources « resté[es] à Brasília ».
Rare exception, Nani nous fit savoir qu’il disposait d'un ensemble de documents d'une utilisé
majeure : un dossier non daté regroupant des dessins faits par lui alors qu'il travaillait au sein
de la rédaction de Pasquim, envoyés à Brasília pour être passés au crible de la censure et qui
453 Idem.
454 Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro.
217
lui furent exceptionnellement retournés plusieurs années après la fin du régime militaire 455.
Très précieux, ce dossier nous permit d’affiner la compréhension de certaines interdictions au
milieu des années 1970. Les traits simples et minimalistes de Nani, au service d'une efficacité
communicative et humoristique caractéristique des travaux du caricaturiste, furent réalisés au
stylo ou feutre noir. La censure se matérialisa par de grandes croix dessinées au feutre rouge,
noir ou bleu, ou la simple mention « interdit » sur le côté de la page de l'un des dessins.
Parmi les seize travaux, quatre évoquaient l'univers carcéral dont certaines règles
apparaissaient subverties. Le dessin reproduit ci-après représentait un personnage dont les
caractéristiques vestimentaires l'identifient comme étant prisonnier. Les rayures horizontales
de ses habits et de sa casquette contrastaient d'ailleurs astucieusement avec les lignes verticales
de sa barbe. Il apparaissait à l'écran d'un poste de télévision, l’attitude semblable à celle d'un
candidat à une élection, faisant sa propagande politique et incitant le spectateur à voter pour
lui. Le dessin sous-entendait clairement la proximité des hommes politiques avec le
banditisme.
FIG 44 : « Votez pour le candidat Didinho Santos n°273287 »,
archives personnelles de Nani, non daté
455 Le dossier est mentionné en introduction de cette thèse. Le dessinateur Nani nous autorisa au cours de
l'entretien réalisé en 2013 à Rio de Janeiro à utiliser et reproduire ces dessins censurés à des fins de recherche
universitaire. Les dessins n'étaient ni datés ni numérotés. Nous avons donc établi une numérotation en
fonction du classement thématique qui a permis notre analyse.
218
Représentation directe d'un acte concret de subversion, le dessin suivant mit également
en scène un prisonnier à la posture toutefois différente : debout, il s'appuyait de sa main
gauche sur une petite table située devant lui et levait la main droite en signe de détermination,
haranguant quatre souris attentives. Un garde situé en arrière-plan, coiffé d'un képi, prévenait
un troisième personnage à son sujet : « C'est un prisonnier politique ». Il est probable que cette
bulle de parole mentionnant l'existence de personnes incarcérées pour des motifs politiques, un
phénomène nié par le régime militaire qui assimilait ces prisonniers au régime de droit
commun, fut un motif suffisant pour provoquer la censure du dessin. L'ironie de la scène
brossée par Nani était principalement liée à l'absurdité de la potentielle dangerosité attribuée
au prisonnier, totalement disproportionnée au vu de son public de rongeurs inoffensifs.
FIG 45 : « C'est un prisonnier politique », archives personnelles de Nani, non daté
Les derniers dessins abordant cet univers évoquaient deux tentatives de fuite, l'une
matérialisée par l’action poétique et l'autre davantage métaphysique. Le premier représentait
un prisonnier reconnaissable à ses habits rayés, peignant des fleurs dans le prolongement des
barreaux de sa fenêtre qui laissait entrevoir un ciel ensoleillé. L'homme faisait preuve de
créativité et utilisait une pratique artistique au service de l'amélioration de son environnement
quotidien, s’opposant ainsi au cadre normatif de la prison. Le second dessin figurait deux
hommes en pleine conversation, avec un mur en briques pour seul décor. L'un interrogeait « La
219
sortie, où est la sortie ? » et l'autre, en uniforme rayé, lui répondait « Je ne sais pas. Je suis
aussi d'ici ». Les rayures caractéristiques de l'univers carcéral chez Nani constituaient le seul
élément d'identification précise du lieu de l'action. L'air hagard et hébété des deux
protagonistes ainsi que l'apparente absurdité de la question pourraient également se référer à
l'enfermement psychiatrique. On peut y voir une métaphore de la situation politique du Brésil
des années de plomb, duquel l'un des personnages souhaitait désespérément s'extirper. Cette
réflexion graphique sur la quête d'un échappatoire fut également censurée d'une grande croix
au feutre noir.
L'un des dessins du dossier censuré évoqua un tout autre type d'enfermement, fondé
cette fois sur le racisme institutionnalisé dans la société brésilienne. Composé de deux parties
distinctes alignées verticalement, il critiquait la terrible ironie du sort des personnes noires
dans le pays. La partie supérieure représentait un jeune homme noir presque nu, ouvrant les
bras et célébrant presque subjugué la rupture de la chaîne attachée à son pied sous l'inscription
« 13 mai ». Le 13 mai 1888, la princesse Isabel signa la Lei Áurea abolissant l'esclavage au
Brésil, au terme de décennies d'un combat mené par les abolitionnistes et après six jours de
débats et de votes au sein du Congrès. La date du 13 mai est retenue pour les commémorations
et célébrations de la libération des esclaves au Brésil, mais elle est également sujette à de
nombreuses controverses456. Libres certes, mais victimes de préjugés, de discriminations, d'un
racisme institutionnalisé, d'une absence criante d'égalité d'insertion dans le marché du travail,
les personnes noires brésiliennes furent loin de bénéficier de conditions de vie égales à celles
des personnes blanches à partir de 1888 et tout au long du vingtième siècle. La seconde partie
du dessin faisait sienne cette critique en représentant le même jeune noir assis contre un mur
dans la rue, recroquevillé et en posture d’attente. Il avait accroché le boulet et la chaîne qui
auparavant l'entravaient sous un écriteau « à vendre », sa misère contrastant avec les espoirs
nourris à sa libération. La représentation visuelle des inégalités raciales fut très certainement à
l'origine de la censure du dessin par un régime qui persécuta les militants du Mouvement Noir
dès 1964457 et défendait le mythe d'une démocratie raciale brésilienne harmonieuse au sein de
laquelle le racisme n'existait pas.
456 Consulter : Ana Maria RIOS, Hebe Maria MATTOS, « O pós-abolição como problema histórico: balanços e
perspectivas » in Topoi, vol. 5, n°8, janv.-juin 2004, p. 170-198.
457 Petrônio DOMINGUES, « Movimento Negro Brasileiro : alguns apontamentos históricos » in Tempo, n°23, p.
100-122.
220
FIG 46 : « 13 de maio », archives personnelles de Nani, non daté
Un autre dessin s'attaqua à la substantielle dégradation des conditions de vie des
classes moyennes et pauvres dans le pays durant la seconde moitié des années 1960 et au cours
de la décennie suivante. La production graphique censurée d'une grande croix noire avait été
présentée comme une « suggestion de couverture » par son auteur. Elle représentait un passant
ébahi devant des inscriptions sur un mur, frappé par le contraste entre l'immensité de l'annonce
« Est sorti le nouveau... » et le ridiculement petit « salaire minimum ». De ce contraste à
l'origine de la gestuelle et de l'expression abasourdie du passant provenait le comique du
dessin dans lequel Nani tournait en dérision les effets d'annonce du gouvernement et dénonçait
la diminution drastique du salaire minimum, elle-même symptôme d'une dégradation
généralisée des conditions de vie des classes moyennes et pauvres caractéristique de la
période. En effet, nous rappelait Napolitano, « aucun historien sérieux, même le plus à droite,
ne met en doute le fait que la politique de développement sans démocratie imposée par la
dictature militaire eut un coût social très élevé. Le salaire minimum enregistra une chute réelle
de 25% entre 1964 et 1966 et de 15% entre 1967 et 1973458 ».
458 Marcos NAPOLITANO, 1964, Historia do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 149.
221
FIG 47 : « Le nouveau salaire minimum », archives personnelles de Nani, non daté
Cette dégradation des conditions de vie frappa extrêmement durement les populations
brésiliennes les plus pauvres et se manifesta notamment par de grandes famines meurtrières au
début des années 1970, auxquelles quatre dessins censurés de Nani se référaient directement.
Deux planches distinctes de bandes dessinées intitulées avec cynisme « Et maintenant, la
grande faim dans le monde » abordaient le cruel manque de nourriture sous un angle différent.
Ici, un enfant famélique demandait à sa mère : « c’est quoi cette huile qui manque tant ? » et
celle-ci lui répondait : « c'est l'huile pour faire la nourriture ». Circonspect, le petit revenait
finalement à la charge : « Maman, c'est quoi la nourriture ? ». Là, une femme s'enfuit en
courant apeurée par un cafard, devant un passant amaigri et incrédule s’empressant de tuer
l'insecte pour le jeter dans sa bouche. Cette fois ayant pour cadre un environnement rural, aride
et désolé, un autre dessin figurait une femme enceinte accompagnée de trois jeunes enfants à
l'allure chétive et au visage triste. En arrière-plan, une petite cabane délabrée entourée d'une
clôture et de deux palmiers rompait l'immensité et le vide du paysage, sous un ciel sans
222
nuages. La mère se lamentait auprès du lecteur, qu'elle regardait fixement : « J'ai (encore) un
pauvre diable dans le ventre. Appelez un exorciste ! ».
FIG 48 : « Appelez un exorciste », archives personnelles de Nani, non daté
Côtoyant ici celle des croyances et de la religiosité populaires dans le sertão brésilien,
la thématique de la malnutrition était finalement centrale dans un quatrième ensemble de
dessins illustrant un article du Diário de Pernambuco daté du 24 octobre 1974 et reproduit par
Nani. La coupure de presse présentait de manière alarmante les effets de la faim et du manque
de protéines sur la taille des brésiliens. Les trois dessins l’encadrant, tous barrés d'une grande
croix rouge, se moquaient de la nouvelle. Le dernier strip toucha à un élément symbolique
fondamental de la Nation brésilienne, son hymne, en proposant d'y remplacer le terme
« géant » par « petit nain ». Une lecture approfondie de ces quatre travaux permet de les
insérer dans un contexte d'abandon des classes pauvres et rurales par la logique d'expansion
capitaliste développementaliste promue par les gouvernements militaires successifs. Le
« miracle économique » vanté par le gouvernement Médici de 1969 à 1973 ne bénéficia pas au
plus grand nombre et contribua à l'augmentation des inégalités sociales dans les villes et leurs
périphéries, où l'absence de perspectives d'emploi et d'infrastructures en milieu rural entassa
une population issue d'un exode massif. Mais il impacta également les populations rurales
restées dans les régions du nordeste, victimes de sécheresses répétées et de l'absence de
politiques publiques efficaces contre la pauvreté. Il est vraisemblable que la crainte de la part
223
du gouvernement militaire d'une utilisation politique de ces thèmes de la pauvreté, la famine et
la sécheresse ait provoqué la censure de ces travaux.
Deux dessins du dossier faisaient clairement référence aux grandes épidémies de
méningite à méningocoque apparues au Brésil au tout début des années 1970 et dont le pic fut
atteint en 1974459. Nani jouait avec les personnages bibliques reconnaissables à leurs auréoles
et leurs vêtements : il représenta Joseph, Marie et l'enfant fuyant la ville de Rio de Janeiro
symbolisée en arrière-plan par le Pain de sucre et son anachronique téléphérique. Un panneau
signalant la direction de l’Égypte indiquait le lieu de retour des protagonistes. L'ensemble du
dessin marqué d'une croix noire était surmonté du titre « La méningite attaque Rio » qui
permettait d’associer ce départ de Rio de Janeiro à la crainte de la terrible maladie, à laquelle
furent préférées les plaies égyptiennes. Le titre était également barré, indiquant que la mention
écrite du terme « méningite » était aussi sujette à interdiction.
FIG 49 : « La méningite attaque Rio », archives personnelles de Nani, non daté
459 L’étude suivante analysa en 1988 les facteurs de l’apparition de l’épidémie de méningite notamment dans la
ville de São Paulo, en lien avec les politiques économiques menées par le gouvernement militaire : Rita de
Cássia Barradas BARATA, « Epidemia de doença meningocócica, 1970/1977. Aparecimento e disseminação do
processo epidêmico » in Revista de Saúde Pública, n°22, 1988, p. 16-24.
Voir également l’analyse critique du traitement par les journaux Folha de São Paulo et O Globo de
l’épidémie de méningite entre son apparition en 1971 et le pic atteint en 1974 : Catarina Menezes SCHNEIDER,
Michele TAVARES, Christina MUSSE, « O retrato da epidemia de meningite em 1971 e 1974 nos jornais O Globo
e Folha de S.Paulo » in RECIIS, n°9, oct.-déc. 2015, p. 1-13.
224
Le second dessin était une planche de bande dessinée abordant graphiquement la
fulgurance de la maladie. Le protagoniste se démarquait avec ses habits noirs, entouré de
personnes disparaissant comme par magie en une onomatopée, « POP ». Il fuyait en hurlant
« C'est la méningite ! ». Les autorités sanitaires brésiliennes prirent connaissance de la
croissance exponentielle de l'épidémie de méningite dès 1971, mais nièrent la dimension du
phénomène en estimant qu'il portait atteinte à l'image d'un Brésil en plein développement
économique et social. En juin 1974, le gouvernement reconnut finalement l'ampleur de la
maladie qui connut un pic en septembre de la même année, mais sa mention par les
journalistes resta totalement interdite jusqu'au début de l'année 1975. On peut donc
raisonnablement estimer que la période de réalisation de ces dessins correspondit à la seconde
moitié de l'année 1974.
La hausse de la violence et de la criminalité en milieu urbain fut représentée avec
beaucoup de cynisme dans un dessin qui se moquait également du conservatisme et de
l'hypocrisie régnant au sein de la société brésilienne. Un homme moribond à quatre pattes et
très mal en point, à l'abdomen transpercé par un gigantesque poignard et dont les traits du
visage évoquaient une extrême souffrance, arrivait finalement jusqu'à ses deux enfants en bas
âge agrippés à la jupe de leur mère. Cette dernière, visiblement irritée, faisait la morale à son
conjoint Adalberto agonisant comme si celui-ci leur faisait une mauvaise blague. Ce dessin
d'Adalberto, que l'on peut imaginer victime soit d'une agression violente tristement banale soit
de la répression policière, allait à l'encontre de l'idée reçue controversée 460 selon laquelle le
régime militaire se caractérisa par une diminution de l'insécurité. Nani représenta également
un autre type de violence quotidienne liée à la circulation routière dans le dessin d'un homme
crucifié accompagné sur la croix par une plaque d'immatriculation indiquant la localisation de
Rio de Janeiro. Le titre « Trânsito » contribua à la connotation routière dramatique de cette
métaphore christique.
460 Carlos Fico s'employa à déconstruire certaines de ces « controverses » historiographiques au sujet du régime
militaire brésilien dans son article « Versões e controversias sobre 1964 e a ditadura militar » et notamment
l'idée que les pratiques répressives extrêmement violentes, telles que la torture ou l'assassinat, furent des cas
excessifs, isolés et le fait d'agents autonomes. Voir également : Rivail Carvalho ROLIM, « Repressão e
violência de Estado contre os segmentos populares durante os governos militares » in Antíteses, vol. 8, n°15
spécial, nov. 2015, p. 272-293. Outre cette violence systématisée par l’État autoritaire et pratiquée contre de
nombreux secteurs de la population brésilienne, l'historien Rodrigo Santos de Oliveira contestait dans son
article « Ensaio sobre ditadura, democracia, liberdade e criminalidade no Brasil Republicano » la vision
mythifiée d'une diminution drastique de la criminalité commune ou organisée sous le régime militaire. Voir :
Rodrigo Santos de OLIVEIRA, « Ensaio sobre ditadura, democracia, liberdade e criminalidade no Brasil
Republicano » in Historiae, vol. 3, n°2, 2012, p. 246-257.
225
Les deux derniers travaux composant ce dossier censuré se démarquaient par leur
thématique centrale davantage philosophique. Nani affirma son incrédulité au sujet de
l'interdiction de l'un des dessins qui figurait deux personnages en pleine discussion. Le
premier, incroyablement grand, demandait au second : « Vous me connaissez ? » et l'autre,
ridiculement petit, rétorquait « Comme ça, de loin ». Le comique de la scène résidait
principalement dans la polysémie de l'expression en langue portugaise « por alto » évoquant à
la fois une dimension de hauteur (« d'en haut ») et le caractère imprécis ou vague d'une
relation (« de loin »). Au cours de notre entretien, le caricaturiste insista sur le fait que certains
censeurs attribuaient parfois aux dessins des intentions que leurs auteurs n'avaient pas et
écartaient des productions graphiques a priori inoffensives :
« Les censeurs donc, étaient plus royalistes que le roi lui-même et cela se
note dans les dessins qu'ils censuraient. C'étaient des choses tellement idiotes
que ça donne envie de rire. Celui-là par exemple, je n'ai jamais compris. J'ai
voulu faire un jeu de mots. Ils y ont peut-être vu une folle ambition de
renversement de l'ordre social461... »
Finalement, le dernier dessin de ce dossier représentait un personnage - sans doute
amèrement auto-biographique - transpercé de part et d'autre par un énorme stylo à plume et qui
déclarait en philosophe résigné : « Ça fait mal seulement quand je dessine ». Nani sublima ici
le fort pouvoir communicatif des dessinateurs devenus passeurs de messages politiques,
acteurs de l'opposition au régime, mais également dans une certaine mesure victimes de la
répression physique et de la censure. Le protagoniste se réconfortait ironiquement au sujet de
son triste sort : après tout, « ça ne fait mal que lorsqu['il] dessine462 ».
461 NANI, entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro.
462 Cette expression fut employée par d’autres dessinateurs afin d’exprimer la même idée ironique du choix
cornélien. Une charge de Ziraldo représentant un homme appuyé contre un mur et transpercé d’une immense
épée, déclarant « Só doi quando eu rio » (« ça fait mal seulement quand je rigole »), resta particulièrement
célèbre. Le dessinateur en fit le titre d’un ouvrage anthologique paru en 2010 : ZIRALDO, Ziraldo n’O
Pasquim. Só doi quando eu rio, São Paulo, Globo, 2010. Le dessinateur Caulos utilisa la variante « Só doi
quando eu respiro » (« ça fait mal seulement quand je respire ») dès 1976 dans un ouvrage graphique
précurseur consacré à l’écologie regroupant des dessins publiés par lui dans la section « Caderno B » du
Jornal do Brasil : CAULOS, Só doi quando eu respiro, Porto Alegre, L&PM, 1976.
226
FIG 50 : « Ça fait mal seulement quand je dessine »,
archives personnelles de Nani, non daté
Il devait donc choisir, à l'instar de l'ensemble de la profession, entre d'une part la poursuite de
son travail en accord avec ses convictions, mais l’exposant à la douleur physique et d'autre
part l'immobilisme, la passivité, le silence et l'attente, lui permettant de supporter ses blessures
sans trop en souffrir. À la fois provocateur et fataliste, le personnage devint la métaphore d'une
frange de la société civile oscillant, parfois hésitant, entre accommodation et opposition. Les
dessinateurs, s'attaquant principalement aux symboles névralgiques du pouvoir et profitant des
possibilités offertes par l'emploi de l'inversion, de la métaphore et de la satire, parvinrent à
contourner certaines interdictions imposées par le régime. L'attitude de défi inhérente à la
condition de dessinateur d'humour politique, que ce dernier dessin de Nani évoqua en une
subtile mise en abîme poétique, en justifia la censure.
Dès lors, ces seize travaux, qui furent retournés au dessinateur Nani bien des années
après leur réalisation et leur envoi à Brasília, révèlent une tendance des interdictions à
s'orienter vers tous les éléments ayant pu contester l'harmonie imaginée du corps social
brésilien : univers carcéral et prisonniers politiques, inégalités raciales et sociales, malnutrition
et épidémies, violence et contestation. Bien qu'elles ne soient pas datées de manière précise, on
peut estimer la période de production des images au cours de la seconde moitié de l'année
1974. Les thématiques abordées graphiquement furent censurées visuellement, marquées de
grandes croix rendant inutilisables ces dessins originaux dans le but de protéger l'image lissée
227
et policée d'une société exempte de toute aspérité. Ces interdictions trouvent une explication
logique dans la mesure où, comme l'indiqua Marcos Napolitano dans son ouvrage História do
Regime Militar Brasileiro, « la misère et le sous-développement, dans le cadre de la Doctrine
de Sécurité Nationale, étaient vus comme des problèmes systématiquement utilisés par la
gauche, ou par la 'subversion', comme le disaient les militaires, afin de déstabiliser l'ordre 463 ».
La censure des dessins de Nani apparait donc davantage liées à des motivations politiques et
semble confirmer l'analyse de Carlos Fico au sujet de la « censure de presse ». Cela dit,
certaines productions d'humour graphique furent interdites dans un but bien différent.
2. Défendre les moeurs, protéger la jeunesse
Le censeur Coriolano de Loyola Cabral Fagundes, avant-dernier directeur de la
Division de censure des divertissements publics en 1985464, présentait en 1975 dans l'ouvrage
Censura e Liberdade de expressão465 sa vision de la tâche à accomplir, mêlant descriptions
pratiques et conceptions d'ordre moral. Convaincu du bien-fondé de sa mission, il tentait de
justifier la pratique censoriale en brandissant le rôle d'organisation et de contrôle de la vie en
société incombant à l’État :
« La mission fondamentale du gouvernement est, de ce fait, d'organiser et
d'orienter le peuple, en disciplinant les relations des individus, entre eux et
avec l’État. Son action doit permettre au citoyen de tendre vers un maximum
de liberté possible, pour qu'il puisse exercer son droit inaliénable de
recherche du bonheur, mais elle doit aussi, et surtout, restreindre cette liberté
chaque fois que la conduite individuelle porte préjudice à l'autre ou à la
société466. »
Cette ambition de protection des individus et de l'ensemble du corps social fut
employée de manière récurrente pour justifier la censure. Quelques rares rapports du DOPS
conservés au sein des Archives publiques de l’État de Rio de Janeiro (APERJ) concernent des
463 Marcos NAPOLITANO, 1964, Historia do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 166.
464 Beatriz KUSHNIR, « Depoimento de Coriolano de Loyola Cabral Fagundes. Entrevista concedida a Beatriz
Kushnir » in Revista do Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro, n°7, 2013, p. 311-334.
465 Coriolano de Loyola Cabral FAGUNDES, Censura e Liberdade de expressão, São Paulo, Editora e Distribuidora
do Autor, 1975.
466 Coriolano de Loyola Cabral FAGUNDES, op. cit., p. 17.
228
actes de censure de la presse indépendante et nous permirent d’aborder le mode de pensée de
fonctionnaires de l’État autoritaire devant justifier une qualification d'atteinte à la morale, aux
mœurs, à l'éthique ou à la sécurité nationale. Il s'agissait également pour eux d'apporter les
preuves que le périodique concerné par le rapport allait à l'encontre des valeurs prônées par le
régime militaire. À travers l'étude de cas particuliers de censure de numéros de Pasquim, il est
possible d’analyser la logique et la rhétorique employées par les censeurs.
Dans un rapport daté du 11 décembre 1974, l'officier du DOPS dépendant du
Secrétariat de sécurité publique Paulo Monteiro, « Détective – Matricule 121.748. Chef du
groupe des étudiants – S.B.E./DOPS467 », s'adressa au chef de la Section de recherches
spéciales de la Division des opérations de la police politique. Après avoir fourni une liste des
membres de la rédaction de l'hebdomadaire satirique Pasquim ainsi que de ses correspondants
à l'étranger, il signalait que « le journal référencé ci-dessus, ainsi que ses responsables,
[étaient] coutumiers de la pratique d'actes portant atteinte à la morale publique, en se basant
sur la publication de satires comportant des écrits obscènes, dévalorisant de ce fait les
intentions du Service de Censure468. » Il justifiait ensuite son accusation en dénonçant une
chronique du journaliste Paulo Francis écrite depuis New York au sujet de la pièce de théâtre
« Equus » et illustrée par le dessinateur Demo :
« Dans cette édition, le journal fait publier en page quatre, sous le titre : « OS
OVOS DA ARACY » un article écrit par son correspondant à New York,
PAULO FRANCIS, pour l'illustrer se trouve un dessin, réalisé par
« DEMO », d'un cheval, détourné en « PENIS469 », qui porte le chroniqueur
sur sa croupe. La finalité de l'article est de discourir au sujet de la
représentation d'une pièce de théâtre, à Broadway, appelée « EQUUS », qui
raconte l'aventure d'un garçon porteur de tares qui emmène une fille dans une
étable, où ils se déshabillent complètement et lui, face à la présence de six
chevaux, témoins de sa présence, il leur crève les yeux.
Il n'y a pas, pour ainsi dire, de nécessité d'illustrer l'article, et pourtant si on
se base sur les chevaux, avec l'évidente déformation de leurs cous allongés
délibérément, l'ensemble laisse sous-entendre l'image d'un pénis en érection.
Malgré le fait que ce journal soit recommandé aux lecteurs à partir de seize
467 Paulo MONTEIRO, Secrétariat de Sécurité Publique, rapport adressé à la Division des opérations de la section
de recherches spéciales, Rio de Janeiro, 11/12/1974, Archives du DOPS (APERJ Rio de Janeiro).
468 Idem.
469 Nous avons reproduit à l’identique les mots inscrits en majuscules et le terme souligné dans le rapport.
229
ans, comme il est indiqué en première page, il est consommé par les jeunes et
étudiants du secondaire qui en font leur moyen d'information. En annexe, un
exemplaire du journal référencé, afin que le Tribunal des Mineurs effectue
une vérification de son contenu470. »
FIG 51 : Pasquim, n°284, 10-16/12/1974, p. 4
Reproduit ci-dessus, le dessin incriminé faisait écho aux propos de Francis dans sa
critique assez féroce de la pièce de théâtre, lorsqu'il évoquait les liens freudiens entre le cheval
et la sexualité. Délibérément provocateur, Demo représenta le journaliste reconnaissable à ses
lunettes, ses cheveux frisés et les marques d'un ancien acné sur son visage, vêtu uniquement
d'un pull « New York » à col roulé et chevauchant une monture difforme au poitrail et à
l'encolure effectivement démesurés. Le cheval se confondait avec ce qui pourrait être l'énorme
pénis du journaliste dans une composition burlesque et ironique qui se moquait de la pièce de
théâtre écrite en 1973 par le britannique Peter Shaffer et représentée au Plymouth Theatre du
14 octobre 1974 au 2 octobre 1977471. Le texte du rapport rédigé par Paulo Monteiro
empruntait au style descriptif et s'employait, en multipliant les éléments juxtaposés par des
virgules, à fournir le plus de renseignements possibles afin de faciliter la compréhension de la
470 Paulo MONTEIRO, Secrétariat de Sécurité Publique, rapport adressé à la Division des opérations de la section
de recherches spéciales, Rio de Janeiro, 11/12/1974, Archives du DOPS (APERJ Rio de Janeiro).
471 Voir
la
base
de
données
de
Broadway
au
sujet
de
la
pièce :
https://www.ibdb.com/broadway-production/equus-3484/#awards (consulté le 03/12/2018).
230
situation par le chef de la Section de recherches spéciales de la Division des opérations de la
police politique. Le souci du détail et son effort de technicité ne l'empêchèrent pourtant pas de
porter un jugement subjectif lorsqu'il indiqua qu'à ses yeux, « il n'y [avait] pas, pour ainsi dire,
de nécessité d'illustrer l'article ». Le mot « pénis », qui figurait en majuscules à l'instar d'autres
termes clés du texte, était en revanche le seul à être souligné. L'auteur du rapport insista sur
l'aspect intentionnel d'une telle représentation et fit part de ses préoccupations vis-à-vis de la
subversion morale, précisant sa crainte de l'accès d'un public très jeune au dessin. Ces
éléments permettent raisonnablement d'estimer les motivations du détective Monteiro pour qui
une représentation graphique et humoristique sexualisée était synonyme de perversion,
d'atteinte à la dignité et de danger à écarter de la vue des adolescents lecteurs de
l'hebdomadaire satirique. La préoccupation de préservation rejoignait ici une inquiétude vis-àvis de la subversion politisée dans le cadre d'une « pénétration de la dimension strictement
politique dans la censure de mœurs 472 », dans la mesure où cet acte de censure intervient après
diverses interdictions déjà encourues par le périodique. Il est en effet très peu probable que
l'historique contestataire de Pasquim ne soit pas intervenu dans la formulation d'une telle
interdiction, au sein de laquelle les dimensions éthique, morale, politique et sociétale se
recoupèrent.
S'il est difficile, voire scientifiquement risqué, d'identifier et d'établir une logique
systématique dans les actes de censure, une constante se dégage de nos analyses. Rire de
l'image d'un grand Brésil, d'un imaginaire de progrès, de croissance et d'harmonie, en en
tournant en dérision les travers, les vices et les marges, semble avoir été un plaisir difficile à
satisfaire pour les dessinateurs d'humour graphique. Le régime écartait de la circulation les
représentations formulées à l'encontre de la propagande politique et de l'image du Brésil,
notamment façonnées au sein du Service spécial de relations publiques (AERP) créé en 1968
et très actif à la télévision. Il est intéressant de constater que les deux formes de censure,
politique et morale, imposées à la presse indépendante recoupaient l' « utopie autoritaire »
brésilienne évoquée par Carlos Fico :
« […] elle se réalisait dans deux dimensions : la première, la plus évidente, à
l'ambition assainissante, visait à 'soigner l'organisme social' en en extirpant
physiquement le 'cancer du communisme'. La seconde, à la base
pédagogique, cherchait à répondre à de supposées déficiences de la société
472 Carlos FICO, op. cit., p. 37.
231
brésilienne. Ainsi, alors que la police politique, l'espionnage, la censure de la
presse et le jugement sommaire de corrompus supposés étaient fortement
imprégnés de cette dimension assainissante de l' 'utopie autoritaire', la
thématique pédagogique primait au sein de l'AERP et de la DCDP. Alors que
les premiers éliminaient, y compris physiquement, les communistes,
'subversifs' et 'corrompus' , les deux dernières cherchaient à 'éduquer le
peuple brésilien' ou à le défendre des attaques à 'la morale et aux bonnes
mœurs'473. »
Cependant, les thématiques et représentations sujettes aux interdictions se révélèrent
mouvantes et fluctuantes en fonction des inflexions du pouvoir et au gré des évolutions du
régime. Entre la promulgation de l'AI-5 en 1968 et les débuts de l'ouverture politique au milieu
des années 1970, de nombreux dessins furent publiés dans la presse indépendante alors qu'ils
s'attaquaient expressément aux piliers idéologiques, aux principes économiques du régime
ainsi qu'à l'action répressive frappant la société civile. Certaines de ces thématiques furent
traitées conjointement par les deux hebdomadaires indépendants Pasquim et Opinião, comme
les inégalités sociales et économiques criantes dans le pays sous les années de plomb. Mais
l'on observa également une nette répartition d'autres sujets traités uniquement par les
dessinateurs de l'une ou l'autre des rédactions cherchant à dresser le portrait critique du régime
militaire et de la société brésilienne.
II. Un portrait brésilien au vitriol
1. Mises en images de la censure et la répression
Si le périodique Opinião usa de diverses techniques pour rendre visibles les
interdictions subies par son équipe de journalistes et dessinateurs, la lecture attentive de
l'hebdomadaire ne révèle pas la volonté ou la possibilité de représenter graphiquement la
censure et ses techniciens, de dessiner la pratique censoriale et ses conséquences. Il en est de
même pour la répression physique et la torture, des thématiques traitées dans certains articles
et reportages, présentes en filigrane, mais rarement dessinées. Cette caractéristique contrastait
473 Carlos FICO, op. cit., p. 39.
232
avec le contenu de Pasquim, révélant des stratégies graphiques divergentes de la part de ces
deux périodiques de l'opposition au régime militaire.
Cibles récurrentes de l'action des censeurs qui fréquentèrent quotidiennement leur
rédaction avant le déplacement géographique du contrôle préalable à Brasília, les dessinateurs
de Pasquim s'attaquèrent en effet rapidement aux fonctionnaires en charge des vérifications de
contenus, opérant un retournement carnavalesque de la situation de domination. Les dessins
critiquaient de manière humoristique, poétique ou ironique la pratique de la censure et ses
protagonistes dont l'action avait un impact direct et concret sur le travail quotidien des équipes
de rédaction. Ziraldo exploita le mythe largement ancré chez les dessinateurs de la stupidité
des censeurs dans une charge parue le 26 février 1970 mettant en scène le responsable de la
censure préalable ainsi que son voisin préposé aux livres, leurs bureaux respectifs croulant
sous les piles de documents. Par un habile jeu sur les mots, Ziraldo représentait le premier
personnage s’adressant au second en ces termes : « Écoute, Aristeu… pudibond c’est une
grossièreté ?474 ».
FIG 52 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 9
Plusieurs niveaux de lecture émergeaient du dessin publié neuf mois avant
l’emprisonnement de la rédaction et près de trois ans avant la censure du dessin de Demo au
sujet de la pièce Equus. Il mettait tout d’abord en avant l’énorme quantité de documents à la
474 Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 9.
233
charge des censeurs, révélant sans doute une recrudescence de la pratique à partir de 1968,
mais également les techniques d’enfouissement des contenus au sein d’immenses piles
employées par les caricaturistes, afin de lasser les censeurs. La charge se basait également sur
le postulat répandu chez les dessinateurs ayant œuvré au sein de la presse indépendante de
l’imbécillité et de l’inculture des fonctionnaires en charge des interdictions. Lorsque le
collègue d’Aristeu lui demandait si « pudibond » était un terme vulgaire, il reconnaissait que
son ignorance pouvait l’amener à laisser passer entre les mailles de son filet certains termes,
certaines expressions, certains dessins. Le comique provoqué par cette représentation de la
stupidité fut renforcé par le choix du terme en question, la pudibonderie étant définie par un
comportement extrêmement réservé vis-à-vis de la sexualité. Or, cette pudeur extrême et
moraliste fut bien souvent reprochée aux responsables de la censure et Ziraldo s'en moquait
déjà à la fin février 1970.
Trois mois plus tard, Millôr Fernandes présenta les censeurs sous un jour bien différent
dans le quarante-sixième numéro : toute l’équipe du département de censure jouait des coudes
pour réussir à voir un exemplaire du périodique ainsi mis en abyme. Le titre « La censure
lisant le contenu de Pasquim475 » contribuait à l’inversion comique : au lieu de critiquer,
dénoncer et couper textes et dessins publiés dans l’hebdomadaire, les censeurs aux sourires
avides semblaient au contraire manifester un grand intérêt pour l’alléchant contenu ainsi mis
en spectacle, mais caché au lecteur. Au-delà de la figure du censeur et de sa relation avec les
contenus censurés, les caricaturistes s’attaquèrent également aux motifs des interdictions et
aux justifications revendiquées par les autorités, liés à des accusations de pornographie et
d’atteinte à la morale. Dans un dessin paru d'abord dans Pasquim puis reproduit par la
première anthologie consacrée à l’hebdomadaire satirique476, Fortuna questionna le bien-fondé
des coupures rendues ridicules et excessives. L’image verticale divisée en deux parties
représentait dans un premier temps un homme perplexe contemplant les lettres de l’alphabet
fixées à un mur, métaphores visuelles des contenus journalistiques écrits et par extension de
l’ensemble de la production intellectuelle. Dans la partie inférieure de l’image, l’homme s’en
allait satisfait d’avoir recouvert de bandeaux noirs certaines parties des lettres, jugées
sensuelles ou impudiques, faisant écho à certaines courbes intimes du corps humain : B, O, Q,
V. L’objectif d’une telle charge était bien de tourner en dérision, d’amenuiser, de ridiculiser la
475 Pasquim, n°46, 13-19/05/1970, p. 8.
476 JAGUAR, Sergio AUGUSTO, O Pasquim. Antologia. Volume I. 1969-1971, Rio de Janeiro, Desiderata, 2006, p.
119.
234
censure sous toutes ses formes, d’en moquer les acteurs et d’en réduire la portée. On observe
le même phénomène et les mêmes intentions au sujet des violences et de la répression subies
par les opposants, si inoffensifs soient-ils, au régime militaire.
Dès le mois de juin 1970, le dessinateur Jaguar s'en prit à la brutalité animale de la
police en publiant une charge fondée sur le jeu entre texte et image. Deux personnages
stéréotypés se faisait face sur le dessin : un policier en uniforme, matraque à la main droite et
un homme aux pieds nus portant bandeau, vêtements amples et collier du symbole de la paix.
Ce dernier scandait en anglais le slogan du mouvement hippie devant le policier renfrogné :
« Make love not war ». Sur la deuxième vignette, le policier abattait violemment son arme477
sur le jeune homme dont le corps se désarticulait derrière l'onomatopée « VROMP » dans une
explosion visuelle. Finalement, le policier arborait un large sourire en contemplant son œuvre :
les restes humains déchiquetés, le collier et la matraque formaient le mot « LOVE », en
référence à l'injonction formulée dans la première image. Le cynisme de la scène se basait sur
la réponse graphique du policier apportée au slogan anti-guerre. Le dessin employait l'image
de forces de l'ordre extrêmement brutales, incapables de faire preuve de second degré et
n'hésitant pas à faire usage de la force contre des mouvements pacifistes.
477 En portugais du Brésil, le terme matraque se dit « cassetete » et dérive de manière assez révélatrice du mot
« casse-tête ».
235
FIG 53 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 29
Cette opposition entre une jeunesse contestataire imprégnée de contre-culture et un
ensemble de policiers hébétés par leur haine du désordre fut employée à maintes reprises par
Jaguar au sein de productions publiées par l'hebdomadaire Pasquim évoquant les arrestations
et emprisonnements. Datée du 26 février 1970, la première se situait dans un commissariat et
représentait l'arrestation d'un groupe encerclé par des policiers casqués et armés. Les hommes
emprisonnés portaient les cheveux longs ou la coupe afro, des lunettes de soleil, divers couvrechefs et des symboles de la paix : les « hippies » stéréotypés. Parmi eux on distinguait
notamment le portrait de l'éditeur de Pasquim Tarso de Castro, auteur d'une chronique ironique
consacrée à la nécessaire chasse aux hippies dans la société brésilienne publiée conjointement
au dessin de Jaguar. Notons que le visage de Tarso de Castro était un détail issu du portrait de
236
famille de la rédaction dessiné par Fortuna et publié dans le numéro précédent478. Au premierplan, un homme aux cheveux longs, à la barbe fournie, aux pieds nus et habillé d'une grande
robe interrogeait le commissaire assis à son bureau : « Vous savez à qui vous vous
adressez ? ». Hormis sa petite auréole divine, rien ne le distinguait des autres hippies arrêtés.
Le ressort comique résidait en la prétendue stupidité d'agents de police incapables de
distinguer Dieu d'un groupe de jeunes gens aux cheveux longs et vêtements amples, tous
arrêtés à cause de leur action prétendue subversive.
FIG 54 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 35
Le dessinateur réemploya cette dramaturgie comique dans un autre travail publié le 11
février 1971479 centré sur les opérations de surveillance d'opposants au régime. Un personnage
interrogeait
un
homme
en
uniforme
exactement
de
la
même
manière
que
précédemment : « Vous savez à qui vous vous adressez ? ». La situation s'inversait cependant
lorsque le policier répondait par la négative, soulageant le premier personnage qui s'enfuyait
en criant « Super, Bye bye ». Alors que le premier dessin jouait graphiquement sur la
confusion entre Dieu et un groupe de jeunes hippies, le second élaborait un court récit dans
lequel l’anonymat et la méconnaissance de ses actes par la police sauvèrent le protagoniste. La
torture fut dessinée directement ou indirectement en de rares occasions, comme lorsque Henfil
478 Pasquim, n°35, 19-25/02/1970, p. 32.
479 Pasquim, n°84, 11-17/02/1971, p. 9.
237
représentait en Une du trente-cinquième numéro, le 19 février 1970, son personnage sadique et
grossier Baixim – sur lequel nous reviendrons dans ce chapitre – poursuivant la mascotte du
journal Sig avec une paire de tenailles à la main.
FIG 55 : Pasquim, n°35, 19-26/02/1970, p. 1
L'emprisonnement de la rédaction de Pasquim en novembre 1970 provoqua, on l'a vu,
un ensemble de techniques développées par Henfil et Millôr Fernandes accompagnés d'amis
solidaires pour évoquer les événements sans mention explicite. La quatrième de couverture du
soixante-dix-neuvième numéro remercia les remplaçants et annonça la potentielle libération de
l'équipe en ces termes :
« Si le service de météorologie maintient sa prévision, la prochaine édition de
Pasquim pourra compter sur toute l'équipe titulaire, dans la mesure où huit
étaient déjà en train de circuler au moment où nous avons bouclé ce numéro
(avec une semaine d'avance à cause de la censure préalable) et il ne manquait
alors plus que Tarso de Castro480. »
480 Pasquim, n°79, 6-12/01/1971, p. 32.
238
À droite du texte et sous une grande photo des « intérimaires », Sig tenait de sa main
gauche huit boulets tout en tentant d'atteindre de sa main droite la chaîne entravant sa propre
jambe, évoquant très directement l'emprisonnement subi par les membres de la rédaction.
L’exil contraint de nombreuses personnalités artistiques, intellectuelles et politiques
brésiliennes fut également abordé, notamment par une double page humoristique signée Juarez
Machado et consacrée aux divers usages possibles de l’hebdomadaire satirique 481. La dernière
vignette représentait un appartement parisien en travaux, la fenêtre ouverte avec vue sur la
Tour Eiffel. Des journaux protégeaient le sol de la peinture fraîche appliquée aux murs de cet
intérieur parisien, comme lors d’un emménagement, et le titre indiquait qu’il s’agissait là du
Pasquim « International ». La capitale française devint en effet dès 1970 et surtout à partir de
1973 l’un des centres européens les plus importants d'accueil d’exilés politiques latinoaméricains, particulièrement brésiliens482 et chiliens.
Contrairement à l'hebdomadaire Pasquim, dont les dessinateurs caricaturèrent
directement les agents de la répression, la censure et en de rares occasions la torture, l'équipe
graphique de Opinião publia bien davantage de portraits caricaturaux de dirigeants politiques
brésiliens de premier plan. Les caricaturistes s'en donnèrent à cœur joie dès les premiers
numéros, le dessinateur Cássio Loredano en tête, suivi de près par Luís Trimano.
2. Le bestiaire politique
Jusqu'en mars 1974, période correspondant à la passation de pouvoir entre Médici et
Geisel, mais également aux premières transformations profondes de l'équipe artistique du
périodique, Opinião publia de très nombreuses caricatures politiques. L'arrivée de Petchó et
surtout celle de Chico Caruso tendirent à faire évoluer la nature des travaux publiés vers
davantage de charges scénarisées. Le pourcentage de caricatures diminua de nouveau
drastiquement à partir de la rupture interne à la rédaction en février 1975 marquée par le
départ de Raimundo Pereira et une grande partie de l'équipe graphique initiale, remplacée par
de nouveaux collaborateurs, tels que Mariza, Callicut ou Roberto Simões.
481 Pasquim, n°79, 6-12/01/1971, p. 8-9.
482 Au sujet de l’exil brésilien en France, voir notamment : Maud CHIRIO, « Formes et dynamiques des
mobilisations politiques des exilés brésiliens en France (1968-1979) » in Cahiers des Amériques latines,
n°48-49, 2005, p. 75-89.
239
À l'occasion de la parution de son vingt-et-unième numéro, l'hebdomadaire publia un
essai du journaliste Hélio Silva intitulé « Março, 1964483». Consacré à l'anniversaire du coup
d’État militaire, le texte revenait sur les étapes et mécanismes de cette nuit du 31 mars au 1er
avril 1964 et fut le prétexte à la caricature de l'ancien président élu João Goulart par Loredano.
La difformité physique presque systématiquement employée par le dessinateur conférait à
Jango un visage cabossé et grave, mais celui qui était alors exilé en Uruguay conservait une
posture droite, un regard digne et la prestance liée au port de l'écharpe présidentielle. Loredano
fut loin d'être aussi clément envers Castelo Branco et Costa e Silva, les deux premiers
présidents du régime militaire également dessinés dans le cadre de l'essai de Hélio Silva.
Caricaturés côte-à-côte, les hommes d’État arboraient une apparence physique larvaire, tous
deux engoncés dans leurs goitres, le visage rempli de rides et de plis. Les traits de Loredano
semblaient avoir faussement hésité entre des représentations humaines et monstrueuses. Les
proportions hideuses et le bras droit de Castelo Branco s'apparentant davantage à une patte de
volaille qu'à un membre humain contribuaient à l’animalisation des personnages.
FIG 56 : Opinião, n°21, 26/03-02/04/1973, p. 9
483 Hélio SILVA, « Março, 1964 » in Opinião, n°21, 26/03-02/04/1973, p. 7-9.
240
Le général Emílio Garrastazu Médici dont l'image était extrêmement contrôlée et
policée fit l'objet de peu de représentations caricaturales. Loredano le dessina dans le seizième
numéro de Opinião paru le 19 février 1973, en compagnie de Filinto Strumbling Müller,
militaire de carrière, ancien chef de la police et sénateur de l'ARENA. À la suite d'une
rencontre avec le président, Müller avait vivement critiqué la presse l'interrogeant au sujet de
la succession présidentielle, censée être discutée par le Congrès. Médici était dessiné en
arrière-plan, imposant et puissant, tenant dans sa main droite un pantin à l'effigie de son porteparole officieux, pantin désarticulé au visage terrifiant, émacié, anguleux et cruel. Le discours
autoritaire refusant les débats pour désigner le successeur trouvait sa traduction graphique
dans une bulle de bande dessinée très allongée, sortant de la bouche de Médici et traversant
Müller, comme pour faire croire que les paroles présidentielles étaient siennes.
FIG 57 : Opinião, n°16, 19-26/02/1973, p. 3
Davantage spécialiste de la fixation sur le papier de tableaux minutieusement élaborés,
Chico Caruso représenta la passation de l'écharpe présidentielle entre les présidents Médici et
Geisel dans le soixante-et-onzième numéro, paru le 18 mars 1974. L'image mettait en scène les
deux protagonistes se livrant au rituel de transfert symbolique du pouvoir, devant des
spectateurs de haut rang venus au Brésil pour l'occasion : Juan María Bordaberry, Hugo
241
Banzer et Augusto Pinochet, dictateurs militaires de l'Uruguay, de la Bolivie et du Chili. Entre
Banzer et Pinochet se trouvait également la première dame des États-Unis, Thelma Catherine
Ryan, dite Pat Nixon. De nombreuses personnalités brésiliennes et étrangères furent en effet
invitées à la cérémonie d'investiture de Ernesto Geisel et de son vice-président Adalberto
Pereira dos Santos, organisée le 15 mars 1974 à Brasília. Les images de la cérémonie diffusées
à la télévision484 témoignent du fait que le passage de l'écharpe présidentielle eut lieu devant
de nombreux conseillers brésiliens, pas uniquement devant les quatre invités étrangers de
prestige. Il est en ce sens particulièrement intéressant de se pencher sur les choix effectués par
Caruso dans la composition de son dessin. Le caricaturiste semble avoir voulu montrer
précisément sous quels auspices le nouveau président entama son mandat, avec la bénédiction
de ses homologues dictateurs des pays voisins et l'aval des États-Unis.
FIG 58 : Opinião, n°71, 18/03/1974, p. 3
Le portrait du nouveau président brésilien Ernesto Geisel fut également publié en
couverture du numéro, dessiné comme s'il s'agissait d'une image découpée et collée en Une.
L’intéressant processus graphique révélait une posture critique vis-à-vis de la continuité du
pouvoir dictatorial : le dessinateur sembla vouloir expliquer que rien ne changeait réellement
484 Images filmées disponibles en ligne : https://archive.org/details/PosseDoPresidenteErnestoGeiselEm1974
(consulté le 15/01/2019).
242
avec la passation de pouvoir, à l'exception du nouveau portrait présidentiel venu remplacé le
précédent. Notons que ce portrait fut réemployé en Une de la dernière édition de Opinião
publiée le 8 avril 1977. Ernesto Geisel fut le président le plus caricaturé par les dessinateurs de
la rédaction Petchó, Chico Caruso et Cássio Loredano, qui s'attaquèrent en outre au fil des
numéros au personnel politique de premier plan, issu de l'administration militaire comme de la
société civile.
L'économiste et professeur d’université Antônio Delfim Netto, membre du Conseil
consultatif de planification sous le gouvernement Castelo Branco puis ministre des Finances
de 1967 à 1974 sous Costa e Silva et Médici, fut un membre civil des différents
gouvernements militaires et signataire de l'AI-5 en décembre 1968. Entre 1968 et 1973, le
Brésil bénéficia d'une période de croissance économique importante à l'échelle internationale –
le « miracle économique » encensé par la propagande du régime – mais vit par la suite dans les
années 1970 l'inflation augmenter, la concentration des revenus et les disparités socioéconomiques s'accroître considérablement. Delfim Netto était le visage d'une politique
économique servant les intérêts des couches les plus aisées de la société brésilienne ainsi que
du système capitaliste mondial et fut à ce titre largement caricaturé. Dès le cinquième numéro
de Opinião publié en décembre 1972, Loredano associa l'économiste à l'augmentation
drastique de la dette extérieure du pays depuis 1969 ainsi qu’à la croissance exponentielle des
taux d'intérêts dus aux créanciers nord-américains. La caricature accompagnait un article signé
par le journaliste Marcos Gomes intitulé « Delfim Netto, la dette comme stratégie485 »
constatant et analysant le dépassement du taux d'exportations par celui des importations et
l'augmentation constante de la dette extérieure. Le dessin sous-entendait la malhonnêteté du
ministre des Finances accusé de spéculer sur l'endettement du pays dont il aurait été
directement responsable : il portait une besace remplies de liasses de billets locaux et dont le
fond percé laisse tomber pléthore de dollars américains. Loredano s'attaqua particulièrement
au physique ingrat de Delfim Netto, exagérant l'importance de son double-menton et son
absence de cou, insistant sur ses cheveux courts coupés en brosse, lui donnant un air
faussement sérieux par l'intermédiaire d'une paire loufoque et asymétrique de ses fameuses
lunettes carrées qui peinaient à dissimuler un regard en coin, à la fois intéressé et ahuri.
485 Opinião, n°5, 04-11/12/1972, p. 7-8.
243
FIG 59 : Opinião, n°5, 04-11/12/1972, p. 7
L'économiste était l'une des cibles récurrentes du dessinateur, déjà visé deux fois dans le
premier numéro de l'hebdomadaire486 et de nouveau caricaturé le 22 janvier 1973487. Cette fois
à l'apparence encore plus larvaire, le dessin du buste de Delfim Netto était uniquement
composé de son visage et de son large cou. Le regard torve et hébété, le strabisme, les oreilles
démesurées, la coupe en brosse et l'embonpoint contrastaient largement avec les deux gants de
boxe de la créature, censés symboliser l'esprit combatif d'un ministre devant présenter aux
industriels et banquiers son plan pour redresser l'économie brésilienne et combattre l'inflation.
Les caricatures de Loredano s'employèrent en ce sens au fil des numéros à écorner l'image de
l'un des principaux artisans du soi-disant « miracle économique ».
486 Opinião, n°1, 06-13/11/1972, p. 5-6.
487 Opinião, n°12, 22-29/01/1973, p. 4.
244
Bien qu'ils furent à l'instar de Delfim Netto très caricaturés dans les pages de Opinião,
les membres civils du gouvernement étaient loin de posséder le monopole de la représentation
satirique. À titre d'exemple, le général Golbery do Couto e Silva fut dessiné à de maintes
reprises par divers artistes graphiques. L'un des grands artisans de l'élaboration de la doctrine
de sécurité nationale à la brésilienne et le premier chef du Service national d'informations
(SNI), il fut notamment le sujet d'un portrait publié le 11 mars 1974. Golbery venait d'être
nommé ministre chef du Cabinet civil du tout récent gouvernement Geisel et en devint
rapidement l'un des hommes les plus importants, entretenant des rapports privilégiés avec le
président. Cássio Loredano réussit à fixer à l’intérieur de l’image les ambitions politiques et
l'insertion au sein du gouvernement du général portant désormais le costume, la cravate et
l'attaché-case. Le visage, disproportionné par rapport au corps, demeurait aisément identifiable
malgré sa difformité : la tête ovale, la bouche fine et fermée, le nez grand et dessiné, les fines
lunettes carrées semblables à celles portées par Ernesto Geisel, ces éléments devinrent
rapidement caractéristiques des caricatures de Golbery do Couto e Silva. Ici encore, les
lunettes se transformaient en accessoire indispensable à la création d'un personnage par le
caricaturiste. Un accessoire loufoque, du fait de l'asymétrie des verres, mais également le
symbole de l'appartenance de son propriétaire aux plus hautes sphères du pouvoir.
FIG 60 : Opinião, n°70, 11/03/1974, p. 3
245
Le 20 septembre 1974488, Golbery do Couto e Silva fut dessiné aux côtés de Floriano Peixoto
Faria Lima, choisi par Ernesto Geisel pour être le gouverneur du nouvel État de Rio de Janeiro
résultant de la fusion en juillet 1974 des États de Guanabara et Rio de Janeiro, alors que le
nom du premier avait été annoncé dans la presse. La candidature de Faria Lima fut
recommandée officiellement pour le poste le 10 septembre et l'ancien militaire de carrière
quitta le 1er octobre la présidence de l'entreprise Petrobras qu'il occupait depuis le 6 juillet
1973 afin de se consacrer à sa nouvelle fonction. La composition graphique hybride, faite
d'une caricature de Couto e Silva au premier plan et de la reproduction d'une photographie de
Faria Lima en arrière-plan, mettait en avant le contraste entre les deux hommes, mais
également les tensions ayant régné au moment de la nomination du nouveau gouverneur.
Opinião abordait également dans ses reportages, chroniques et propositions graphiques
les évolutions de la vie politique à l'échelle des États, se penchant même en de rares occasions
sur certaines situations municipales et locales. Le 11 octobre 1974, huit jours après l'élection
indirecte des vingt-et-un gouverneurs selon les dispositions de l'AI-3, l’hebdomadaire publia
une sorte de portrait de famille regroupant ces nouveaux dirigeants aux côtés du président
Ernesto Geisel489. Tous étaient déjà membres du parti de soutien au gouvernement fédéral,
l'ARENA, ou y adhérèrent très rapidement juste après leur prise de poste. La composition
graphique employa également la photographie : les portraits des vingt-et-un administrateurs
étaient insérés dans le dessin d'un équipe de footballeurs vêtus en sportifs, mais arborant leur
écharpe de gouverneur. Tel le sélectionneur de cette belle équipe, en costume noir et cravate,
Ernesto Geisel se trouvait à droite de l'image. Le dessin insistait sur le lien presque organique
entre le président du Brésil et les gouverneurs des États, unis dans un même but et censés tous
jouer dans la même équipe. Dans un souci de pédagogie et de clarté, une légende
accompagnait l'encadré et donnait le nom de chaque membre du tableau composant cette
grande métaphore footballistique du pouvoir.
488 Opinião, n°98, 20/09/1974, p. 16.
489 Opinião, n°101, 11/10/1974, p. 5.
246
FIG 61 : Opinião, n°101, 11/10/1974, p. 5
À partir de la fin de l'année 1974 et au cours de l'année suivante, les aléas de
gouvernance et les divergences idéologiques au sein de l'ARENA firent l’objet de nombreux
dessins, en parallèle de la lente et progressive ouverture démocratique appelée de ses vœux par
Geisel. Le dessinateur FAFS conféra le 27 juin 1975 l'apparence d'une carte à jouer aux deux
tendances du parti dominant490. En lieu et place d'un roi de pic identique d'un côté comme de
l'autre de la carte, FAFS avait dessiné deux caricatures différentes : celles de Teotônio Brandão
Vilela et Dinarte de Medeiros Mariz. Le premier était sénateur de l’État d'Alagoas depuis
1967, après en avoir été le vice-gouverneur et l'un des députés. Il s'affilia à l'ARENA dès 1965
et fut l'un des rares sénateurs du parti à obtenir sa réélection en 1974. À partir des prémices de
l'ouverture politique esquissée par Geisel, Vilela lutta en faveur de la redémocratisation du
pays et endossa le rôle d'opposant au sein du parti de soutien au gouvernement. En 1979,
quelques années après la publication de la caricature de FAFS, il quitta l'ARENA et adhéra au
MDB. Sur le dessin, il tenait de la main gauche un rameau d'olivier, symbole de paix et de
prospérité, en claire opposition avec l'épée brandie par le personnage dessiné en miroir et
censé être son alter égo. Le sénateur de l’État du Rio Grande do Norte Dinarte de Medeiros
Mariz fut un actif participant au coup d’État de 1964. Également affilié à l'ARENA dès 1965,
il se fit remarquer au Congrès sous le gouvernement de Geisel par ses prises de paroles
favorables à l’État d'exception et au maintien d'une répression implacable contre les opposants
au régime.
490 Opinião, n°138, 27/06/1975, p. 1.
247
FIG 62 : Opinião, n°138, 27/06/1975, p. 1
FAFS parvint ainsi à rendre visibles ces divergences d'opinion et de pratique politique
émaillant l'apparente unité de l'ARENA en ce début de mandat présidentiel, marqué par la
lente et très progressive ouverture politique du régime. Le dessinateur caricatura deux
tendances qui émergèrent au sein du parti de soutien au gouvernement – l'une ouverte à la
redémocratisation et l'autre ayant défendu jusqu'au bout le maintien du régime militaire – et
qui furent révélatrices de profonds clivages existant au sein de la société brésilienne.
3. Contre des valeurs conservatrices
Si les dessinateurs de Opinião excellèrent dans la caricature de la scène politique
nationale, l'équipe de l'hebdomadaire Pasquim se concentra davantage sur la satire des mœurs
jugées convenables, de la morale et de la religion, autant de piliers de la bonne société
brésilienne durant les années 1970 et dont la défense constitua le motif de la plupart des
attaques formulées contre la rédaction. De nombreuses rubriques récurrentes ou ponctuelles
interrogèrent au fil des numéros de Pasquim les rapports entre contre-culture et conservatisme,
248
entre une jeunesse éprise de liberté(s) et la morale paternaliste qui lui était imposée, entre de
nouvelles pratiques sexuelles ou de nouvelles consommations de stupéfiants et la réaction des
autorités politiques, religieuses et familiales face à de tels changements.
Ziraldo se moqua de la paranoïa ambiante provoquant la constante crainte de la
subversion des idées et des mœurs dans le trente-cinquième numéro de Pasquim paru le 19
février 1970. Alliant deux thématiques hautement sensibles, la sexualité et l'enfance, la charge
représentait un couple de parents inquiets face au comportement de leur progéniture s’amusant
avec un bilboquet. À droite de l'image, le jeune garçon tentait de faire rentrer la tige de bois
dans une boule percée selon le principe de cet ancien jeu d'adresse. Sur la partie gauche, les
deux parents tentaient d'obtenir des explications de la part de deux spécialistes, thérapeutes ou
policiers, bien incapables de faire rentrer le comportement de l'enfant dans une catégorie
d'actes répréhensibles malgré la métaphore phallique du bilboquet. Le dessin de Ziraldo
s'attaquait en fait à la bien-pensance sur plusieurs fronts : celui du tabou absolu de la liberté
sexuelle inexistante pour de nombreux adolescents ayant pour conséquence une sexualisation
excessive de tout comportement infantile par les adultes, celui de la paranoïa anti-subversive
et de la crainte d'un ennemi interne présent au sein des foyers, celui, enfin, de la délation entre
membres d'une même famille. Les tensions entre une jeune génération actrice de la
libéralisation des mœurs ainsi qu’une frange importante de la société brésilienne conservatrice
et réactionnaire étaient souvent mises en dessins par les caricaturistes de Pasquim. Maître de
l'ironie graphique, Jaguar feignit de devenir l'avocat du diable dans une caricature de
couverture publiée le 11 juin 1970. Un homme chauve, ridé, vêtu d'un costume trois pièces à
rayures et portant d'épaisses lunettes rondes, s'exclamait en tendant l'index droit en signe de
détermination : « Je suis pour la contre-révolution sexuelle491 ». Les lignes de ses vêtements se
confondaient avec les rides de son visage, sous-entendant la parfaite harmonie d'un
conservatisme poussiéreux appliqué à la fois à l'esthétique et l'idéologie.
491 Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 1.
249
FIG 63 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 1
Ces deux dessins s’inscrivaient dans la continuité thématique d’une bande dessinée de Ziraldo
publiée quelques mois auparavant, le 26 février 1970. La planche divisée en six vignettes mit
en scène deux hommes blancs en costume se saluant dans la rue. Après un premier échange de
banalités, l’un questionnait l’autre au sujet de ses proches : « Et comment va la famille ? ». La
critique provenait de la réponse à cette interrogation a priori anodine et dans la confusion entre
la famille précise de l’homme en question et la famille en général, en tant qu’institution et
élément de base de la société brésilienne. En effet, le deuxième homme répondit de la manière
suivante : « Tu n’a pas su ? Ils ne t’ont pas informé ? Il y a des gens là qui veulent la
détruire !492 ».
La famille dite traditionnelle, construite par et sur le patriarcat,
492 Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 10.
250
l’hétérosexualité et l’autorité parentale absolue, institution centrale du régime militaire
conservateur, était un véritable lieu symbolique du conflit entre visions divergentes des
rapports humains en société. L’attachement viscéral à la conception conservatrice du noyau
familial fut parmi les principaux motifs de l’organisation des grandes Marches de la famille
avec Dieu et pour la liberté entre mars et juin 1964. Dès lors, la défense de la famille
brésilienne devint une thématique récurrente de l’argumentaire des autorités militaires et
civiles tout au long du régime, dont les opposants taxés de communisme, d’anarchisme, de
subversion ou de trahison, étaient accusés de fomenter constamment sa destruction. Les
partisans d’une « contre-révolution » sexuelle caricaturés par Jaguar en juin 1970
s’inquiétaient justement de la libéralisation des mœurs et de l’émancipation féminine au nom
de la défense d’un schéma hétéro-normatif et de domination masculine.
Le corps et la manière dont les conventions sociales lui imposaient le port de certains
vêtements jugés adéquats constituaient des terrains d'application du conservatisme dénoncé
dans Pasquim. Le quatre-vingt-quatrième numéro fut à ce titre exemplaire. Malgré le
machisme régnant au sein de la rédaction et imprégnant particulièrement certains journalistes
et dessinateurs, l'hebdomadaire mit tout de même en avant certaines discriminations subies par
les femmes ainsi que l’absurdité d’interdictions formulées au nom de la défense de la morale.
Une double page composée d’une chronique signée « Chico Junior », de dessins et de
reproductions photographiques tournait en dérision l’action de l’agent de police Moacir Bellot
en charge de la moralisation de la ville de Cabo Frio. L'homme, nous disait le journaliste,
s'était notamment rendu célèbre pour couper les cheveux des jeunes hippies, réprimer
sévèrement le port du monokini et lutter contre la mini-jupe dans son secteur d’action. L’ironie
du texte ponctué d’un entretien avec le policier trouvait une résonance graphique dans la partie
droite de la double page : une photographie du buste et du haut des cuisses de Bellot
surplombait six paires de jambes différentes, dessinées, photographiées ou recopiées par la
rédaction. Le lecteur était invité à deviner « Comment seraient les jambes de Bellot, l’homme
qui s’oppose aux jambes à l’air ?493 ». Il s’agissait bien pour Pasquim de désacraliser l’agent
de police en l’exposant personnellement au rire et en critiquant le ridicule de sa croisade
absurde contre l’immoralité.
493 Pasquim, n°84, 11-17/02/1971, p. 15.
251
FIG 64 : Pasquim, n°84, 11-17/02/1971, p. 15
Le caricaturiste Fortuna lança dans le même numéro en février 1971 l’une de ses
bandes dessinées les plus célèbres intitulée « Madame e seu bicho muito louco », littéralement
« Madame et son animal très fou », par la suite publiée dans la revue éponyme O Bicho entre
1975 et 1976494. Les aventures du petit chien moustachu et de sa maîtresse bourgeoise aliénée
par les conventions et la bienséance, virent le jour dans les pages de Pasquim. Dans la
première planche, le chien trouvait une cravate et s'interrogeait au sujet de l'intérêt et surtout
de l'usage possible d'un tel objet : cache-nez, muselière, bandeau, nœud, corde de pendu,
collier... ? Sa maîtresse lui indiquait finalement qu'il s'agissait d'une cravate, « cette pièce
indispensable à la respectabilité masculine, usuelle dans les pays tropicaux 495. » Fortuna
494 Au sujet de l'importance de la revue O Bicho dans le développement de la bande dessinée brésilienne :
Roberto Elísio dos SANTOS, Waldomiro VERGUEIRO, « Revistas alternativas de quadrinhos no Brasil na década
de 1970 : uma análise de O Bicho » in Revista Latinoamericana de Ciencias de la Comunicación, n°12,
janv.-juin 2010, p. 22-31.
495 Pasquim, n°84, 11-17/02/1971, p. 32.
252
tournait en dérision au travers de Madame le conformisme poussiéreux d'une élite enlisée dans
ses normes, ses codes et ses stéréotypes de genre.
Autre pilier de la société brésilienne traditionnelle, la croyance religieuse fut largement
caricaturée dans les pages de Pasquim et notamment par le dessinateur Henfil. Il dessina pour
la première fois son duo maléfique Fradins au sein de la revue Alterosa parue à Belo
Horizonte entre 1939 et 1964, avant de les publier dans Pasquim et Almanaque dos Fradinhos.
Baixim et Cumprido – littéralement « le p'tit » et « le long » – formaient un duo de
personnages opposés physiquement et psychologiquement, aux comportements totalement
contradictoires révélant divers aspects de l'esprit d'un seul et même dessinateur. Le premier,
Baixim, anarchiste, sadique et à tendance scatophile, remettait en cause en permanence les
normes et codes en vigueur, la répression et le pouvoir militaire, la morale et la religion
catholique. Cumprido avait l'attitude inverse : craintif, respectueux des règles et apeuré par les
conséquences dramatiques des actes de son acolyte, il remplissait cependant le rôle
indispensable de contrepoint et devint la métaphore d'une société civile conformiste et bien
pensante. L'historienne Maria da Conceição Francisca Pires vit dans l'usage important
d'onomatopées dans les planches des Fradins la nécessité de « contrer l'absence de sons et de
mouvements » et de « reproduire toute référence au réel qui trouvait des difficultés à se définir
de manière succincte et précise496. » Toujours dans un souci de réalisme, de proximité et de
provocation, « d'autres formes de l'emploi de pratiques populaires de la part de Baixim [furent]
les manifestations gestuelles (attraper ses crottes de nez ou faire des gestes obscènes) en plus
de la rupture des conventions verbales (utilisation d'insultes, mots grossiers, injures et
malédictions)497. » Ces décalages formels permirent au dessinateur Henfil d'aborder de très
nombreux sujets délicats, voire tabous, dans le Brésil des années 1970 : la maladie, le corps
humain, la saleté, la misère, l'homosexualité, la critique de l'univers bourgeois et de la religion.
En février 1970, Baixim opéra une remise en question totale et brutale de l'existence
même de la figure divine en usant du cynisme et de la vulgarité qui lui étaient caractéristiques.
Lassé d'attendre Dieu sur un petit nuage en compagnie de Cumprido, Baixim fit part de son
scepticisme enragé à un ange qui lui répondit : « Dieu ne se voit pas, ne se touche pas, on croit
en lui !! Et quiconque ne croit pas va en enfer !!498 ». Après avoir fait un scandale et exigé ses
droits, Baixim se faisait chasser du ciel avec son frère. Quelques semaines plus tard, à
496 Maria da Conceição Francisca PIRES, « Cultura e Política nos Quadrinhos de Henfil » in História (São Paulo),
vol. 25, n°2, 2006, p. 105.
497 Maria da Conceição Francisca PIRES, op. cit., p. 105.
498 Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 29.
253
l'occasion d'un épisode des Fradins sur une double page499, Henfil joua un tour à son
personnage, lui-même à l'origine d'une blague faite à son binôme : Baixim avait feint d'être
désemparé par la mort de Dieu, laissant Cumprido dans tous ses états. Pris à son propre piège,
le petit personnage sadique s'inquiétait soudain de la mise en berne des drapeaux, de la
musique funèbre jouée à la radio, des cloches sonnant dans toutes les églises, de l'ouverture
d'une faille dans la terre... avant de s'évanouir de peur puis d'entendre l'onomatopée
caractéristique « TOP TOP TOP », bruit de la paume d'une main tapant sur l'autre main
fermée, symbole de la farce réussie employé par Dieu lui-même. L'ange Gabriel, lassé de ce
petit jeu, s'adressait à ce dernier : « Vous ne croyez pas que vous êtes déjà bien grand pour
avoir toujours cette nécessité d'affirmation !?? ». Très vexé, Baixim le mit au défi tout en
achevant l'opération de désacralisation de manière totalement contradictoire : « Descends de là
si t'es un homme! Descends !!500 ».
FIG 65 : Pasquim, n°90, 25-31/03/1971, p. 11
Enfin, de nombreuses pratiques en décalage avec la norme et la légalité, telles que la
consommation récréative de stupéfiants, semblent avoir été mises en avant par Jaguar comme
lorsqu'il dessinait avec poésie les effets du cannabis sur un jeune hippie encouragé à fumer par
son acolyte501. Les codes vestimentaires et certains effets de langage caractéristiques de ce
499 Pasquim, n°90, 25-31/03/1971, p. 10-11.
500 Pasquim, n°90, 25-31/03/1971, p. 11.
501 Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 20-21.
254
mouvement contre-culturel étaient présents dans l'image divisée en six vignettes, au sein
desquelles le protagoniste se transformait en créature ailée et fleurie, s'envolait et revenait fait
part de son enthousiasme à son partenaire. Ce type de représentations caricaturales,
symptomatiques d'un ensemble de comportements en vogue principalement chez les jeunes,
contrastait largement avec certains dessins satiriques d'une élite vieillissante et d'une classe
moyenne marquée par le matérialisme, le désir de consommation et l'argent. Une charge parue
dans Opinião en décembre 1972 nous semble à cet égard exemplaire : non signée, elle
représentait l’exubérance, l’exaltation financière et le règne des apparences érigés en valeurs
cardinales du Salon de l'automobile de São Paulo502. L'événement voué à la consommation de
biens matériels, au marketing et au moyen de transport transformé en mode de vie, organisé
dans le centre des congrès Anhembi situé au nord de la ville, fut décrit par le journaliste Luiz
Weis dans un article jouxtant le dessin. Le tableau de ce « marché des illusions503 » peint dans
la chronique trouvait un écho visuel évident au sein de la charge graphique : trois véhicules
neufs surplombait la scène depuis l'arrière-plan, érigés en monuments sur un immense
piédestal. Le décor métallique faisait référence aux installations de l'immense centre des
congrès. Au premier plan, cinq personnages inquiétants et monstrueux, aux visages dévorés
par des dentitions carnassières, étaient à la fête. Symboles funestes de cette classe aisée
n'aspirant qu'à prendre l'ascenseur social et misant sur les apparences pour y parvenir, les
créatures uniquement dotées de la parole, de la capacité de sourire ou de littéralement montrer
les dents étaient dépourvues de visage, de cerveau, de toute leur humanité. Perdues dans une
course effrénée à la consommation, elle représentaient les exactes antithèses des aspirations
d'une partie de la jeunesse alternative bercée par une légère, volatile, poétique et parfois
psychotrope envie d'exister.
502 Opinião, n°5, 04-11/12/1972, p. 19.
503 Luiz WEIS, « A feira das ilusões » in Opinião, n°5, 04-11/12/1972, p. 19.
255
FIG 66 : Opinião, n°4, 04-11/17/72, p. 19
4. La critique d'une société inégalitaire
Le dessinateur brésilien Edgar Vasques, né en 1949 à Porto Alegre, se fit connaître par
ses travaux à l'humour acerbe paru dans la presse alternative et à grand tirage à partir de la fin
des années 1960. Il créa en 1970 le personnage hirsute, affamé, miséreux et non moins
philosophe Rango, initialement pour la revue Grillus publiée par la Direction académique de
la faculté d'architecture (DAFA) de l'Université fédérale de Rio Grande do Sul (UFRGS) et
dirigée par José Antônio Pinheiro Machado. Les aventures de Rango parurent ensuite dans la
presse indépendante avant d’être regroupées en sept volumes édités par L&PM Editores à
partir d’août 1974. Le petit personnage vivait dans une baraque misérable entourée de déchets
et critiquait avec cynisme et ironie les travers d’une société brésilienne extrêmement
inégalitaire. Le dessinateur évoqua en 2018 dans une interview accordée à l’hebdomadaire
Brasil de Fato sa manière de détourner avec Rango le décalage criant entre la propagande du
gouvernement militaire et la réalité miséreuse de millions de ses compatriotes :
« Comment est né Rango ?
Sur le chemin de la Faculté d’architecture de l’UFRGS je voyais la misère
dans la rue, au début des années 1970, mais personne n’en parlait. C’était le
grand Brésil, qui allait de l’avant, la dictature euphorique, le Brésil triple
256
champion du monde et la misère qui grandissait, là. J’ai trouvé que c’était
absurde, parce que la réalité et le récit ne correspondaient pas. La Faculté
était un lieu d’effervescence culturelle et d’agitation politique, c’est là qu’est
né Rango, l’ « affamé total ». J’ai pris le chemin de l’humour graphique parce
qu’en plus d’être une forme d’insertion dans le marché, plus populaire, c’était
une manière de faire penser les gens. […]
Ton travail a déjà été censuré ?
Après la Folha da Manhã, j’ai commencé à travailler dans le Coojornal et à
publier dans Pasquim. Une fois, à cause des bandes de Rango, Pasquim a été
confisqué dans tout le pays. Cela a entraîné un procès contre moi et le
journal. Ça n’a rien donné, mais il nous a fallu deux ans pour nous en
débarrasser, même si les allégations étaient idiotes. Pendant le gouvernement
Geisel fut lancée une campagne commémorative de la semaine de la patrie
avec trois colombes : une bleue, une jaune et une verte. J’ai donc dessiné
Rango en train de faire un barbecue avec les colombes quand quelqu’un lui
demande : « Alors, Rango, comment tu vas ? » et il répond : « je suis vert de
faim, j’ai la jaunisse et je suis bleu d’anémie ». Là j’ai reçu l’ordre de me
rendre à la police fédérale. Un délégué est même venu de Rio de Janeiro pour
m’interroger. Ils ont classé le dossier après deux ans 504. »
Si dans ce cas précis, le dessin fut durement censuré car il écornait l’un des symboles
nationaux tout en s’attaquant durement à la misère et à la famine dans une satire
anthropophage symbolique, Edgar Vasques publia de nombreuses planches de son personnage
Rango inspirées du décalage entre ses propres contacts avec une classe extrêmement pauvre et
le discours officiel du gouvernement militaire, dressant ainsi un portrait cynique,
philosophique et tragi-comique de la société vue d’en bas.
La classe ouvrière, sa condition et les grandes inégalités en environnement urbain
étaient également les sujets de charges publiées dans Opinião. Les dessins mettaient en
lumière les risques du quotidien vécus par une immense part de la population brésilienne
travaillant dans des conditions difficiles et dangereuses. Fin novembre 1972, Henfil riait des
accidents du travail extrêmement fréquents dans le secteur de la construction civile en
dessinant une foule en liesse prenant les paris face à trois immeubles en construction auxquels
504 Simone LERSCH, « Edgar Vasques:50 anos de resistência gráfica » in Brasil de Fato, 04/10/2018 [en ligne :
https://www.brasildefato.com.br/2018/10/04/edgar-vasques-50-anos-de-resistencia-grafica/] (consulté le
09/01/2019).
257
étaient accrochées des nacelles portant les ouvriers. L'article d'Aloysio Biondi dressait le
portrait alarmant des conditions de vie d'ouvriers sous-payés, victimes d'accidents, dans
l'impossibilité de se faire soigner rapidement et décemment.
FIG 67 : Opinião, n°4, 27/11-04/12/1972, p. 8
La jeune dessinatrice Mariza arrivée à Opinião en mars 1975 à la suite du départ de
Raimundo Pereira et de son équipe, dénonça la violence des déménagements forcés d'habitants
de favelas situées dans des zones géographiques clés pour l'industrie du tourisme, au fort
potentiel immobilier. La destruction violente de l'habitat, la contrainte, l'absence d'assistance
sociale, d'aide psychologique ou logistique ainsi que l'éloignement géographique consécutif au
déménagement forcé étaient caractéristiques de cette forme récurrente de violation des droits
humains durant le régime militaire505, notamment dans la ville de Rio de Janeiro. Ainsi,
l'article jouxtant le dessin de Mariza racontait le transfert de populations depuis la favela de la
Maré vers Santa Cruz, cinquante kilomètres à l'ouest du centre de Rio 506. De l'image se
dégageait une impression de fuite chaotique et désespérée, chacun emportant un enfant, un
baluchon, quelques objets, alors que les baraques en arrière-plan étaient ironiquement passées
à la bombe de peinture, désormais esthétiquement en accord avec les célèbres vagues en
mosaïque blanche et noire des trottoirs de Copacabana.
505 Mario BRUM, « Favelas e remocionismo ontem e hoje : da Ditadura de 1964 aos Grandes Eventos » in O
Social em Questão, n°29, 2013, p. 179-208.
506 Opinião, n°131, 09/05/1975, p. 6.
258
FIG 68 : Opinião, n°131, 09/05/1975, p. 6
Le mois précédent, Roberto Simões avait déjà dessiné la menace de la spéculation
immobilière grandissante matérialisée par un building carnassier engloutissant littéralement le
pain de sucre et le front de mer, devenus métaphores de Rio de Janeiro507.
La faim et la misère vues par Edgar Vasques, Henfil ou Mariza en contexte urbain
périphérique et marginalisé, furent également associées dans les charges et bandes dessinées
publiées par Pasquim à l’arrière-pays du nordeste brésilien, avec ses grandes sécheresses et ses
famines répétées. Quatre ans avant la censure des productions de Nani abordant également ces
thématiques, une charge de Jaguar parue en juin 1970 mit en scène un personnage en haillons
photographié par un homme bien habillé, chapeau sur la tête et souliers aux pieds. Le titre
« Sem essa de flagelado » (« Sans cet air de souffrir le martyr ») se référait aussi bien au
dessin qu’à l’article de Ferreira Gullar sur le retard économique et la misère dans le nordeste.
Repoussant les frontières du cynisme, le dessinateur et le poète feignirent d’adhérer à un
discours méritocrate et culpabilisant insinuant que les miséreux prenaient du plaisir en portant
préjudice à l’image du pays tout entier :
« Les nordestins ne se sont pas encore rendus compte que le Brésil ne gagne
rien avec ce défilé de martyrs ? Ils crient qu’ils ont faim et attaquent des
trains, ils envahissent des magasins… C’est un manque de respect à l’ordre,
la propriété, les bonnes manières. Un crime prévu par la Constitution. Qu’est-
507 Opinião, n°126, 04/04/1975, p. 6.
259
ce qu’ils vont penser de nous, les hommes qui nous prêtent plein
d’argent508 ? »
La charge de Jaguar tournait en dérision cette idée que les habitants pauvres du
nordeste et leurs réclamations, passés de mode, allaient devoir faire un effort d’apparence pour
éviter de contredire l’image d’un pays en plein développement. L’ironie et le comique se
transformèrent ainsi en puissants instruments de la critique par l’absurde des inégalités
économiques, sociales et géographiques divisant le Brésil à l’aube des années 1970.
En avril 1971, Henfil s’attaqua au drame de la faim dans une petite planche composée
de quatre vignettes intitulée « Fome mata 4 em Pernambuco509 » (« La faim en tue 4 au
Pernambouc »). La première scène se déroulait à l’intérieur d’une maison vide dont les
ouvertures aux murs laissaient apercevoir un environnement extérieur chaud et désertique. Un
petit enfant famélique au ventre gonflé allumait un poste de radio qui dispensait sur les deux
vignettes suivantes des informations liées à la bourse et aux actions de la Banque du Brésil, en
total contraste avec la scène. Finalement l’enfant indiquait à son père que la radio était assez
chaude et les deux se repaissaient des composants électroniques sur la dernière image.
L’extrême pauvreté et la faim ayant sévi dans le Nordeste brésilien sous le régime militaire
furent parmi les thèmes les plus dessinés par Henfil qui se fit notamment connaître avec les
aventures de sa « Turma da caatinga », la petite équipe de personnages évoluant dans ce
milieu terrestre aride fait de brousses sèches et épineuses, s’étendant sur les États de
Pernambuco, Piauí, Ceará, Paraiba et Bahia, sujet aux sécheresses et aux famines : la caatinga.
Le décor minimaliste et symbolique faisait la part belle au soleil devenu acteur à part entière
des aventures des personnages510. De rares cactus, pierres ou animaux morts complétaient les
scènes à la densité dramatique de l’immensité désertique. D’abord parues dans le Jornal do
Brasil, puis dans Fradins à partir d’août 1973 et Pasquim, les planches de la Turma da
caatinga mettaient en scène trois personnages principaux : Zeferino, un cangaçeiro stéréotypé
au chapeau en cuir traditionnel et aux cartouchières autour de la taille, machiste et
orgueilleux, était également le symbole de la résistance populaire contre l'injustice foncière et
sociale ; le bouc Orelana qui dévorait les livres d’auteurs interdits par le régime pour en
assimiler les connaissances sans jamais prendre concrètement position ni réaliser d’action
508 Ferreira GULLAR, « Sem essa de flagelado » in Pasquim, n°52, 18-24/06/1970, p. 20.
509 HENFIL, « Fome mata 4 em Pernambuco » in Pasquim, n°92, 8-14/04/1971, p. 30.
510 Maria da Conceição Francisco P IRES, « Graúna : um canto feminino de autocrítica na Caatinga » in Revista de
História, n°158, 2008, p. 247-275.
260
directe, à l’image d’une partie du milieu intellectuel de gauche ; Graúna, enfin, petit oiseau
femelle en forme de point d’exclamation qui proposait souvent un contrepoint, une réflexion
critique féminine et féministe face aux situations de domination et de misère. Le duo des
Fradins permit également au dessinateur de dénoncer la persistance au Brésil d’épidémies et
de maladies éradiquées dans de nombreux autres pays, comme lorsqu’il reproduisait une
coupure de presse issue du Jornal do Brasil et dessinait Baixim sautant de joie et scandant
« Brésil ! Brésil ! » comme s’il s’agissait d’un championnat511.
Opinião critiqua en décembre 1972 les inégalités sociales liées au tourisme de luxe à
l'éthique douteuse512. Le dessin de Milton Rodrigues Alves représentait un couple hétérosexuel
blanc largement pourvu de signes ostentatoires de richesse : bijoux, immense sourire et cigare
aux lèvres, lunettes de soleil, appareil photo autour du cou, espèces sonnantes et trébuchantes
s'échappant de la poche. À leur côté, un homme noir et ses deux enfants extrêmement maigres
se tenaient debout dans un minuscule enclos encerclé de barbelés et conféraient au dessin tout
son sens critique, fondé sur la dénonciation d'une richesse vulgaire parce qu'expansive dans un
contexte de discriminations socio-raciales et de relations délicates, entre attirance, répulsion et
rapports de domination, avec l'étranger.
II. Satire et caricature politiques au-delà des frontières : le Brésil et le monde dans
la Guerre froide
Si la situation politique, économique et sociale brésilienne occupa une place majeure
au sein des périodiques analysés, ceux-ci accordèrent également une grande importance à la
géopolitique contemporaine de leur parution, dépassant largement le cadre des frontières
nationales. Difficilement exempt d'intentions politiques, le traitement de l'actualité
internationale par les équipes graphiques de Pasquim et Opinião permit ainsi la création d'une
fenêtre sur le monde pour les lecteurs des périodiques indépendants tout en poursuivant en
creux la dénonciation du régime militaire brésilien, aligné sur la politique nord-américaine et
dont l’autoritarisme fut comparé à celui de nombreux gouvernements à l’échelle planétaire.
511 Pasquim, n°92, 8-14/04/1971, p. 10. Nous reproduisons ce dessin dans le chapitre précédent.
512 Opinião, n°8, 25/12/1972, p. 20.
261
1. Portraits latino-américains
Les dessinateurs de Opinião, Loredano et Sábat en tête, caricaturaient régulièrement
les dirigeants politiques des pays latino-américains voisins du Brésil. Le 20 novembre 1972,
l'hebdomadaire publia ainsi un portrait de Juan Domingo Perón accompagné d’un article qui
analysait son premier retour en Argentine le 17 novembre, après dix-sept années d'un exil
datant du coup d’État militaire orchestré contre son gouvernement en septembre 1955 et avant
un retour définitif l'année suivante. L'ancien président argentin fut le premier homme politique
latino-américain caricaturé dans les pages de l'hebdomadaire Opinião.
FIG 69 : Opinião, n°3, 20-27/11/1972, p. 6
Le dessin de Cássio Loredano représentait le visage du vieux leader bonhomme et à
l'apparence presque sympathique. Extrêmement ridé, vieilli et bouffi, mais apaisé et
intrinsèquement puissant, le Perón dessiné dans Opinião avait les sourcils épais, le front haut
et le nez très proéminent. Il n'arborait pas son grand sourire caractéristique des représentations
classiques de l'iconographie péroniste. Cette caricature tranchait avec les représentations
262
publiées dans la presse satirique argentine et notamment le périodique Satiricón, qui fit du
vieux caudillo l'une de ses thématiques de prédilection513.
Les évolutions de la situation politique argentine durant cette première moitié des
années 1970 furent suivies de très près par l'équipe de rédacteurs, reporters et dessinateurs de
Opinião. Si Loredano se spécialisa dans les portraits caricaturaux, l'uruguayen Hermenegildo
Sabát s'amusait davantage en construisant des représentations en situation de personnalités
politiques de premier plan. Il dessina notamment en novembre 1973 Ricardo Obregón Cana et
Héctor José Cámpora514, respectivement gouverneur péroniste de la province de Córdoba et
ancien président argentin ayant renoncé en juillet 1973 afin de laisser le champ libre à Perón.
Il avait publié son premier dessin dans l'hebdomadaire brésilien le mois précédent, quelques
jours seulement après la prise de fonction présidentielle de Juan Domingo Perón. Ce fut
l'occasion pour le caricaturiste de dresser un tableau bigarré du cabinet ministériel 515 entourant
le président de la Nation argentine et issu du gouvernement de son prédécesseur, Raúl Alberto
Lastiri. Presque deux ans plus tard, après la mort de Perón survenue le 1er juillet 1974 et la
prise de fonction présidentielle de sa troisième épouse et vice-présidente de la Nation, Isabel
Martínez de Perón, Sabát caricatura cette dernière en naufragée sur un îlot rocheux pour
accompagner un article de Luis Guagnini516 décrivant l'extrême crise politique et économique
vécue par le pays. Isolée, perdue et désespérée, quelque peu ridicule, la présidente argentine
n'en demeurait pas moins élégamment vêtue et soigneusement coiffée de son imposant et
volumineux chignon, sous le crayon de Sabát qui donna aux oiseaux marins l'apparence de
vautours à l’affût de sa disparition et employa en légende le surnom affectueux donné à la
femme d’État, « Isabelita ».
Hugo Banzer Suárez, dictateur militaire et président de la Bolivie depuis le mois d'août
1971, Alfredo Stroessner, président de la République du Paraguay à la suite d'un putsch en
1954 et Juan María Bordaberry, alors président élu de l'Uruguay en fonction de mars 1972 à
juin 1973 – avant d'organiser un coup d’État pour assurer son maintien au pouvoir – furent
représentés de manière bien moins sympathique dans les pages du huitième numéro de
Opinião. Au sein d'un carnet spécial consacré à l'Amérique latine 517, différents reporters et
513 Mara BURKART, « Caricaturas de Perón en Satiricón (1972-1974) » in Papeles de Trabajo, n°7, avril 2011, p.
44-73.
514 Opinião, n°52, 05-12/11/1973, p. 15.
515 Opinião, n°50, 22-29/10/1973, p. 14.
516 Opinião, n°144, 08/08/1975, p. 13.
517 Opinião, n°8, 25/12/1972-01/01/1973, p. 15-18.
263
chroniqueurs dressèrent le portrait d'une région agitée par la violence politique, baignant dans
l'autoritarisme et la répression, tiraillée entre le nationalisme exacerbé et l'exploitation à l'envi
de ses territoires en fonction d'intérêts étrangers. Loredano fit le portrait de tous les dirigeants
dont il était question dans les articles : le péruvien Alvarado, le bolivien Banzer, l'argentin
Perón, le paraguayen Stroesnner et l'uruguayen Bordaberry. Le dessinateur brésilien représenta
Banzer, dictateur sanguinaire, corrompu et autoritaire dont la politique fut responsable d'une
recrudescence de la misère et des pénuries dans son pays, en un homme médiocre et minuscule
dans ses grands habits de militaire extrêmement gradé et décoré. Le visage sec et glaçant aux
traits émaciés, dont la fine moustache rappelait vaguement Adolf Hitler, surplombait des
épaules étroites pour son uniforme et révélait un chef trop petit pour un tel képi.
FIG 70 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 15
Ce dessin contrasta largement avec le portrait fait de Alfredo Stroessner, chef de
l'armée paraguayenne en 1951 puis nommé par une junte militaire président du Paraguay en
1954, dirigeant autoritaire soutenu par les États-Unis, allié des grands propriétaires terriens
264
dans son pays et partenaire économique du régime militaire brésilien voisin 518. Le dessin de
Loredano mit également en avant l'extraction militaire du président, mais lui dessina un visage
hébété et animal : minuscules yeux enfoncés et regard vide, petites oreilles triangulaires au
dessus de la tête, joues énormes, cou épais et gras, double menton. La peau de Stroessner
semblait dégouliner sur ses insignes et décorations, rappelant l'une des figures les plus célèbres
du bestiaire de la caricature politique, le porc. Symbole polysémique519, la représentation
porcine renvoyait ici à la saleté, corollaire de la corruption ; à l'oisiveté et la paresse, allusions
à l'immobilisme politique ; à l'engraissement et la goinfrerie d'un président autoritaire au
détriment de la société paraguayenne ; à la bêtise, enfin, d'un président acceptant l'invasion de
ses terres par les grands propriétaires brésiliens520.
FIG 71 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 17
518 Ronaldo Alexandre do Amaral e SILVA, « Brasil-Paraguai: marcos da política pragmática na reaproximação
bilateral, 1954-1973: um estudo de caso sobre o papel de Stroessner e a importância de Itaipu », Mémoire de
master en Relations internationales, sous la direction de Albene Miriam Ferreira Menezes, Brasília,
Université de Brasília, 2006.
519 Guillaume DOIZY, « Le porc dans la caricature politique (1870-1914) : une polysémie contradictoire ? » in
Sociétés & Représentations, n°27, 2009/1, p. 13-37.
520 Eduardo GALEANO, « A fronteira da discórdia » in Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 17.
265
Finalement, la caricature faite du président uruguayen Bordaberry était bien moins
ingrate physiquement en ce qu'elle se contentait d'en accentuer les traits du visage – arcades
sourcilières imposantes, nez large, mâchoire carrée et calvitie frontale naissante. D'ordinaire
assez souriant, le Bordaberry caricaturé par Loredano avait le visage fermé. L'élément
graphique majeur était situé en arrière-plan : derrière le visage du président uruguayen se
dessinait nettement l'ombre d'un militaire en uniforme. L'article signé par le journaliste Alberto
Carbone analysait le plan élaboré et dévoilé par les forces armées uruguayennes afin de
prendre le pouvoir dans le pays. Président élu à la fin de l'année 1971, Bordaberry assuma son
mandat jusqu'en 1973 avant de recourir effectivement à l'armée pour dissoudre le parlement,
instaurant une dictature militaire. Il fut renversé en 1976 par les forces armées qui
conservèrent le pouvoir politique jusqu'en 1985. Le dessin de Loredano évoquait déjà la
présence de hauts gradés parmi les proches du président ainsi que l'imminence de leur prise de
pouvoir, dénonçant en creux la militarisation des plus hautes sphères du pouvoir dans son
pays.
FIG 72 : Opinião, n°8, 25/12/72-01/01/1973, p. 18
266
Le président du Chili sous le gouvernement d'Unité populaire Salvador Allende prit
l'apparence d'une statue de pierre dans le trente-quatrième numéro de Opinião paru le 2 juillet
1973. L'hebdomadaire publiait un article du journaliste Pierre Kalfon, correspondant du
Monde à Santiago depuis 1967, analysant les graves problèmes économiques d'un pays miné
par l'inflation, l'augmentation de la dette extérieure, la pénurie, le marché noir et la
polarisation politique face aux réformes sociales instaurées par Allende. Après une première
période effectivement prospère, celui qui fut élu en septembre 1970 et incarnait la voie
chilienne vers le socialisme, dut faire face à un important contexte de crise économique,
financière et politique. Le dessin de Loredano représentant un buste en pierre à l'effigie du
président chilien, reconnaissable à ses traditionnels lunettes, moustache, cravate et costume,
faisait écho à un certain nombre d'anecdotes attribuées à Allende lui-même, qui aurait affirmé
être fait d'un « bronze pour l'histoire » et d'une « viande de statue521 ». La puissance
communicative et suggestive de l'image résidait dans le détail d'un buste en pierre vacillant
suggéré par diverses lignes concentriques tremblotantes autour de la statue. Le monument
semblait s'effriter, comme érodé par les circonstances défavorables. Il n'en demeurait pas
moins une certaine dignité de la personne présidentielle dont les caractéristiques physiques
étaient peu tournées en dérision.
521 Jorge MONTEALEGRE, « Salvador Allende : entre la caricatura y el monumento » in Revista Contemporânea,
« Dossiê convidado : caricatura política en el Cono Sur », n°4, vol. 2, 2014, p. 2 [en ligne :
http://www.historia.uff.br/nec/sites/default/files/2._salvador_allende.pdf] (consulté le 12/12/2018).
267
FIG 73 : Opinião, n°34, 02-09/07/1973, p. 16
Le sort graphique réservé au général Augusto Pinochet dans le quarante-neuvième
numéro publié le 15 octobre 1973, plus d'un mois après le coup d’État, fut tout autre. La
nouvelle fut extrêmement censurée au Brésil et donc peu traitée par Opinião. L'article paru le
15 octobre ne faisait d'ailleurs aucune mention explicite au coup d’État : « Environ un mois
après la destitution du gouvernement Allende, la Junte Militaire qui a pris le pouvoir au Chili
poursuit la normalisation du pays522. » Le texte retraçait le remplacement des recteurs des
principales universités du pays par des militaires, les très nombreuses exécutions annoncées, la
propagande du gouvernement et son discours centré sur l'élimination de la guérilla et la
neutralisation du marxisme. La caricature représentait un Pinochet lugubre en uniforme, mais
sans sa casquette de général ni ses tristement célèbres lunettes noires 523, avec une mèche de
cheveux cachant difficilement les rides de son front et un regard morbide. Les sourcils, les
ombres portées du visage et les larges cernes se confondaient, un nez proéminent et une fine
moustache couvraient sa large bouche. Le format du visage rappelait « Les Poires » de Charles
Philippon, ces célèbres représentations piriformes de Louis-Philippe publiées dans le journal
522 Opinião, n°49, 15-22/10/1973, p. 15.
523 Manuel GÁRATE CHATEAU (traduit par Stéphanie ROBERT-LE FUR et Olivier COMPAGNON), « Augusto Pinochet
dans la caricature de presse française et anglo-saxonne, 1973-2006 » in Monde(s), n°8, 2015/2, p. 112-113.
268
satirique La Caricature. Si l'article insista sur le rôle collectif des forces armées chiliennes
dans la mise en place d'un État autoritaire et violent, à un moment où il était encore difficile de
cerner précisément le rôle du général dans le régime installé, le dessin suggéra bien que le
sinistre chef-d'orchestre de l'opéra dictatorial n'était autre qu’un difforme et monstrueux
Augusto Pinochet.
FIG 74 : Opinião, n°49, 16-22/10/1973, p. 15
Ces images réinventaient les sympathies et les rejets envers certains dirigeants à
l'échelle régionale et internationale, exprimés au travers de caricatures politiques et de charges
en cohérence avec la ligne d'opposition du périodique Opinião. La dénonciation des régimes
autoritaires latino-américains fut l’une des stratégies employées par certains titres de la presse
indépendante pour critiquer la militarisation des autorités politiques à l’échelle régionale. Elle
permit également de dénoncer les accords et arrangements entre différents gouvernements
animés par des convictions similaires, des intérêts tangents et des pratiques répressives
communes524. Elle autorisa enfin critique répétée de l’action des États-Unis d’Amérique,
524 Voir : Carlos FICO, Marieta de Moraes FERREIRA, Maria Paula ARAUJO, Samantha Viz QUADRAT (org.), Ditadura
e Democracia na América Latina. Balanço histórico e perspectivas, Rio de Janeiro, FGV Editora, 2008 ; Luc
CAPDEVILA, Frédérique LANGUE, Entre mémoire collective et histoire officielle. L’histoire du Temps présent en
Amérique latine, Rennes, PUR, 2009.
269
partenaires économiques et soutiens idéologiques privilégiés des régimes de sécurité nationale
sur le sous-continent.
2. Tio Sam et la Guerre du Vietnam
Le mandat présidentiel de Richard Nixon débuta le 20 janvier 1969 et le trenteseptième président des États-Unis fut largement associé à la Guerre du Vietnam par les
périodiques brésiliens, même si le conflit était très antérieur. Les vives critiques formulées
envers les administrations Johnson puis Nixon étaient liées à la conduite générale du conflit et
à de terribles épisodes très marquants tels que le massacre de Mỹ Lay en mars 1968, mais
furent également alimentées par des difficultés de politique intérieure ou des scandales
catalysant les contestations. Sous les mandats de Eisenhower et Kennedy, le public s'intéressa
moins aux événements en Asie du Sud-est et peu de dessinateurs y consacrèrent leurs travaux,
exception faite de Herblock comme le montre Sylvaine Cannon dans son article « Editorial
cartoons and the American involvement in Vietnam525 ». Herblock, Levine, Pat Oliphant, ces
grands dessinateurs de presse anglo-saxons et commentateurs graphiques de la guerre furent
publiés dans Opinião. À partir de 1965, l'intérêt de l'opinion publique pour les événements et
péripéties du conflit s'accrut à mesure que les divergences au sujet de la guerre augmentaient
dans la société nord-américaine. Mensonges d’État, exactions et crimes, déséquilibre des
forces, cynisme, toutes ces thématiques récurrentes permirent d'étoffer la critique concernant
l'action des États-Unis dans le monde et particulièrement en Amérique latine. Sous Nixon,
l'extrême létalité de la guerre, l'extension géographique du conflit et son apparente insolubilité
furent mises en avant et exploitées graphiquement par les dessinateurs de la presse
indépendante brésilienne526.
Dès le mois de février 1970, le dessinateur brésilien Jaguar mit en scène la guerre du
Vietnam dans une charge accompagnant un article de Paulo Francis intitulé « Contestation et
réaction527 ». Francis soulignait le rôle du lieutenant William Calley Jr dans le massacre de Mỹ
525 Sylvaine CANNON, « Editorial cartoons and the American involvement in Vietnam » in Revue française
d'études américaines, n°43, février 1990, p. 59-83.
526 Pour un panorama du traitement dans la presse brésilienne de la guerre du Vietnam, voir : Orivaldo Leme
BIAGI, « O imaginario e as guerras da imprensa : estudo das coberturas realizadas pela imprensa brasileira da
Guerra da Coreia (1950-1953) e da Guerra do Vietnã na sua chamada " fase americana" (1964-1973) », Thèse
de doctorat en Histoire, sous la direction de Ítalo Arnaldo Tronca, Campinas, Université de l’État de
Campinas, 2001.
527 Paulo FRANCIS, « Contestação e reação » in Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 2.
270
Lay528 orchestré le 16 mars 1968 ainsi que le soutien qu'il obtint de la part du Congrès
américain. Le dessin insista sur l'inadéquation des forces et des armes entre un soldat
américain en uniforme militaire, casqué, à la barbe de trois jours, au sourire carnassier et au
profil hébété, et le civil vietnamien anonyme et sans défense sur lequel il tirait à bout portant.
Le corps asiatique invisible et dominé était pulvérisé par le nuage de plombs propulsé depuis
l'arme du soldat.
FIG 75 : Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970, p. 2
L'hebdomadaire satirique mit principalement en avant l'escalade des violences et le
caractère répété des offensives. En juin 1970, Pasquim consacra une double page spéciale529
aux travaux du jeune dessinateur Vagner Tadeu Horta, dit Vagn. Le dessinateur mineiro
travaillant pour le Correio da Manha et critiquant directement le régime militaire était mort à
l'âge de vingt-trois ans après avoir été emprisonné à Rio de Janeiro. Un jour après son
emprisonnement, il trouva la mort à l'hôpital psychiatrique Pinel dans de mystérieuses
circonstances et Pasquim lui rendit hommage en publiant à nouveau certaines de ses créations.
Le protagoniste de l'un des dessins datant de l'année précédente n'était autre que l'astronaute
528 Voir : M BELKNAP, The Vietnam War on Trial: The My Lai Massacre and the Court-Martial of Lieutenant
Calley, Lawrence, University Press of Kansas, 2002 ; Kendrick OLIVER, The My Lai massacre in American
history and memory, New York-Manchester, Manchester University Press, 2006.
529 Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 6-7.
271
américain Neil Armstrong, immortalisé lors de son arrivée sur la lune le soir du 20 juillet 1969
à l'heure nord-américaine. Sous le crayon de Vagn, il s’exclamait dans un premier temps : « La
lune est à nous ! » avant de poursuivre dans la seconde partie de l'image : « Bon sang, c'est
bien plus facile de conquérir la lune que le Vietnam !530 ». Le trait simple, rond, presque
enfantin, mais extrêmement efficace du dessin et les paroles faussement attribuées à
Armstrong créaient un parallèle entre le bourbier vietnamien et les progrès technologiques liés
à la course aux étoiles entre États-Unis et Union soviétique dans le contexte de la Guerre
froide. Ils dénonçaient les velléités coloniales d’un pays prompt à l’invasion de territoires
étrangers sur la lune, en Asie ou en Amérique latine.
FIG 76 : Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 7
530 Pasquim, n°51, 11-17/06/1970, p. 7.
272
Les évolutions des combats sur le terrain furent l'objet du cynisme de Henfil dans le quatrevingt-onzième numéro de Pasquim publié le 1er avril 1971. La charge représentait un homme
face à sa télévision, lunettes de soleil sur le nez, chemise à fleurs et pipe à tabac à la bouche.
Le journaliste dans le petit écran s'extasiait : « La mobilité alliée est impressionnante en
Indochine ! Le 33ème régiment atteignit le record de 150 kilomètres à l'heure !!!531 ». Le ton
de félicitations lié à une prouesse technique et physique du régiment créa l’ironie du dessin,
alors que la rapidité des déplacements était liée à l'imminence du danger dans un contexte de
prise en tenaille du Laos, devenu un terrain parallèle de la Guerre du Vietnam. Henfil s’en
prenait au nationalisme aveugle et stupide de citoyens nord-américains favorables à la guerre
devant la télévision, comme on supporte un match sportif.
À la fin du mois d'avril 1971, le dessinateur fut également l'auteur d'un « poster des
pauvres532 » consacré à cette thématique : la double page mettait en exergue une coupure de
presse du Jornal do Brasil intitulée « La superbombe et ses effets533 » et consacrée à l'usage au
Viêtnam par les États-Unis d'une bombe de type BLU-82 de presque sept mille kilos. L'engin
explosif cyniquement surnommé « Daisy Cutter » (« faucheuse de pâquerettes ») provoqua de
considérables dégâts, dégageant le territoire et creusant d'immenses cratères. Utilisée pour la
première fois au Laos en mars 1970, elle fut employée en 1971 contre des troupes terrestres,
atteignant soldats, autres cibles et civils. Henfil rendit concret le gigantisme d'un tel engin
explosif et l'énormité de l'impact : la partie supérieure du « poster des pauvres » représentait
l'extrémité de la bombe se dirigeant vers le sol. Minuscules, tout en bas, deux civils affolés
s'empressaient de fuir la zone : « Vite ! Encore 3 kilomètres et on en échappe !534 ». Au-delà de
la disproportion évidente de l’usage de telles armes, Henfil exposait à travers son dessin la
perspective du spectateur passif devant la scène de bombardements, constatant de loin
l'immensité du périmètre touché et le fait que les civils n'avaient aucune chance de fuir à
temps.
531 Pasquim, n°91, 01-07/04/1971, p. 24.
532 Pasquim, n°94, 22-28/04/1971, p. 16-17.
533 Pasquim, n°94, 22-28/04/1971, p. 16.
534 Pasquim, n°94, 22-28/04/1971, p. 17.
273
FIG 77 : Pasquim, n°94, 22-28/04/1971, p. 16-17
Dans les pages de Opinião, il nous fut possible d'observer un léger déplacement du
terrain d'observation et de la critique graphique vis-à-vis du conflit. Si les dessinateurs
représentaient également les bombardements, ils s'attaquèrent principalement à leur premier
responsable, Nixon, ainsi qu'aux symboles et emblèmes de la nation nord-américaine. Ainsi, la
couverture du huitième numéro535 de l'hebdomadaire tournait en dérision le comportement
535 Opinião, n°8, 25/12/1972-01/01/1973, p. 1.
274
cynique du président nord-américain qui avait annoncé se rendre à la messe pour Noël en cette
fin d'année 1972. Le dessin reprenait la composition de l'allégorique Oncle Sam, le visage en
retrait et l'index droit tendu vers le spectateur de la scène, lorsqu'il s'exclamait sous les traits de
la propagande gouvernementale « I want you for US army ». Mais ici le visage était une tête de
mort, symbole macabre s'il en est, en référence aux combats dans leur ensemble ainsi qu'aux
intenses bombardements de la semaine ayant précédé la publication du numéro. Notons qu'en
dixième page, le graphisme était reproduit avec cette fois le visage du président Nixon,
l’associant encore un peu plus au nombre de victimes des précédentes offensives.
FIG 78 : Opinião, n°8, 25/12/1972-01/01/1973, p. 1 et 10
La thématique des bombardements intensifs fut employée dans le numéro suivant par
un dessin du caricaturiste Devid Levine reproduit dans le cadre d'un feuillet spécial 536 consacré
à la désastreuse stratégie militaire du dirigeant nord-américain. La charge très peu flatteuse
grimait le trente-septième président en pygargue à tête blanche, l'oiseau symbole national des
États-Unis et l'un des principaux emblèmes du pouvoir figurant notamment sur le sceau
officiel du président américain. Le rapace dessiné de face avec le visage de Nixon coiffé d'un
bandana et d'un tricorne tenait dans sa serre droite un objet rappelant une tour de raffinerie
pétrolière au lieu du rameau d'olivier et larguait des missiles et engins explosifs depuis son
cloaque, dans une parodie graphique tragi-comique du grand sceau des États-Unis.
536 Opinião, n°9, 01-08/01/1973, p. 15-18.
275
FIG 79 : Opinião, n°9, 01-08/01/1973, p. 15
Le drapeau américain fut encore assimilé aux bombes en page suivante, les missiles tirés
formant la continuité graphique des lignes rouges du pavillon des États-Unis d'Amérique.
Les dessins satiriques et humoristiques servirent en substance à alimenter une critique
de l'action nord-américaine prenant corps au début des années 1970 chez les périodiques
indépendants brésiliens, particulièrement dans les pages de Opinião. Pasquim s’attaqua
davantage au président des États-Unis dans le cadre du scandale du Watergate, comme à
travers ce photomontage publié en Une du 15 mai 1974 attribuant à Nixon d’immenses oreilles
en référence aux écoutes qui menèrent à sa chute537. Sylvaine Cannon mettait en garde sur la
portée à la fois importante et limitée de ce type de dessins, dans le cadre de son analyse des
cartoons nord-américains : « […] le sens des charges politiques est facilement absorbé par une
petite fraction de la population, préalablement éduquée et politiquement conscientisée, et cette
fraction est composée de personnes influentes en politique et au gouvernement 538. » Sous le
régime militaire au Brésil, la publication de charges politiques dirigées contre la politique
537 Pasquim, n°202, 15-21/05/1974, p. 1.
538 Sylvaine CANNON, op. cit., p. 78.
276
étrangère et les stratégies militaires de sa mise en œuvre par Nixon, servit principalement à
alimenter la critique de l’impérialisme nord-américain, heurtant par effet de ricochet les choix
géopolitiques brésiliens. Les périodiques Pasquim et Opinião se penchèrent également dans
les mêmes objectifs sur d'autres aspects des relations internationales et de la géopolitique
mondiale qui leur étaient contemporaines, documentant et commentant graphiquement les
grands conflits, les crises et évolutions politiques majeures. Ces dessins révèlent un ensemble
de convictions, d’engagements et de partis pris fondés sur une vive critique du colonialisme et
de l’autoritarisme, notamment sur les terrains orientaux et lusophones.
2. Le Moyen Orient en flammes, le monde lusophone en crise
La Guerre d'octobre 1973, ou Guerre du Kippour, fut amplement analysée et relayée
par la presse indépendante au Brésil. Le président égyptien Anouar El-Sadate prépara la
reprise de la guerre contre Israël en coopération avec la Syrie du président Hafiz al-Asad et
soutenu par l'Arabie Saoudite. Les troupes égyptiennes et syriennes attaquèrent l’État hébreu
afin de reconquérir les territoires occupés depuis 1967. Dans le contexte de la Guerre froide,
les États-Unis soutinrent Israël et l'URSS appuya les pays arabes. Le 6 octobre 1973, à la suite
du succès du franchissement par les troupes arabes du Canal de Suez, les États-Unis
organisèrent un pont aérien permettant à Tsahal de reprendre le combat. Le 22 octobre, date de
la publication du cinquantième numéro de Opinião, le conseil de sécurité des Nations unies
adopta la Résolution 338 appelant les parties au cessez-le-feu immédiat et aux négociations.
En couverture, le périodique publiait un portrait du président égyptien El-Sadate par Cássio
Loredano539 qui sut brillamment saisir le paradoxe de l'issue du conflit. Malgré la défaite
militaire, El-Sadate avait remporté une grande victoire diplomatique et la destruction de son
armée par les israéliens était inenvisageable par les Nations unies. Le portrait dessiné en légère
contre-plongée faisait resplendir le président égyptien, important, puissant et visionnaire. Ses
célèbres lunettes noires sur le nez, il regardait vers l'avant, la bouche ouverte comme au début
d'un discours, enthousiaste et serein.
539 Opinião, n°50, 22-29/10/1973, p. 1.
277
FIG 80 : Opinião, n°50, 22-29/10/1973, p. 1
En pleine Guerre du Kippour, les pays de l'Organisation des pays arabes exportateurs
de pétrole (OPAEP) réunis au Koweït le 17 octobre 1973 annoncèrent une réduction du
volume de leurs exportations et une augmentation drastique du prix du baril brut, provoquant
une très grave crise internationale jusqu'en mars 1974, le premier choc pétrolier. Tributaire de
ses importations de pétrole et alors premier importateur des pays en développement, le Brésil
subit la crise de plein fouet et le projet de développement national mené par le président
Médici fut confronté à ses dépendances vis-à-vis du carburant. Le gouvernement réorienta sa
politique étrangère vers un rapprochement avec les pays du Moyen Orient 540, également dans
le but de fournir un marché à ses propres exportations. Les nombreux impacts du choc
pétrolier sur l'économie et les relations diplomatiques à l'échelle mondiale furent amplement
commentés et tournés en dérision par Chico Caruso dans Opinião. Le caricaturiste créa
540 Carlos Ribeiro SANTANA, « O aprofundamento das relações do Brasil com os países do Oriente Médio durante
os dois choques do petróleo da década de 1970: um exemplo de ação pragmática » in Revista Brasileira de
Política internacional, vol. 49, n°2, juil.-déc. 2006, p. 157-177.
278
d’impressionnants tableaux truffés de références aux grandes épopées historiques et
religieuses, transformant la géopolitique internationale en mises en scène théâtrales. Le 14
janvier 1974, il revisita ainsi la Cène de Léonard de Vinci, réemployant la perspective du
tableau et le décor initial en trompe-l’œil, reproduisant les éléments architecturaux du couvent
dominicain tels que les caissons du plafond et les ouvertures en arrière-plan. Mais ici le
personnage central de la table dessinée par Caruso n’était autre que le roi d'Arabie Saoudite,
Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud. À sa gauche, le président égyptien Anouar El-Sadate, tout
sourire, était tourné en direction de l'extrémité droite de la table. Il observait Henry Kissinger,
alors secrétaire d’État des États-Unis, parlant à l'oreille d'un Nixon visiblement morose et
désabusé. La pénurie provoquée par la décision de l’OPAEP se trouvait matérialisée par
l’unique baril miniature, seul mets présenté sur la table par Fayçal.
FIG 81 : Opinião, n°62, 14/01/1974, p. 5
La semaine suivante, la scène internationale et le choc pétrolier prirent l'apparence
d'une Croisade menée contre les pays arabes par le président Nixon, monté sur son destrier
hybride au visage de James Schlesinger, secrétaire à la Défense des États-Unis. Six immenses
étendards flottaient en arrière-plan de l'épique tableau construit par Caruso : deux
symbolisaient les drapeaux des États-Unis d'Amérique et d'Israël, les quatre autres
279
représentaient les compagnies pétrolières nord-américaines Mobil, Esso, Texaco et Gulf. Le
dessinateur brésilien jouait avec les allégories, les références historiques et les métaphores
visuelles, dépeignant les contradictions, les dilemmes et les conséquences de tensions
internationales très marquantes au cours de la première moitié des années 1970. En février
1974, il assimila les enjeux de pouvoir liés au premier choc pétrolier à une partie d'échecs au
sein de laquelle la figure royale était une pompe à essence 541. Finalement, à la suite de ces
mises en scène belliqueuses, il représenta la dépendance nord-américaine et a fortiori
occidentale vis-à-vis des pays de l'OPAEP en dessinant un Richard Nixon alité à l'hôpital, sa
parure de lit aux couleurs du drapeau des États-Unis. Le médecin El-Sadate, toujours souriant,
venait aux nouvelles de son patient dont la perfusion indiquant « OPAEP » était manipulée par
un infirmier aux traits du roi saoudien Fayçal. L'expression caricaturée du président Nixon
n'évolua que très peu au fil des dessins de Caruso qui semblait apprécier tout particulièrement
cette mine renfrognée, fataliste et aigrie. Il est intéressant de constater que les charges et mises
en scène caricaturales de Chico Caruso ne représentèrent pas la dépendance du Brésil au
pétrole arabe, se focalisant bien davantage sur les États-Unis et la géopolitique internationale
en contexte de guerre froide. En ce sens, en diffusant des représentations plutôt favorables aux
pays exportateurs de l’OPAEP, les charges de Caruso trouvèrent, une fois n’est pas coutume,
un point de convergence avec la nouvelle direction prise par le gouvernement brésilien.
Un tout autre terrain de jeu émergea pour les dessinateurs brésiliens à partir de la mort
du dictateur portugais António de Oliveira Salazar le 27 juillet 1970 et son remplacement par
Marcelo Caetano à la tête de l'Estado Novo, vers la fin progressive du régime salazariste. Peu
commentée dans les pages de Pasquim, davantage analysée par la rédaction de Opinião, la
Révolution des œillets du 25 avril 1974 provoqua la chute du régime autoritaire et entraîna
dans son sillage plusieurs pays sud-européens dans la voie de la démocratisation. Le 6 mai
1974, Opinião publia une caricature au vitriol de l'ancien dictateur dessiné par Loredano dans
une page intitulée « La fin de la nuit salazariste542 ». Le portrait à charge affinait le visage du
dictateur devenu difforme, presque animal. La composition était séparée par un nez filiforme
coupant le visage en deux, les oreilles pointues, les épais sourcils et le regard noir, ridé et
sinistre contribuant largement à la morbidité du portrait. La posture, le nœud de cravate et le
col blanc rappelaient certaines photographies officielles de celui qui dirigea d'une main de fer
541 Opinião, n°65, 04/02/1974, p. 9.
542 « O fim da noite salazarista » in Opinião, n°78, 06/05/1974, p. 3.
280
l'Estado Novo portugais. Loredano proposa ainsi la vision d'un visage anguleux et terrifiant,
miroir du régime renversé par les circonstances historiques en 1974.
FIG 82 : Opinião, n°78, 06/05/1974, p. 3
La chute du régime salazariste accéléra le processus de décolonisation portugaise
entamé dans la première moitié des années 1970 et dont les caricaturistes brésiliens se firent
les observateurs. En septembre 1974, Opinião publia une caricature atypique de Samora
Moises Rachel dessiné par Loredano. Le dirigeant mozambicain était devenu président du
Front de libération du Mozambique (FRELIMO) en mai 1970. L'année 1974 vit sous son
commandement la libération de la domination coloniale portugaise d'environ un tiers du
territoire. Samora Rachel rencontra le ministre portugais des Affaires étrangères à la suite de la
Révolution du 25 avril 1974 et les parties établirent progressivement les conditions de
l'indépendance du pays, dans un contexte politique où le FRELIMO était devenu
l'interlocuteur privilégié. Le 7 septembre, un accord de cessez-le-feu fut signé à Lusaka et
établit le calendrier du processus ainsi qu'un gouvernement provisoire pour le pays durant les
mois de transition qui aboutirent à l'Indépendance du Mozambique, le 25 juin 1975. La
caricature de Loredano parut le 16 septembre 1974543, quelques jours seulement après la
signature des accords de Lusaka. Machel, marxiste léniniste formé à la guérilla et dirigeant
543 Opinião, n°97, 16/09/1974, p. 10.
281
pendant la guerre de Libération, était représenté avec sa grande barbe et sa casquette de
combattant révolutionnaire. Le caricaturiste brésilien s’inspira largement du registre visuel de
la tenue militaire, fréquent dans les images et représentations du leader mozambicain.
Le contexte géopolitique de la Guerre froide et les étapes des processus de
décolonisation, déclinés en nombreuses thématiques, dominèrent donc les dessins satiriques et
humoristiques consacrés à l’actualité internationale et publiés par Opinião. Les caricaturistes
de Pasquim furent moins prolixes au sujet de la géopolitique à l’échelle mondiale et moins
critiques vis-à-vis de la position nord-américaine, sauf lorsqu’il s’agit de s’opposer ardemment
à la guerre du Vietnam.
Défenseur de la liberté d’expression largement imprégné des
convictions de Millôr Fernandes, le périodique rendit par exemple hommage au travail du
physicien soviétique Andreï Sakharov, célèbre pour avoir largement contribué au
développement du programme nucléaire soviétique puis avoir émis des craintes sur les
conséquences humaines de ses travaux. Il fut l'auteur en juin 1968 de l'essai « Réflexions sur
le progrès, la coexistence et la liberté intellectuelle 544 », publié en France en décembre, mais
initialement diffusé dans la clandestinité en URSS. Un court article de Pasquim publié le 6
janvier 1971 évoqua la traduction brésilienne imminente de l’ouvrage très critique vis-à-vis de
la censure soviétique et de l’autoritarisme. Un collage probablement réalisé par Jaguar
apposait un bâillon sur la bouche du physicien, s’inscrivant dans le combat mené par
l’hebdomadaire satirique contre les restrictions imposées à la liberté d’expression sous le
régime militaire brésilien.
544 Andreï SAKHAROV, « Réflexions sur le progrès, la coexistence et la liberté intellectuelle » in Est & Ouest,
supplément au n°45, 01-15/12/1968, p. 3-16.
282
FIG 83 : Pasquim, n°79, 06-12/01/1971, p. 28
À l’instar de la représentation caricaturale de Nixon en pygargue à tête blanche
reproduite dans le neuvième numéro de Opinião, les deux périodiques brésiliens ouvrirent
leurs portes et leurs pages à de nombreux travaux de dessinateurs étrangers, principalement
anglo-saxons, opérant ainsi une circulation majeure des représentations satiriques et
humoristiques contestataires qui répondait à différents enjeux : continuité du projet des
rédactions, découverte par le lectorat de talents étrangers et protection vis-à-vis du
gouvernement militaire liée à la renommée de ces derniers.
2. Un espace accordé aux regards étrangers
Pasquim innova en la matière au cours de la période d’emprisonnement de la rédaction
à la suite de la publication du collage irrévérencieux de Jaguar le 3 novembre 1969. L’équipe
intérimaire produisit divers contenus afin de constituer une maquette hebdomadaire et lança la
série « Os Grandes Craques Internacionais do Desenho de Humor » (« les grands cracks
internationaux du dessin d’humour »). Le premier auquel le périodique rendit hommage fut le
283
dessinateur new-yorkais Stan Mack545 en janvier 1971. Les dessins sélectionnés et reproduits
mêlaient humour absurde, philosophie, mises en abîme graphiques et réflexions sur l’ego
humain. Ponctuellement, l’hebdomadaire brésilien renouvela l’expérience, comme à
l’occasion du quatre-vingt-dixième numéro dans lequel Jaguar créa une page intitulée « Da
coleção de recortes do Sig546 », une sorte de compilation de diverses productions graphiques
choisies par le petit rat Sig, la mascotte de Pasquim. Les dessins satiriques, signés par
l’australien Michael Atchison ou le français Henri Morez, abordaient les thématiques
universelles de l’absurde, de la condition humaine, des rapports humains ou de la vieillesse. Le
numéro suivant reproduisit des œuvres de l’auteur, dessinateur de presse et illustrateur nordaméricain Gahan Wilson, pape de l’humour noir, dans une page intitulée « Departamento
Internacional547 ». Ces divers exemples traduisent une nette prédilection de la rédaction de
Pasquim pour les caricaturistes anglo-saxons dans la reproduction de travaux étrangers dans
lesquels dominaient l’humour absurde ou philosophique et le comique de mœurs, prônés par
l’hebdomadaire brésilien.
Opinião publia également de nombreux dessinateurs étrangers, mais l’optique et les
objectifs d’une telle ouverture semblent avoir été sensiblement différents. De fait, les
thématiques abordées par les travaux renforcèrent le discours et le projet graphique du
périodique, apportant au titre brésilien le crédit et le poids de grands dessinateurs étrangers.
Rare caricaturiste français à avoir eu droit de cité dans les pages de l’un ou l’autre des deux
grands périodiques satiriques de la première moitié des années 1970 au Brésil, Siné publia une
série de six petites vignettes insérées au sein d’un grand reportage intitulé « Os EUA e os
subdesenvolvidos. A caridade Americana548 » (« Les États-Unis et les sous-développés. La
charité américaine ») et signé Richard Barnet, co-fondateur et co-directeur jusqu’en 1978 de
l’Institut d’études de la politique de Harvard et éminent collaborateur de Opinião. Siné dessina
pour le périodique brésilien à cette occasion, ponctuant les trois pages de ses contributions
graphiques qui dépeignaient avec sa malice caractéristique les rapports de pouvoirs de la
Guerre froide, la puissance nord-américaine sur le continent latino-américain et les difficultés
inhérentes à la pratique du pouvoir politique. Opinião publia également de manière assez
régulière les travaux du dessinateur australien-américain Pat Oliphant, arrivé aux États-Unis
en 1964 et contribuant au Denver Post. Les charges et strips se moquaient du gouvernement
545 Pasquim, n°79, 06-12/01/1971, p. 20.
546 Pasquim, n°90, 25-31/03/1971, p. 20.
547 Pasquim, n°91, 01-07/04/1971, p. 18.
548 Opinião, n°12, 22-29/01/1973, p. 9-11.
284
Nixon et du scandale du Watergate549. La métaphore guerrière fut employée par le dessinateur
en octobre 1974 pour caricaturer d'autres travers de l'administration américaine et notamment
l'inflation galopante sous la présidence de Gerald Ford 550, en poste à partir du 9 août 1974 à la
suite de la démission de Nixon. La charge de Oliphant empruntait au vocabulaire graphique et
textuel de la première Guerre mondiale pour se référer à la présentation par Ford de son plan
économique le 8 octobre 1974 devant le Congrès, au cours de laquelle il décréta que l'inflation
était l'ennemie publique et établit le slogan « Whip Inflation Now », WIN. Dans ce combat
devenu guerre de tranchées grâce au crayon de Oliphant, le soldat classe moyenne était envoyé
en première ligne. La pratique de la publication de travaux étrangers au sein de périodiques
indépendants se poursuivit et s’étoffa largement au cours de la seconde moitié des années
1970. Ainsi, le périodique satirique Ovelha Negra né en mai 1976 à São Paulo publiait dès son
tout premier numéro une page intitulée « Humor sem passaportes » consacrée aux travaux
d’un dessinateur étranger. L’espagnol Chumy Chumez, de son vrai nom José Maria Gonzáles
Castrillo, inspirateur de l’humour-rancœur et fervent adversaire d’une presse lisse et policée,
inaugura la rubrique avec ses dessins réalistes et directs.
Notre analyse des dessins satiriques, des charges politiques et des caricatures parues
dans les périodiques indépendants Opinião et Pasquim chercha à répondre à un
questionnement central : y avait-il à partir de la promulgation de l’AI-5 des thématiques
systématiquement censurées et d’autres tolérées par les autorités en charge de la censure ?
Nous l’avons montré, les interdictions imposées à la presse indépendante obéirent à des
logiques hybrides mêlant la censure politique à proprement parler à des considérations liées à
la protection de la morale, des bonnes mœurs et de la jeunesse. Si certains thèmes
extrêmement sensibles parce que susceptibles d’écorner l’image d’une
grande Nation
brésilienne promue par le gouvernement, étaient sujets à un contrôle resserré, il semblerait que
les thématiques mouvantes aient fluctué en fonction des inflexions du pouvoir et de la
perméabilité des systèmes de censure, dont profitèrent largement les dessinateurs. Les images
permirent l’expression de regards, de points de vue et de visions du monde en cohérence avec
la ligne éditoriale des périodiques, dénonçant la torture et la répression, s’attaquant aux dérives
du pouvoir et aux conséquences socio-économiques de la politique appliquée par le régime,
heurtant finalement de plein fouet la morale conservatrice et religieuse. Elle permirent
également d’ouvrir une fenêtre sur l’Amérique latine et le monde en pleine Guerre froide, à
549 Opinião, n°28, 14-21/05/1973, p. 17.
550 Opinião, n°102, 18/10/1974, p. 9.
285
l’aune d’une critique métaphorique de l’autoritarisme et de l’impérialisme. Le contact avec de
grands dessinateurs étrangers traduisit une nette inscription de Opinião et Pasquim dans un
mouvement au milieu des années 1970 de valorisation de la production graphique anglosaxonne et européenne, aux dépens des artistes latino-américains. À cet égard, la naissance en
1974 du Salon de l’humour de Piracicaba dans une petite ville de l’intérieur de l’État de São
Paulo et le choix rapidement formulé de valorisation de la production régionale et nationale
après une première phase euro-centrée et américano-centrée, sont tout à fait révélateurs des
enjeux traversant le dessin d’humour brésilien. Objet d’étude inédit, événement unique en son
genre devenu rapidement un lieu incontournable de rencontre et de sociabilité pour les
dessinateurs, il contribua à inscrire la production graphique brésilienne dans l’opposition au
régime militaire.
286
Chapitre 5
Le Salon de l’humour international de Piracicaba :
rencontres et circulations de l’humour graphique contestataire
La naissance en 1974 dans une petite ville de l’intérieur de l’État de São Paulo, d’un
événement entièrement consacré à la valorisation et à la diffusion de l’humour graphique, a de
quoi surprendre. En pleine période répressive et sous la censure préalable, un petit groupe de
dessinateurs et d’élus locaux firent le pari d’organiser le Salon de l’humour de Piracicaba
allant chercher du côté de la rédaction de Pasquim les soutiens et la renommée nécessaires à
leur projet. La municipalité soutint très rapidement l’initiative, contribuant au financement
d’un événement situé hors de l’axe principal de la production culturelle Rio de Janeiro – São
Paulo, en marge des circuits majoritaires de la création artistique. Différentes logiques
s’entrecroisèrent au cours des premières éditions, vouées à faire connaître le Salon à
l’international tout en lui assurant une protection vis-à-vis du régime militaire. La
survalorisation initiale de la production graphique nord-américaine et européenne fit
rapidement place au dessin latino-américain et a fortiori brésilien, dans un contexte autoritaire
à l’échelle régionale.
Les dessins primés à Piracicaba au fil des années et les affiches de l’événement
traduisent une abondance de styles et de thématiques, révélateurs de l’imaginaire brésilien de
la moitié des années 1970. Si la répression, la torture, la censure et le contexte politique de la
Guerre froide dominèrent largement les travaux lauréats jusqu’en 1977, l’année 1978 marqua
le début d’un tournant et l’émergence de nouvelles problématiques sociales, politiques et
culturelles. L’analyse du Salon de l’humour de Piracicaba, devenu « international » à partir de
1977, permet en ce sens d’en faire un fin observatoire de l’état du dessin d’humour brésilien
au milieu des années 1970 tout en révélant l’existence d’une marge de manœuvre considérable
de l’action culturelle à la configuration inédite menée par une petite municipalité pauliste
assumant son ancrage dans la critique du régime militaire.
287
I. Les débuts du salon de l’humour de Piracicaba
a) Origines historiques et contexte municipal
La ville de Piracicaba, durement marquée par la fin du cycle caféier et la chute des prix
du sucre dès la fin du XIXe siècle551, fut caractérisée dans les années 1970 par une période de
renouveau, de développement d'infrastructures importantes et de croissance démographique.
D'après les registres civils de recensement, la population passa de 152 505 habitants en 1970 à
214 295 en 1980552. La petite municipalité s'impliqua fortement dès les années 1950 dans
divers projets en faveur de la culture et des pratiques artistiques. Le Salon des beaux-arts de la
ville naquit en 1952 afin de valoriser la production d'artistes nationaux et l'événement, qui a
toujours lieu de nos jours, fut organisé grâce à une importante participation financière de la
municipalité et de fonds privés d'entrepreneurs locaux. Du 13 au 27 août 1967, la première
édition du Salon d'art contemporain (SAC) de la ville se tint au sein du Centre académique
Luiz de Queiroz (CALQ)553, organisation étudiante indépendante à vocation représentative de
l’École supérieure d'agriculture Luiz de Queiroz (ESALQ). L'unité de la USP installée à
Piracicaba et spécialisée en sciences agraires et environnementales jouissait déjà à l'époque
d'une grande renommée et attira un nombre croissant d'étudiants, notamment à partir de la
création des cours de doctorat en 1970, installant durablement une population universitaire et
dynamique dans la ville située à plus de cent cinquante kilomètres de la capitale de l’État. Le
bâtiment du CALQ situé dans le centre ville accueillait des événements politiques, des
réunions du mouvement étudiants et des rencontres culturelles.
Le second mandat du maire Luciano Guidotti, réélu en 1964 et décédé brutalement en
juillet 1968, fut marqué par la construction de nombreuses infrastructures telles que le théâtre
et la pinacothèque municipale Miguel Dutra, imaginée afin de centraliser les archives, de
regrouper les collections artistiques de la ville et d'accueillir d'importantes manifestations
551 Au sujet de l’histoire politique de Piracicaba à partir de l’instauration du régime républicain, voir : Eliana
Tadeu TERCI, « “A cidade na primeira República”: Imprensa, política e poder em Piracicaba », Thèse de
doctorat en Histoire sociale, sous la direction de Maria Inez Machado Borges Pinto, São Paulo, Université de
São Paulo, 1997.
552 INSTITUT BRÉSILIEN DE GÉOGRAPHIE ET STATISTIQUE (IBGE), « Estimativa, contagem e população censitária do
município de Piracicaba – 1872 a 2017 » [en ligne : http://www.ipplap.com.br/docs/Estimativa
%20Populacional%20do%20Municipio%20-%201872%20a%202017.pdf] (consulté le 29/03/2018).
553 Au sujet de l'histoire du Centre Académique Luiz de Queiroz, consulter les travaux de Rodrigo Sarruge
Molina et notamment l'article : Rodrigo SARRUGE MOLINA, « História do movimento estudantil : centro
acadêmico da ESALQ/USP de 1909 a 2016 » in Argumentos Pró-Educação, vol. 2, n°5 2017, p. 210-234.
288
culturelles. Guidotti fut remplacé en 1968 par son adjoint Nélio Ferraz de Arruda, lui-même
substitué par Francisco Salgot Castillon en 1969. Malgré sa conception conservatrice du
pouvoir politique, Castillon fut déchu de ses droits civiques en octobre 1969 et son adjoint
Cassio Paschoal Padovani, également membre de l'ARENA, prit les commandes de la
municipalité jusqu'à son décès en 1972. Le président de l'assemblée municipale d'alors,
Homero Paes de Athayde, devint maire jusqu'à la prise de fonctions d’Adilson Benedito
Maluf, membre du MDB élu en novembre 1972. Maluf, représentant de l'opposition légale et
tolérée au régime militaire, apporta dès la première édition un soutien notable à l'organisation
du salon de l'humour de Piracicaba. Nous le verrons, les rôles du secrétaire municipal au
tourisme Luiz Antonio Lopes Fagundes et du chef de cabinet Luis Mattiazzo furent également
déterminants dans la naissance et la tenue de l’événement.
L'année 1973 fut marquée par un important précédent : l'organisation d'un salon
d'humour et de bande dessinée par l'association des étudiants de l'Université presbytérienne
Mackenzie de São Paulo. Fernando Coelho dos Santos, alors vice-président administratif de la
Direction centrale des étudiants (DCE), contacta le dessinateur Zélio Alves Pinto, dit Zélio,
après avoir appris l'existence d'un concours de caricatures organisé en 1971 au sein du campus
de l'université :
« C'est là qu'en fouillant dans les papiers de la DCE, j'ai trouvé des informations à
propos de la réalisation deux ans auparavant d'un concours interne de caricature
duquel Alcy Linares, alors étudiant en architecture, fut le grand gagnant. Depuis
1970, j'allais souvent à Rio de Janeiro, j'adorais Pasquim et ses dessins et en lisant
cette histoire j'ai tout de suite été très enthousiaste à l'idée de ce concours. Le papier
faisait référence à Sonia, ancienne élève de Mack qui avait été organisatrice, et à un
mec appelé Zélio, qui avait aidé à organiser554. »
Fernando Coelho dos Santos et Zélio Alves Pinto décidèrent d'organiser le premier
salon d'humour ouvert aux artistes et amateurs du pays tout entier, influencés par l'existence
d'événements similaires au Canada, en Belgique ou en Italie. Le règlement du salon indiquait
l'organisation d'un concours de dessins avec quatre prix dans deux catégories
554 Fernando Coelho DOS SANTOS, « Do sonho à realização do primeiro salão Mackenzie de humor e quadrinhos »
in Benedito GUIMARÃES AGUIAR NETO, Gabriel Ferrato DOS SANTOS, Alexandre Huady Torres G UIMARÃES,
Adolpho QUEIROZ, Fernando Coelho DOS SANTOS, Guarlberto COSTA, Rosangela Maria RIZZOLO CAMOLESE, 1973
– Quanto tudo começou – História do I Salão Brasileiro de Humor e Quadrinhos, São Paulo, Editora
EME/Nova Consciência, 2016, p. 19.
289
distinctes, « Humour » et « Bandes dessinées », ainsi que la mise en place d'une exposition du
14 au 28 octobre 1973 au Musée Lasar Segal, dans le quartier de Vila Mariana à São Paulo. Un
prix spécial « Groupe financier Godoy » fut également remis au caricaturiste originaire du
Minas Gerais Marcos Coelho Benjamin, qui en était à ses débuts. Le jury était composé des
dessinateurs Zélio, Ziraldo, Jaguar, Fortuna, Millôr Fernandes, Ciça, Mauricio de Sousa, du
journaliste Sérgio Augusto, du directeur de l’école panaméricaine des Arts Enrique Lipszyc et
du chercheur et historien de la bande dessinée Álvaro de Moya. L'université constitua un
environnement intellectuel, artistique et culturel dynamique, propice à l'organisation de la
manifestation largement diffusée par le réseau de connaissances de Zélio. Fernando Coelho
témoignait cependant en 2016 dans son article de l'hostilité initiale de Ziraldo à l'encontre de
l'Université Mackenzie, célèbre pour avoir fourni en 1968 des contingents d'étudiants
conservateurs qui affrontèrent les étudiants en philosophie de l'Université de São Paulo. Une
fois les membres du jury convaincus, Fernando Coelho et Zélio Alves Pinto œuvrèrent à la
communication autour de l'événement et à sa diffusion au sein de nombreux périodiques
locaux et nationaux tels que la revue Veja, le Jornal da Tarde, la Folha de São Paulo,
Pasquim, le Jornal do Brasil, O Diário – Piracicaba, Cidade de Santos. Le réseau TV
Bandeirantes consacra une émission spéciale au salon diffusée le 15 octobre 1973, juste après
l'inauguration de l'exposition au musée Segall. En décembre de la même année, l'exposition fut
installée au Musée d'art moderne (MAM) de Rio de Janeiro.
Les témoignages de Zélio Alves Pinto et Fernando Coelho publiés a posteriori attestent
une relation de parenté entre le salon de l'Université Mackenzie et celui de Piracicaba, les
leçons tirées de l'organisation du premier ayant servi à la mise en place du second. Un
document édité à Piracicaba en 1993 à l'occasion du vingtième salon de l'humour organisé
dans la ville555 compilait divers récits de la rencontre de 1973 à São Paulo, regroupant
également certains dessins primés par le jury. Zélio Alves Pinto y était assimilé au fil
conducteur et passeur d'expérience entre les deux événements. L'ouvrage 1973 – Quando tudo
começou – História do I Salão Brasileiro de Humor e Quadrinhos 556 publié en 2016 et déjà
555 CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION, RECHERCHE ET DIVULGATION DE L’HUMOUR GRAPHIQUE DE PIRACICABA (CEDHU),
O I Salão Mackenzie de humor e quadrinhos e sua relação com o salão international de humour de
piracicaba 1973.1993, Piracicabal, Engenho central, 1993.
556 Fernando Coelho DOS SANTOS, « Do sonho à realização do primeiro salão Mackenzie de humor e quadrinhos »
dans Benedito GUIMARÃES AGUIAR NETO, Gabriel Ferrato DOS SANTOS, Alexandre Huady Torres GUIMARÃES,
Adolpho QUEIROZ, Fernando Coelho DOS SANTOS, Guarlberto COSTA, Rosangela Maria RIZZOLO CAMOLESE, 1973
– Quanto tudo começou – História do I Salão Brasileiro de Humor e Quadrinhos, São Paulo, Editora
EME/Nova Consciência, 2016.
290
cité auparavant, insista sur l'aspect précurseur du salon de Mackenzie, comme pour redonner la
primauté de l'organisation de ce genre d'événements aux étudiants face à l'indéniable succès du
salon de Piracicaba. L'ouvrage organisé notamment par Fernando Coelho reprenait de
nombreux articles rédigés par d'anciens acteurs des deux salons retraçant les origines, les
étapes, les contraintes et les objectifs de ces expériences. Le second salon Mackenzie
d'humour et de bande dessinée fut organisée en juin 1979 dans l'enceinte du Musée de l'image
et du son de São Paulo par deux étudiants nouvellement arrivés à l'université : Gualberto Costa
et Luis Antônio França Cruz. Ces réseaux de sociabilité et de connaissance tissés à l'occasion
d'expériences antérieures parmi les dessinateurs d'humour politique de São Paulo et de Rio de
Janeiro subsistèrent et permirent en 1974 la naissance du salon de Piracicaba.
b) Une initiative locale en quête de soutien, de professionnalisme et de renommée
Le petit groupe fondateur du salon de l'humour de Piracicaba était composé des
journalistes Adolfo Queiroz, Carlos Colonese et Roberto Antonio Cêra, des professeurs Alceu
Marozi Righetto et Ermelindo Nardin, également artiste plastique, ainsi que de Luis Antonio
Lopes Fagundes, dit Fagundinho, ingénieur et secrétaire municipal au tourisme de Piracicaba.
En 1972, Nardim et Fagundes proposèrent d'insérer une exposition d'humour graphique au
sein du Salon d’art contemporain organisé à la pinacothèque municipale Miguel Dutra. Ils
firent part de leur souhait à Roberto Cêra, alors membre de la commission d'organisation du
SAC, qui s'enthousiasma à l'idée de diversifier les approches esthétiques au sein de
l'institution. Ermelindo Nardin décrivit en 2003, dans l'ouvrage Piracicaba 30 anos de
Humor557 édité à l'occasion du trentenaire du salon, les composantes de ce contexte local
effervescent et dynamique favorable à la naissance d'un tel projet :
« En parallèle du SAC, en 1967, en tant qu'organisateurs, les arts graphiques furent
privilégiés pour notre satisfaction : les expositions d’œuvres issues du Musée d'art
contemporain de l'Université de São Paulo – à cette époque le professeur Walter
Zanini était directeur et nous a beaucoup soutenus et orientés... Du musée de la USP
arrivèrent les expositions « Gravures nationales et étrangères » avec des œuvres de
Picasso, Chagall, Rottluff, Marcelo Grassmann, Samico, Roberto Magalhães et
557 ERMELINDO NARDIN, « Por que o desenho de humor no Salão de Arte Cntemporânea ? » in CEDHU, Piracicaba
30 anos de humor, São Paulo, Imprensa Oficial do Estado, 2003, p. 27.
291
d'autres. Mais également, les dessins de « Di Cavalcante jeune » occupèrent une
place de choix au sein des expositions réalisées à l'ESALQ de Piracicaba. »
Nardin évoquait ainsi l'attrait pour les arts graphiques manifesté à la fin des années
1960 par diverses institutions universitaires. Le Musée d'art contemporain de la USP, né en
1963 à l'occasion du transfert des très riches collections de l'ancien Musée d'art moderne de
São Paulo à l'université, abritait notamment des œuvres de Modigliani, Picasso, Calder ou
Kandisky, mais également de Tarsila do Amaral, Anita Malfatti ou Emiliano Di Cavalcanti.
Walter Zanini, professeur d'histoire de l'art et critique d'art, fut directeur du musée de 1963 à
1978 et y développa un travail tout à fait innovant 558, transformant l'institution en un territoire
de libertés sous le régime militaire. Le musée devint un laboratoire de création et l'espace d'un
dialogue entre les pratiques, les styles et les techniques, tourné vers la recherche, la production
et l'exposition. Zanini est resté célèbre pour avoir œuvré au rapprochement entre le musée et le
public, développé les liens avec d'autres musées et institutions et créé des secteurs spécifiques
liés au cinéma, à la musique, à la photographie ou à l'architecture. Il mit en place les cycles
d'exposition « Jeune dessin national » de 1964 à 1965, « Jeune gravure nationale » de 1964 à
1966 et « Jeune art contemporain » (JAC) de 1974 à 1976. Les liens se renforcèrent en 1967
entre Nardin et Zanini, qui soutenait la jeune création artistique, prônait l'ouverture et la
diversité de l'art contemporain et apporta son soutien à l'initiative visant à insérer une
exposition de dessins d'humour dans le Salon d'art contemporain de Piracicaba. Ce climat
favorable conduisit Robert Cêra et Ermelindo Nardin à Rio de Janeiro en 1972, pour la toute
première prise de contact avec les membres de Pasquim vouée à leur proposer d'organiser une
exposition de dessins originaux à Piracicaba, en parallèle du salon d'art contemporain. Le
caricaturiste Jaguar accepta de prêter des dessins originaux, mais le projet n'aboutit finalement
pas. En revanche, tous les témoignages des protagonistes de cette première tentative
empruntent à la rhétorique des premiers pas, insistant sur le caractère marquant et fondateur de
l'expérience. Durant les années précédant la naissance du salon de l'humour de Piracicaba, les
réseaux de connaissance entre les initiateurs du projet et les professionnels du secteur de l'art
558 Au sujet de l’action et des engagements de Zanini à la tête du Musée d’art contemporain de la USP, voir
notamment : Helouise COSTA, « Da fotografia como arte à arte como fotografia: a experiência do Museu de
Arte Contemporânea da USP na década de 1970 » in Anais do Museu Paulista: História e Cultura Material,
vol. 16, n°2, juil.-déc. 2008, p. 131-173 ; Cristina FREIRE, « Museus em Rede: A dialética impecável de Walter
Zanini » in Art Journal, vol. 73, 2014, p. 20-45 ; Cristina FREIRE, Walter Zanini: escrituras críticas, São
Paulo, Annablume, 2013.
292
contemporain se tissèrent, les contacts avec la rédaction de Pasquim s'approfondirent et la
rencontre se construisit pas à pas.
Adolpho Queiroz décrivit dans l’article « Rir faz pensar : a contribuição histórica do
salão de humor de Piracicaba » la deuxième rencontre avec les membres de la rédaction de
Pasquim, qui eut lieu au début de l'année 1974 :
« Un peu après le carnaval de 1974, un groupe de journalistes de la ville, dirigé par
le professeur Alceu Marozzi Righeto et composé de jeunes journalistes comme
Carlos Colonese et moi-même, en tant que lecteurs assidus du journal Pasquim,
nous sommes allés faire un entretien le samedi du carnaval en tant que journalistes
et invités qui participaient comme jurés aux festivités du carnaval de la ville cette
année-là. Le contact avec le journaliste José Maria do Prado, à l'époque du journal
Última Hora de São Paulo, porta extrêmement bien ses fruits et nous écoutâmes les
intentions d’Alceu durant la conversation au cours de l’après-midi. Il demanda au
journaliste de Última Hora s'il pouvait nous mettre en contact avec l'équipe de
Pasquim à Rio de Janeiro, parce que nous avions l'intention d'organiser un salon
d'humour cette année-là dans la ville de Piracicaba559. »
José Maria do Prado travaillait notamment à l'époque avec le reporter Audálio Dantas,
élu l'année suivante président du syndicat des journalistes de l’État de São Paulo et qui
contribua largement à la dénonciation de l'assassinat du journaliste Vladimir Herzog. Il était
membre de l'antenne pauliste de Última Hora, créée en 1952 un an après la fondation du
périodique à Rio de Janeiro par Samuel Wainer. D'après Adolpho Queiroz, José Maria do
Prado leur présenta Zélio Alves Pinto à l'occasion d'un déjeuner organisé à São Paulo et leur
permit ainsi de s'approcher du frère de Zélio, le dessinateur Ziraldo, qui sévissait dans les
pages de Pasquim depuis 1969.
Zélio décrivit en 2001 dans le documentaire « De Piracicaba com humor » réalisé par
la chaîne de télévision publique TV Cultura, les circonstances de sa rencontre avec le groupe
de Piracicaba et son rôle d'intermédiaire entre ce dernier et la rédaction de Pasquim. Le lieu de
la rencontre initiale différait dans ses souvenirs, mais l'importance de son rôle dans la prise de
contact avec le journal satirique carioca demeura :
559 Adolpho QUEIROZ, « Rir faz pensar : a contribuição histórica do salão de humor de Piracicaba » dans Benedito
GUIMARÃES AGUIAR NETO, Gabriel Ferrato DOS SANTOS, Alexandre Huady Torres GUIMARÃES, Adolpho QUEIROZ,
Fernando Coelho DOS SANTOS, Guarlberto COSTA, Rosangela Maria RIZZOLO CAMOLESE, op. cit., p. 111.
293
« Tout est arrivé très vite. J'étais dans mon atelier, et quatre jeunes de Piracicaba
sont entrés [...] avec une idée en tête. […] J'ai trouvé ça très drôle, premièrement
parce que je ne savais même pas exactement où se trouvait Piracicaba. […] J'ai mis
en contact le groupe avec l'équipe de Pasquim, qui était à l'époque le grand centre
de l'humour au Brésil. […] À l'époque, Pasquim était un grand journal au Brésil. Et
évidemment, ils voulaient associer la rédaction de Pasquim au projet. Ils ont rempli
leur voiture de cachaça et sont partis à Rio de Janeiro pour aller discuter avec la
rédaction. […] À l'époque la rédaction avait la réputation de boire de manière
complètement folle. Et d'ailleurs il y a un fond de vérité, ils buvaient vraiment
comme des fous. […] L'équipe de Piracicaba est arrivée, ils étaient très drôles, très
amusants, ils ont sympathisé là-bas et l'équipe de Pasquim les adora. Et on a
commencé à travailler à ce projet de salon à partir de là. […] C'est comme ça qu'est
né le salon de Piracicaba560. »
Alceu Righetto confirma
par ailleurs dans l'entretien croisé proposé par le
documentaire ce statut de référence conféré aux membres de la rédaction de Pasquim, dont
l'aval semblait indispensable aux yeux des porteurs du projet de salon :
« En vérité, Pasquim représentait à nos yeux un îlot qui offrait le plaisir que le pays
avait perdu. […] En vérité, ils rendaient possible une contestation... évidemment
politique mais aussi cet aspect d'une vie agréable, de plaisir. Nous sommes allés à
Rio de Janeiro avec beaucoup de plaisir pour rencontrer nos grands personnages làbas. Et évidemment, Piracicaba a toujours été la capitale de la cachaça 561. »
L'admiration pour les « grands personnages » de Pasquim, tangible dans les
déclarations des créateurs du salon de Piracicaba, était liée d'une part à la reconnaissance du
talent et de la célébrité des dessinateurs travaillant à Rio de Janeiro et d'autre part à la
réputation sulfureuse des membres de la bohème intellectualisée du quartier de Ipanema.
Condition sine qua non à la réalisation du premier salon de Piracicaba, leur soutien se
manifesta par la participation massive des dessinateurs à l'événement dès 1974 et au cours des
éditions suivantes. Accueillis par le journaliste Paulo Francis dans les locaux de Pasquim, le
560 Zélio ALVES PINTO in TV CULTURA, « De Piracicaba com humor », São Paulo, 2001, 27’16’’ – 30’08’’ [en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=xCru51OUwPA] (consulté le 23/03/2018).
561 Alceu RIGHETTO in TV CULTURA, « De Piracicaba com humor », São Paulo, 2001, 28’00’’-28’08’’; 28’43’’29’01’’ [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=xCru51OUwPA] (consulté le 23/03/2018).
294
groupe originaire de Piracicaba réussit donc à convaincre la rédaction et notamment Millôr
Fernandes, de l'intérêt de la diffusion de dessins satiriques et humoristiques dans le cadre d'une
exposition locale et décentralisée, hors des deux grandes métropoles culturelles dominantes du
sud-est du pays qu’étaient Rio de Janeiro et São Paulo.
c) L'organisation de la première édition en 1974
L'affiche de la première édition fut dessinée par Zélio, devenu le parrain du projet. Elle
mettait en scène, en noir et blanc, un personnage souriant à la boîte crânienne remplie des
outils du dessinateurs : crayons, pinceaux, stylos à plume... et le « V » de la victoire se
confondant avec lesdits instruments. Le contexte politique de production de l’image permet
d’analyser cette assimilation du premier salon à une réussite, à l’aune du renforcement et de
l’'institutionnalisation de l'État autoritaire à l'origine de nombreuses craintes de censure et
d'interdiction. L'affiche mentionnait certains soutiens institutionnels ou privés, tels que celui
du Département municipal de tourisme de la ville qui, nous le verrons, finança en grande
partie l'événement, celui du périodique local O Diário ainsi que du club Colonel Barbosa, un
cercle de la ville fondé en 1940 en hommage au colonel José Barbosa Ferraz.
FIG 84 : Zélio Alves Pinto, affiche du 1er Salon de l’humour de Piracicaba, 1974,
archives du CEDHU
295
Le compte-rendu de la première édition562 lista les noms des membres de la
commission d'organisation et leur fonction : le président Alceu Marozi Righetto, le secrétaire
Carlos Marcos Colonese, le trésorier José Maria Paes da Silva et trois autres membres, José
Maria Ferreira, Mário L. dos Santos Filho et Thomaz Caetano Rípoli. Le document indiquait
que le Salon se déroula du 26 au 31 août 1974 dans les locaux du théâtre São José, propriété
du Club Coronel Barbosa. Le bâtiment fut acheté en 1960 par le cercle de l'élite piracicabana
pour y organiser fêtes, concerts, carnavals, bals de débutantes et autres manifestations. Le 21
juillet 1974, Alceu Marozi Righetto adressa une lettre563 en tant que président de la
commission d'organisation du salon au président du Club Barbosa, Heitor Montenegro, afin de
lui demander l'autorisation d'utiliser les locaux pour l'événement. Les photographies de la
première édition et le film réalisé en super 8 par le journaliste Roberto Antonio Cêra, l'un des
fondateurs du salon, attestent cependant de la présence des visiteurs dans un autre lieu tout
proche : la banque portugaise de la place José Bonifacio. Le Club aurait refusé de prêter ses
locaux au salon puisque d'autres activités avaient déjà été prévues et les organisateurs optèrent
donc pour les sous-sols de la banque portugaise, qui accepta de leur prêter les lieux.
Les témoignages de dessinateurs interrogés dans le cadre de la réalisation du
documentaire de la TV Cultura en 2001 décrivaient un climat provincial, une opinion
relativement conservatrice et la surprise causée par l'arrivée massive à Piracicaba de
dessinateurs célèbres à l'époque, dont une grande majorité venait de Rio de Janeiro. Les films
réalisés par Roberto Antônio Cera564 en 1974 et 1975 permettent d'identifier un public
majoritairement blanc, composé de visiteurs assez jeunes, mais également de familles et de
personnes plus âgées qui déambulaient dans les galeries formées par les panneaux montés à
l'occasion du salon et classés par artiste. La prépondérance du public étudiant notamment liée
à la proximité de l’ESALQ est un élément à associer avec la volonté de la part des
organisateurs de faire sortir les manifestations culturelles contestataires du champ
universitaire, très surveillé et largement censuré. La forte participation des membres de la
562 « I SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA - 1974 », Piracicaba,1974, archives du CEDHU.
Les archives du Salon de l’humour de Piracicaba, consultées dans le bâtiment de l’Engenho central en mai
2016, renferment de précieux documents permettant d’analyser avec précision son organisation concrète :
travaux préparatoires, compte-rendus pour chaque édition détaillant notamment la liste des personnes ayant
contribué à l'organisation, lieux et dates des événements organisés, listes de dessinateurs et de dessins
inscrits, correspondance du salon, carnets de comptabilité… Nous disposons de l’autorisation du CEDHU
pour l’utilisation et la reproduction de ces archives à des fins de recherche universitaire.
563 Lettre de Alceu Marozi Righetto à Heitor W.S. Montenegro, Piracicaba, 21/07/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres envoyées ».
564 Roberto Antônio CERA, « Salões de Humor de Piracicaba 1974 1975 », document audiovisuel, archives
personnelles [en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=HDFc7vHrB2Y] (consulté le 05/05/2019).
296
rédaction du périodique Pasquim était notable. Le compte-rendu de la première édition 565
mentionna également l'organisation d'une exposition parallèle dans une salle de la Banque
portugaise spécialement consacrée aux dessins d'humour publiés dans l'hebdomadaire. Une
conférence consacrée à l'histoire et aux théories de l'humour fut par ailleurs dispensée par
Zélio Alves Pinto le 20 août 1974, quelques jours avant l'inauguration du salon 566. La
correspondance du salon montre l’une des préoccupations majeures des organisateurs du
salon : attirer le public étudiant local. Une lettre adressée à Alceu Righetto le 5 août 1974 par
Antonio Claudio Lombardi567, président du CALQ, accusait réception de l'invitation envoyée
par les organisateurs du salon aux membres de l’École supérieure d'agriculture. Il confirmait la
diffusion au sein de l'institution universitaire de l'affiche et de copies du règlement du salon, en
vue de la participation des enseignants et étudiants de l'ESALQ au concours de dessins. Un
courrier similaire daté du 10 août 1974568 témoignait d'une prise de contact semblable avec la
faculté d'agronomie Lycio Vellozo, de l'Université fédérale du Paraná située à Curitiba.
La correspondance du salon permet également de retracer les contacts pris avec de
nombreux dessinateurs plus ou moins connus et expérimentés. Ainsi, l’artiste originaire de
Fortaleza Hermógenes Gomes Magalhães, dit Hermó, rédigea une note manuscrite dans
laquelle il indiquait son enthousiasme et sa volonté de participer à l'événement, malgré le
retard dans l'envoi de ses travaux :
565 « I SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA - 1974 », Piracicaba, 1974, archives du CEDHU, « 1974 ».
566 « O Zélio veio e agradou » in O Diário, 21/08/1974, archives du CEDHU, « Revue de presse 1974 ».
567 Lettre de Antonio Claudio Lombardi à Alceu Marozi Righeto, Piracicaba, 05/08/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
568 Lettre de la Direction académique « Lycio Vellozo » à la Direction du Département municipal de tourisme de
la ville de Piracicaba, Curitiba, 10/08/1974, archives du CEDHU, « Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
297
FIG 85 : Lettre manuscrite de Hermógenes Gomes Magalhães (Hermó) à Alceu Marozi
Righeto, Piracicaba, non daté, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres reçues »
« Cher Alceu Marozi, tout va bien ?
J'ai reçu ton invitation à participer au premier salon de l'humour de Piracicaba.
J'ai adoré !
J'étais tout de suite partant.
Malgré le fait qu'elle me soit parvenue le 15 août, je me suis secoué, et j'envoie les
travaux le 17 août. Donc, en cas de retard, vois ce que tu peux faire, ok ?
Bravo pour l'initiative.
J'espère que tout va bien se passer,
je t'embrasse.
HERMÓ569 »
569 Lettre manuscrite de Hermógenes Gomes Magalhães (Hermó) à Alceu Marozi Righeto, Piracicaba, non daté,
archives du CEDHU, « Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
298
Le texte manuscrit, le langage informel et la sympathie véhiculés sont les marques
d'une certaine intimité entre le président de la commission d'organisation du salon et le
dessinateur, dont le retard dans l'envoi des dessins ne s'avéra pas être un obstacle puisque,
nous le verrons, il remporta un prix au cours de cette première édition.
Une autre lettre manuscrite, signée Maroubo et rédigée sur une page de carnet d'écolier
à lignes, fut envoyée le 19 août 1974 depuis la ville d’Assis, dans l'état de São Paulo. Le
peintre José Gonçalves Maroubo, décédé en mai 2009, était alors âgé de quarante-trois ans. Il
y expliquait les ressors comiques de ses trois dessins envoyés pour le concours après avoir
formulé un amer constat initial : « Comme c'est la première fois que je participe à un concours,
je ne dois pas avoir la moindre chance, c'est dur, mais c'est la vérité 570. » Francisco Quadra
Andrez, connu aujourd'hui comme Ticão, envoya le 16 août 1974 un courrier rempli d'éloges à
l'égard du projet de création du salon de l'humour de Piracicaba. Celui qui fut conseiller
municipal de la ville de Suzano dans les années 1980 encensait en 1974 l'initiative « de cette
ville progressiste de proposer à l'humoriste amateur ou professionnel le concours d'humour 571 »
et proposait ses travaux. Enfin, certains courriers reçus par les organisateurs prouvaient la
participation de très jeunes dessinateurs à l'instar de José Luiz Pires da Silva, signant Jota, âgé
de quinze ans et résidant à Londrina572.
L'ensemble de la correspondance reçue et envoyée par les organisateurs du salon au
cours des mois de juillet et août 1974 témoigne d'une importante diffusion du règlement de
l'événement et de l'appel à participer au sein des milieux artistiques professionnels et amateurs
de municipalités de l’État de São Paulo et aux alentours. L’une des lettres permet même de
formuler l'hypothèse d'une diffusion internationale des informations au sujet de l'organisation
du salon de Piraciaba, dès sa première édition. Se présentant comme correspondant à São
Paulo des revues Aleph et Impulso, « deux revues portugaises spécialisées en bande dessinées
et dessins de presse573 », le jeune journaliste brésilien Dagomir Marquezi demandait aux
organisateurs du salon de lui envoyer tous les renseignements et documents possibles au sujet
570 Lettre manuscrite de José Gonçalves Maroubo (Maroubo) aux organisateurs du Salon de l’humour, Assis,
19/08/1974, archives du CEDHU, « Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
571 Lettre de Francisco Quadra Andrez (Ticão) au Président du Salon, Suzano, 16/08/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
572 Lettre de José Pires da Silva (Jota) aux organisateurs du Salon, Londrina, 14/08/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
573 Lettre de Dagomir Marquezi aux organisateurs du Salon, São Paulo, 26/97/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres reçues ».
299
de l'événement afin de les diffuser au Portugal par le biais des deux périodiques. Il précisait
également qu'il serait présent à Piracicaba et écrirait à son sujet dans les titres portugais.
Lors de la réalisation du documentaire « De Piracicaba com humor », Adolpho Queiroz
expliqua que la municipalité de Piracicaba avait octroyé un budget de dix mille cruzeiros à
l'organisation du premier salon à la suite de l'annulation d'un projet consacré aux amateurs
d'orchidées : « Le salon a été viable seulement parce qu'une exposition d'orchidées ne s'est pas
réalisée. Le club d'orchidophilie de Piracicaba était très prestigieux à ce moment là et ils nous
ont laissé 10 000 cruzeiros, à l'époque. C'est cet argent que la préfecture nous a cédé 574. »
L’organisation et la répartition budgétaire étaient les objets d'une lettre adressée le 3 septembre
1974 au maire de la ville Adilson Benedito Maluf par Alceu Marozi Righetto, dans laquelle ce
dernier demanda à la municipalité d'allouer des crédits supplémentaires à la commission du
salon pour subvenir à d'importantes dépenses survenues a posteriori. Le courrier insistait sur la
dimension inattendue du succès remporté par l'événement, couvert par des médias à la portée
nationale :
« Considérant la dimension présentée par le I er Salon de l’Humour de Piracicaba, qui fut
divulgué conjointement avec la ville dans tout le Brésil, par la TV Globo, O Estado de São
Paulo, la Folha de São Paulo, entre autres, en termes « nationaux », et en présence de
toutes les personnes invitées pour composer le jury responsable du jugement des travaux
présentés audit Salon – Millôr Fernandes, Zélio, Ziraldo, Jaguar, Fortuna et Ciça – en
somme, au vu de la projection obtenue, le budget destiné au Salon, pensé initialement dans
un cadre local, est devenu insuffisant575. »
Le président de la commission d'organisation y expliquait ensuite au maire les raisons
de l'insuffisance de la somme initialement allouée et les motifs de sa demande de crédits
supplémentaires : remboursement du transport des membres du jury venus de Rio de Janeiro,
paiement des prix aux dessinateurs lauréats, frais postaux liés au renvoi des travaux originaux
exposés à leurs auteurs... Cette lettre démontre le succès imprévu remporté par l'événement et
la volonté des organisateurs de construire le projet en partenariat avec la municipalité afin de
contribuer au rayonnement culturel local de la petite ville. Elle prouve aussi l’important
574 Adolpho QUEIROZ in TV CULTURA, « De Piracicaba com humor », 2001, 29’49’’-30’06’’ [en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=xCru51OUwPA] (consulté le 28/03/2018).
575 Lettre de Alceu Marozi Righetto au maire de Piracicaba Adilson Benedito Maluf, Piracicaba, 03/09/1974,
archives du CEDHU, « Correspondance 1974 – Lettres envoyées ».
300
soutien financier de la ville indispensable à la tenue de la manifestation attirant des
dessinateurs venus des quatre coins du Brésil.
Le compte-rendu de la première édition du salon présentait les personnes composant le
jury : les membres de la rédaction de Pasquim Millôr Fernandes, Ziraldo, Fortuna et Jaguar,
ainsi que Zélio. Le document indiquait également l'inscription de soixante-quinze dessinateurs
et deux cent vingt dessins au concours. Les archives du salon renferment les délibérations
manuscrites du jury576 indiquant les préférences de chacun des cinq membres et l'obtention
d'un consensus.
FIG 86 : Délibérations des membres du jury du Ier Salon de l’humour,
Piracicaba, non daté, archives du CEDHU, « 1974 »
Le jury décida d’attribuer le premier prix à une œuvre de Laerte Coutinho qui publiait alors
ses travaux au sein de Balão, édité par les étudiants de l’École de communication et arts
(ECA) de la USP. Le dessin original en noir et blanc, reproduit ci-après, abordait dès 1974 les
thématiques de la répression physique et de la torture en empruntant au vocabulaire visuel
médiéval. Il ne fut publié dans aucun périodique avant son envoi à Piracicaba pour participer
576 Délibérations des membres du jury du Ier Salon de l’humour, Piracicaba, non daté, archives du CEDHU,
« 1974 ».
301
au concours. La scène représentait un enfant victime de ses tortionnaires, suspendu par les bras
et des boulets attachés aux pieds. Au premier plan, le bourreau encapuchonné arborait un
grand sourire alors qu'il chauffait à blanc une barre en métal, outil de la torture proche. En
arrière-plan, un groupe impatient assistait à la scène. L'analogie entre les techniques de torture
médiévales et contemporaines prenait corps dans le mélange disparate de tenues
vestimentaires et d'accessoires : les cagoules et casques jouxtent le fléau d'arme, le fouet et...
les lunettes de soleil portées par les sbires pour conserver leur anonymat. L'ensemble de la
composition constituait une référence à la fable de l'écrivain danois Hans Christian Andersen
« Les habits neufs de l'empereur », contant l'histoire d'un roi qui ne vivait qu'au travers de sa
garde-robe, du luxe des nouveaux habits et de la flatterie. Sa vanité et son amour des tissus le
conduisirent à croire sur parole deux escrocs qui le persuadèrent de leur capacité à lui tisser un
vêtement fait d'une étoffe incroyable, invisible aux yeux du commun des mortels. Le jour de la
grande procession, en voyant l'empereur dénudé persuadé d'être vêtu d'une étoffe invisible, un
enfant s'écria « Mais il ne porte pas d'habits ! », expression progressivement remplacée dans
les successives versions et traductions par « Le roi est nu577 ! ». La parole de l'enfant
représentait dans la fable la lucide reconnaissance de l'évidence prononcée avec courage ou
naïveté. En 1974, l’enfant torturé par Laerte hurlait justement le contraire : « O rei estava
vestido ! » (« Le roi était vêtu ! »). Les multiples niveaux de lecture de l'image satirique lui
conféraient son caractère critique : elle dénonçait d'une part l'absurdité d'un contexte
extrêmement répressif dans lequel l'exercice de la liberté d'expression pouvait conduire à la
torture physique, et d'autre part les interdits formulés au nom de la censure morale et de la
défense des mœurs jugées adéquates, prohibant les représentations ou l'évocation de la nudité.
577 Voir Anne LE BIHAN, « Le roi est nu » in La lettre de l'enfance et de l'adolescence, vol. 54, n°4, 2003, p. 1319.
302
FIG 87 : Laerte Coutinho, 1er prix du Salon de l'humour de Piracicaba,
1974 (dessin original 39x29 cm), archives du CEDHU
Le deuxième prix fut attribué à un dessin envoyé par Hermó, le dessinateur qui avait
adressé une lettre manuscrite à Alceu Righetto afin d’expliquer les raisons de son retard. La
scène représentait le désespoir d'un homme suicidaire, une arme pointée sur la tempe gauche,
perché au sommet d'une planète chaotique perdue dans la course effrénée aux armements.
L'omniprésence d'armes lourdes et de satellites, symboles du climat de Guerre froide régnant
au milieu des années 1970, contrastait avec un petit îlot représenté en arrière-plan, synonyme
d’une préoccupation environnementale naissante. L'habitant de la planète voisine assistait de
loin à l'auto-destruction belliqueuse au premier plan, apparemment satisfait de son foyer
arboré et pacifique. Les inquiétudes concernant la préservation des zones naturelles
brésiliennes furent également le thème central du troisième dessin primé, réalisé par Luiz
Renato Bittencourt Silva. Il dénonçait la déforestation par le biais d'un ensemble bigarré
303
d'oiseaux agglutinés sur un arbre mutilé, isolé au milieu d'un champ de souches et que l'un des
animaux tente de réparer en fixant un manche de hache à l'une de ses branches coupées578.
De l'aveu de ses organisateurs, le salon remporta un succès inattendu. La présence de
dessinateurs célèbres, l’importante couverture médiatique et le soutien, notamment financier,
de la municipalité de Piracicaba contribuèrent de manière indéniable à l'absence de répression
lors de la première édition. Ce paradoxe autorise la formulation de certaines hypothèses à
propos de l'importance des jeux d'échelle dans la mise en place de politiques culturelles
contradictoires sous le régime militaire. Le Salon de l’humour de Piracicaba constitue en ce
sens un observatoire de la marge de manœuvre ayant existé à l’échelle municipale pour
organiser un événement culturel promouvant la contestation graphique et rayonnant à l’échelle
nationale, largement couvert par la presse écrite et télévisée. Une lettre envoyée le 30 août
1974 par Alceu Marozi Righetto à la société Pirapel, entreprise de fabrication de papier de
Piracicaba, attestait certaines retombées positives du salon amplement relayé dans les médias :
« Messieurs,
Après le grand succès obtenu par le Ier Salon d'humour de Piracicaba, qui a même
fait l'objet d'un reportage spécial de la TV Globo de São Paulo, canalisant à
Piracicaba une grande partie de l'attention du public pauliste et dans une certaine
mesure, brésilien, la Commission d'organisation a reçu de la part de l'hebdomadaire
O Pasquim une invitation à éditer un supplément spécial du salon, tiré à 70 000
exemplaires, qui serait inséré dans ce périodique.
Ainsi, Messieurs, nous souhaitons par la présente vous inviter à participer à cette
entreprise à la portée nationale.
Et, considérant qu'il ne s'agit pas d'un supplément publicitaire, nous n'avons invité
aucune autre entreprise de la ville à y participer. Ainsi, les coûts ne seraient couverts
que par la société PIRAPEL, qui aurait pour elle une page du supplément, à hauteur
de Cr$ 6.000,00 (six mille cruzeiros)579. »
Ce courrier nous éclaire sur l'un des rouages de l'installation d'un cercle vertueux,
notamment économique, à la suite de la réalisation de la première édition : la valorisation des
578 Nous reviendrons dans le dernier chapitre de cette thèse sur les relations des charges et dessins d’humour
politique avec la défense de l’environnement au Brésil au cours de la seconde moitié des années 1970. Cela
dit, le fait que deux des trois dessins primés à Piracicaba dès la première édition abordent cette question est
révélateur d’une prise de conscience précoce des enjeux de l’écologie par les dessinateurs.
579 Lettre de Alceu Marozi Righetto à PIRAPEL – Industrie piracicabana de papier, Piracicaba, 30/08/1974,
archives du CEDHU, « Correspondance 1974 – Lettres envoyées ».
304
partenaires locaux implantés à Piracicaba et concernés par le succès de l'initiative. Ce
partenariat entamé entre les organisateurs du salon, la municipalité de Piracicaba et les
entreprises locales autorisa dès la fin de l'année 1974 la Commission d'organisation à
envisager d’inviter pour l’année suivante des personnalités célèbres mondialement dans le
monde du dessin et de l'humour graphique, entamant ainsi l'internationalisation de
l'événement.
II. Le jeu d'échelle à Piracicaba : entre national, régional et international
a) Claude Moliterni, Punch et Mad ou la valorisation des dessinateurs occidentaux
À l'’image de Piracicaba, la ville française d'Angoulême fut dans la première moitié
des années 1970 le terrain d'expérimentations artistiques et d’événements culturels organisés
autour de la bande dessinée, à l'initiative de Francis Groux, élu conseiller municipal en 1971,
et de Jean Markidian, alors adjoint au maire à la culture. Ils organisèrent notamment le cycle
« Angoulême Art Vivant » afin de dynamiser la vie culturelle locale et dans le cadre duquel
Claude Moliterni, alors directeur de la revue Phénix et directeur éditorial chez Dargaud,
participa à des expositions et conférences sur la bande dessinée. En mai et juin 1972, Groux et
Markidian organisèrent l'exposition « Dix millions d'images » consacrée à la bande dessinée
nord-américaine et en confièrent la réalisation à Moliterni. En fin d'année, les trois partenaires
décidèrent de rassembler dessinateurs et auteurs de bande dessinée à Angoulême dans le cadre
de la « Quinzaine de la lecture ». Moliterni qui était par ailleurs l'un des organisateurs du
festival de la bande dessinée de Lucques créé en 1965 en Italie, fit en sorte que tous les trois y
soient invités lors de l'édition de novembre 1973. Avec l'accord des organisateurs de
l'événement italien et l'aval de la municipalité angoumoisine, la première édition du Salon
international de la bande dessinée d'Angoulême fut lancée officiellement le 25 janvier 1974.
L'événement dura trois jours et accueillit de grands noms de la bande dessinée tels que Burne
Hogarth, Harvey Kurtzman, Maurice Tillieux ou André Franquin. Il semblerait que ce soit à
Lucques l’année précédente que Zélio ait fait la rencontre de Moliterni. L'artiste brésilien avait
étudié la peinture à Paris dans les années 1960, organisa sa première exposition individuelle à
la Maison du Brésil en 1962 et servit d'intermédiaire entre les organisateurs du salon de
Piracicaba et Claude Moliterni. Une lettre écrite le 22 décembre 1974 à l'éditeur français par
Luis Antônio Fagundes, directeur du département de tourisme de Piracicaba, témoigne
305
d'échanges entre les créateurs des salons de Piracicaba et d'Angoulême, et de la volonté de
confirmer la venue du directeur de Dargaud au Brésil, contacté au préalable par Zélio :
« Cher Monsieur,
Par le biais de cette lettre, nous souhaitons confirmer l'invitation verbale qui vous a
été faite par Zélio Alves Pinto, afin que vous participiez au 2ème Salon de l'humour
de Piracicaba en tant qu'invité spécial.
Nous voulons également confirmer le fait que l'invitation inclut une conférence au
sujet de l'humour et de la bande dessinée, sur le thème qui vous conviendrait le
mieux, ainsi que l'exposition de dessins originaux de vos artistes, pendant les deux
semaines suivant l'inauguration de notre salon, qui aura lieu à partir du 23 août de
l'an prochain.
Nous espérons que vous confirmerez votre présence et nous traiterons ensuite des
détails de votre voyage et de votre séjour parmi nous 580. »
Les lettres échangées permettent de reconstituer les étapes de l'organisation concrète de
la venue de Moliterni à Piracicaba, conférant à l’événement un retentissement international. Le
19 mai 1975, Fagundes s'inquiéta de savoir si l’éditeur français « avait déjà reçu [sa]
précédente carte […] confirmant l'invitation à participer au jury [du] II Salão d'humour de
Piracicaba, ainsi qu'à faire la promotion d'une exposition d'originaux des artistes de [sa]
maison d'édition et à animer une conférence durant la semaine du 23 au 31 août 581. » Il indiqua
également que la date retenue pour l'organisation d'une telle conférence était le dimanche 24
août 1975. Sa lettre faisait enfin état de préoccupations d'ordre pratique à propos du transport
des dessins originaux pour organiser l'exposition :
« Nous aimerions maintenant savoir combien d'originaux vous voudriez exposer au
salon de Piracicaba. Il est important que nous le sachions, puisque nous allons
maintenant nous occuper du transport de ces travaux, dans la mesure où nous
souhaitons que l'exposition des originaux des artistes de la maison d'édition
Dargaud soit une attraction dans tous les sens du terme. Nous aimerions que les
originaux des artistes de Dargaud nous soient envoyés avant votre venue, de cette
580 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Claude Moliterni, Piracicaba, 22/12/1974, archives du CEDHU,
« Correspondance 1974 – Lettres envoyées ».
581 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Claude Moliterni, Piracicaba, 19/05/1975, archives du CEDHU,
« Correspondance 1975 – Lettres envoyées».
306
manière nous aurons plus de temps pour traiter le matériel qui sera exposé. L'idéal
serait que les originaux des artistes de Dargaud arrivent à Piracicaba au plus tard la
dernière semaine du mois de juillet582. »
Fagundes indiquait à Moliterni qu'il avait le choix dans la date de son vol et lui
précisait tout de même qu'il serait idéal qu'il arrive la semaine précédent le salon afin de
faciliter son transport de São Paulo à Piracicaba.
Il s’agissait dès lors pour les organisateurs de faire connaître leur initiative à l’étranger.
Ainsi, Rogério Otávio Basílio Viana, directeur des relations publiques de la ville de Piracicaba,
adressait un courrier le 8 juillet 1975 aux directeurs du salon français 583 pour leur demander de
diffuser l'appel à participation auprès de leurs contacts et des artistes intéressés, courrier
accompagné d'affiches et d'informations. Le 16 juillet, Claude Moliterni adressa
personnellement à Zélio Alves Pinto une lettre dactylographiée sur un papier à en-tête de
Dargaud584 à laquelle il joignait un texte retraçant l'histoire du journal Pilote destiné à
accompagner l'exposition organisée. Le directeur du salon, Ermelindo Nardim, en accusa
bonne réception le 28 juillet585 et informa l'éditeur français de l'envoi prochain de son billet
d'avion.
Luis Antônio Fagundes dut à ce sujet demander l'autorisation au service des opérations
de change de la Banque centrale du Brésil dans un courrier daté du 2 août 1975 586 de transférer
la somme de mille trois cent cinquante trois dollars à la Compagnie aérienne de Rio Grande do
Sul (VARIG) correspondant à l'achat du billet aller-retour entre Paris et São Paulo. Le budget
considérable montre certaines évolutions dans l'organisation du deuxième salon, financé en
1975 presque intégralement par le Département municipal de tourisme. Les archives révèlent
également la préoccupation précoce d'ancrer l'événement dans un lieu pérenne afin de pouvoir
regrouper les collections et le théâtre municipal São José occupa cette fonction pendant
plusieurs années, avant d'être remplacé par le bâtiment de l'Engenho Central, ancienne
raffinerie de sucre et vestige historique du passé industriel de la ville.
582 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Claude Moliterni, Piracicaba, 19/05/1975, archives du CEDHU,
« Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
583 Lettre de Rogério Otávio Basílio Viana aux organisateurs du Salon international de la bande dessinée
d’Angoulême, Piracicaba, 08/07/1975, archives du CEDHU, « Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
584 Lettre de Claude Moliterni à Zélio Alves Pinto, Neuilly, 16/07/1975, archives du CEDHU, « Correspondance
1975 – Lettres reçues ».
585 Lettre de Ermelindo Nardin à Claude Moliterni, Piracicaba, 28/07/1975, archives du CEDHU,
« Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
586 Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service d’opérations de change de la Banque centrale du Brésil,
Piracicaba, 02/08/1975, archives du CEDHU, « Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
307
Rogério Otávio Basílio Viana s’adressa à l'Hôtel de ville de Montréal le 8 juillet
1975587 pour faire la promotion du salon en indiquant la venue de Moliterni. La mention du
directeur éditorial de Dargaud apparaît très clairement dans le courrier comme un argument en
faveur de la légitimité et du prestige du salon de Piracicaba. La lettre était accompagnée de
documents à diffuser auprès des dessinateurs québécois : affiches, copies du règlement et
autres informations pratiques. Quelques jours avant l'inauguration du deuxième salon, Luiz
Antônio Lopes Fagundes adressa à la chaîne de télévision Globo une invitation à participer à
l'ouverture de l'événement, insistant également sur la présence du directeur de Dargaud :
« Comme l'année dernière, nous aimerions pouvoir compter, au « Vernissage »
d'ouverture du IIème salon qui aura lieu le 23 à 20h30 en présence des plus grands
dessinateurs du pays et d'artistes de télévision, ainsi que de l'éditeur français Claude
Moliterni, de la maison d'édition Dargaud (Paris), qui réalisera le 24 une conférence
sur « L'évolution du dessin d'expression française après 1945 », sur votre équipe de
reportage pour réaliser le travail qu'elle jugera important 588. »
De nombreux articles parus dans la presse écrite locale entre juin et août 1975
s’approprièrent cette insistance sur l'exceptionnalité de la venue de l'éditeur français à
Piracicaba. La Tribuna Piracicabana prévoyait dès le 12 juin 1975 que la venue de l'éditeur
français « [donnerait] de grandes perspectives au 'cartoon' national, puisque de nombreux
contacts pourront être maintenus avec le principal éditeur de bandes dessinées de France et
d'Europe en faveur de l'arrivée du savoir-faire humoristique brésilien sur le marché
mondial589 ». Le même ton élogieux parsemait les colonnes des périodiques Jornal de
Piracicaba et O Diário. Ce dernier annonça plein d’espoir l'organisation du deuxième salon
dans un article daté du 18 juin 1975 :
« Le 24 août prochain, le principal événement parallèle à l'exposition de dessins
d'humour sera une conférence de l'important éditeur français, M. Claude Moliterni,
dont la présence à Piracicaba devra attirer dans notre ville de grands noms de
587 Lettre de Rogério Otávio Basílio Viana au Service des relations publiques de la ville de Montréal, Piracicaba,
08/07/1975, archives du CEDHU, « Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
588 Lettre de Luis Antônio Fagundes au Département de journalisme de la TV Globo, Piracicaba, 14/08/1975,
archives du CEDHU, « Correspondance 1975 – Lettres envoyées ».
589 Tribuna Piracicabana, 12/06/1975, archives du CEDHU, « Revue de presse 1975 ».
308
l'humour national, qui viendront maintenir des contacts pour l'édition de leurs
dessins à l'étranger590. »
Les perspectives supposées d'insertion dans le marché européen de travaux brésiliens,
associées à la venue de Moliterni, étaient présentées comme l'atout principal de l'événement
censé attirer les dessinateurs du pays entier. Les périodiques insistèrent sur les échanges de
compétences et les circulations de savoirs entre Zélio Alves Pinto et Rinaldo Traini, l'un des
organisateurs du salon de la bande dessinée de Lucques en Italie venu en mars 1975 à
Piracicaba. La Tribuna Piracicabana présenta Traini comme un gage de qualité et
d'innovation, proposant une comparaison entre l'édition de 1975 et celle de l’année précédente
dans un article intitulé « Cette année, plus intéressant » :
« Rinaldo Traini a ramené directement de son pays son bagage d'expériences
relatives aux salons d'humour en Italie et en France, afin qu'elles soient agrégées au
Salon d'humour de Piracicaba. Tout indique que cette année la seconde exposition
de dessins d'humour comptera sur une organisation plus importante, à la beauté et
au gabarit sans pareil591. »
La Folha de São Paulo précisa plus succinctement le 10 juillet 1975 au sujet de
Moliterni que « la DMT [Direction municipale du tourisme] de Piracicaba avait décidé de
donner un caractère plus professionnel à l'organisation de son second salon, d'où l'invitation
faite à l'éditeur français592. » Le prestige de la maison d'édition Dargaud et la renommée de son
directeur conduisirent même la Direction centrale des étudiants de l'Université Mackenzie à
publier dans son journal Análise un papier appelant à participer au salon de Piracicaba.
L'article daté du mois d'août 1975 avait pourtant un ton amer et regrettait le manque de soutien
provoquant l'impossibilité de donner suite à l'expérience pionnière de 1973. Estimant que le
salon de Piracicaba était en fait un ingrat héritier du salon Mackenzie, le texte en faisait tout de
même la promotion :
590 O Diário, 18/06/1975, archives du CEDHU, « Revue de presse 1975 ».
591 « Este ano, mais interessante » in Tribuna Piracicabana, 05/07/1975, archives du CEDHU, « Revue de
presse 1975 ».
592 Folha de São Paulo, 10/07/1975, archives du CEDHU, « Revue de presse 1975 ».
309
« Les prix sont très bons, 23 000 Cruzeiros, et en plus ils vont faire venir le
directeur de l'une des plus grandes maisons d'édition d'Europe, Claude Moliterni,
pour tenir une conférence. Il amènera des originaux de divers artistes, parmi eux
Uderzo (Asterix), et 400 diapositives pour illustrer sa prise de parole. La conférence
aura lieu le 24 août à Piracicaba593. »
Enfin, O Estado de São Paulo analysait déjà le 26 août 1975 certaines retombées
positives pour les dessinateurs brésiliens et liées à la présence de l'éditeur français :
« Bien que l'exposition se poursuive jusqu'au 6 septembre, les résultats du salon
commencent déjà à se faire sentir. Claude Moliterni, éditeur de certaines des plus
importantes publications européennes du genre, a annoncé la formalisation
d'accords avec des artistes nationaux qui apparaîtront régulièrement dans les pages
de Pilote, l'une des revues qu'il édite594. »
L'une des conséquences positives de ce premier épisode international à Piracicaba fut
certainement la diffusion d'informations au sujet du salon en France, par le biais d'une
interview publiée dans le périodique Phénix en décembre 1975. Le titre fondé en 1966 par
Moliterni et la Société civile d’études et de recherche des littératures dessinées était dirigé en
1974 par Robert Cottereau et comptait parmi ses rédacteurs l'historien Pierre Couperie, figure
pionnière de l'étude scientifique de la bande dessinée en France. Dans le dossier intitulé « Le
deuxième salon de l'humour de Piracicaba595 », les rédacteurs de Phénix interrogèrent
Moliterni au sujet de son voyage au Brésil, de la localisation de la ville de Piracicaba, de
l'organisation du salon, des réactions du public et des contacts entretenus à São Paulo par
l'éditeur. Ce dernier expliqua le déroulement du concours de dessins, l'organisation et la
réception de son exposition, confirmant la médiatisation intense de son passage. L'une de ses
réponses illustre tout le paradoxe pour le salon du passage présenté comme nécessaire à la
dimension internationale, afin d'ouvrir les yeux des Brésiliens eux-mêmes sur la valeur du
travail des artistes nationaux :
593 Análise, 08/1975, archives du CEDHU, « Revue de presse 1975 ».
594 O Estado de São Paulo, 26/08/1975, archives du CEDHU, « Revue de presse 1975 ».
595 Claude MOLITERNI, « Le deuxième salon de l'humour de Piracicaba » in Phénix, n°43, 12/1975, p. 3-6.
310
« PH. : Y a-t-il un avenir pour la bande dessinée brésilienne dans les prochaines
années ?
C.M. : Je crois que les Brésiliens veulent s'affirmer et ce deuxième Salon de
Piracicaba le prouve, les talents ne manquent pas. Il faut convaincre les éditeurs que
tout change... et qu'ils ont intérêt à publier les œuvres brésiliennes car elles sont
bien plus percutantes que toutes ces vieilles séries publiées et republiées depuis des
années... Il faut reconnaître que la presse et la TV nous ont largement appuyés...
Pour ma part, j'ai fait plus de 90 minutes d'antenne et les articles de trois et quatre
colonnes dans la presse, on ne les compte plus. Ainsi, je crois que le Brésil prend
conscience qu'il existe des artistes brésiliens 596. »
Il semblerait que les prises de parole de Moliterni au sujet du salon de l'humour de
Piracicaba aient contribué à cette prise de conscience. Cette logique de valorisation et de
publicité autour de l'événement grâce à la venue de célèbres personnalités du monde du dessin
d'humour et de l'édition se poursuivit l'année suivante, lors du troisième salon. Signalons
également que le troisième tome des aventures du personnage Harry Chase, écrites par
Moliterni et mises en images par Walter Fahrer, parut en 1980 sous le titre « Piracicaba mon
amour597 ». Malgré la reproduction d'une vision fantasque et exotique d'un Brésil imaginé dans
la bande dessinée, la publication de cette dernière attesta bel et bien l'existence d'un
mouvement pendulaire d'influences réciproques entre Moliterni et le salon de l'humour
brésilien.
En 1976, les dessinateurs Geoffrey Dickinson, de la revue satirique londonienne
Punch, et Sérgio Aragones, travaillant au sein du magazine satirique nord-américain Mad,
furent invités à participer au jury du salon aux côtés du dessinateur argentin Hermenegildo
Sabát, de l'éditrice brésilienne Sonia Hirsch Duncan et du journaliste brésilien Mino Carta.
Une grande exposition de dessins issus des célèbres publications anglo-saxonnes fut également
organisée en parallèle du salon. De nombreux courriers furent échangés en vue d'organiser la
venue de Dickinson ainsi que le transport des dessins de Punch depuis l'Angleterre. Le 20
février 1976, l’artiste britannique adressa à Luiz Antônio Fagundes une lettre à en-tête de la
revue satirique indiquant qu'il acceptait l'invitation à Piracicaba et manifestant son
enthousiasme à l'idée d'y exposer ses dessins : « Merci pour votre invitation que je serai très
heureux d'accepter et j'attends de recevoir les détails et toutes les informations pertinentes à
596 Claude MOLITERNI, « Le deuxième salon de l'humour de Piracicaba » in Phénix, n°43, 12/1975, p. 6.
597 Claude MOLITERNI, Walter FAHRER, Harry Chase. T3 Piracicaba mon amour, Paris, Dargaud-Aventures, 1980.
311
propos de l'exposition d'humour598. » Le 6 mai 1976, Fagundes remercia le dessinateur
londonien d'avoir accepté son invitation et lui précisa qu'il était dans l'attente d'un courrier
émanant de la direction de Punch au sujet des possibilités d'envoi de dessins, de couvertures
originales et de réimpressions599. Cette question fut de nouveau abordée le 14 juin par le
président du département municipal du tourisme de Piracicaba, qui s’adressait à Décio Santos
Ribeiro de la VARIG pour lui conseiller de prendre contact avec la revue britannique afin
d'être informé des conditions d'envoi de cinquante dessins par avion 600. Le courrier précisa que
la municipalité effectuerait le paiement du transport des œuvres, dévoilant une autre modalité
du soutien financier apporté par la ville au Salon de l’humour. Fagundes fit part le 5 juillet
1976 à Punch de certains détails au sujet de l'organisation pratique de l'exposition des dessins :
« Nous pensons que le nombre idéal de dessins de Punch que nous pourrons
exposer au Salon sera de cinquante. Ils seront protégés par une vitre en verre et
vous seront rendus le 15 septembre. Nous aimerions vous informer du fait que la
VARIG (Compagnie aérienne brésilienne) sera en charge du transport Londres –
Piracicaba – Londres. Nous souhaiterions connaître la valeur des dessins, pour des
questions d'assurance.
Merci de nous envoyer des photos des travaux qui seront exposés, le nom et la
biographie des artistes ainsi que quelques données au sujet de Punch601. »
Quelques jours plus tard, le même Fagundes écrivit de nouveau un courrier au service
des opérations de change de l'agence de la Banque centrale du Brésil 602 afin d'obtenir
l’autorisation de paiement à la compagnie aérienne de quinze mille six cent trente-huit
cruzeiros et quarante centimes, soit mille quatre cent quarante-huit dollars, somme
correspondant au prix du billet de Geoffrey Dickinson. À titre de comparaison, l'autorisation
de paiement pour le billet d'avion du dessinateur argentin Hermenegildo Sabát demandée par
598 Lettre de Geoffrey Dickinson à Luis Antônio Fagundes, Londres, 20/02/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres reçues ».
599 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Geoffrey Dickinson, Piracicaba, 06/05/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
600 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Décio Santos Ribeiro de la VARIG, Piracicaba, 14/06/1976, archives du
CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
601 Lettre de Luis Antônio Fagundes à A.V.Caudery, Piracicaba, 05/07/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
602 Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service des opérations de change de la Banque centrale du Brésil,
Piracicaba, 19/07/1976, archives du CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
312
Fagundes à la Banque centrale du Brésil le 20 juillet 1976 603 s'élevait à deux mille sept cent
quatre-vingt-six cruzeiros et quarante centimes, soit deux cent cinquante-huit dollars. S'il est
évident qu'un trajet entre l'Argentine et le Brésil était bien moins onéreux qu'un vol depuis
l'Angleterre, cet écart important attestait la part colossale prise par la venue de Dickinson dans
le budget global de l'événement. Notons que Sabát ne fut le destinataire que d'une seule lettre
envoyée le 22 juillet 1976 par Fagundes pour confirmer son invitation à participer au jury et
connaître son jour d'arrivée604. En revanche, les préparatifs liés à la venue de Sérgio Aragones
depuis New York ne sont pas du tout documentés dans la correspondance.
Dès le mois de mars 1976, le Département municipal de tourisme émit un document de
présentation de la troisième édition organisée du 21 août au 5 septembre, définissant en ces
termes la valeur ajoutée de l'événement :
« […] le IIIème Salon d'humour de Piracicaba présentera, en plus des travaux en
compétition, l'exposition de dessins célèbres d'artistes étrangers. Nous attendons la
présence de Sergio Dragones, de Mad Magazine de New York, et de Mr Goppey
[sic] Dickinson de Punch Magazine de Londres. Seront également présents, comme
lors des années précédentes, les célèbres dessinateurs brésiliens Zélio, Ziraldo,
Jaguar, Fortuna, Millor Fernandes, Hilde et Ciça, qui auront une section spéciale
dans le salon. […] Les passionnés d'humour trouveront des travaux d'un haut niveau
au salon de Piracicaba, qui ont notamment été loués dans des revues spécialisées en
France605. »
Un autre document préparatoire émis par le secteur du tourisme précisait en juillet
1976 que l'objectif du salon était de « réunir, dans l'hémisphère sud, pour la première fois, ce
qu'il existe de plus expressif en matière d'art du dessin d'humour ». Dès lors, cette ambition
justifiait la présence de Aragones et Dickinson à Piracicaba :
« C'est y compris pour cette raison que les promoteurs du salon invitèrent à
participer au jury de cette année les professionnels Sergio Aragones, de la revue
nord-américaine Mad, et Geoffrey Dickinson, éditeur d'humour de la revue Punch,
603 Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service des opérations de change de la Banque centrale du Brésil,
Piracicaba, 20/07/1976, archives du CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
604 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Hermenegildo Sabát, Piracicaba, 22/07/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
605 Département municipal du tourisme, Piracicaba, 05/03/1976, archives du CEDHU, « 1976 ».
313
de Londres. Simultanément, sera présentée au public une exposition d'humour de
Mad et Punch, réunissant en un seul endroit les deux expressions majeures du
dessin d'humour de deux des plus importants centres culturels et intellectuels de
l'actualité606. »
Tous les documents de travail relatant les étapes de la préparation du salon prouvent
une nécessité croissante de bilinguisme dans l'impression des programmes et des informations
relatives à l'événement, ainsi que l’indispensable présence d'interprètes. Le bien-être des
invités internationaux fut sérieusement pris en compte à travers le choix des restaurants et des
lieux du salon, du calendrier des activités proposées et de leur séjour dans la ville. Pour la
première fois depuis la création du salon, les organisateurs invitèrent des personnalités
politiques de premier plan à participer au cocktail d'inauguration, dépassant ainsi le cadre local
et municipal. Le 2 août 1976, Luis Antônio Lopes Fagundes convia Ney Braga, alors Ministre
de l’Éducation du gouvernement Geisel, à participer au cocktail d'inauguration prévu le 21
août607. Un courrier fut également envoyé au maire de la ville de São Paulo Olavo Egydio
Setubal608, ainsi qu'au directeur du Département de Culture, Science et Technologie de l’État
de São Paulo, Max Pfeffer609. Si les archives attestent seulement de la venue de ce dernier à
l'ouverture du salon, ces invitations témoignent cependant de la légitimité progressive acquise
par le salon – que l'on peut aisément associer à la célébrité d’illustres dessinateurs étrangers –
ainsi que du caractère tout à fait officiel de son organisation.
Les termes particulièrement élogieux à l'égard des invités anglo-saxons furent repris
par la presse locale qui fit largement la promotion de l'événement. Le Diário da Noite publia le
18 juin 1976 l’article intitulé « Aragones au Brésil. Et que vive Mad ! » qui se réjouissait de la
venue de l'un des « plus grands dessinateurs du monde610». La double page rédigée par Jerry de
Fuccio, éditeur associé de la célèbre publication nord-américaine, retraçait la biographie de
l'artiste né en Espagne, le type d’humour et le parcours professionnel de celui qui intégra en
1962 la rédaction de Mad. Le 19 août 1976, le périodique Última Hora publia un article dont
606 Département municipal du tourisme, Piracicaba, 07/1976, archives du CEDHU, « 1976 ».
607 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Ney Braga, Piracicaba, 02/08/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
608 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Olavo Egydio Setubal, Piracicaba, 02/08/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
609 Lettre de Luis Antônio Fagundes à Max Pfeffer, Piracicaba, 21/06/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
610 « Aragones no Brasil. E que viva Mad ! » in Diário da Noite, 18/06/1976, archives du CEDHU, « Revue de
presse 1976 ».
314
le titre faisait de l’ombre à tous les autres membres du jury : « Le dessinateur de Mad est venu
pour être juré611 ». Aucune mention n'était faite des quatre autres jurés : Geoffrey Dickinson,
Hermenegildo Sabat, Sonia Hirsch et Mino Carta.
La liste des cent deux dessinateurs sélectionnés pour participer à la compétition du
troisième salon de Piracicaba indiquait la présence exclusive de brésiliens, à l’exception de
l'argentin Oscar Grillo, installé à Londres depuis 1971. Les participants venaient des quatre
coins du Brésil : São Paulo, Rio de Janeiro, Porto Alegre, Fortaleza, Belém ou João Pessoa. Le
règlement stipulait que les travaux devaient être remis en mains propres ou par courrier au
secrétariat de l'événement à Piracicaba, ou uniquement en mains propres au sein de l'une des
succursales de l'entreprise d'équipement électroniques SHARP à Belém, Belo Horizonte,
Brasília, Campinas, Curitiba, Fortaleza, Porto Alegre, Recife, Rio de Janeiro, Salvador, São
Paulo et Vitoria. Les possibilités de participation de dessinateurs basés à l'étranger étaient donc
de fait fortement limitées. Le dimanche 22 août 1976, une table ronde fut organisée dans la
salle de réunion de l’hôtel Beira Rio Palace autour de la thématique « Le marché du travail
interne et externe612 », regroupant ainsi les préoccupations des dessinateurs brésiliens et
étrangers et abordant les perspectives d'emploi de manière comparée. Le même jour, le
rédacteur, reporter et président du syndicat des journalistes Audálio Dantas anima une
conférence sur « La professionnalisation de l'artiste de dessin de presse et de bande dessinée »
afin d'informer et de débattre à propos des évolutions du statut des dessinateurs. À l'issue de la
compétition, le jury décida d'attribuer le premier prix d'une valeur de soixante-dix mille
cruzeiros au dessinateur brésilien Chico Caruso. Luiz Antônio Solda, Marcos Coelho
Benjamin et Alcy Linares Deamo furent également lauréats et Oscar Grillo remporta le dernier
prix.
Ainsi, il semblerait que la présence dans le jury des célèbres dessinateurs Geoffrey
Dickinson et Sérgio Aragonés ait contribué à faire connaître le salon de l'humour de
Piracicaba, lui
conférant un grand prestige auprès des artistes brésiliens eux-mêmes.
Cependant, il est possible que cette présence ait limité la participation de certains invités
latino-américains, comme en témoigna une lettre écrite le 5 août 1976 par le dessinateur
611 Última hora, 19/08/1976, archives du CEDHU, « Revue de presse 1976 ».
612 « III SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1976, archives du
CEDHU, « 1976 ».
315
argentin Tabaré dans laquelle il regrettait de n'avoir reçu l'invitation que bien trop
tardivement613.
FIG 88 : Lettre manuscrite de Tabaré aux organisateurs du Salon de l’humour, Buenos
Aires, 05/08/1976, archives du CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres reçues »
L'affiche de la quatrième édition, organisée du 20 août au 4 septembre 1977, comporta
pour la première fois la mention significative « Salon international d'humour » afin de
souligner l’impact et le rayonnement de l’événement bien au-delà des frontières brésiliennes.
Paradoxalement, l'année 1977 marqua un tournant dans la définition de ce caractère
international : les organisateurs invitèrent et rendirent davantage hommage aux dessinateurs
latino-américains dans une logique d'affranchissement progressif du dessin d’humour vis-à-vis
des grandes célébrités européennes et anglo-saxonnes.
613 Lettre manuscrite de Tabaré aux organisateurs du Salon de l’humour, Buenos Aires, 05/08/1976, archives du
CEDHU, « Correspondance 1976 – Lettres reçues ».
316
FIG 89 : Geraldo, affiche du 4ème Salon international de l’humour de Piracicaba,
1977, archives du CEDHU
b) Convergences et circulations du dessin d'humour politique sur le continent
latinoaméricain
La seconde moitié des années 1970 fut caractérisée par l'instauration progressive en
Amérique latine de régimes d'exception s'attachant notamment à limiter les pratiques et les
circulations intellectuelles et artistiques. Le principal vecteur de diffusion des dessins
d’humour politique était la presse indépendante, largement censurée, et l’une des innovations
du Salon de l'humour de Piracicaba fut la création d’un nouveau canal légal d'échanges et de
rencontres entre les dessinateurs brésiliens et leurs confrères latino-américains. Un échange de
lettres entre Fagundes et l'ambassadeur du Brésil au Salvador démontre par exemple
l'utilisation des services postaux diplomatiques pour organiser la diffusion des dessins du salon
317
à l'étranger. Le 29 janvier 1976, le diplomate en poste dans la ville de San Salvador adressa au
département du tourisme de Piracicaba le bref courrier suivant :
« Monsieur le directeur,
Désirant présenter à El Salvador une exposition d'humoristes brésiliens, je vous
remercierais beaucoup si vous pouviez envoyer à cette mission diplomatique les
œuvres présentées lors du dernier salon d'humour brésilien de cette ville ou alors me
donner accès aux adresses des humoristes ayant participé à cette exposition 614. »
Le 17 mars de la même année, Fagundes adressait sa réponse à l'ambassadeur du
Brésil :
« Étant donné le fait que nous préparons une exposition des œuvres primées lors du
dernier salon de l'humour de Piracicaba dans notre ville, pour le mois d'août
prochain, nous n'envoyons pas le matériel que vous avez sollicité. Nous joignons à
ce courrier une liste des noms et adresses des meilleurs dessinateurs brésiliens qui
participèrent à nos précédents salons, pour vos contacts. En outre, nous vous
informons qu'après la réalisation de notre exposition, nous enverrons les travaux
sollicités dans votre lettre.
Sans rien ajouter pour le moment, nous vous remercions pour votre intérêt et votre
volonté de diffuser le travail que les artistes brésiliens développent dans le champ
des arts plastiques, et plus particulièrement dans le secteur humoristique 615. »
Le directeur du département du tourisme de Piracicaba ne pouvait effectivement que se
réjouir d'une telle initiative permettant de promouvoir le salon à l'étranger et d'attirer les
dessinateurs salvadoriens intéressés par le concours. L'utilisation de la valise diplomatique,
protégée par l'immunité et l'inviolabilité, pour l'échange de courriers et l'envoi au Salvador à la
fin de l’année 1976 des travaux lauréats en 1975 apparut comme un moyen original et sûr de
contourner les entraves à la circulation des dessins dans l'espace artistique latino-américain.
614 Lettre de R.B. Denys à la Direction municipale du tourisme, San Salvador, 29/01/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres reçues ».
615 Lettre de Luis Antônio Fagundes à R.B. Denys, Piracicaba, 17/03/1976, archives du CEDHU,
« Correspondance 1976 – Lettres envoyées ».
318
En ce sens, le journal Tribuna da Imprensa témoigna le 26 août 1977 d’un changement
d'orientation majeur opéré par les organisateurs du salon concernant les personnalités invitées
à partir de la quatrième édition :
« Cette année, pas seulement pour des raisons économiques, la présence des
grandes vedettes étrangères qui animèrent beaucoup les salons antérieurs, mais
contribuèrent peu à ces derniers (Claude Moliterni, Sérgio Aragones, Geoffrey
Dickinson) fut évitée. De cette manière, la préoccupation presque colonisée de
vouloir obtenir pour le salon l'approbation de nord-américains et d'européens fut
dispensée. Les deux artistes étrangers présents cette année furent les dessinateurs
argentins Fontanarrosa et Crist, qui sont venus par leurs propres moyens, invités par
la revue Boca de São Paulo616. »
L'article établit une sorte de bilan des premières éditions, regrettant un certain
amateurisme des organisateurs et déplorant le manque de considération pour les deux invités :
« Fontanarrosa et Crist ont du crier devant un petit public, à l'endroit même de
l'exposition, pour s'exprimer à propos de la situation des humoristes graphiques en
Argentine et des solutions trouvées pour résoudre leurs problèmes, qui sont très
similaires aux nôtres. Rien n'a été enregistré, rien n'a été noté, on a très peu
écouté617. »
Malgré les failles relevées par le périodique, la présence à Piracicaba en 1977 des deux
jeunes dessinateurs argentins, déjà connus pour leurs travaux satiriques et leur humour
corrosif, était remarquable. Un an seulement après l'arrivée au pouvoir en Argentine d'une
junte militaire dirigée par le général Jorge Rafael Videla, les artistes voyagèrent à leurs frais
pour s'exprimer à propos de leurs propres conditions de travail devant le public brésilien.
Cristóbal Reinoso, né en 1946 à Santa Fe, et Roberto Fontanarrosa, né en 1944 à Rosario,
avaient collaboré à la revue humoristique Hortensia, à la publication Satiricón censurée et
fermée en mars 1976, à Chaupinela... et participèrent tous deux par la suite au projet de la
célèbre revue Humor, lancée en 1978 à Buenos Aires. Fontanarrosa, surnommé El Negro, était
également le créateur de personnages de bandes dessinées particulièrement populaires en
616 Tribuna da Imprensa, 26/08/1977, archives du CEDHU, « Revue de presse 1976 ».
617 Idem.
319
Argentine, parmi lesquels Boogie el Aceitoso. Malgré le manque d’organisation lors de la
conférence des deux dessinateurs argentins, leur présence au Salon de Piracicaba et les
thématiques soulevées traduisirent une prise de conscience de problématiques similaires et de
difficultés communes pour les artistes graphiques et humoristes de part et d'autre du Rio de la
Plata. L'organisation de cette conférence s'inséra dans un mouvement circulatoire de partage
d'expériences à l'échelle régionale en opposition à la logique « presque colonisée »
diagnostiquée par la Tribuna da Imprensa au cours des deux éditions antérieures. Si en 1977 le
jury final du salon était composé uniquement de brésiliens, parmi lesquels Audálio Dantas,
Henfil, Jaguar et Borjalo, la commission de sélection préalable comprenait Fortuna, Chico
Caruso, Pedrinho de Oliveira, Walbercy Ribas Camargo et l'artiste plastique argentin Jorge
Benedetti.
Les compte-rendus des éditions nous permirent également de mesurer l'ouverture de
l'événement aux dessinateurs latino-américains et de nuancer certaines évolutions annoncées
par les documents promotionnels. Parmi les cinquante candidats sélectionnés pour le Prix du
dessin de presse de 1978 figuraient le finlandais Kimmo Rompotti, l'espagnol Humberto de la
Torre Quevedo, l'argentin Marcelo Lawryczenko, le salvadorien José Bernardo Pacheco, le
colombien Wilfrido Ramirez et le portugais Antonio Moreira Antunes. Signalons que le
périodique colombien El Tiempo publia en juillet 1978 un article faisant la promotion du salon
de Piracicaba et invitant les artistes à y participer618.
Au cours des mois de mars et avril 1978, plusieurs titres de la presse locale avaient
annoncé la venue de l'argentin Quino, père de la célèbre Mafalda 619. Le règlement de la
cinquième édition, non daté, précisait sa venue « en tant qu'invité spécial du 5ème salon qui
aura lieu du 19 août au 4 septembre620 ». Le Jornal de Piracicaba indiqua même le 23 mai
1978 que sa présence était « confirmée621 » avant de revenir sur ces propos un mois plus tard,
annonçant la venue de Millôr Fernandes aux côtés d'un autre dessinateur étranger, sans
toutefois en préciser l'identité. L'article622 reproduisit les propos du coordinateur de l'action
culturelle Alceu Marozzi Righetto et son analyse des difficultés budgétaires internes à la
618 El Tiempo, 21/07/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse 1978 ».
619 Citons notamment : Jornal de Piracicaba, 12/03/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse 1978 » ; O
Diário, 22/03/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse 1978 » ; Folha da Tarde, 27/04/1978, archives
du CEDHU, « Revue de presse 1978 ».
620 « Piracicaba e o Salão Internacional de Humor – V Salão Internacional de Humor de Piracicaba », Piracicaba,
1978, archives du CEDHU, « 1978 ».
621 Jornal de Piracicaba, 23/05/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse 1978 ».
622 Jornal de Piracicaba, 23/06/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse 1978 ».
320
municipalité ayant notamment eu pour conséquence le retard de versement des financements
destinés à l'organisation du salon et l'annulation de certaines invitations. Finalement ouvert le
19 août 1978, le cinquième salon de l'humour de Piracicaba récompensa cinq dessinateurs
brésiliens, Luiz Osvaldo Rodrigues, dit LOR, Francisco Juska Filho, Glauco Villas Boas,
Fausto Guilherme Longe et Josanildo Dias de Lacerda, ainsi que l’argentin Crist venu au salon
l'année précédente en compagnie de Roberto Fontanarrosa.
En 1979, des artistes nationaux remportèrent les douze prix décernés par le jury alors
que le rapport des activités du huitième salon623, organisé du 15 août au 7 septembre 1981, se
félicita de la diversité des origines géographiques des participants et du nombre important de
visiteurs. Le compte-rendu de l’année suivante624 précisa pour la première fois que neuf
dessins avaient été envoyés depuis l'étranger, soulignant une proportion relativement faible au
regard du nombre total de travaux inscrits : huit cent vingt. Cela dit, il est fort probable que
certains artistes étrangers aient envoyé leurs travaux depuis le territoire brésilien puisque le
document précisait ensuite la participation de quatre argentins, trois colombiens, un péruvien,
un costaricain, un guatémaltèque et un belge parmi les quatre-vingt-trois artistes sélectionnés
pour l'exposition. L'origine des participants étrangers en 1982 était donc presque
exclusivement latino-américaine.
Cette tendance générale à l'ouverture internationale dans une logique anti-impérialiste
fut confirmée par le rapport de l'année 1984 625 faisant état de la présence de douze étrangers
parmi les quatre-vingt-neuf dessinateurs sélectionnés – quatre argentins, cinq colombiens, un
costaricain, un péruvien et un yougoslave – ainsi que par un document de présentation de
l'édition de 1985 listant les sept objectifs majeurs de l'événement :
« 1- Valoriser les arts graphiques et le dessin d'humour au Brésil, en cherchant à lui
conférer le même niveau d'importance que les arts plastiques.
2- Promouvoir une rénovation dans le champ des arts graphiques, en permettant le
surgissement de nouveaux noms.
3- Rendre plus connu le travail d'artistes graphiques nationaux et étrangers à la
valeur reconnue.
623 « Relatório das atividades desenvolvidas na execução do VIII Salão internacional de Humor de Piracicaba e
na aplicação de recursos destinados a realização do Salão », Piracicaba, 1981, archives du CEDHU, « 1981 ».
624 « IX SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1982, archives du
CEDHU, « 1982 ».
625 « XI SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1984, archives du
CEDHU, « 1984 ».
321
4- Stimuler l'échange avec des artistes et des professionnels d'autres pays.
5- Promouvoir le débat et les discussions au sujet de la condition professionnelle du
dessinateur.
6- Établir un espace d'union et d'harmonie entre les artistes graphiques, pour une
meilleure reconnaissance de la classe.
7- Délocaliser dans une ville de province les manifestations culturelles qui
n'auraient leur place que dans l'axe Rio-São Paulo626. »
Notons l’importance de ce dernier point, explicitement formulé par les organisateurs du
Salon conscients de la nécessaire création d’un pôle artistique pérenne en marge de l’ « axe
Rio-São Paulo » afin de dynamiser la vie culturelle locale. Les troisième et quatrième points
insistaient sur la vocation émergente du salon à favoriser les échanges de pratiques, les
circulations d'expériences et de connaissances entre dessinateurs brésiliens et étrangers, a
fortiori latino-américains, à l’aube de la redémocratisation. Les enjeux du Salon présents en
filigrane depuis plusieurs années semblaient également largement s'orienter vers la
légitimation de l'humour graphique au sein des arts plastiques, la valorisation d'un statut
professionnel pour les artistes nationaux ainsi que la protection de la jeune création artistique
locale et régionale sur le marché du travail.
III. Le salon de l'humour face à la nécessaire valorisation du dessin brésilien
a) Protection et valorisation du patrimoine graphique brésilien : la Bande
dessinée nationale à Piracicaba
Le 20 juin 1977, le périodique indépendant Movimento fondé à São Paulo deux ans
plus tôt, publia le reportage « Opções e lutas do quadrinho nacional627 » (« Choix et luttes de la
bande dessinée nationale »). Quelques mois avant la tenue du quatrième Salon de Piracicaba,
le reporter José Antônio Silva y interviewait de célèbres dessinateurs brésiliens, tous
désormais familiers avec l’événement. Le long sous-titre annonça d’emblée le ton du reportage
: « Luis Gê, Angeli, Chico et Paulo Caruso, Jayme Leão et Fortuna discutent de la bande
626 « XII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1985, archives du
CEDHU, « 1985 ».
627 « Opções e lutas do quadrinho nacional » in Movimento, n°103, 20/06/1977, p. 14-17.
322
dessinée nationale. Situation et perspectives. La bataille contre les syndicates628. La
concurrence déloyale des bandes étrangères. Débat coordonné par le reporter José Antônio
Silva.629 » La publication de ces entretiens croisés s’inscrivait dans un contexte plus large de
réflexions à propos des difficultés vécues par les auteurs et dessinateurs brésiliens, notamment
face à la diffusion à grande échelle sur le marché éditorial brésilien de bandes dessinées
importées des États-Unis. Cette pénétration des dessins nord-américains caractérisa dans les
années 1930 la formation du marché de l'édition au Brésil et provoqua au cours des décennies
suivantes plusieurs initiatives de défense de la production nationale. En 1961, la Coopérative
d’édition et de travail de Porto Alegre (CETPA) fut créée dans le but de regrouper des artistes
originaires des États de Rio Grande do Sul, São Paulo et Rio de Janeiro, et de diffuser leur
production en bande dessinée. Dans un article centré sur les récits de vie et les parcours
d'anciens membres de la CETPA630, Ivan Lima Gomes montra en 2016 que si la majorité des
dessinateurs brésiliens furent influencés par la production graphique nord-américaine dans leur
enfance, ils cherchèrent au cours des entretiens menés par l'historien à valoriser leur volonté
d'affranchissement et leur parcours militant, tant la quête d'un espace dédié à la production
locale les avait marqués.
Le 23 septembre 1963, João Goulart promulgua le décret n°52.497 censé régir la
publication de bandes dessinées. Le président de la République d’alors invoqua des raisons
d’ordre commercial, moral et politique, motivées par « l'impérieuse nécessité de discipliner
l'exploitation desdites bandes dessinées », la crainte de subversion de « la bonne formation
morale et mentale de l'adolescence et de l'enfance » et surtout la volonté de « formation d'une
conscience historique nationale » mise en difficulté par l'arrivée massive de bandes dessinées
étrangères sur le territoire631. Le décret établit un pourcentage minimum et progressif de
dessins brésiliens dans la part totale des publications des maisons d'édition, voué à atteindre
les soixante pourcents au 1er janvier 1966 et tentait de résoudre l'épineuse question des critères
de définition des bandes dessinées nationales : « celles qui utilisent des thèmes brésiliens et
dont le dessin et la trame sont des créations originales d'artistes brésiliens ou d'étrangers
628 Le terme syndicate, en anglais dans le texte, désignait les maisons d'édition nord-américaines implantées à
l'étranger, et notamment au Brésil, dans le but de négocier des conditions financières intéressantes et de
diffuser la production de bandes dessinées originaires des États-Unis dans le pays en question, souvent à un
prix inférieur à celui du marché.
629 « Opções e lutas do quadrinho nacional » in Movimento, n°103, 20/06/1977, p. 14.
630 Ivan GOMES LIMA, « Memórias e sociabilidades em torno dos quadrinhos no Brasil dos anos 1960 » in
História Oral, vol. 19, n°2, juil.-déc. 2016, p. 49-67.
631 João GOULART, Décret n°52.497, 23/09/1963, Brasília, Présidence de la République.
323
établis au Brésil », mais également celles traitant de « thèmes historiques, culturels, religieux
ou scientifiques, du moment que le dessin et la trame, ou l'adaptation, soient de l'autorité
d'artistes brésiliens ou étrangers établis au Brésil ». Il nous semble difficile de mesurer
l'application de ce décret mis à mal par l'instauration du régime militaire en 1964 et la censure
imposée aux moyens de communication, mais également par la réaction de nombreuses
maisons d'édition brésiliennes qui demandèrent la suspension du décret devant le Tribunal
suprême fédéral (STF), inquiètes de cette volonté de l’État de contrôler le marché éditorial.
Certaines préoccupations ayant motivé la promulgation du texte étaient cependant
partagées par la profession et bon nombre d'expériences éditoriales inscrites dans des objectifs
similaires virent le jour au début des années 1970. La revue Balão lancée en novembre 1972
par un groupe d'étudiants de l'Université de São Paulo, s'opposa au conformisme éditorial en
publiant les expérimentations graphiques innovantes d'artistes locaux. La revue compta
notamment à cette époque dans ses rangs les jeunes artistes Laerte et Luiz Gê. Henfil dirigea
entre 1973 et 1980 la revue Fradim, dédiée à la publication des aventures de ses personnages
de bandes dessinées par ailleurs publiés dans de nombreux périodiques : le duo contrasté des
Fradins et la troupe de la caatinga. En 1974, la grande maison d'édition Abril lança à São
Paulo la revue Crás ! qui accordait un espace prépondérant aux dessinateurs brésiliens et
l'année suivante naquit à Rio de Janeiro O Bicho, à l'initiative de la maison d'édition
indépendante Codecri qui adopta une posture de défense de la création graphique nationale :
« Éditée de 1975 à 1976, la revue O Bicho, idéalisée par le dessinateur Fortuna,
peut être considérée comme une 'publication de bande dessinée alternative'
puisqu'elle était le fruit d'une petite maison d'édition et se positionnait en faveur de
la bande dessinée brésilienne – elle arborait sur la majorité des couvertures
l'étiquette 'Dessins de presse et bandes dessinées non mis en conserve', allusion
claire aux bandes dessinées nord-américaines qui arrivaient au pays quasiment
prêtes pour être imprimées et possédaient une structure narrative qui se répétait
ainsi que des styles artistiques facilement reconnaissables 632. »
Les organisateurs du salon de l'humour de Piracicaba furent dès 1974 et durant toute la
seconde moitié des années 1970 imprégnés par ces réflexions et ces initiatives animant le
632 Roberto Elísio dos SANTOS, Waldomiro VERGUEIRO, « Revistas alternativas de quadrinhos no Brasil na década
de 1970 : uma análise de O Bicho » in Revista Latinoamericana de Ciencias de la Comunicación, n°12,
janv.-juin 2010, p. 26.
324
monde des dessinateurs professionnels au Brésil, mobilisés pour conquérir et affirmer un
espace dédié aux productions nationales sur le marché éditorial.
Le reportage publié en 1977 par Movimento posait la question des pistes à suivre par
les dessinateurs pour remédier à la dévalorisation de leur travail : « Il semble que la grande
impasse de la bande dessinée brésilienne, et même des bandes quotidiennes, soit la
concurrence du matériel étranger, particulièrement américain, qui coûte moins cher aux
journaux et revues et arrive déjà prêt à l'emploi. Qu'est-ce qui est fait pour changer cette
situation ?633 ». Les artistes interrogés formulaient en outre le constat de la difficile adaptabilité
des dessins nord-américains à la réalité du lectorat brésilien. En ce sens, Jayme Leão, auteur
de l'affiche de la cinquième édition du salon, affirma la volonté des organisateurs d'utiliser à
partir de 1977 les fonds alloués pour faire venir uniquement des dessinateurs locaux : « Le
salon de Piracicaba va adopter ce critère. Il n'y aura plus de célèbres invités étrangers, le
budget sera utilisé pour faire venir des brésiliens. Des gens qui sont ici, qui ont des choses à
dire, qui affrontent la bataille du quotidien. Il y a beaucoup de gens qui veulent les écouter 634. »
Le dessinateur pauliste Chico Caruso poursuivait en évoquant les objectifs de la toute récente
Association graphique d'artistes et photographes (AGRAF) créée à Piracicaba lors du
troisième Salon, insistant sur la nécessaire valorisation du patrimoine en cours de constitution
et « le projet de réaliser un relevé de la mémoire graphique nationale, qui inclurait tous les
travaux significatifs dans la presse, les couvertures de disques, les livres, les affiches635. »
Dès 1976, le programme des activités parallèles organisées dans le cadre de
l'événement coïncida avec les préoccupations grandissantes exprimées par les artistes au sein
du reportage de Movimento paru un an plus tard. Le dimanche 22 août 1976, le salle de
réunions de l'hôtel Beira-Rio Palace accueillit une table ronde consacrée à l'analyse du marché
du travail au Brésil et à l'étranger. Audálio Dantas, président du syndicat des journalistes
professionnels de l’État de São Paulo entre 1975 et 1978, coordonna le débat sur la
professionnalisation croissante des dessinateurs636. L'AGRAF créée en 1976 organisa sa
deuxième rencontre l'année suivante, à l'occasion de la quatrième édition du salon d'humour de
Piracicaba qui vit également les artistes brésiliens Antônio Nássara, Luis Sá et Miécio Caffé,
célèbres représentants de la génération antérieure de dessinateurs, présenter les « Mémoires
633 « Opções e lutas do quadrinho nacional » in Movimento, n°103, 20/06/1977, p. 14.
634« Opções e lutas do quadrinho nacional » in Movimento, n°103, 20/06/1977, p. 16.
635 Idem.
636 « Programa oficial », Piracicaba, 1976, archives du CEDHU, « 1976 ».
325
graphiques brésiliennes637 ». Henfil fut l'invité spécial en 1977. L'année suivante, Zélio Alves
Pinto
présentait
une
conférence
sur
« Le
graphiste
brésilien
et
la
relation
colonisateur/colonisé638 », empruntant de nouveau à la rhétorique de l'impérialisme dans le
champ culturel et artistique. Le salon de Piracicaba de 1978 fut marqué par la volonté de
renforcer le marché pauliste de la charge et de la bande dessinée en encourageant les auteurs
originaires de la région. En ce sens, le périodique Jornal do Povo consacra le 13 août 1978 un
reportage639 aux parcours professionnels et personnels de trois dessinateurs locaux dont les
travaux avaient été sélectionnés par le jury : Bonifácio Placeres Junir, dit « Peninha », Fausto
Guilherme Longo et Gilson Luiz Hipolyto, dit « Gil ».
Poursuivant ce travail de conscientisation et de valorisation du riche patrimoine
graphique brésilien en 1979, le Salon accueillit d'une part une rétrospective de la bande
dessinée nationale composée d'un ensemble de dessins rassemblés et prêtés par l'AGRAF pour
l'occasion640, d'autre part l'exposition « Cinq années d'humour » consacrée aux travaux primés
lors des cinq éditions précédentes et finalement un ensemble de dessins issus de la presse
syndicale de la région pauliste. Notons que la même année, les travaux de Saul Steinberg,
célèbre figure artistique responsable des couvertures du New Yorker et grande référence pour
de nombreux dessinateurs brésiliens, faisaient également l'objet d'une exposition inédite dans
le pays. Le jour de l'ouverture en 1980, les lancements d'ouvrages des caricaturistes brésiliens
Fortuna et Arlindo Rodrigues, dit Géandré, furent organisés à l'occasion de l'inauguration du
marché des livres d'humour au théâtre municipal. Un débat fut également organisé autour de la
thématique des caractéristiques du marché du travail et des perspectives offertes aux
dessinateurs, cette fois articulées autour du contexte de la récente et progressive ouverture
politique641. Quelques jours plus tard, Henfil dévoilait à Piracicaba son nouvel ouvrage intitulé
Henfil na China642. Le dessinateur signa lui-même les cartons d'invitation diffusés pour
l'occasion : Graúna, entourée des autres personnages fétiches d’Henfil, se retournait quelque
peu circonspecte vers le lecteur. Henfil allia les éléments graphiques et le titre à l’ironie
mordante pour une invitation : « Si tu ne viens pas, je ne m’en rendrai même pas compte... ».
637 « IV SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1977, archives du CEDHU, « 1977 ».
638 « V SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA - Programação », Piracicaba, 1978,
archives du CEDHU, « 1978 ».
639 « O humor de Piracicaba no Salão » in Jornal do Povo, 13/08/1978, archives du CEDHU, « Revue de presse
1978 ».
640 « VI SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1979, archives du CEDHU, « 1979 ».
641 « PROGRAMAÇÃO DO VII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR », Piracicaba, 1980, archives du
CEDHU, « 1980 ».
642 Idem.
326
FIG 90 : Henfil, carton d’invitation au lancement de l'ouvrage Henfil na China,
1980, archives du CEDHU
Pour la première fois en 1980, une exposition rendit hommage à la dessinatrice Nair de
Tefé643, fille du baron de Tefé née à Petrópolis le 10 juin 1886 et issue de la haute société
carioca, qui commença à dessiner dès l’enfance et devint une excellente caricaturiste. Publiant
ses travaux sous le pseudonyme Rian, l'anagramme de son prénom, elle collabora à de
nombreux périodiques brésiliens et français au début du XX e siècle. Sur l'adhésif promotionnel
créé dans le cadre de la politique de communication du salon de Piracicaba figurait en
majuscules la mention « MULHER » (« FEMME »), comme pour souligner l'exceptionnalité
de l'organisation d'une telle exposition. Ce type d'initiative de valorisation de la production
des artistes nationaux, généralement contemporains de l'événement, fut poursuivie au cours
des années 1980 à Piracicaba. En 1981, le salon fut marqué par les lancements d'ouvrages de
Millôr Fernandes et Luiz Gê, une exposition des travaux de Zélio Alves Pinto et celle des
archives graphiques constituées au cours des années précédentes, attestant de la conscience
d’une patrimonialisation en cours de réalisation. La place importante occupée par les
rétrospectives retraçant le parcours de caricaturistes brésiliens fut confirmée l'année suivante
643 « VII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1980, archives du
CEDHU, « 1980 ».
327
avec l'inauguration de l'exposition « 30 années d'affiches644», hommage rendu aux
compositions de Ziraldo.
Les compte-rendus de réunions préparatoires rédigés au cours de l'année 1982 révèlent
également la nécessité ressentie par le comité d'organisation d’attirer les couches populaires,
de rendre le Salon davantage accessible et attractif aux yeux des habitants de la ville de
Piracicaba. Les recommandations formulées, dont certaines furent soulignées, proposaient
d'accentuer la théâtralisation de l'espace municipal et de multiplier les éléments de décoration
thématique à l'occasion de l'événement :
« Le Salon d'humour doit s'ouvrir à tous , avec une grande joie contagieuse dans la
ville, qui est la seule du Brésil à maintenir aussi bien le salon d'humour. Il faut
rechercher, à travers la publicité et une meilleure diffusion, la participation des
habitants de Piracicaba en général et pas seulement d'une élite. Ont été suggérés des
ballons commémoratifs, des « bouches » souriantes comme entrées de la ville, en
résumé, une décoration faisant allusion au thème de l'humour et au salon 645. »
Enfin, certaines spécificités régionales furent mises à l'honneur en 1983 : une
exposition d’humour bahianais était consacrée à Nildão, lauréat en 1979. Deux débats furent
également organisés à cette occasion autour des thématiques « L'humour et les nouvelles
générations » et « La loi des 50 % de production de bande dessinée nationale 646 ». Ce dernier
faisait référence au projet de loi n°354 du député fédéral Jorge Paulo présenté pour la première
fois le 17 avril 1979 aux commissions de la Chambre des députés et qui tenta de contraindre
les maisons d'édition et les périodiques brésiliens à réserver au moins la moitié de leur espace
de publication aux bandes dessinées nationales :
« Art. 1 – Les entreprises éditrices de bandes dessinées sont dans l'obligation de
publier, dans l'ensemble de leurs éditions, une proportion minimales de bandes
dessinées d'auteurs nationaux de 50 % (cinquante pourcents). […]
Art. 3 – Sont considérées comme bandes dessinées nationales celles qui utilisent des
thèmes brésiliens et dont le dessin et le scénario sont la création originale d'auteurs
644 « IX SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1982, archives du
CEDHU, « 1982 ».
645 « 1ra REUNIÃO », Piracicaba, 1982, archives du CEDHU, « 1982 ».
646 « X SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1983, archives du CEDHU,
« 1983 ».
328
brésiliens ou d'étrangers installés au Brésil, ainsi que celles concernées par des
thèmes historiques, culturels, religieux ou scientifiques, seulement si le dessin, le
scénario ou l'adaptation sont le fait d'auteurs brésiliens ou d'étrangers installés ici.
Paragraphe unique. Devront figurer expressément dans les éditions les noms du
dessinateur et du scénariste auteurs de la bande dessinée 647[…]. »
La justification du projet inscrit dans la filiation directe du décret n°52.497 promulgué
par Goulart en septembre 1963, reprenait presque intégralement les arguments de l'ancien
président de la République centrés sur les difficultés économiques des dessinateurs brésiliens
face à une arrivée massive de travaux étrangers publiés à un prix inférieur à celui du marché.
Le texte regrettait le manque drastique de soutien apporté aux artistes nationaux par les
maisons d'édition et les rédactions de périodiques face à une concurrence jugée déloyale,
appelant de ses vœux la protection de la culture brésilienne. La commission « Constitution et
justice » établit un rapport favorable datant du 10 mai 1979 et imposant cependant la nécessité
de préciser dans le texte de loi les sanctions encourues en cas d'infraction 648. La commission
« Éducation et culture » se déclara dans un rapport signé par le député Darcilio Ayres 649 inapte
à juger de la conformité du projet tourné davantage vers les auteurs que vers les contenus. Le
rapport de la commission de « Communication » souligna le rôle primordial reconnu aux
bandes dessinées auprès de la jeunesse brésilienne et approuva le texte sur la base de
conceptions extrêmement nationalistes :
« Protéger la création nationale ne sert pas seulement à élargir et à garantir un
marché du travail à l'art et l'intelligence brésiliens. Cela sert également à éviter le
contrôle d'un moyen de communication si populaire et influent auprès de l'enfance
et de l'adolescence par des conceptions étrangères, des coutumes d'autres sociétés et
des habitudes qui ne sont pas brésiliennes650. »
647 Jorge PAULO, Projet de loi n°354, 02/04/1979, Brasília, Chambre des députés. L'ensemble des versions du
projet, les rapports des diverses commissions, le synopsis rappelant les étapes de son approbation sont
accessibles
en
ligne,
sur
le
site
de
la
Chambre
des
députés :http://www.camara.gov.br/proposicoesWeb/prop_mostrarintegra;jsessionid=DC05FE753C305567C
EB49411104F242F.node1?codteor=1181770&filename=Avulso+-PL+354/1979 (consulté le 01/06/2018).
648 Osvaldo MELO, Rapport de la commission de Constitution et justice au sujet du projet de loi n°354,
10/05/1979, Brasília, Chambre des députés.
649 Darcilio AYRES, Rapport de la commission d’Éducation et culture au sujet du projet de loi n°354, 12/09/1919,
Brasília, Chambre des députés.
650 João GILBERTO, Rapport de la commission de Communication au sujet du projet de loi n°354, 28/11/1979,
Brasília, Chambre des députés.
329
Le projet de loi fut imprimé le 6 mars 1980, présenté pour la première fois en session
plénière devant la Chambre des députés le 10 avril 1981 et finalement approuvé le 22 avril
1981, avant d'être envoyé au Sénat qui l'approuva à son tour le 17 mars 1983. Le débat autour
de cette loi visant à protéger les dessinateurs brésiliens organisé lors de la dixième édition du
salon de l'humour de Piracicaba le 21 août 1983, répercuta les inquiétudes au sujet du refus
d'appliquer la législation émanant d'importantes maisons d'édition dans le pays. Cette
résistance à la valorisation du dessin national entraîna l'année suivante la création de
l'Association des dessinateurs de bande dessinée et caricaturistes de l’État de São Paulo (AQCESP), qui comptait notamment parmi ses premiers membres Fortuna, Henfil, Jayme Leão et
Chico Caruso, tous des habitués du salon de Piracicaba. L'association instaura notamment le
jour de la bande dessinée nationale, le 30 janvier, et créa en 1985 le prix Angêlo Agostini voué
à récompenser exclusivement les travaux de dessinateurs brésiliens.
b) « Uma radiografia da alma brasileira651 » : la critique politique, sociale et
économique dans les dessins primés par le Salon
Dès la première édition en 1974 et le 1 er prix remporté par Laerte, les lauréats traitaient
largement de la situation politique du Brésil sous le régime militaire. Les nombreuses
interdictions pesant sur la société civile, les atteintes à la liberté d’expression, la répression
physique orchestrée par l’État et la torture furent parmi les thématiques exploitées
graphiquement dans les travaux sélectionnés par les jurys successifs. Durant les premières
années, les figures du tortionnaire, de l’agent en charge de la répression et du policier militaire
sont fréquemment mis en scène dans les dessins dénonçant l’arbitraire et le terrorisme d’État.
En 1975, le dessinateur Massaro Hotoschi dénonça la brutalité et l'animalité de la violence
policière à travers une figure hybride à l'apparence humaine, au visage porcin et portant
l'uniforme : manteau à épaulettes, pantalon large resserré par des bottes militaires, arme à la
ceinture et gants en cuir. Le casque surmonté d'un dispositif de remontée mécanique, comme
s’il s’agissait d’un automate, insistait sur l'inhumanité du personnage qui décapitait à l'aide
d'une batte cloutée un civil en costume de travail portant une mallette à la main gauche et une
carte d'identité dans la main droite. La victime de cet acte barbare avait eu à peine le temps
d'émettre une pensée fataliste : « J'aurais du rester à la maison devant la télévision ». La
651 « Uma radiografia da alma brasileira » in Folha de São Paulo, 19/08/1978, archives du CEDHU, « Revue de
presse 1978 ».
330
couleur rouge du sang jaillissant du corps mutilé contrastait fortement avec le reste de la scène
en noir et blanc et les fines lignes du crayonné, dans une composition macabre et cynique
rappelant l’humour noir de l’artiste et humoriste polymorphe Roland Topor.
FIG 91 : Massaro Hotoschi, dessin primé au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1975 (dessin original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU
L'année suivante, Chico Caruso remporta le premier prix grâce une ingénieuse
représentation du rapport de la société civile à la répression. Son œuvre très colorée et
poétique figurait l'arène d'un cirque de laquelle deux personnages vêtus d'un grand
imperméable kaki, d'un chapeau et de bottines foncées – les agents de la police politique –
emmenaient de force le protagoniste, un clown ligoté et conduit à l'extérieur du cadre, hors de
la vue. Les éléments vestimentaires faisaient partie de la palette de symboles employés pour
dessiner les agents de surveillance et répression responsables des arrestations arbitraires, des
disparitions forcées et des assassinats d'opposants politiques. Ici, les visages étaient en outre
331
dissimulés dans l'ombre des habits. Chico Caruso mit son style très riche et son sens de la
composition au service de cette mise en scène graphique dénonçant la passivité totale d’un
public médusé par l'enlèvement du clown, comme hypnotisé par les couleurs chatoyantes de
l’environnement circassien. Ici, le dessin suggérait plus qu’il ne représentait directement la
violence, indiquant de manière implicite la torture imminente du dangereux subversif.
FIG 92 : Chico Caruso, Ier prix au Salon international de l’humour de Piracicaba,
1976 (dessin original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU
En 1977, Sizenando Alves, alors étudiant en histoire à l'Université de São Paulo,
remporta le prix du Syndicat des journalistes professionnels de l’État de São Paulo pour son
dessin au style minimaliste d'un petit oiseau contraint à marcher au sol par un immense
panneau d'interdiction similaire à ceux des infrastructures routières. Sur l'image, le cercle
rouge barré, symbole d'interdiction, entourait une flèche de direction orientée vers le haut
comme pour signifier au petit animal l'impossibilité de s'envoler. La même année, le
332
pernamboucain Lailson de Holanda Cavalcanti, dit Lailson, remporta un prix pour une
représentation similaire à celle utilisée par Chico Caruso l'année précédente : le protagoniste
dérangeant emmené de force par deux sbires à l'air menaçant. Cette fois, le caricaturiste
détourna l'image des trois singes de la sagesse dont l'un se tait, l'autre s'aveugle et le troisième
se bouche les oreilles. L'animal censément muet avait la bouche grande ouverte et l'allure
déterminée, l'index gauche levé en l'air comme pour insister davantage sur son propos.
Refusant de se taire, il symbolisait à lui seul le non-conformisme de certains secteurs de la
société, face à l'aveuglement de la majorité et devant les menaces pesant sur sa propre
intégrité. Ce dessin critiquait directement les limitations imposées par la contrainte et la force
à la liberté d'expression dans le pays, et également la société sourde et aveugle s’accommodant
des atteintes aux droits humains fondamentaux.
FIG 93 : Lailson de Holanda Cavalcanti, dessin primé au Salon international de
l’humour de Piracicaba, 1977 (dessin original 39,5x29,5 cm), archives du CEDHU
Les différentes formes de censure configuraient les conditions de travail quotidiennes
des dessinateurs publiant leurs travaux dans la presse indépendante durant la seconde moitié
des années 1970. Il semblerait qu’ils aient trouvé à Piracicaba un espace légal soutenu à
l’échelle municipale et exempt de pressions ou d’interdictions. Ainsi, de nombreux dessins
primés abordèrent avec humour, dérision ou ironie, l’existence bien réelle et la permanence
333
des interdictions. Luiz Antonio Solda reçut un prix en 1976 pour sa représentation imagée du
censeur : un homme en costume, à cheval sur une grande paire de ciseaux et volant dans les
airs au milieu d’un essaim de lettres de l’alphabet. Les ciseaux, ces outils servant à la coupe
des papiers et autres contenus jugés indésirables, étaient utilisés de manière récurrente par les
dessinateurs pour symboliser, grâce à la métonymie visuelle, la censure elle-même. Le même
procédé était observable avec les bandeaux noirs masquant une partie des contenus télévisuels.
En 1978, le prix de la presse fut accordé à Julio Cesar Barros, artiste pauliste signant ses
travaux sous le pseudonyme J. Cesar. Le texte et l'image s'entremêlaient dans le dessin primé
pour lui conférer son sens critique, opérant une mécanique imbriquée indispensable à la
compréhension du message : une silhouette masculine était allongée à plat ventre, les bras
écartés et les yeux fermés, inerte. Son corps était maintenu au sol par une grande croix noire à
la taille disproportionnée rappelant la croix de Saint-André, en forme de « X ». Le texte situé
au-dessus de la scène ancrait l'image dans le contexte politique contemporain de sa période de
production : de grandes lettres noires formaient les mots « Liberté de E pression652 ». On
devine le texte original avant la chute du « X » : « Liberté d'expression ». La lettre « X », dont
la dénotation semble a priori assez simple, acquit une connotation complexe du fait de son
insertion dans l'image : elle devint outil de répression, à la fois cause et conséquence de la
disparition de la liberté d'expression au profit d'une « pression » pure et simple.
La même année, le dessinateur Glauco dessinait avec ironie l'une des conséquences de
la toute progressive et relative ouverture politique du régime amorcée à la fin du
gouvernement de Ernesto Geisel. Il remporta un prix grâce à cette planche de bande dessinée :
652 Julio Cesar Barros, prix de la presse du Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978, archives du
CEDHU.
334
FIG 94 : Glauco Vilas Boas, dessin primé au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1978 (dessin original 29x39 cm), archives du CEDHU
Sur la première bande, un vendeur de journaux à la sauvette annonçait une édition spéciale
consacrée à la diminution de la censure : « Extra ! Extra ! Plus de liberté de la presse ». Un
sinistre personnage vêtu de noir s'avançait vers lui et lui assénait un coup de pied comme pour
décharger sa haine, envoyant en l'air tous les exemplaires. Le vendeur maltraité, allongé par
terre au milieu des feuillets volants, s’expliquait finalement la mauvaise humeur de son
agresseur : « Encore un censeur sans emploi ! ». Le gag visuel provenait du traitement de l’une
des conséquences pour le moins originale de la diminution progressive des rédactions
soumises aux interdictions préalables : le chômage des censeurs. Le trait rond, les
déformations corporelles et le style expressif de Glauco contribuaient à rendre comique la
morosité et la violence du personnage, vexé d’avoir été renvoyé. Notons que le dessin, alors
concurrent au prix, avait été reproduit le 19 août 1978, jour d'ouverture du cinquième salon de
l'humour, dans un reportage de la Folha de São Paulo spécialement consacré à Piracicaba. Les
thématiques de la censure et de ses évolutions au cours de la seconde moitié des années 1970
335
furent également déterminantes dans le choix des expositions parallèles et conférences
organisées dans le cadre de la programmation officielle cette même année. Le samedi 19 août,
l'AGRAF réalisa sa troisième rencontre annuelle au Théâtre municipal, autour du thème « La
censure est finie ? » en présence des dessinateurs Millôr Fernandes, Chico Caruso, Elifas
Andreato et Fernando Moraes653. Inaugurée le jour-même à 20h30, l'exposition parallèle
« Humour interdit » réunit des dessins non publiés dans la presse à cause de la censure
imposée entre 1966 et 1978, revalorisant ainsi de nombreuses productions écartées de leur
réseau de circulation. Une exposition spéciale fut également organisée autour de l’œuvre de
Millôr Fernandes, invité d'honneur du salon connu pour son goût du franchissement des
limites imposées à la liberté d'expression par le régime militaire.
Les dessins primés du salon abordaient également la thématique sensible des rapports
ambigus entre la société civile et l'autoritarisme. Dès l'année 1975, le jeune Angeli remporta le
troisième prix grâce à sa critique du sourire forcé et contraint des brésiliens sous la dictature
militaire654. En arrière-plan, il avait encerclé un ensemble disparate de personnes d'âges, de
couleurs, d'allures très divers censé représenter la diversité de la société civile. Le groupe était
entravé par des fils de fer barbelés et gardé par des militaires armés. Une seule sortie semblait
possible, matérialisée par une ouverture dans la clôture métallique et gardée par quatre
personnages archétypaux et emblématiques. Leur identification révèle un ton éminemment
critique des soutiens civils au régime instauré en 1964.
653 « V SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1978, archives du CEDHU,
« 1978 ».
654 Arnaldo Angeli Filho (Angeli), dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1975 (dessin original
29,5x39,5 cm), archives du CEDHU.
336
FIG 95 : Arnaldo Angeli Filho (Angeli), dessin primé au Salon de l’humour de
Piracicaba, 1975 (dessin original 29,5x39,5 cm), archives du CEDHU
À l'extrême gauche du dessin, un général en uniforme surveillait la scène, symbolisant
le contrôle global exercé par les autorités militaires. Assis à son côté, un homme politique en
costume obéissait aux ordres et distribuait des petits masques en forme de sourire. De l'autre
côté, un prêtre remplissait la même mission, surveillé de près par un évêque, haut représentant
de l'institution catholique. Sa main droite, levée, renforçait le conservatisme attribué au
personnage. Le complexe dessin à l’apparence bonhomme et enfantine autorisait de nombreux
niveaux de lectures : il critiquait la passivité d'une société civile docile acceptant la contrainte
sans réagir ; il écornait l'image diffusée par la propagande du régime d'un peuple brésilien
heureux, épanoui dans un pays moderne et puissant, tourné vers le progrès ; il dénonçait enfin
la collaboration active des secteurs politiques et religieux favorables au pouvoir autoritaire. Ce
dernier aspect fut également exploité l’année suivante par Marcos Coelho Benjamin, qui
remporta un prix pour son dessin de quatre immenses personnages caractéristiques, dont les
attitudes et tenues vestimentaires en permettaient l'identification, encerclant un enfant apeuré.
L'un deux s'adressait à lui : « On voudrait être de ton côté, mais tu insistes à être en mauvaise
337
compagnie !!.. 655». L'attitude physique et la proximité des quatre personnages traduisait une
connivence certaine. Celui qui s'exprimait portait un costume trois pièces, un chapeau haut-deforme et un nœud papillon rouge symbolisant sa réussite financière et son appartenance à une
bourgeoisie aisée, commerçante ou industrielle : le grand entrepreneur brésilien. À sa gauche,
un cardinal reconnaissable à sa tenue rouge tenait dans sa main gauche un goupillon servant à
jeter l'eau bénite et brandissait une croix en bois vers l’enfant minuscule, comme pour se
protéger de la menace représentée. L'entrepreneur en costume s'appuyait sur l'épaule gauche
d'un militaire en uniforme kaki, armé et décoré, qui arborait sur sa poitrine les lettres TFP –
initiales du groupe ultra conservateur « Tradition, famille et propriété » – un nœud de pendu
miniature ainsi qu'un écusson du groupe automobile Ford, complice du régime militaire.
Finalement, le dernier personnage armé d'une batte de base-ball regardait l'enfant d'un air
menaçant et morbide. Le dessin dénonçait la disproportion de la répression et l'importance des
soutiens de secteurs conservateurs, tels que les grands entrepreneurs ou l’Église, apportés au
régime. Le dessinateur Francisco Juska Filho tourna également en dérision en 1978 les prises
de parole publiques du très célèbre joueur de football Pelé en faveur du régime militaire et au
sujet de l'incapacité des brésiliens à s'exprimer objectivement en politique. Son dessin
représenta le sportif, un pied à la place de la tête, prononçant la phrase restée célèbre : « Le
peuple brésilien n'est pas préparé à voter656 ».
Les jurys successifs du Salon récompensèrent également les dessins abordant la misère
et des conditions de vie immensément précaires des classes les plus pauvres de la société
brésilienne. Les épisodes de sécheresses, de grande famines et d'inondations vécus par les
habitants des États du nord-est du pays furent régulièrement représentés par les dessinateurs,
malgré les interdictions et la volonté d'invisibilisation de ces thématiques par le gouvernement.
Alcy remporta un prix en 1976 avec une œuvre représentant une famille de personnes noires,
faméliques, installée sur un radeau de fortune et naviguant dans ce qui semblait auparavant
être un village657. On distinguait quelques toitures en arrière-plan du dessin. D'importantes
inondations liées à l'intensité des pluies provoquant des crues exceptionnelles, ponctuèrent la
première moitié des années 1970 dans le nordeste. Leurs effets furent désastreusement
655 Marcos Coelho Benjamin, dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin original 40x30
cm), archives du CEDHU.
656 Francisco Juska Filho, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978 (dessin original
24x32 cm), archives du CEDHU.
657 Alcy Linares Dramo, dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin original 40x30),
archives du CEDHU.
338
aggravés par la mauvaise gestion des rares ressources en eau, l'aridité naturelle renforcée par
les méthodes d'agriculture intensive et l'exode rural massif de la décennie précédente ayant
conduit au développement important de certains centres urbains de la région. La misère et la
faim furent représentées par Fausto Hugo Prats en 1977658 : son dessin satirique primé mettait
en scène une famille à la maigreur extrême, observant dans la nuit une assiette de riz volante
dans le ciel étoilé. L'assimilation de l'un des aliments de base de la société brésilienne à un
objet non identifié et surnaturel insistait sur les carences alimentaires récurrentes parmi les
groupes les moins privilégiés de la population. Deux ans plus tard, Ivan Simões Saidenberg
dessina l'incrédulité d'un enfant famélique devant la photographie officielle encadrée de João
Figueiredo, président brésilien ayant succédé à Ernesto Geisel le 15 mars 1979 à la tête du
régime militaire. Face au sourire arboré par le nouveau président sur la photographie, insérée
dans le dessin en noir et blanc, l'enfant interrogeait sa mère : « Maman, il rigole de quoi le
monsieur ? » Le cynisme de la scène résidait dans le contraste évident entre l'apparente félicité
de Figueiredo, son allure sereine et confiante en l’avenir sur le portrait présidentiel, et la
misère extrême de la famille vêtue de haillons, condamnée à mendier et à se nourrir de
déchets. Le dessin, signé du pseudonyme « Pierre Dodois » que le dessinateur utilisa sous le
régime militaire, remporta le prix du jury populaire.
FIG 96 : Ivan Simões Saidenberg, prix du jury populaire au Salon international de
l’humour de Piracicaba, 1979 (dessin original 40x30 cm), archives du CEDHU
658 Fausto Hugo Prats, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1977 (dessin original
30x40 cm), archives du CEDHU.
339
En 1981, le prix de l'Action culturelle financé par la municipalité fut accordé à une
œuvre du dessinateur originaire de Campinas, João Gomes Martins. Son travail s’inspirait du
tableau « Os Retirantes », huile sur toile peinte en 1944 par Candido Portinari représentant une
famille miséreuse en errance à travers le sertão brésilien. Portinari fut particulièrement marqué
par les images des migrations de la faim durant la grande sécheresse de 1915, alors qu'il n'était
qu'un enfant. En 1981, les membres de la même famille étaient représentés de dos, ils
regardaient avec nostalgie le tableau de leur propre pauvreté mise en abîme et l'un d'eux
s'exclamait : « C'était le bon vieux temps !659 ». Le dessin de João Gomes Martins provoqua
l'organisation d'une nouvelle signification, en détournant l’image initiale. Le comique
provenait de la terrible ironie de la situation représentée, l'actuelle misère des protagonistes
leur faisant regretter une époque révolue déjà caractérisée par la faim et l'errance, mais qui
semblait heureuse au regard de la situation vécue en 1981. L'absence de pluie prolongée dans
le nordeste provoqua au début des années 1980, et tout particulièrement en 1981, de
nombreuses pertes d'exploitations, l'absence de récoltes, la mort des troupeaux, la faim
généralisée et d'importants déplacements forcés de populations. Cet épisode de sécheresse
extrêmement meurtrier prit seulement fin en 1985. Les dessins primés à Piracicaba se
tournèrent à partir de la fin des années 1970 vers les conséquences désastreuses de ces
catastrophes naturelles, mais également leur aggravation largement causée par les activités
humaines et l'inaction de l’État autoritaire, tourné vers l'ordre et le progrès. En 1982, la misère
prit une apparence urbaine et incongrue sous le crayon de Nani : deux mendiants habitués de
la rue, aux habits sales et à l'apparence crasseuse, regardaient un nouvel arrivant sur le trottoir,
bien vêtu et rasé de prêt. Le personnage central prévenait son compagnon d'infortune au sujet
du nouveau venu : « C'est la classe moyenne qui arrive. Ça va provoquer notre ruine !660 ». Le
décalage des tenues vestimentaires et des apparences accentuait le propos d’un dessin mettant
en lumière la dégradation des conditions de vie des classes moyennes brésiliennes au début
des années 1980, notamment liée à l'inflation galopante.
À travers les dessins primés et des affiches du salon, il est possible d’observer la
continuité et les ruptures dans le traitement de certains sujets d'ordre politique, économique et
social liés à la situation vécue par la population brésilienne au cours de la seconde moitié des
années 1970. À partir de 1979, les représentations de la torture et de la censure perdirent du
659 João Gomes Martins, Prix de l’action culturelle au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1981
(dessin original 30x40 cm), archives du CEDHU.
660 Ernani Diniz Lucas (Nani), dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1982 (dessin
original 33x27 cm), archives du CEDHU.
340
terrain au profit d’autres thématiques telles que les bouleversements culturels, le sexe et la
télévision, la misère et la faim, les divergences internes au pouvoir militaire, le racisme et le
sexisme de la société brésilienne. Baromètres des difficultés, des drames et des doutes, les
images ancrées dans leur époque de production révèlent notamment une appréhension des
paradoxes et de l'ambiguïté de la période d'ouverture politique naissante, avec l'arrivée au
pouvoir de João Figueiredo. L'affiche du sixième salon en 1979 réalisée par Glauco
représentait un oiseau apeuré hésitant à sortir de sa cage malgré la porte grande ouverte, à
l’image des dessinateurs d’humour graphique, de la presse indépendante et de nombreux
secteurs de l’opposition politique. Métaphore classique de l'absence de libertés, l'animal
encore récemment entravé peinait à croire en la libéralisation progressive annoncée.
FIG 97 : Glauco Vilas Boas (Glauco), affiche du 6ème Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1979, archives du CEDHU
La même année, César Augusto Vilas Boas, dit Pelicano, remporta le deuxième prix
avec un dessin de Figueiredo sélectionnant un amnistié politique au hasard dans un boulier
rempli de prisonniers, comme s'il était responsable du tirage au sort de la loterie. L'aspect
341
sélectif et ponctuel de l'amnistie concédée par le gouvernement, davantage renforcé dans le
dessin par les paroles du président : « Et voilà notre grand amnistié de l'année 79 !661 », était
vivement critiqué. La loi fut promulguée le 28 août 1979 à la suite d'intenses mobilisations de
la société civile en faveur d'une amnistie ample, générale et illimitée des victimes de l’État
d'exception. Mais la sélectivité et la grande ambiguïté de la loi furent très rapidement
critiquées et contribuèrent à définir l'un des « paradoxes de la dictature brésilienne 662» :
« Dans un processus que beaucoup considèrent avoir été un acte de conciliation
politique (conciliação) qui a une longue tradition au Brésil, le Congrès approuva, en
1979, à une courte majorité, la loi d’Amnistie préparée par le gouvernement.
Quelques prisonniers politiques furent libérés et la plupart des exilés purent rentrer.
Au même moment, cependant, il déclara que tous les membres du gouvernement et
des administrations civiles et militaires impliqués dans des actes de violation des
Droits de l’homme – tortures et meurtres compris – étaient définitivement protégés
contre toute poursuite judiciaire663. »
Au début des années 1980, de nouvelles thématiques inexistantes jusqu’alors firent leur
apparition dans les dessins primés et l’engagement politique caractéristique du Salon
international de l’humour de Piracicaba changea progressivement de forme. Dans un contexte
marqué par les grandes grèves et le développement du mouvement syndical brésilien autour du
pôle urbain de São Paulo, le monde du travail et les relations de pouvoir entre ouvriers et
patrons acquirent une visibilité à Piracicaba. Alberto Pereira Barcelo figura en 1979 la
rébellion de l’ « ouvrier standard du mois » s’en prenant à son patron avec une clé à molette
devant l’ensemble des travailleurs de l’usine 664. Certaines évolutions des mœurs firent
également leur entrée au palmarès des dessins. Entre 1978 et 1982, cinq dessins primés
dénonçant l’importation de séries américaines et la colonisation culturelle, les préjugés envers
les employées domestiques ou l’absurde diffusion des télévisions dans les familles les plus
pauvres manquant de tout sauf du petit écran, attestaient de la présence grandissante des postes
dans les foyers brésiliens. Autres transformations comportementales majeures, la révolution
661 César Augusto Vilas Boas (Pelicano), dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1979
(dessin original 30x40 cm), archives du CEDHU.
662 James Naylor GREEN, « Paradoxes de la dictature brésilienne » in Brésil(s), n°5, 2014, p. 7-16.
663 James Naylor GREEN, op. cit., p. 8.
664 Alberto Pereira Barcelos, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1979 (dessin
original 29x39 cm), archives du CEDHU.
342
sexuelle et la progressive émancipation féminine revendiquées par les mouvements et la presse
féministes au cours des années 1970 furent dessinées par Pelicano et Lor et remportèrent un
prix en 1980.
Les inquiétudes liées au futur d’un pays à reconstruire émergèrent largement de ces
représentations graphiques de la société brésilienne, valorisée à Piracicaba. En 1981, Pelicano
fut de nouveau lauréat avec son dessin d'une couturière toute de rouge vêtue, affairée à
recoudre et rapiécer le drapeau vert, bleu et jaune665, emblème de la Nation brésilienne. Deux
ans plus tard, Renato Canini représenta avec justesse, talent et humour les enjeux politiques
prégnants en 1983 alors que le mouvement en faveur de l'organisation d'élections directes
prenait corps dans le pays et réclamait le départ des autorités militaires. Le dessin mettait en
scène deux personnages : l'un, haut gradé à la poitrine croulant sous les décorations, arborait la
couleur noire en signe de deuil sur l'ensemble de son bras gauche ; l'autre, un civil anonyme en
arrière-plan, portait un petit brassard noir au bras gauche. Canini réussit à synthétiser avec
finesse et précision la polarisation politique du début des années 1980 : alors que d'importants
secteurs de la société civile luttaient pour la fin du régime d'exception endeuillé de
nombreuses victimes, les hauts-gradés favorisés par la dictature militaire refusaient
catégoriquement la progressive ouverture et la fin imminente du régime, absolument
dramatique à leurs yeux. Jorge Izar appela de ses vœux le changement politique en 1984, dans
un dessin à la symbolique hautement significative accentuée par les couleurs de la
composition, le jaune du ciel, le bleu de la mer et le vert du Brésil, identiques à celles du
drapeau national. Le pays luttait difficilement contre les amarres de la dictature, affirmant
désormais suivre « une nouvelle direction ».
665 César Augusto Vilas Boas (Pelicano), dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1981
(dessin original 30x40 cm), archives du CEDHU.
343
FIG 98 : Jorge Izar, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba,
1984 (dessin original 30x37 cm), archives du CEDHU
L’affiche réalisée l’année suivante par Miguel Paiva sembla répondre au dessin de
Jorge Izar sur un ton optimiste, convaincu du potentiel incroyable du dessin d’humour et de
l’action culturelle dans la société brésilienne : de la Terre souriante s’envolait un vaisseau en
forme de crayon multicolore, avec à son bord un dessinateur enthousiaste. Les affiches
réalisées à l’occasion des différents salons entre 1974 et 1985 retracent le parcours d’un
événement pensé initialement sur un plan local et qui construisit à tâtons sa légitimité et ses
ambitions, jusqu’à son internationalisation et sa constitution en lieu majeur de la circulation
des dessinateurs à l’échelle nationale et latino-américaine. Les bouleversements internes à
l’organisation, l’évolution des thématiques valorisées par les jurys successifs, eux-mêmes
composés de dessinateurs et d’artistes, ainsi que les importants débats et événements organisés
en parallèle des expositions nous apparurent comme les révélateurs des métamorphoses de
l’humour graphique et de l’image satirique brésiliens observables à partir de la seconde moitié
des années 1970. D’un pôle centré sur la lutte contre le régime militaire et sa terrible
répression, le Salon muta peu à peu vers un laboratoire de la critique des inégalités sociales,
344
économiques et raciales, tout en s’affirmant en faveur du développement et du soutien de la
bande dessinée nationale face aux comics étrangers. Ouvert aux jeunes artistes, le concours
révéla d’importants caricaturistes en devenir originaires des quatre coins du Brésil, tout en
proposant des expositions consacrées aux plus grands noms du dessin d’humour brésilien et
international, rendant ainsi possibles les circulations et rencontres entre différentes
générations. Visionnaire, la commission d'organisation du Salon suggéra au cours de réunions
préparatoires en vue de l'édition de 1982 la tenue d'un débat centré sur la question suivante :
« Quel chemin pour l'humour après l'ouverture ? ». Cette interrogation fondamentale révélait
un doute, une crainte même, répandue chez les dessinateurs incertains de leur capacité à
s'adapter aux multiples évolutions de la société et aux paradoxes de l’ouverture politique,
largement représentés dans les dessins primés à partir de 1979. Les très riches archives du
Salon de Piracicaba conservées au CEDHU à Piracicaba nous permirent de reconstituer la
genèse, la construction et le parcours d’un événement culturel et politique au rayonnement
national et international, qui réussit la prouesse de constituer un lieu de la critique par
l’humour graphique ancré dans la légalité, sortant pour la première fois de la zone grise entre
interdit et autorisé. Ces archives révélèrent de nombreuses innovations simultanément
graphiques et thématiques ainsi que l'émergence de revendications minoritaires prenant peu à
peu corps dans les mouvements de l’opposition démocratique à partir du milieu des années
1970.
345
346
PARTIE III
L'humour graphique, révélateur de la diversification des combats
et des tensions internes à la gauche à l'aube de l'ouverture politique (19751982)
Le milieu de la décennie 1970 marqua un léger infléchissement de la censure appliquée
à certains périodiques, mais le contrôle demeura, changeant progressivement de forme. Les
pressions économiques déjà fortes au cours de la première moitié des années 1970 s'accrurent
considérablement et furent accompagnées d'une nouvelle forme d'intimidation violente
émanant de groupes terroristes d'extrême-droite : les attentats perpétrés contre les kiosques à
journaux vendant les titres de la presse indépendante dans divers États brésiliens 666. De
nombreux lieux de vente furent incendiés, dynamités ou au moins menacés au cours de l’année
1980, contraignant les périodiques ciblés à se tourner davantage vers les abonnements, la vente
ambulante ou informelle. La censure préalable ne disparut officiellement qu'en octobre 1978, à
l'annonce par le gouvernement Geisel du onzième amendement constitutionnel667 décrétant
entre autres mesures la révocation de l'AI-5, la pluralité des partis politiques et la fin du
contrôle préalable à la parution des publications devant prendre effet au premier janvier 1979.
La chronologie que nous proposons s’inscrit dès lors dans une relecture de l’histoire de la
censure sous le régime militaire à la lumière des perspectives des mouvements minoritaires,
dont la presse continua à subir bon nombre d’interdictions malgré le léger infléchissement
caractéristique de la seconde moitié des années 1970. La recrudescence de la censure morale
vint par effet de balancier compenser la progressive tolérance à l’égard de thématiques
politiques à proprement parler, dans un contexte de redéfinition et de diversification de
l’engagement militant à la fin des années 1970.
L'année 1979 fut caractérisée par une structuration progressive de la transition de la
dictature vers la démocratie dans un Brésil alors en pleine apogée des mouvements
contestataires, en quête « de nouveaux espaces et formes de participation politique, comme les
666 Voir :Viktor CHAGAS, EXTRA! EXTRA! Os jornaleiros e as bancas de jornais como espaço de disputas pelo
contrôle da distribuição da imprensa e da economia política dos meios, Thèse de doctorat en Histoire,
politique et biens culturels, sous la direction de Fernando Lattman-Weltman, Rio de Janeiro, CPDOC-FGV,
2013, p. 166-175.
667 CONGRÈS NATIONAL, « Amendement constitutionnel n°11 » in Revista de informação legislativa, vol. 15, n°60,
oct./déc.1978, p. 233-318.
347
mouvements des minorités, le mouvement écologiste et les mouvements culturels 668 ». La
presse indépendante se multiplia considérablement, en écho à la croissante visibilité de ces
groupes opprimés ou minoritaires au sein de la société : renouveau de la presse noire, journaux
de défense des indiens, presse féministe et homosexuelle, publications axées autour de la
défense de l'environnement. Le retour des premiers exilés depuis l'Europe, surtout à partir de
la Loi d'amnistie promulguée le 28 août 1979, contribua en partie au renouvellement de
thématiques jusqu'alors peu traitées par la gauche traditionnelle : luttes des minorités raciales,
rôle de la psychanalyse et de la psychologie, inégalités de genre, carcan imposé aux femmes
par la société patriarcale. Certains périodiques s'emparèrent également de la question de
l'identité latino-américaine à l'aube des années 1980, entre spécificités régionales et
multiculturalisme à l'échelle du continent.
Dans ce contexte de nécessaire, mais très progressive redémocratisation du pays, les
pages de la presse indépendante alimentèrent les débats, relayèrent les grandes campagnes de
l'opposition et abordèrent de nouvelles problématiques, destinées à mettre en lumière les
contradictions inhérentes au régime militaire, mais également à la gauche brésilienne, sourde
et aveugle aux revendications minoritaires. L'analyse de l'humour graphique nous permit dès
lors de retracer la diversité de ces mouvements de l'opposition et la complexité de leur
articulation au crépuscule de l'ère Geisel et à l'aube de la transition démocratique, impulsée par
le gouvernement Figueiredo sous la pression grandissante de la société civile.
668 Marcos NAPOLITANO, 1964, Historia do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 200.
348
Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 11
349
350
Chapitre 6
Genre, sexualités, minorités : quand l'humour graphique
s'insurge contre le conservatisme
Nous nous pencherons ici sur la place et le rôle accordés aux dessins de presse,
caricatures et bandes dessinées publiés par plusieurs périodiques issus de groupes
revendiquant leurs droits et une visibilité au sein de l'opposition au régime militaire : les
féministes669 Brasil Mulher et Nós, Mulheres, ainsi que le périodique de défense des droits des
homosexuels Lampião da Esquina. La publication bimestrielle Mulherio parue entre 1981 et
1988 à São Paulo dépasse les bornes chronologiques de notre étude, mais nous en
mentionnerons certains éléments datés des
premiers mois de parution. Le choix de ces
publications, justifié par l'ampleur de leur circulation et leur appréhension des problématiques
et dilemmes ayant traversé certains mouvements de la gauche brésilienne, ne doit pas
dissimuler l'existence d'autres périodiques défendant des convictions similaires : nous ne
prétendons pas proposer un panel exhaustif, mais plutôt représentatif670.
Brasil Mulher parut entre 1975 et 1980, compta seize éditions régulières et quatre
numéros spéciaux. Le numéro expérimental fut édité le 9 octobre 1975, quelques mois après
l'officialisation par l'Organisation des nations unies du Jour international de la femme qui eut
un impact considérable sur la structuration du mouvement féministe au Brésil. Au cours de
l'année 1975, de nombreuses rencontres et réunions eurent ainsi lieu dans les grands centres
urbains et aboutirent à la création du Centre de la femme brésilienne à Rio de Janeiro et à celle
du Centre de développement de la femme brésilienne à São Paulo 671. À la périodicité instable,
669 Au sujet du féminisme et de la presse féministe sous le régime militaire, voir notamment : Rosalina de Santa
Cruz LEITE, « Brasil Mulher e Nós, Mulheres : origens da imprensa feminista brasileira » in Revista Estudos
Feministas, vol. 11, n°1, 2003, p. 234-241 ; Karina Janz WOITOWICZ, Joana Maria PEDRO, « O Movimento
Feminista durante a ditadura militar brasileira no Brasil e no Chile, conjugando as lutas pela democracia
política com o direito ao corpo » in Espaço Plural, n°21, 2009/2, p. 43-55 ; Céli Regina Jardim PINTO, Uma
história do feminismo no Brasil, São Paulo, Fundação Perseu Abramo, 2003.
670 Signalons l'existence au cours de la seconde moitié des années 1970 de Maria Quitéria, bulletin du
Mouvement féminin pour l'amnistie publié à São Paulo. Revendiquant une participation massive des femmes
dans la société brésilienne et relayant les avancées de la campagne en faveur de l'amnistie des prisonniers
politiques, la rédaction refusait cependant de se dire féministe.
Lampião da Esquina ne fut pas le premier journal homosexuel à paraître au Brésil, mais il nous semble le
plus représentatif du fait de l'ampleur de son lectorat et des thématiques traitées, extrêmement inclusives. Le
premier périodique exclusivement lesbien Chanacomchana fut édité de 1981 à 1987 par le Groupe lesbien
féministe. Son faible lectorat et l'usage quasiment nul de l'humour graphique au sein de ses pages justifièrent
notre préférence pour Lampião da Esquina.
671 Karina Janz WOITOWICZ, Joana Maria PEDRO, « O Movimento Feminista durante a ditadura militar brasileira no
Brasil e no Chile, conjugando as lutas pela democracia política com o direito ao corpo » in Espaço Plural,
351
imprimé au format tabloïd en noir et blanc, Brasil Mulher tirait entre cinq et dix mille
exemplaires et était édité par la « société Brasil Mulher » basée dans un premier temps à
Londrina, au nord de l’État du Paraná, puis à São Paulo. Certaines rédactrices de Brasil
Mulher, récemment rentrées d’Europe, mirent à profit leurs expériences au sein de cercles de
femmes exilées, notamment à Paris672. La publication insistait sur la spécificité du combat
pour l'émancipation des femmes tout en affirmant sa lutte contre le régime militaire, faisant
état des deux facettes du militantisme féministe durant la seconde moitié des années 1970.
Issue de la classe moyenne, majoritairement blanche et intellectualisée, influencée par
l'idéologie marxiste, la rédaction entretenait d'importants liens avec les mouvements de la
gauche traditionnelle tout en offrant cependant un espace aux revendications d'organisations
populaires de la périphérie de São Paulo. Brasil Mulher revendiqua son engagement féministe
au fil des numéros, insistant dans un premier temps sur l'universalité des thématiques
abordées673. L'humour graphique relativement peu présent au fil des pages, fut discrètement,
mais tout de même bien réellement employé.
Le titre Nós, Mulheres parut de juin 1976 à mars 1978. À la périodicité également
instable, il était publié par le collectif « Associação de Mulheres » (« Association de
femmes ») et sa rédaction disposait d'un siège au 376, rue Capote Valente dans le quartier de
Pinheiros à São Paulo. Plusieurs femmes journalistes et militantes rentrées au Brésil à partir de
1976 préférèrent la création d'une nouvelle publication féministe indépendante plutôt que
l'intégration dans les rangs de Brasil Mulher. Le titre, « Nous, les femmes », caractérisé par
l'emploi de la première personne du pluriel, contribua à établir une relation de proximité et de
confiance, un sentiment d'appartenance et de solidarité entre le lectorat et la rédaction,
davantage tournée vers les classes populaires. À l'instar de Brasil Mulher, Nós, Mulheres
paraissait en kiosques tout en circulant de manière informelle 674 et devait faire face à
d'importantes difficultés financières. Le projet de la publication ayant d'emblée revendiqué son
n°21, 2009/2, p. 45.
672 À propos des groupes de féministes brésiliennes et latino-américaines en exil : Maira Luisa Gonçalves de
ABREU, « Feminismo no exílio : o Círculo de Mulheres Brasileiras em Paris e o Grupo Latino-americano de
Mulheres em Paris », Mémoire de master en Sociologie, sous la direction de Angela Maria Carneiro Araújo et
Maria Lygia Quartim de Moraes, Campinas, Université de l’État de Campinas, 2010 ; Maira Luisa Gonçalves
de ABREU, « Nosotras : feminismo latino-americano em Paris » in Revista de Estudos Feministas, vol. 21, n°2,
mai-août 2013, p. 553-572.
673 L'éditorial du numéro expérimental affirmait le 9 octobre 1975 la volonté d’œuvrer à l'égalité entre femmes et
hommes ainsi que la nécessité de s'adresser aux publics à la fois féminin et masculin.
674 Dès le premier numéro daté de juin 1976, la rédaction de Nós, Mulheres remercia les périodiques
indépendants Nova, Coojornal, Unidade et Versus d'avoir diffusé des exemplaires en même temps que leur
propre publication.
352
engagement féministe reposait sur une critique de l'éducation différenciée entre filles et
garçons, le refus de normes imposées aux jeunes femmes par la société patriarcale, la lutte
contre les inégalités dans le monde du travail et le combat commun et universel, enfin, en
faveur d'une émancipation humaine générale675. Le périodique consacra quantitativement un
espace plus importante à l'humour graphique que Brasil Mulher, établissant dans les
quatrième, cinquième et sixième numéros une section spéciale entièrement vouée à la
publication de charges, bandes dessinées et caricatures, intitulée « Nosso humor a Nós,
Mulheres ».
Précurseur à de nombreux égards, le périodique homosexuel Lampião da Esquina vit
également le jour dans ce paradoxal contexte des prémices de la transition politique : l'édition
expérimentale fut publiée en avril 1978676, trente-sept numéros et trois hors-séries parurent
jusqu'en juin 1981. Premier journal homosexuel à acquérir une dimension nationale et à
atteindre un large public, Lampião ne surgit pourtant pas de nulle part. Au cours de la décennie
précédente, plusieurs titres tels que le carioca Snob ou le titre bahianais Fatos e Fofocas virent
le jour, mais ils étaient davantage centrés sur les lieux de sociabilité et les événements
culturels accueillant les personnes homosexuelles, tout en relayant certaines informations
auprès de la communauté gay brésilienne. Le projet de création d'un nouveau périodique surgit
fin 1977 au sein d'un groupe d'intellectuels et artistes homosexuels, à l'occasion de la venue au
Brésil de l'auteur et éditeur britannique Winston Leyland invité par le militant brésilien João
Antônio de Souza Mascarenhas677. Le fondateur en 1975 de la Gay Sunshine Press, première
maison d'édition gay des États-Unis, avait pour projet la création d'une anthologie littéraire
latino-américaine. Le peintre Darcy Penteado organisa chez lui à São Paulo une rencontre
entre Leyland et un petit groupe de journalistes, artistes et intellectuels homosexuels, qui fut
déterminante pour la création du futur mensuel. La période correspondait également au
moment de construction et d'affirmation d'une identité gay au Brésil, voyant se multiplier la
création de lieux de sociabilité voués à un public homosexuel en milieu urbain : bars,
restaurants, clubs, hôtels et saunas. L'équipe initialement exclusivement masculine était
675 Voir le premier éditorial : Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 2.
676 Le numéro 0 de Lampião da Esquina fut imprimé et distribué informellement, sous enveloppe, à un public
déjà connu par la rédaction comme étant amateur de périodiques homosexuels. Le tirage atteignit par la suite
entre 10 000 et 15 000 exemplaires.
677 José Marcelo Domingos de O LIVEIRA, Desejo, preconceito e morte. Assassinatos de LGBT em Sergipe – 1980
a 2010, Paripiranga, Faculdade AGES, 2014. Voir notamment le troisième chapitre consacré au Mouvement
LGBT brésilien (p. 90-133) et les paragraphes consacrés à la création de Lampião da Esquina (p. 91-98).
353
composée de journalistes, artistes et intellectuels basés à Rio de Janeiro et São Paulo 678. Le
journal abordait la défense des droits des homosexuels, la diffusion d'événements culturels, la
création d'un réseau d'entraide et de sociabilité, la lutte contre les violences commises envers
les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuels et travestis, les personnes racisées, le refus,
enfin, d'une répression policière et morale diffuse dans l'espace public et social.
À travers l'analyse des mécanismes communicationnels élaborés au service du
militantisme, nous verrons comment les images combatives portèrent en elles la force critique
et la complexité de revendications nouvelles émergeant des publications étudiées. En parallèle
de la pression importante dans les rues et de la part du système politique pour que l'ouverture
initiée aboutisse réellement à une période de transition, d'importantes divergences surgirent en
effet au sein de la gauche brésilienne. La période de la seconde moitié des années 1970 vit la
multiplication et le renforcement de revendications issues de divers groupes sociaux et
raciaux, lesdites minorités, qui commencèrent à exiger la visibilité et l'écoute qui leur étaient
jusqu'alors interdites par le régime militaire, mais également difficilement concédées au sein
des mouvements de l'opposition.
I. Les combats du rire féministe679
Les deux périodiques Brasil Mulher et Nós, Mulheres feront ici l'objet d'une analyse
conjointe qui, sans occulter les différences de points de vue et divergences entre les collectifs
féministes, aura vocation à penser le rôle des éléments graphiques humoristiques, satiriques et
pédagogiques en les envisageant comme autant de lieux de contestation des pouvoirs
autoritaire, militaire et patriarcal. Inscrites dans la deuxième vague 680 du féminisme brésilien,
ces publications étaient caractérisées par une quête d'égalité, de droits civils, de l'accès à de
nouvelles pratiques culturelles et sociales au sein de la société. Notons qu'elles offrirent un
678 Le conseil éditorial initial comprenait onze membres, parmi lesquels figurent plusieurs fondateurs du journal,
listés dans l'éditorial du numéro expérimental : Adão Costa, Aguinaldo Silva, Antônio Chrysóstomo, Clóvis
Marques, Darcy Penteado, Francisco Bittencourt, Gasparino Damata, Jean-Claude Bernardet, João Antônio
Mascarenhas, João Silvério Trevisan, Peter Fry. Ce conseil éditorial évolua peu au fil des numéros, mais fut
rapidement épaulé par une importante équipe mixte de collaborateurs et correspondants.
679 Cette partie du chapitre est librement inspirée d'un article rédigé par l'autrice de cette thèse et paru en 2016 :
Mélanie TOULHOAT, « Le rire féministe de Brasil Mulher et Nós, Mulheres : les combats de l'humour
graphique dans la presse féministe, sous le régime militaire brésilien (années 1970) » in Anne-Claire BONDON
et Philipp LEU (dir.), L'image contestataire. Les pouvoirs à l'épreuve de la culture visuelle, Paris, Éditions
Numériques du Centre d'Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (CHCSC), 2016, p. 73-91.
680 Voir Joana Maria PEDRO, « Narrativas fundadoras do feminismo : poderes e conflitos (1970-1978) » in
Revista Brasileira de História, n°52, vol. 26, 2006, p. 249-272.
354
espace important aux dessinatrices, très largement occultées, voire moquées, au sein de la
plupart des rédactions indépendantes brésiliennes. De jeunes artistes telles que Tereza ou Ciça
y firent leurs armes, entraînèrent leurs crayons et acquirent une renommée au fil des pages,
aux côtés de Henfil, Ignatz et Laerte qui affichèrent ouvertement leurs sensibilités et
engagements féministes en participant à ces publications.
1. L’éducation, la clé de l’émancipation
Les deux titres publièrent de nombreux articles et dessins centrés sur la période de la
petite enfance, foyer et origine de nombreuses discriminations. Le cinquième numéro de Nós,
Mulheres consacra l'article « Menino pode, menina não pode681 » aux inégalités infligées dès le
plus jeune âge aux petites filles, à qui l'on interdisait certaines activités ou comportements. Le
dessin de Ignatz reproduisait le même visage triste pour figurer deux très jeunes enfants dont
les accoutrements et accessoires imposés par le monde adulte permettaient d'en construire une
identification genrée. La fillette était en robe et coiffée d'un long voilage, une poupée et un
bouquet dans les mains ; le jeune garçon était en tenue sportive, armé de gants de boxe.
L'image s'insurgeait contre l'identification contrainte d'enfants en bas âge à l'un ou l'autre des
genres et l'assignation forcée enseignée par l'imposition de comportements stéréotypés. Le
dessin simpliste au trait presque enfantin représentait les deux bébés opprimés, insatisfaits et
contraints au silence par leur tétine respective. Ignatz en appelait à une modification
substantielle et profonde de la société brésilienne vers davantage d'égalité, en écho à l’article
de la page : « Il ne s'agit pas, évidemment, d'inverser les rôles, mais d'arrêter d'éduquer les
garçons afin qu'ils dominent et les filles pour qu'elles acceptent et aiment être dominées. Il ne
s'agit pas de confisquer les poupées des petites filles, mais de donner des poupées aux petits
garçons682. »
681 Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 5.
682 Idem.
355
FIG 99 : Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 5
Dans son numéro suivant, Nós, Mulheres aborda de nouveau en août 1977 la question
des inégalités construites dès le plus jeune âge, souvent par le biais des jeux et jouets, dans
l'article « Isto é coisa de menina » accompagné d'une autre charge de Ignatz figurant le
phénomène d'observation et de reproduction assimilé par les enfants. Ici, chacun affirmait son
identification à une figure stéréotypée et genrée. Le petit garçon au chapeau de cow-boy et
revolver se rêvait en Django, mystérieux héros éponyme du célèbre western 683 réalisé par
Sergio Corbucci en 1966, transfiguré en idéal masculin fondé sur des valeurs violentes, viriles
et guerrières. La petite fille parée comme une dame chantonnait « Je suis Amélia, celle qui
était une vraie femme684 » en référence aux paroles de la chanson « Ai que saudades da
Amélia », un samba de Ataulfo Alves chanté en 1967 par Roberto Carlos. Le ton nostalgique
de la chanson et la valorisation de l'amour perdu, une femme dévouée, humble et vertueuse,
dessinaient alors une vision particulièrement conservatrice de l'idéal féminin assimilée par la
petite fille685. Le style direct et rapide de Ignatz au service de scénarios caricaturaux efficaces
renforçait l’aspect enfantin des protagonistes déguisés en adultes, soulignant l’absurdité des
situations provoquant les comportements énoncés graphiquement.
683 Sergio CORBUCCI, Django, Italie/Espagne, B.R.C. Produzione S.r.l. et Tecisa, 1966.
684 Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 7.
685 Le nom commun « amélia » désigne aujourd'hui au Brésil une femme tendre et effacée au service des autres,
une femme au foyer dont les activités sont principalement centrées autour de la cuisine, du ménage et des
tâches domestiques.
356
FIG 100 : Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 7
Les périodiques féministes revendiquaient la mise en place de structures éducatives
publiques favorables à l'émancipation des femmes et indispensables au bouleversement
nécessaire des valeurs au sein de la sphère familiale. Les rédactions se positionnèrent
notamment contre la permanence d'un système élitiste, visant souvent par le biais des charges
graphiques le coût des études lié à leur privatisation. Dans le quinzième numéro de Brasil
Mulher daté de mars 1979, Henfil évoqua le choix tragi-comique d'un couple partagé entre les
dépenses alimentaires du foyer et le prix du collège de son fils, Chiquinho 686. Le dessinateur
dénonçait avec humour le chantage tacite organisé par les établissements privés dont le coût
des mensualités forçaient les classes moyennes à de plus en plus de privations, dès lors que
l'accueil des enfants au sein d'établissements scolaires représentait une possibilité pour les
femmes de quitter le foyer, d'étudier et de travailler. La figure masculine était ridiculisée,
comme souvent dans les productions de Henfil, le mari s’étonnant naïvement du fait de
manger de la viande : « Un steak !!! Comment c’est possible ? » alors que sa femme lui
répondait, comme s’il s’agissait d’un comportement logique : « J’ai retiré Chiquinho du
collège... ».
686 Brasil Mulher, n°15, édition spéciale, 03/1979, p. 8.
357
FIG 101 : Brasil Mulher, n°15, édition spéciale, 03/1979, p. 8
Cette problématique du manque de structures publiques éducatives de qualité dans le
secondaire s'insérait dans la continuité de l'énorme carence en crèches dans les centres urbains
et les zones rurales brésiliennes, face à laquelle la contestation s'étoffa au fil des pages sous
forme de reportages, lettres ouvertes et photographies. Il s'agissait là d'un combat mené contre
l'absence de politiques publiques spécialisées en matière de petite enfance, l’État laissant cette
charge incomber aux mères de famille. Le titre Mulherio publia en couverture de son
quatrième numéro daté de novembre et décembre 1981 une charge d'Henfil signalant le
désarroi d'une femme noire contrainte de laisser son jeune enfant seul pour aller travailler. Elle
s'adressait au Christ Rédempteur, symbole visuel et métaphore de la ville de Rio de Janeiro
toute entière : « Vous vous occupez de lui pour moi pendant que je vais travailler ?687 ».
687 Mulherio, n°4, 11-12/1981, p. 1.
358
FIG 102 : Mulherio, n°4, 11-12/1981, p. 1
En s'appuyant sur les revendications liées au système éducatif et à la nécessaire
autonomie féminine, les publications militaient en creux pour la transformation globale d'une
société fondée sur la dépendance de la femme à tous les niveaux : intime, social et
professionnel. Dans son deuxième numéro sorti en mai 1976, Brasil Mulher publia ainsi
l'article « Direito civil : quem decide é o homem 688 » analysant les difficultés rencontrées par
les femmes brésiliennes sur le plan juridique. Le texte encadrait une photographie représentant
le corps d'un mannequin féminin nu, emprisonné par des cordes entravant sa liberté jusque
dans les zones les plus privées. L'image au fort caractère métaphorique interpellait, la
référence féminine se limitant à un objet sans liberté d'action ni aucune maîtrise de son propre
corps, objet d'un autre et non sujet de sa propre histoire.
688 Brasil Mulher, n°2, 05/1976, p. 6.
359
2. Dessiner le monde du travail, entre grande précarité et inégalités
Le traitement de la sphère du travail et du monde professionnel par les périodiques
féministes était double. D'une part, les rédactions insistaient largement sur les nécessaires
conditions de l'accès au travail pour les femmes, considérant l'autonomie financière comme
l'une des conditions indispensables de l'émancipation et luttant contre la précarité du travail
féminin. D'autre part, les titres reconnaissaient et exposaient la perpétuation de discriminations
criantes au sein des sphères professionnelles et domestiques, critiquant les inégalités de
traitement motivées par le genre.
Le premier numéro de Nós, Mulheres consacra en juin 1976 une double page 689 à la
précarité féminine au travail dans la périphérie de São Paulo ainsi qu'aux tâches réalisées par
les femmes à domicile afin de compléter les revenus du foyer. Faute de crèches pouvant
accueillir les enfants, faute de moyens financiers suffisants, les femmes étaient souvent
contraintes d'amener leur travail au sein du domicile familial, le repassage, la cuisine ou la
couture achevant ainsi de détruire la possibilité d'une quelconque intimité. De nombreuses
entreprises préféraient en effet cette main d’œuvre bon marché et flexible à un salariat fixe
soumis à des charges sociales. Une charge signée par la dessinatrice Tereza et insérée dans
l'article « Um dinheiro pingado690 » représentait une femme en arrière-plan, le visage tourné
comme pour ne pas voir l'immense machine à coudre presque enfouie sous un amoncellement
de pièces de tissu. Le trait simple et réaliste nous rappela une image publiée dans Brasil
Mulher en août 1977 au sein d'un dossier abordant la même problématique : « Na casa dessas
mulheres : forno, fogão e fábrica691 ». La femme au regard fuyant collait des semelles de
chaussures sur un établi de fortune situé dans la cuisine, sans doute la seule pièce à vivre, sous
les yeux d'un jeune enfant et à la lumière d'une ampoule électrique. Volontairement figuratif et
cru, le crayonné montrait dans un style documentaire la surabondance des zones d'ombres
représentées par des croisillons, insistant sur la précarité et la tristesse de la scène.
689 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 6-7.
690 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 6.
691 Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 8.
360
FIG 103 : Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 8
Les deux dessins soulignaient la résignation de femmes face à l'accumulation de tâches à
réaliser au sein d'un seul et même espace, et l’impossibilité d’y mener d'autres activités. Ils
insistaient également sur les difficultés pratiques et matérielles induites par cette intrusion
contrainte du travail à domicile, au détriment des enfants.
La double page parue dans le premier de Nós, Mulheres consacra également un article
aux employées domestiques, « Na casa dos outros692 » :
« Cuisinières, femmes de chambre, blanchisseuses, travailleuses journalières, elles
représentent 32% de la force de travail féminine. Leur temps de travail n'a pas de
limite, elles dorment dans un placard, coupées de leur milieu social sans pour autant
appartenir à celui dans lequel elles vivent six jours par semaine, tout en gagnant un
salaire arbitraire. A São Paulo, elles sont 300 000 ; à Rio, 200 000. Combien sontelles dans le reste du Brésil ? Quelle est leur histoire693 ? »
692 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 7.
693 Idem.
361
Tereza signa un visuel dont la complexe composition graphique reflétait le drame du dilemme
vécu par de très nombreuses employées de maison. Au centre, le visage d'une femme triste et
préoccupée, portant un foulard sur la tête, séparait l'image. Son regard inquiet se dirigeait vers
un ensemble d'outils et ustensiles de ménage dessinés sur la partie gauche, utilisés dans le
cadre de son travail de domestique qui semblait l'emprisonner. De l'autre côté, l'ombre de son
visage se fondait dans la photographie de deux jeunes enfants désœuvrés.
Mais les périodiques insistèrent également, dans une moindre mesure, sur les grandes
disparités et discriminations régnant dans certains environnements professionnels davantage
qualifiés. Dès son numéro expérimental, Brasil Mulher analysa les injustices subies par les
femmes dans le monde de la recherche scientifique justifiées par une prétendue infériorité
intellectuelle et créatrice. L'article « Paradoxo : discriminação na comunidade cientifica694 »
encadrait la photographie centrale d'une jeune femme séduisante à la moue boudeuse, à
l'attitude lascive et au regard intense, autant de caractéristiques généralement attribuées à la
gent féminine par un mode de pensée sexiste. Elle portait un t-shirt blanc sérigraphié aux
motifs d'un veston à carreaux et d'un nœud papillon, ainsi qu'un stéthoscope en guise d'étrange
accessoire de mode. La légende ironique feignait de justifier la misogynie de l'image en
critiquant les prétendues futilité et stupidité féminines : « La science n'est pas un truc pour les
femmes : il leur manque l' « étincelle de génie »695 ».
694 Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 13.
695 Idem.
362
FIG 104 : Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 13
Le même titre aborda la thématique de la discrimination à l'embauche dans son numéro
suivant au sein de la rubrique « Os fatos estão ai696 » qui compilait divers compte-rendus
d'événements, coupures de presse et dessins. Une charge non signée représentait un cabanon
en bois identifiable grâce à la pancarte « Petrobras » – entreprise brésilienne d’État consacrée
à la recherche et l'exploitation du pétrole créée en 1953 – et dont la façade était recouverte des
initiales BR afin d'insister visuellement sur le caractère national de la firme. Sur le flanc de la
bâtisse, on pouvait lire l'inscription « Entrée interdite aux filles », sorte de graffiti rajouté après
la construction de l'édifice à côté d'une petite porte dérobée. La légende indiquait que des
femmes scientifiques brésiliennes s'étaient vues refuser l'inscription à un concours d'entrée de
Petrobras qui aurait évoqué l'insalubrité du travail, allant d'après Brasil Mulher à l'encontre de
696 Brasil Mulher, n°1, 12/1975, p. 5. Littéralement, « Les faits sont là ».
363
la loi : « … la Constitution est claire lorsqu'elle interdit à l'employeur de discriminer l'employé
en fonction de son sexe et quand elle garantit l'égalité salariale entre hommes et femmes 697. »
Tout en symboles, le dessin fondé sur la métaphore visuelle de la cabane mettait en avant le
caractère public et national de l'entreprise et d'un tel comportement discriminatoire, renvoyant
directement l’État devant sa responsabilité dans la gestion et le recrutement au sein de
l'entreprise Petrobras.
FIG 105 : Brasil Mulher, n°1, 12/1975, p. 5
De même, certaines charges dénoncèrent la grande précarité de professions presque
essentiellement féminines. Le neuvième numéro de Brasil Mulher paru en octobre 1977
consacra un article à la situation de misère vécue par de nombreuses enseignantes dans le
primaire, « Professora primária quer ser varredora de rua698 ». Inspiré d'un article paru dans O
Atalho, publication de l'Association des professeurs licenciés de l’État du Paraná, le texte était
accompagné d'un strip du personnage miséreux créé par Edgar Vasques. Rango offrait un
bouquet de fleurs à une enseignante à la porte de l'école et lui apportait son soutien face aux
conditions économiques désastreuses : « Professeure, un hommage de la part d'un spécialiste
en SCM pour un autre » puis précisait la signification de ces initiales énigmatiques : « Survie
en Conditions Minimales699 ».
697 Brasil Mulher, n°1, 12/1975, p. 5.
698 Brasil Mulher, n°9, 10/1977, p. 6.
699 Idem.
364
FIG 106 : Brasil Mulher, n°9, 10/1977, p. 6
La solidarité et le sarcasme exprimés par le héros affamé ne pouvaient développer leur
potentiel comique qu'à la condition de l'identification par les lectrices et lecteurs du
personnage, de son infortune quotidienne et de son environnement misérable. En représentant
le soutien apporté par Rango, représentant des couches les plus précaires de la société
brésilienne, à une maîtresse d'école, Edgar Vasques souligna la détresse de fonctionnaires
devant multiplier les professions en plus de leurs heures d'enseignement pour pouvoir survivre.
D'une certaine manière, le dessinateur en appelait également à une prise de conscience de
l'extrême précarité et des dangers de la dégringolade sociale.
Brasil Mulher et Nós, Mulheres revendiquaient l'égalité des conjoints dans la sphère
domestique, nécessaire corollaire du droit au travail féminin. Coutumière de l'emploi de
métaphores animales, la dessinatrice Cecilia Vicente de Azevedo, dite Ciça, créa le personnage
de Bia Sabiá spécialement pour les deux titres féministes. Le petit pinson femelle jonglait
inlassablement dans chaque strip avec ses heures à l'usine, l'éducation des enfants,
l'organisation des activités et les tâches ménagères sans que son époux ne participe ne serait-ce
que de manière minime. Elle devint un personnage récurrent de Nós, Mulheres dès le premier
numéro. Le conjoint de Bia, digne représentant du machisme faussement naïf critiqué avec
beaucoup d'ironie, ne semblait jamais réaliser l'injustice des situations quotidiennes. Si
l'environnement des protagonistes était balisé par l'usine, le foyer et les rares lieux de sorties,
c'est que la critique était ici formulée spécifiquement à l'encontre du phallocentrisme dans le
milieu ouvrier. La première planche publiée par Nós, Mulheres700 avait pour thème la double
700 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 2.
365
journée de travail de femmes issues des classes populaires : elle contestait le postulat
établissant les tâches domestiques comme féminines par essence et le repos réservé aux
hommes.
FIG 107 : Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 2
De retour de leurs journées de travail respectives, les deux pinsons regagnaient leur foyer, le
conjoint redoublant de demandes, d'exigences et de reproches alors que Bia était cantonnée à
la vaisselle dans la cuisine. La planche dénonçait avec beaucoup d'ironie la critique envers les
mouvements féministes et le manque de considération à l'égard du travail domestique, en
feignant de reprendre à son compte l'argumentaire masculin du mari : « Le monde est perdu !
Regarde les nouvelles... les femmes ont tout, elles ont la vie facile et elles trouvent le moyen
de parler de ce mouvement féministe... […] Au final, qu'est-ce que vous voulez de plus dans la
vie701 ? ». Le rire jaune résultait alors de la généralisation méprisante et paternaliste formulée
par le mari de Bia, le nez dans son journal et confortablement installé dans son fauteuil. Bia
Sabiá devint au fil des numéros la protagoniste d'une dénonciation récurrente des inégalités du
partage des tâches domestiques. Ciça employait dans ses créations un trait simple, parfois
simpliste et rapide, au fort potentiel métaphorique pour mettre en avant les comportements et
expressions de ses personnages. Elle renforçait ainsi la dénonciation d'une perpétuation de
l'oppression depuis le monde professionnel jusque dans la sphère intime et privée, dans la
701 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 2.
366
lignée du célèbre mot d'ordre féministe des années 1970 : « le privé est politique702 ». La
dessinatrice publia également une planche du couple de pinsons dans le onzième numéro de
Brasil Mulher en mars 1978. Un dimanche, Bia expliquait à son mari qu'elle resterait se
reposer à la maison, suggérant que chacun s'occupe de manière partagée du rangement de la
maison et de la préparation des repas. Désemparé, son compagnon faisait part de son profond
désarroi dans les deux dernières cases : « Ranger mon bazar, préparer mon repas ? Ça veut dire
que je vais devoir travailler un dimanche ?703 ».
FIG 108 : Brasil Mulher, n°11, 03/1978, p. 11
Face aux nombreuses et criantes inégalités dans les sphères professionnelles et privées,
les périodiques féministes encourageaient les femmes à agir de manière constructive, à
s'insurger contre les discriminations et à tenter de les réduire. Les charges et autres formes
graphiques d'humour eurent un rôle prépondérant dans cet appel à l'émancipation, passant par
exemple pour la dessinatrice Laerte par la syndicalisation féminine. Le dixième numéro de
Brasil Mulher relatait en décembre 1977 les étapes de l'organisation prochaine du 1er Congrès
de la femme ouvrière métallurgique704 prévue du 21 au 28 janvier 1978 ainsi que les défis
inhérents à la mise en place d'un tel événement par le Syndicat des ouvriers métallurgiques de
702 Theresa Man Ling LEE, « Rethinking the Personal and the Political: Feminism Activism and Civic
Engagement » in Hypatia: A Journal of Feminist Philosophy, vol. 22, n°4, p. 163-179 ; François THEBAUD,
« 45. Le privé est politique. Féminisme des années 1970 » in Michel PIGENET, Histoire des mouvements
sociaux en France. De 1814 à nos jours, Paris, La Découverte, 2014, p. 509-520.
703 Brasil Mulher, n°11, 03/1978, p. 11.
704 Brasil Mulher, n°10, 12/1977, p. 3.
367
São Bernardo do Campo et Diadema, au sud-est de l'agglomération de São Paulo. L'article
insistait notamment sur les liens indéfectibles entre un partage égal des tâches domestiques et
la possibilité pour les femmes de s'investir dans les activités syndicales, souvent réalisées
après les journées de travail. Une charge signée Laerte mettait en avant la participation
féminine active et concrète tant espérée par le journal dans les débats : une ouvrière se levait
de son siège au milieu d'une assemblée mixte, l'index droit levé en signe de détermination. Le
dessin représentait un contre-point fort à de nombreuses représentations de femmes exploitées
et miséreuses, employées par les équipes graphiques des périodiques féministes afin de
souligner et de dénoncer les situations de domination. Ici au contraire, Laerte prétendait
fédérer les lectrices de Brasil Mulher, les incitant à participer aux débats et actions menées à
l’instar de l’ouvrière dessinée.
FIG 109 : Brasil Mulher, n°10, 12/1977, p. 3
Avec Laerte, la femme osait s'exprimer et faire valoir ses revendications, à l'instar de
l'oiseau femelle Graúna dessinée par Henfil dans Nós, Mulheres quelques mois plus tôt,
lorsqu'elle affirma son désir d'émancipation : « Zeferino ! J'ai assumé mes droits et ma
liberté... À partir d'aujourd'hui tu ne me commanderas plus, tu ne me donneras pas d'ordre, tu
ne me frapperas pas... ». Les réponses de Zeferino, « NON GRAÚNA, NON ! » et « PITIÉ !
JE SUIS DÉPENDANT DE TA DÉPENDANCE !!705 », critiquaient l'hypocrisie d'une société
705 Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 16. La réponse de Zeferino est inscrite en majuscules dans le strip pour en
signifier l'importance et le volume sonore.
368
brésilienne patriarcale réduisant les femmes à un statut d'infériorité indispensable à son bon
fonctionnement.
FIG 110 : Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 16
3. Pour une (ré)appropriation des corps
Si l'indépendance des femmes était associée à la critique des discriminations existantes
dans le milieu professionnel ainsi qu'à la lutte contre les inégalités domestiques, les journaux
insistaient également sur d'autres piliers des revendications féministes ayant émergé au
tournant des années 1970 et pris de l'ampleur dans le courant de la décennie suivante : la
réappropriation par les femmes de leur corps et le droit à une sexualité consciente et choisie.
Les publications développèrent en ce sens un important travail pédagogique d'éducation
sexuelle, d'information sur la contraception et d'incitation des femmes à reprendre le pouvoir
sur leurs corps, au sein duquel la publication d'images didactiques, humoristiques et satiriques
remplit un rôle primordial.
369
Le cinquième numéro de Nós, Mulheres proposa à cet égard le dossier « Menstruação,
vamos falar dela706 » consacré à l'analyse précise et claire du processus menstruel ainsi qu'aux
changements, difficultés, tabous et préjugés pouvant lui être liés. L'article déplorait l'absence
d'éducation sexuelle chez les jeunes filles brésiliennes, analysait les termes employés de
manière stigmatisante pour désigner les règles et insistait sur l'origine religieuse et morale de
certains stéréotypes ou interdits. Le souci de clarté du texte construit avec des extraits d'un
entretien avec une médecin était également présent dans le dessin de Rosalia, représentation
stylisée d’une femme nue au trait simple et rapide. Trois flèches y désignaient respectivement
l'hypophyse, l'utérus et l'ovaire. La composition minimaliste induisait une compréhension
rapide et avait vocation à dédramatiser, la position centrale du sexe féminin insistant encore
davantage sur le thème traité par le dossier. Il s'agissait dès lors d’agir à plusieurs niveaux :
combattre l'ignorance et les préjugés en apportant des connaissances précises aux lectrices ;
contribuer à la rupture du tabou en représentant graphiquement la nudité féminine sans
érotisation. Ces mêmes objectifs conduisirent la rédaction de Brasil Mulher à publier à partir
du treizième numéro la rubrique récurrente « Nosso corpo », série d'articles consacrés à une
meilleure compréhension du corps et du plaisir féminins :
« Dans cette page, Brasil Mulher entame une série d'articles sur la reproduction, les
méthodes contraceptives et la sexualité. En général, nous, les femmes, ne
connaissons pas notre corps. Le peu que l'on nous a enseigné a été de ressentir des
douleurs, les douleurs des règles, les douleurs du premier rapport sexuel, les
douleurs de l'accouchement. Personne ne nous a rien enseigné au sujet du plaisir
que notre corps peut nous procurer707. »
Les images publiées dans ces pages remplissaient avant tout un rôle pédagogique et militant
afin de pallier au manque d'informations des lectrices.
Les publications féministes militaient en faveur de la légalisation de l'avortement au
Brésil, insistant sur la précarité des conditions de vie d'une grande majorité de femmes, sur les
grandes inégalités sociales face aux grossesses non désirées et sur la dépendance des
conditions sanitaires des opérations aux moyens financiers des intéressées. Le treizième
numéro de Brasil Mulher dressa un bilan alarmant des avortements dans le pays entre 1976 et
706 Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 4.
707 Brasil Mulher, n°13, 07/1978, p. 14.
370
1977 dans l'article « No Brasil, o aborto é proibido. Mas acontece708 », dénonçant l'injustice
sociale liée à l'interruption volontaire de grossesse. Les femmes des classes populaires privées
d'une éducation sexuelle de qualité ne bénéficiaient en amont ni de consultations
gynécologiques ni d'une orientation vers une contraception adaptée. Le texte évoquait
également les dramatiques conséquences de ces carences ainsi que l'estimation proposée par
l'ancien ministre de l’Éducation Clovis Salgado d'un million et demi d'avortements clandestins
pratiqués en 1976 au Brésil, tout en rappelant les différences de conditions d’hygiène entre les
milieux défavorisés et les classes aisées.
Parallèlement à ces revendications en faveur de la légalisation de l'avortement et à la
valorisation du député João Meneses, affilié au MDB, qui présenta devant la Chambre des
députés en 1975 un projet de loi allant en ce sens, l'une des principales cibles de la critique au
sein des périodiques féministes fut le Programme de prévention de la grossesse à haut risque
mis en place en 1977, à la fin de la présidence du général Geisel. L'objectif annoncé par le
gouvernement était la création d'une assistance spécialisée de prévention des grossesses, mais
le programme confondit souvent stérilisation, mesures verticales imposées et véritable
éducation à la contraception. La mesure rencontra une forte opposition709 de la part de
professionnels de santé et de nombreuses militantes féministes qui « voyaient dans cette
initiative gouvernementale une farce pour imposer le contrôle de la natalité » et jugeaient que
« les critères adoptés par ce programme étaient une manière de discriminer encore plus les
femmes issues des couches populaires710. » L'article « Mulher, patrimônio social do Estado711 »
paru dans Brasil Mulher en mai 1978 confirmait son engagement en faveur du planning
familial et de la contraception, mais déplorait l'utilisation de cette dernière par l’État pour
limiter les naissances au sein des classes les plus défavorisées. En effet, la distribution massive
de pilules contraceptives aux femmes les plus pauvres des zones périphériques, sans aucun
708 Brasil Mulher, n°13, 07/1978, p. 4.
709 Le troisième chapitre du mémoire de master en histoires des sciences et de la santé de Cecília Chagas de
Mesquita aborde justement les conflits liés aux mesures de planification familiale instaurées entre les années
1960 et 1980 au Brésil. Elle identifie deux « pôles » du débat sur le contrôle de la natalité : un pôle
conservateur favorable au contrôle des naissances parmi les classes populaires afin de combattre la misère et
un pôle progressiste ancré à gauche opposé aux arguments hygiénistes, favorable à la mise en place de
politiques éducatives et préventives. Voir : Cecília Chagas de MESQUITA, « Capítulo 3. Perspectivas em debate:
propostas e conflitos sobre planejamento familiar no Brasil » in « Saúde da mulher e redemocratização:
ideias e atores políticos na história do PAISM », Mémoire de master en Histoire des sciences et de la santé,
sous la direction de Cristina Maria Oliveira Fonseca, Rio de Janeiro, Fondation Oswaldo Cruz, 2010, p. 61111.
710 Maria Amélia de Almeida TELES, Breve história do feminismo no Brasil, São Paulo, Editora Brasiliense, 1993,
p. 101.
711 Brasil Mulher, n°12, 05/1978, p. 15.
371
suivi médical, se rapprochait davantage d'une volonté de réduire les naissances au sein des
classes populaires que d'un réel accompagnement pédagogique vers des choix conscients et
éclairés en matière de sexualité et de maternité :
« Ainsi, dans le cadre d'un planning familial répondant aux intérêts féminins, la
fonction des organismes publics devrait être d'une part de fournir les moyens
anticonceptionnels, les éclaircissements et l'assistance médicale nécessaire et d'autre
part de créer les conditions matérielles permettant aux familles d'avoir le nombre
d'enfants qu'elles désirent712. »
Faisant de nouveau usage de son incroyable esprit de synthèse, le dessinateur Henfil
mit en scène son héroïne Graúna dans un strip ironique à la teneur et au vocabulaire hautement
contestataires. L'oiseau s'adressait à une femme chargée de la distribution des contraceptifs
dans le cadre du Programme mis en place par le gouvernement et lui proposait de passer le
marché suivant : « Nous arrêtons de produire du peuple... Et vous cessez de produire des
autorités et des patrons...713 ».
FIG 111 : Brasil Mulher, n°12, 05/1978, p. 15
La contribution de l'artiste aux réflexions soulevées par les textes était fréquemment sollicitée
dans les pages du périodique Mulherio, comme lorsqu'il publia en novembre 1981 une charge
ironiquement intitulée « Esporte, reduto masculino714 ». Dénonçant les préjugés au sein de
l'univers sportif, le dessin représentait deux femmes chargeant sur leur tête d'énormes ballots.
L'une d'entre elles expliquait cependant qu'elle était « contre le fait que la femme joue au
football ! C'est trop dur physiquement... ». Henfil faisait dès lors d'une pierre deux coups, en
712 Idem.
713 Idem.
714 Mulherio, n°4, 11-12/1981, p. 23.
372
rendant visible la dureté du travail féminin tout en luttant contre une prétendue infériorité
féminine interdisant de fait la pratique de certains sports, irréductibles « bastions » masculins.
La réappropriation par les femmes de leur propre corps passait également par une lutte
permanente contre l'image qui en était construite, imposée et diffusée par la société,
notamment via les médias et la publicité. La page spéciale « Tá na cara715 » publiée dans le
sixième numéro de Nós, Mulheres critiquait l’omniprésence d’une vision stéréotypée et
machiste de la féminité. La subtilité des messages véhiculés par les photographies publicitaires
et slogans reproduits, qui gagnaient une seconde signification ainsi regroupés, était laissée à
l'appréciation des lectrices et lecteurs. Le comique de la page provenait du ridicule éhonté de
publicitaires orchestrant la sexualisation excessive du corps féminin afin de vendre leurs
produits. L’importante diffusion de sous-vêtements, de fesses et de postures lascives afin de
faire la promotion d'une enseigne de mode, d'une marque d'appareils photographiques ou d'une
agence immobilière, apportait autant d'éléments à l'ironie de la critique. Les images, à l'instar
de la photographie d'une femme apprêtée associée au titre « Prenez bien soin de votre visage.
C'est la seconde chose que les hommes préfèrent regarder 716 », constituaient les témoins à
charge contre un modèle vendeur et sexiste au détriment de l'estime, de la fierté, de la force et
de la dignité féminines. Elles apportaient les preuves du propos écrit :
« La publicité est un mensonge, un monde illusoire qui créé chaque jour de
nouveaux besoins. Complètement inutiles. Et attention : si ça n'est pas encore bien
clair, tu peux commencer à détester ta propre image, parce que tu n'as pas la peau
blanche et douce, le visage dépourvu de rides, les cheveux blonds ou ce fameux
corps fantastique.
Nous les Femmes sommes fortes, mais la publicité nous fait fragiles, stupides et
« savoureuses » ; parce que c'est ainsi que cette société nous utilise pour vendre ses
produits. Nous sommes pourtant tellement nombreuses. Et derrière ces images, il y
a de la force, de l'intelligence, du travail, de la misère. Et de l'oppression 717. »
Référence implicite aux discriminations raciales organisant la société brésilienne, la
dénonciation de la standardisation des apparences et corps féminins ne s’étendit cependant pas
davantage sur la blancheur imposée en canon de beauté. Si les rédactions de Brasil Mulher et
715 Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977, p. 3.
716 Idem.
717 Idem.
373
Nós, Mulheres eurent à cœur d’associer les classes populaires et les femmes issues des
périphéries à leurs engagements
féministes, la transversalité des combats antiraciste et
antisexiste n’était que très peu présente dans les pages, contrairement à celles de la presse
homosexuelle. Notons que dans ce cas précis, Nós, Mulheres n'eut pas recours aux dessins de
presse dans la mesure où les situations de discrimination et d'oppression analysées dans les
images reproduites semblaient déjà suffisamment caricaturales.
4. Des publications insérées dans la lutte pour les libertés démocratiques
Les titres féministes nés au cours de la seconde moitié des années 1970 au Brésil,
s’inscrivirent dans un militantisme défini par des problématiques culturelles et sociales
jusqu'alors en partie ignorées par la gauche traditionnelle. Cependant, à l'instar d'autres
périodiques luttant pour la défense des minorités ethniques, de genre ou sexuelles, ils
assumèrent également activement leur ancrage dans l'opposition au régime militaire, à la
répression et aux atteintes portées aux libertés individuelles et collectives.
Les périodiques féministes revendiquèrent leur appartenance à l'ensemble de la presse
indépendante, assumant à leur manière cette filiation et s'insérant dans un vaste réseau de
solidarités militantes. Ainsi, le premier numéro de Nós,Mulheres publia une charge reprenant à
son compte la figure de Blanche-Neige, entourée de ses alliés les nains 718. Elle brandissait une
ombrelle marquée du nom du journal alors que les personnages masculins tenaient de
nombreux parapluies aux noms d’autres titres indépendants : « Opinião », « Versus », « Brasil
Mulher », « Poeira », « Ovelha Negra », « Pasquim », « Movimento »... La construction de
l'image révélait la conception que la rédaction féministe avait de son propre rôle à jouer au
sein de la presse indépendante : la gestuelle de la protagoniste traduisait détermination et
fermeté, ainsi que l'ambition d'aller de l'avant et d'entraîner l'ensemble des périodiques dans
son sillage. La rédaction de Nós,Mulheres avait en somme, à l’image de Blanche-Neige, un
rôle avant-gardiste fondamental dans la structuration des combats – principalement menés par
des hommes – de la gauche brésilienne.
718 Nós, Mulheres, n°1, 06/1976, p. 5.
374
FIG 112 : Nós,Mulheres, n°1, 06/1976, p. 5
Brasil Mulher valorisa également son intégration au sein d'une presse indépendante unie et
solidaire en publiant une annonce issue du titre Movimento qui proposait des tarifs réduits pour
les personnes souhaitant s'abonner de manière groupée à plusieurs périodiques 719. Les
partenaires indiqués étaient les suivants : Brasil Mulher, Versus, O São Paulo, Mutirão, Esteio,
Coojornal, Revista do CEAS, Rádice, De fato, Posição et Inéditos. Malgré les spécificités du
militantisme féministe, il sembla donc émaner des rédactions l'envie de valoriser
l'appartenance à un collectif plus large afin de mener certains combats communs à divers
groupes, tendances et mouvements de l'opposition au régime militaire.
Dès l'année 1975, les journaux féministes se firent les porte-parole de l’une des plus
importantes campagne menées par les organisations de la gauche brésilienne durant la seconde
moitié du régime militaire, celle en faveur de l'amnistie « ample, générale et sans restriction »
des prisonniers politiques et des exilés. La rédaction de Brasil Mulher décida dès son numéro
expérimental paru le 9 octobre 1975 de consacrer un important dossier à cette revendication et
de publier des extraits du Manifeste rédigé par le Mouvement féminin pour l'amnistie en mars
de la même année :
719 Brasil Mulher n°11, 03/1978, p. 2.
375
« MANIFESTE DE LA FEMME BRÉSILIENNE EN FAVEUR DE
L'AMNISTIE
Nous, femmes brésiliennes, en cette Année Internationale de la Femme,
assumons nos responsabilités de citoyennes dans le contexte politique
national. A travers l'Histoire, nous avons prouvé la capacité de l'esprit
solidaire de la femme à renforcer les aspirations d'amour et de justice. C'est
pourquoi, en cette Année Internationale de la Femme, nous devançons les
destins de la Nation qui atteindra son objectif de paix uniquement quand sera
concédée l'amnistie ample et générale à tous ceux qui furent atteints par les
actes d'exception.
Nous appelons toutes les femmes à s'unir dans ce mouvement, pour aller
chercher le soutien de tous ceux qui s'identifient avec l'idée de l'impérieuse
nécessité de l'amnistie, ayant en vue l'un des objectifs nationaux : l'Unité de
la Nation720. »
Quelques pages plus loin, le journal publia un entretien avec l'historien Moniz
Bandeira721 dont l'analyse faisait remonter l'amnistie politique au XIX e siècle, l'ancrant dans la
pratique politique nationale. L'article visait à conférer une légitimité historique au mouvement
soutenu par d'importants secteurs étudiants, politiques et syndicaux. Le dessin d'une colombe,
symbole de paix au corps composé des lettres M, F, P et A, pour « Mouvement féminin pour
l'amnistie » insistait sur la continuité de cette lutte avec l'année 1945. Durant la dernière année
de l'Estado Novo instauré en 1937, Getúlio Vargas concéda l'amnistie politique à de nombreux
ennemis du régime condamnés pour « crimes politiques ».
720 Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 8.
721 Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 12.
376
FIG 113 : Brasil Mulher, n°0, 10/1975, p. 12
Le logo du MFPA fut reproduit à de maintes reprises dans les pages de Nós, Mulheres, les
symboles et représentations graphiques de la campagne étant très présents dans les
publications féministes. En mai 1976, Brasil Mulher publia un carnet de route illustré retraçant
les étapes de sa création et le parcours de ses membres 722. Les dessins de la double page
illustraient le texte tout en insérant de nombreux éléments visuels supplémentaires afin
d'étoffer le caractère militant de la publication. Dans la première case consacrée à la
représentation des réunions préparatoires antérieures à l'aboutissement du projet, on pouvait
distinguer nettement sur le mur de la salle une affiche estampillée du logo de la campagne
pour l'amnistie, marque de l’auto-représentation par les
engagements politiques.
722 Brasil Mulher, n°2, 05/1976, p. 10-11.
377
journalistes féministes de leurs
FIG 114 : Brasil Mulher, n°2, 05/1976, p. 10
Nós, Mulheres publia la section d'humour graphique « O humor de Nós, Mulheres » à
partir du quatrième numéro et accorda un espace important à l'un des groupes de personnages
créés par Henfil, très critique vis-à-vis du régime militaire : Zeferino, Orelana et Graúna, le
trio originaire du sertão brésilien. Dans l’édition suivante, le dessinateur parvint à mettre en
évidence sans la nommer explicitement l'existence de la censure dans une charge dont la
critique portait a priori sur la faible valeur du salaire minimum 723. Graúna interrogeait Zeferino
à propos des motifs le poussant à interdire la circulation d'un livre : « Tu confisques ce livre là
parce qu'il porte atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ? ». Suite à la réponse par
l'affirmative du capitaine, l'oiseau poursuivait son raisonnement logique : « Ça veut dire qu'il
faut confisquer tout ce qui porte atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ? ». Zeferino
acquiesçait encore, incitant Graúna à réfléchir puis chuchoter à l'oreille d'Orelana : « Ils vont
confisquer le salaire minimum...724 ». Henfil tournait en dérision le caractère aveugle et
absurde de la censure tout en critiquant l'indécence du salaire minimum brésilien, dont la
hausse de 768 à 1106,40 cruzeiros entre avril et mai 1977 correspondit seulement à un
723 Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 15.
724 Idem.
378
rattrapage partiel et insuffisant de l’inflation galopante, et non à une augmentation réelle dans
la longue durée.
FIG 115 : Nós,Mulheres, n°5, 06-12/1977, p. 15
La rédaction de Brasil Mulher protesta également contre les diverses formes
empruntées par la censure, comme en mai 1976 lorsqu'elle publia une lettre ouverte 725 adressée
au président Ernesto Geisel et notamment signée par le MFPA, la société « Brasil Mulher » et
le groupe « Nós, Mulheres ». Le texte réclamait l'autorisation de publication d'un numéro
spécial censuré de Movimento consacré à l'insertion des femmes dans le marché du travail, aux
discriminations subies et aux difficultés rencontrées. Au-delà de la manifestation de solidarité
avec leurs confrères, il s'agissait pour les journalistes de Brasil Mulher de rendre visible et
lisible la censure à la presse indépendante tout en insistant sur l'importance pour la société
toute entière de la libre circulation d'informations concernant la situation des femmes
brésiliennes :
« Nous, femmes préoccupées par la situation de la femme dans la société
brésilienne, intéressées par le fait d'en discuter amplement et d'agir afin de la
modifier, nous manifestons par la présente notre rejet de la violente censure exercée
sur l'édition spéciale que le journal Movimento prévoyait de publier pour son
725 Brasil Mulher, n°2, 05/1976, p. 8.
379
quarante-cinquième numéro autour du thème unique « Le travail de la femme au
Brésil », et réclamons la libération intégrale du contenu censuré 726. »
L'année suivante, Brasil Mulher s'attaqua à la cassation du mandat électoral du député
Alencar Furtado qui s'était exprimé publiquement contre la disparition forcée d'opposants ou
prisonniers politiques727. La charge de la dessinatrice Ciça faisait de l'homme politique l'un des
symboles des atteintes récurrentes aux libertés fondamentales en représentant une Constitution
brésilienne moribonde couverte de toiles d'araignées et attaquée par les rats.
FIG 116 : Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 3
À l'échelle locale et dans une temporalité quotidienne, la lutte trouvait une continuité
dans le combat contre les décisions arbitraires et injustes, les inégalités sociales ou la
spéculation immobilière, comme lorsque Laerte publia une charge dans Brasil Mulher en
décembre 1977 dénonçant les déplacements forcés de populations issues des favelas vers de
grands ensembles urbains très éloignés de leurs zones d'habitat initiales728.
Les images humoristiques et satiriques publiées par les périodiques féministes analysés
nous semblent dès lors représentatives de la grande diversité des revendications qu'ils
portèrent : critique d'une éducation discriminante imposant dès l'enfance une relation
inégalitaire liée au genre, refus de la précarité et des injustices dans le monde du travail, lutte
pour une égale répartition des tâches domestiques, appropriation informée et consciente par les
726 Idem.
727 Brasil Mulher, n°8, 08/1977, p. 3.
728 Brasil Mulher, n°10, 12/1977, p. 10.
380
femmes de leur propre corps, élaboration et reconstruction d'une société brésilienne égalitaire.
Les publications prirent également position et occupèrent un large espace au sein de la lutte
démocratique en opposition au régime militaire, militant en faveur de l'amnistie des
prisonniers politique dès l'année 1975 ou condamnant la censure et la répression. Au fil des
pages, les caricatures, les dessins de presse, les bandes dessinées et les photographies
dénonçaient, tournaient en dérision, éduquaient ou désacralisaient, réinventant la notion
d'humour politique à mesure que la définition du politique elle-même s'amplifia et que certains
secteurs de la société civile brésilienne s'approprièrent des combats spécifiquement liés au
genre ou à la sexualité. Les dessins révèlent une incorporation progressive, principalement au
sein de Nós,Mulheres, de thématiques liées au corps et à la sexualité, progressivement jugées
légitimes dans le faisceau de revendications militantes et très partiellement acceptées par la
gauche traditionnelle. Ces images permettent aujourd'hui de tracer une histoire culturelle des
mouvements féministes engagés sur l'éternel double front, celui de l'émancipation des femmes
et celui du combat démocratique contre le régime militaire au tournant des années 1970 et
1980.
II. L’émergence de la presse homosexuelle : un combat transversal en faveur des
minorités ?
À l'instar des périodiques féministes, Lampião se positionna également en faveur de
l'ouverture politique et de la nécessaire démocratisation du pays. Cependant, Brasil Mulher et
Nós, Mulheres n'allèrent pas aussi loin dans le projet de rendre visibles d'autres minorités et
d'articuler les combats de toutes celles et tous ceux que les mouvements de la gauche
traditionnelle cherchaient à réduire au silence, au nom de la sacro-sainte unité. Eduardo Correa
Sotana et Mellany Oliveira Magalhães précisent 729 que le périodique surgit également à la fin
des années 1970 dans une logique de double opposition, à la répression politique d'une part et
au conservatisme moral régnant au sein de la société brésilienne, notamment à gauche, d'autre
part. Les chercheurs insistent sur l'importance représentée par Lampião pour un ensemble de
groupes minoritaires déterminés à faire entendre leurs voix dans un tel contexte730 :
729 Eduardo Correa SOTANA, Mellany Oliveira MAGALHÃES, « Ativismo político em traços de humor : as charges
veiculadas no jornal O Lampião da Esquina (1978-1981) » in albuquerque – revista de história, vol. 7, n°13,
janv.-juin 2015, p. 6-23.
730 Sur le contexte de constitution progressive à partir de 1978 d’un mouvement organisé et militant en faveur
des droits des personnes homosexuelles et travesties au Brésil, voir : James Naylor GREEN, « “Mais amor e
381
« Il est important de rappeler que Lampião, même en étant tourné vers un public
homosexuel, ouvrit un espace imprimé à d'autres minorités. Des représentants de
groupes noirs, des indiens et des femmes publiaient également dans ses pages.
Carlos Ferreira constata que le périodique était initialement davantage préoccupé
par le fait de sortir le gay de la marginalité, ouvrant également ainsi un espace pour
les discours d'autres minorités731. »
L’importance des liens tissés par ce lieu de l’expression homosexuelle avec le mouvement
féministe et le mouvement Noir fut considérable, au regard de la quasi absence de
convergence manifestée dans les pages de Brasil Mulher et Nós,Mulheres. Les rédactions de
ces derniers, animées par des femmes en majorité blanches et hétérosexuelles, ne
manifestèrent en effet que très peu d’enthousiasme pour le combat antiraciste, lui préférant
l’antisexisme.
Le périodique imprimé au format tabloïd en noir et blanc, à l'exception de la couverture
colorée, proposait plusieurs sections récurrentes : « Opinião » faisait office d'éditorial en
proposant le point de vue de l'un des rédacteurs, « Ensaio » était consacrée à une réflexion
thématique, « Reportagem » développait le titre principal présenté en couverture, « Cartas na
Mesa » offrait aux lecteurs un espace d'expression à travers la publication de lettres reçues par
la rédaction, « Bixórdia » condensait à partir du cinquième numéro plusieurs articles, parfois
provocants, consacrés aux comportements homo-érotiques et à la culture gay. A partir de
janvier 1980, une nouvelle section intitulée « Violência » faisait état de nombreuses violences
policières commises systématiquement à l'encontre des homosexuels, des noirs et des militants
issus de diverses minorités. Elle fut suivie en août de la même année par la rubrique
« Ativismo », état des lieux des actions, manifestations, revendications et divergences
existantes au sein de ces mêmes minorités. En septembre 1979, la rédaction s'installa dans des
locaux fixes situés rue Joaquim Silva, à Lapa, quartier bohème de Rio de Janeiro 732. L'ours du
seizième numéro précisait à cette occasion les lieux de distribution, attestant d'une diffusion à
l'échelle nationale : Rio de Janeiro, São Paulo, Recife, Salvador, Florianópolis, Joinville, Belo
Horizonte, Porto Alegre, Teresina, Curitiba, Manaus, Vitória.
mais tesão”: a construção de um movimento brasileiro de gays, lésbicas e travestis » in cadernos pagu, n°15,
2000, p. 271-295 ; Luiz MOTT, « The Gay Movement and Human Rights in Brazil » in Stephen MURRAY
(org.), Latin American Male Homosexualities, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1995, p. 221230.
731 Eduardo Correa SOTANA, Mellany Oliveira MAGALHÃES, op. cit., p. 17.
732 « Uma visita à nossa redação » in Lampião da Esquina, n°16, 09/1979, p. 2.
382
Le projet graphique du journal s'étoffa progressivement au fil des trois années de
publication. Initialement composée de Ivan Joaquim et Mem de Sá, l'équipe artistique évolua
et se structura avec l'arrivée de l'artiste Patrício Bisso733, puis des caricaturistes Hartur et Levi.
La dessinatrice féministe Mariza Dias Costa, dite
Mariza, contribua également
occasionnellement au périodique et signa l'éditorial du tout premier numéro dans lequel elle
affirmait la nécessité d'une lutte commune aux femmes et aux hommes, tous genres et
sexualités confondus, dans le respect et la reconnaissance des différences et contre les
inégalités734. Si Lampião fit l'objet de nombreux mémoires de master et de quelques travaux de
références735, la relation du périodique à l'humour graphique publié dans ses pages reste encore
très peu analysée. L'article de Sotana et Magalhães déjà cité précédemment listait tout de
même toutes les charges publiées dans Lampião et leurs différents auteurs. Un tel
recensement, même s'il ne prit pas en compte d'autres formes d'humour visuel telles que le
détournement photographique, permet tout de même d'avoir une idée assez fine de l'évolution
du projet graphique. Les auteurs estimèrent en effet que trois charges furent publiées en 1978,
dix-huit en 1979, trente-sept en 1980 et six en 1981. Ils s'intéressèrent également à la
répartition thématique entre les deux dessinateurs ayant produit le plus de contenu graphique
pour le périodique, Levi et Hartur :
« […] nous avons constaté une certaine inclinaison de quelques dessinateurs pour
des thèmes précis. Les charges sur la répression, l'économie, l'exil, la corruption ou
733 Dans l'éditorial du troisième numéro, paru le 25 juillet 1978, le conseil éditorial en appela aux dessinateurs
brésiliens et annonça la venue de Patrício Bisso afin de remédier au manque d'humour du journal :
« Une chose, dans les nombreuses critiques que nous avons reçues qu'à maintenant, est certaine : LAMPIÃO
manque d'humour, au-delà de celui de ceux qui l'éditent ; où sont les dessinateurs, où sont les caricaturistes
de ce pays, qui n'ont toujours pas compris l'importance de ce moyen de communication ? Il n'existerait donc
aucun (dieu) prêt à contester les formules rigides du marché machiste et partir vers un humour plus
décontracté et réellement destructeur, seulement possible dans un journal capable de jouer avec l'ambiguïté
comme le nôtre ? Le défi est lancé. A partir du quatrième numéro, LAMPIÃO pourra compter sur un artiste
de la plus grande importance : Patrício Bisso, qui a déjà commencé à dessiner une série de rubriques – ou des
petits timbres – pour nos pages. Quand est-ce que l'un des bons dessinateurs du Brésil osera suivre son
exemple ? Nos portes – si tant est que nous en ayons, mais il serait plus exact de parler de vérandas ouvertes
sur la mer – sont ouvertes. »
Lampião da Esquina, n°3, 25/07/1978, p. 2.
734 Lampião da Esquina, n°1, 25/05/1978, p. 2.
735 Voir notamment la thèse de doctorat de Jorge Luís Pinto Rodrigues : Jorge Luís Pinto RODRIGUES,
« Impressões de Identidade : Histórias e estórias da formação da imprensa gay no Brasil », Thèse de doctorat
en Histoire, sous la direction de Mário César Lugarinho, Niterói, Université Fédérale Fluminense, 2007. Ce
travail analyse le contenu textuel et graphique de quatre périodiques homosexuels brésiliens : Lampião da
Esquina, Nós por Exemplo, ENT&que et Sui Generis. Le deuxième chapitre intitulé « O Primeiro Lampião é
Aceso » est consacré à Lampião da Esquina et l'auteur se penche particulièrement sur le contexte de
naissance du mensuel homosexuel. Voir également : Paulo Roberto SOUTO MAIOR JR, « Escrever para
inscrever-se : epistolografia homossexual nas páginas do Lampião da Esquina (1978-1981) » in Revista
383
l'environnement furent, dans leur majorité, signées par Hartur. Levi abordait lui des
thèmes davantage liés à la sexualité, la religion et les discussions tournées vers
lesdites minorités, avec pour principales références thématiques la pauvreté, la
marginalisation du noir, l'émancipation féminine et la violence policière 736. »
Nous verrons que l'emploi par le mensuel homosexuel Lampião da Esquina de
contenus graphiques humoristiques, satiriques et provocants, certes timide au sein des
premiers numéros, fit partie intégrante des combats politiques et sociaux menés par sa
rédaction afin de lutter contre les préjugés et la violence subis de manière récurrente par les
homosexuels, de mettre en lumière les paradoxes de l'ouverture politique mais également d'en
appeler à une convergence de toutes les minorités, victimes d'une presse indépendante
machiste et d'une gauche traditionnelle encore majoritairement sourde à leurs revendications.
1. (Ré)appropriations et renversements des préjugés
Dans une logique similaire à celle opérée par d'autres périodiques indépendants, tels
que Pasquim ou Ovelha Negra, le nom de la nouvelle publication surgie en 1978 ancra
largement celle-ci dans un projet de lutte contre diverses formes d'oppression tout en
proposant une réappropriation par certaines minorités opprimées des espaces de leur propre
marginalité. L'évidente référence au cangaçeiro Virgulino Ferreira da Silva, légendaire chef
d'une bande armée ayant sévi entre 1922 et 1938 dans le nordeste brésilien et dont le surnom
« Lampião » est associé dans la mémoire collective et la culture populaire brésiliennes au
banditisme social, à la violence et à l'honneur, fut concrétisée graphiquement dès le numéro
expérimental par le logo de la publication. Le dessin situé en haut à gauche de la couverture
symbolisait le chapeau en cuir de Lampião, tout en jouant avec la similarité entre deux yeux et
un nez d'une part, et les organes sexuels masculins d'autre part.
Tempo e Argumento, vol. 8, n°19, sept.-déc.2016, p. 254-282.
736 Eduardo Correa SOTANA, Mellany Oliveira MAGALHÃES, op. cit., p. 19.
384
FIG 117 : Lampião, n°0, 04/1978, p. 1
Passé littéralement de « lampadaire » à « lampadaire au coin de la rue » entre le numéro
expérimental daté d'avril 1978 et le premier numéro paru le mois suivant, le titre du périodique
évoquait également un îlot de lumière et de connaissance, un lieu sûr et amical en pleine rue,
lieu marginal, lieu des dangers, lieu de l'obscurité et de la nuit, lieu de prostitution et
d'agression des homosexuels et travestis. Il proposait dès lors la réappropriation progressive
d'espaces violents et dangereux par les minorités concernées, en les incitant dès l'éditorial du
numéro expérimental à « Sortir du ghetto » :
« En montrant que l'homosexuel refuse pour lui-même et pour les autres minorités
le défaut de la caste, au-dessus ou en-dessous des couches sociales ; en montrant
qu'il ne veut pas vivre au sein de ghettos, ni brandir des drapeaux qui le
stigmatisent ; en montrant qu'il n'est ni élu ni maudit et que sa préférence sexuelle
doit être comprise au sein du contexte psycho-social de l'humanité comme l'un des
nombreux traits de caractère qu'il peut avoir, LAMPIÃO montre clairement ce qui
va orienter sa lutte : nous nous efforcerons de détruire ce concept que certains
veulent nous imposer – selon lequel notre préférence sexuelle pourrait interférer
négativement dans notre action au sein du monde dans lequel nous vivons 737. »
À en croire Aguinaldo Silva, le coordinateur et l'un des fondateurs de Lampião, le
projet de renversement de certains stéréotypes allait de paire avec la réappropriation d'insultes
737 « Saindo do Gueto » in Lampião, n°0, 04/1978, p. 2.
385
et autres termes péjoratifs employés pour humilier ou ridiculiser les personnes homosexuelles,
tels que « veado », « bicha » ou « sapatão738 ». Dans l'article « As palavras: porque temêlas?739 » paru dès le troisième numéro, Silva analysa ce processus de transformation d'insultes
en revendications :
« L'emploi de tels mots par LAMPIÃO da Esquina, en vérité, a un objectif. Ce que
nous prétendons, c'est les extirper du vocabulaire machiste pour ensuite les
démystifier. Regarde bien, jusqu'à maintenant ils ont été utilisés comme une
offense, ils étaient le moyen le plus simple de montrer la « séparation » existante
entre notre monde et celui des autres. Cela nous pousse, dans la crainte du poids de
tels mots, à en créer d'autres tout autant mystificateurs [...]
La première chose à faire, donc, c'est perdre la peur des mots. Le chemin pour cela,
c'est de les utiliser : bichas, bonecas, etc... (au sujet du mot veado, en le voyant écrit
- ou en l'entendant - il faut toujours se souvenir du magnifique animal qu'il désigne :
c'est sa seule signification.)740 »
Une charge signée Tônio critiquait l'homophobie en employant la métaphore de la
chasse fondée sur le double sens du terme « veado ». Ainsi, le trait simpliste et imagé, plus
proche de la bande dessinée pour enfants que de la charge politique, représentait deux
chasseurs armés de fusils, dont l'un s'apprêtait à tirer sur un magnifique cerf adulte. Le second
l'en empêchait en s'exclamant : « NON ! Cet animal fait partie de l'équilibre de la nature741 ! ».
En exagérant le propos, le dessin renforçait ici largement le contenu développé par Silva dans
son article en insistant sur l'appartenance du cerf – et donc métaphoriquement des
homosexuels – à la nature, à l'environnement et à la société brésilienne dans son ensemble.
738 Les termes « veado », « bicha » ou « sapatão » pourraient correspondre aux insultes homophobes et
lesbophobes « pédé », « tapette » et « gouine ». Littéralement, « veado » signifie « cerf ». Comme dans la
langue française, certains de ces termes furent employés au Brésil par les mouvements de défense des
personnes homosexuelles pour affirmer la construction de leur identité et leurs revendications.
739 Aguinaldo SILVA, « As palavras: porque temê-las? » in Lampião da Esquina, n°3, 25/07/1978, p. 5.
740 Idem. Les termes en majuscules ou en gras ont été reproduits tels que rédigés dans l'article paru dans
Lampião. Nous avons pris le parti de laisser en portugais les termes « bichas », « bonecas » et « veado »,
dont une traduction en français pourrait faire perdre la complexité du sens. Littéralement, ils signifient
« animaux femelles », « poupées » et « cerf ».
741 Lampião da Esquina, n°3, 25/07/1978, p. 5.
386
FIG 118 : Lampião da Esquina, n°3, 25/05/1978, p. 5
Lampião da Esquina s'attaqua également aux préjugés concernant les rôles attribués
aux lesbiennes et homosexuels dans la société. Ainsi, le dessinateur Rick Flala tournait en
dérision la manière conservatrice d'envisager les préférences sexuelles comme autant
d'éléments perturbateurs du quotidien ayant nécessairement un impact prédéterminé sur la
manière de penser le monde, d'écrire, de parler. Sa charge publiée en août 1978 mettait en
scène deux femmes lesbiennes au lit, dans leur chambre, l'une tenant le téléphone dans sa main
et demandant un conseil à sa compagne : « Ah, c'est mes parents. Vite, aide-moi à trouver
quelque chose d'hétérosexuel à leur dire742 ! ». Absente du dessin, l'autorité parentale se faisait
pourtant bien présente et pesante dans la scène, contraignant la jeune femme à inventer un
comportement jugé « hétérosexuel » et donc acceptable par ses parents. Suivant la même
logique, le périodique s'attela à de nombreuses reprises à la déconstruction de représentations
stéréotypées et rétrogrades de la masculinité, notamment chez les jeunes homosexuels, dans un
contexte brésilien marqué par une perception paradoxale et ambiguë de l’homosexualité 743.
Très répressif envers les minorités, le pays reflétait cependant une grande diversité
d’orientations sexuelles, manifestées et popularisées par le biais d’événements et de lieux de
sociabilité. Le huitième numéro publia une traduction d'un article de Seymour Kleinberg
initialement paru dans les revues nord-américaines Christopher Street puis Gay News,
critiquant la reproduction par certains homosexuels d'idées conservatrices et aliénantes, voire
742 Lampião da Esquina, n°4, 25/08/1978, p. 12.
743 James Naylor GREEN, Além do carnaval: a homossexualidade masculina no Brasil do século XX, São Paulo,
Editora UNESP, 1999.
387
masochistes, concernant les caractéristiques physiques idéales du masculin : « En vérité, les
jeunes homosexuels semblent avoir abjuré l'efféminement avec un succès universel. Les corps
musclés laborieusement entretenus toute l'année semblent être la norme ; l'agilité athlétique et
pleine de jeunesse est le style adopté par tous744. » Une charge signée Hélio et insérée au sein
de l'article en question reproduisait deux corps aux visages et silhouettes identiques,
différenciés par leurs vêtements, accessoires et capillarités. Le procédé employé l'année
précédente par le dessinateur Ignatz dans la publication féministe Nós, Mulheres afin de
dénoncer les inégalités entre petites filles et petits garçons 745, semblait ici permettre au
dessinateur de critiquer l'absurdité de représentations du masculin et du féminin jugées
obsolètes et dépassées. Le flagrant parallèle des mises en scène, dont on peut difficilement
déterminer s’il fut intentionnel, traduit une continuité des représentations archétypales
acquises dans l’enfance et une permanence des objets de normalisation sexuée. Cherchant à
prouver l'absence de corrélation entre les genres, les sexualités, les apparences physiques et les
styles vestimentaires, Helio s'emparait de figures caricaturales pour tourner en dérision les
normes imposées.
FIG 119 : Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 8.
Les thématiques de l'efféminement et du travestissement devinrent les sujets récurrents
de nombreux articles et dessins publiés au fil des numéros. Placée au milieu d'un entretien de
744 Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 8.
745 Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977, p. 5.
388
trois pages réalisé par la rédaction avec l'artiste Ney Matogrosso 746 et publié en avril 1979, une
charge du dessinateur Hartur se moquait du préjugé commun attribuant nécessairement aux
homosexuels un attrait profond pour le travestissement. Le chanteur, compositeur, acteur et
danseur brésilien, ancien membre du groupe Secos & Molhados, notamment connu pour ses
prestations scéniques exubérantes et son charisme électrique, suivait alors une carrière en solo.
L'artiste avait coutume de questionner à travers ses postures, ses vêtements, son maquillage et
sa gestuelle scénique les canons de la masculinité brésilienne, conférant à l'esthétique
androgyne et à l'érotisme un réel pouvoir transgressif. Il insistait notamment au début de
l'entretien sur son goût pour tous les travestissements, la provocation et la théâtralité tout en
précisant que ses préférences sexuelles ne devaient pas rentrer en ligne de compte dans
l'évaluation de son travail d'artiste :
« […] je pense que le public s'intéresse à la personne publique, et non à la personne
privée. Ce que je fais au lit n'intéresse que moi, cela n'a rien à voir avec les autres
personnes. Le fait que je sois ou non homosexuel est une chose qui intéresse
seulement dans la mesure où elle stimule le fantasme des personnes. Je pense que
c'est mon problème747. »
La charge signée Hartur venait appuyer cet état de fait, en représentant graphiquement
avec beaucoup d'ironie l'idée reçue selon laquelle les homosexuels passaient souvent en un
coup de baguette magique d'un stéréotype normé masculin à une posture, un maquillage et des
tenues supposés féminins.
746 Lampião da Esquina, n°11, 04/1979, p. 5-7.
747 Lampião da Esquina, n°11, 04/1979, p. 5.
389
FIG 120 : Lampião da Esquina, n°11, 04/1979, p. 7
Au-delà du refus de l'imposition de codes vestimentaires et esthétiques, la rédaction
questionnait également l'attribution aux hommes – hétérosexuels et homosexuels – de
comportements tenus pour masculins par la société. Toujours dans le onzième numéro de
Lampião, le caricaturiste Lublin se moquait ouvertement des rôles normés entre hommes et
femmes au sein d'une charge mettant à la fois en scène le machisme, l’héroïsme et le mépris de
l'homosexualité féminisme. Dans un décor de plage tropicale, un homme reprochait son
orientation sexuelle à une femme adossée à un palmier : « Je t'ai sauvée de la mer, je t'ai
abritée, je t'ai trouvé de quoi manger. Et maintenant tu me dis que tu es lesbienne 748 ? ». Le
quatorzième numéro publia en juillet 1979 plusieurs dessins satiriques et humoristiques
également voués à remettre en cause avec humour et dérision les pratiques normées de la
masculinité. Hartur publiait ici un strip vertical divisé en trois étapes, trois moments de la vie
de « Adam, le gros macho749 ». Le dessin établissait un parallélisme comique entre trois
situations différentes susceptibles de susciter le même commentaire « Lève-toi, Adam ».
L'homme véritable au prénom biblique, Adam, aimait dans la première vignette rester au lit ; il
était ivre et rampait par terre dans la deuxième. Finalement, toute sa virilité était remise en
cause par la troisième étape du strip lorsqu'il ne parvenait pas à avoir une érection. La figure
stéréotypée du « macho » était également employée dans la section « Bixórdia », cette fois au
moyen de la resignification d'une gravure de la fin du XIX e siècle représentant deux lutteurs
748 Lampião da Esquina, n°11, 04/1979, p. 11.
749 « Adão, o Machão » in Lampião da Esquina, n°14, 07/ 1979, p. 4.
390
musclés en plein combat, devant une foule en délire. L'encadré intitulé « Le ballet est un truc
de mec750 » évoquait le drame de jeunes hommes réprimés dans leur envie de pratiquer la
danse classique et l'érosion progressive d'une vision de la pratique exclusivement réservé aux
filles et aux homosexuels. Le comique provenait ici du décalage de pratique sportive et
d'imaginaire entre la gravure reproduite – une scène de lutte au corps à corps entre deux
hommes très virils – et la thématique abordée par le texte. Le titre remplissait en ce sens la
fonction de réconciliation, via l'humour, des deux aspects de la composition en usant d'ironie
et de provocation pour faire passer un vrai message : la danse classique est aussi un « truc »
d'hommes.
FIG 121 : Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 15
Le décalage prémédité entre l'imaginaire collectif et le message des charges était l’un des
ressorts comiques fréquemment employés pour opérer le renversement d'idées de la
masculinité associées au combat, au muscle, à la sueur, à la dureté et à une vision romantisée
de l'hétérosexualité. Ainsi, Hartur publia en mars 1980751 un dessin dont la seconde vignette se
positionnait véritablement à contre-courant des attendus du public lecteur lors de l'observation
de la première.
750 « Balé é coisa pra macho » in Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 15.
751 Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 13.
391
FIG 122 : Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 13
Ici, la tendresse et l'amour homosexuels mis en lumière contribuaient à contrebalancer le
préjugé visuel associant nécessairement deux hommes courant l'un vers l'autre, les bras tendus
vers l'avant, aux prémices d'un combat au corps à corps.
Avec ces éléments graphiques et humoristiques érigés contre un ensemble d'idées
préconçues sur les genres et les sexualités, il s'agissait bien pour l'équipe de Lampião de lutter
contre leur principale et dramatique conséquence, l'extrême violence envers les homosexuels,
travestis et transgenres dans le pays. Déjà mentionnée auparavant, la création à partir du
vingtième numéro752 d'une section intitulée « Violência » est révélatrice d'une prise de
conscience grandissante des agressions liées aux discriminations au tout début de l'année 1980.
Dénonçant les lynchages d'homosexuels, les meurtres, les agressions physiques et les viols,
mais aussi les violences policières commises contre toutes les minorités brésiliennes, la
rubrique s'employait également à combattre les maux dès l'origine, à la racine des mots. À cet
égard, l'article « Tá legal, “Geni”; mas e a mãe, tá boa753? » publié par Aguinaldo Silva en
752 Lampião da Esquina, n°20, 01/1980, p. 3-5.
753 Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 2.
392
mars 1980 insistait sur le pouvoir de la parole en évoquant les nombreux impacts de la
chanson de Chico Buarque « Geni e o Zepelim754 » sur les comportements collectifs lors du
carnaval de Rio de Janeiro. L'auteur déplorait les attaques perpétrées contre des homosexuels
au nom d'une chanson interprétée comme un appel à la violence. Les paroles dénonçaient en
fait l'hypocrisie et le caractère bien-pensant d'une cité maudissant, stigmatisant, humiliant et
agressant la prostituée travestie Geni, pourtant dramatique héroïne d'un sacrifice hautement
altruiste et solidaire. Silva insistait également sur les paradoxales difficultés inhérentes à
l'évocation et la représentation des groupes minoritaires opprimés dans la culture contestataire
brésilienne, à l'aube de l'ouverture du régime :
« […] il est clair que ça n'était pas l'intention de Chico Buarque de Holanda, un
artiste en qui nous pouvons tous avoir confiance. Mais la manière avec laquelle sa
« Geni » a fini par être utilisée démontre clairement que le sujet « minorités » est
très difficile à traiter (nous chez LAMPIÃO, nous sommes, modestie mise à part,
les seuls spécialistes). Les bonnes intentions du compositeur ne suffirent pas à
annuler son machisme à propos du sujet, et « Geni » eut l'effet contraire à celui
espéré755. »
L’hétéro-normativité de nombreuses manifestations artistiques engagées et notamment
la musique contestataire de Chico Buarque – de laquelle émergeait parfois une vision genrée
des rôles dans la société malgré le protagonisme de figures féminines dans l’œuvre de l’auteurcompositeur – rentrait donc en collision avec les revendications de représentativité formulées
par Lampião da Esquina.
2. Plaisir, répression et censure à l'heure de l'ouverture
La fin du gouvernement Geisel correspondit à la mise en place d'un processus
transitionnel qui prit les contours de l'ouverture politique à partir de la prise de pouvoir de
João Figueiredo, dernier président de la République sous le régime militaire, le 15 mars 1979 :
754 La chanson « Geni e o Zepelim » fut composée et enregistrée par Chico Buarque en 1978 pour le disque
« Ópera do Malandro », bande originale de la comédie musicale du même nom.
755 Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 2.
393
« Le calendrier de transition initié en 1977 se réaffirma en 1978, suivi de la
désignation officielle de João Figueiredo à la Présidence. En d'autres termes, c'est à
partir de ce moment, déjà sous la pression des rues et du système politique luimême (dans cet ordre), que l'ouverture se transforme en un projet de transition
démocratique, même si elle était prévue sur le long terme 756. »
Caractérisée par la volonté de normalisation et d'institutionnalisation du régime de la
part du gouvernement lui-même, permettant à la presse indépendante de nourrir l'espoir d'une
plus grande liberté, l’année 1980 fut paradoxalement marquée par de nombreux attentats à la
bombe perpétrés par des groupes d'extrême droite refusant résolument la progressive
transition. Ainsi, le siège de l'Organisation des avocats du Brésil (OAB) et l'assemblée
municipale de Rio de Janeiro furent pris pour cibles, à l'instar de nombreux kiosques à
journaux dans le pays :
« Parmi les cibles les plus étranges de la droite explosive figurèrent les kiosques qui
vendaient les journaux alternatifs de gauche. Entre avril et septembre 1980, des
dizaines de kiosques dans de nombreuses villes brésiliennes furent incendiés durant
la nuit, provoquant une vague de panique parmi les vendeurs de journaux et une
crise de la distribution pour les journaux alternatifs 757. »
Lampião da Esquina, parut au cours de cette période contradictoire, entre avril 1978 et
juillet 1981. La rédaction fut largement affectée à partir du début de l'année 1979 par une
tentative d'interdiction davantage liée à la morale conservatrice qu'à la censure de contenus
visant directement la politique du gouvernement.
En février 1979, le neuvième numéro entrait dans le vif du sujet dès sa couverture. Le
titre principal « Morale et bonnes mœurs ?758 » jouxtait un dessin de trois créatures rappelant
les satyres grecs, mi-hommes et mi-boucs, masqués à l'occasion du carnaval et prenant les
postures des trois singes de la sagesse : l'un se cachait les yeux, le deuxième se bouchait les
oreilles et le dernier occultait sa bouche. Le reportage publié à la cinquième page dénonçait
l'anachronisme de « la difficile bataille des censeurs contre la réalité 759 ». Aguinaldo Silva y
756 Marcos NAPOLITANO, 1964, Historia do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 234.
757 Marcos NAPOLITANO, op. cit., p. 295.
758 « Moral e bons costumes ? » in Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 1.
759 Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 5.
394
exposait les paroles du directeur de la Division de censure et divertissements publics (DCDP)
du Département de police fédérale (DPF), Rogério Nunes, qui avait déclaré dans un entretien
avec le journal O Globo daté du 23 décembre 1978 que les restrictions imposées par les
censeurs étaient largement en décalage avec la réalité brésilienne et « incohérentes avec la
morale en vigueur dans la société760 ». Le jour suivant, O Globo lui-même avait publié un
éditorial761 consacré aux déclarations parues la veille et prenant position contre les décisions de
la DCDP, dénonçant l'absurdité de nombreuses interdictions imposées à la presse et au champ
artistique ! Si Aguinaldo Silva évoquait les annonces de Rogério Nunes, c'était bien pour
souligner l'incompréhension et le mécontentement de la rédaction de Lampião face à l'enquête
ouverte à son encontre :
« Pour les personnes qui font Lampião da Esquina, cette déclaration de M. Rogério
Nunes fut de la plus grande importance, puisque c'est précisément en se basant sur
ces restrictions « incohérentes avec la morale en vigueur dans la société moderne »
que le DPF est en train de réaliser une enquête contre le journal, en tentant de le
faire tomber sous le coup de la Loi de presse au motif d'accusation d' « offense à la
morale et aux bonnes mœurs », parce qu'il traite d'homosexualité762. »
Il pointait du doigt les contradictions régnant au sein d'une institution – dont la pratique
allait à l'encontre du discours de son directeur – symptomatiques à ses yeux de l'hypocrisie
d'une pseudo transition politique :
« Nous avons également des nouvelles, au Brésil, d'une vague de libéralisation.
Nous en captons des signaux évidents depuis la fin de la première moitié de l'année
1978. Et Lampião – comme d'autres organes de la presse progressiste dont nous
sommes nécessairement proches, doit obligatoirement avoir une place en son sein.
Dans le cas contraire, nous n'aurons pas de libéralisation, mais bien une pâle copie.
En d'autres termes, nous parlerons plus d'une fois – comme dans les lignes
précédentes – de l'immoralité qu'est l'hypocrisie érigée en institution 763. »
760 Idem.
761 O Globo, 24/12/1978, p. 3.
762 Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 5.
763 Idem.
395
Les termes du débats étaient posés, Lampião ne plierait pas sous le poids de la morale
conservatrice encore bien prégnante à la toute fin des années 1970. Il publia d'ailleurs au sein
du même numéro un ensemble d'entretiens avec des personnalités politiques, artistiques et
intellectuelles brésiliennes consacré à la censure dans le pays 764. Le numéro suivant fut le
support d'une critique extrêmement virulente formulée à l'encontre des autorités par le député
du MDB Fernando Morais, vice-président du syndicat des journalistes professionnels de l’État
de São Paulo, qui voyait dans la censure morale le prétexte à la mise au ban du discours
politique et social porté par le périodique homosexuel :
« L'enquête ouverte par le Ministère de la Justice contre le journal Lampião et son
équipe éditoriale vient simplement révéler, une fois de plus, le caractère autoritaire
et antidémocratique du gouvernement brésilien. Nous sommes juste surpris par le
fait que ce type de répression de la liberté d'expression survienne au moment où
l'actuel et le futur gouvernement agitent les mêmes promesses de toujours :
« ouverture », « redémocratisation » et « institutionnalisation ».
Le prétexte utilisé pour l'ouverture de l'enquête – selon lequel le journal porterait
atteinte à la morale et aux bonnes mœurs –, en plus d'être répétitif et fatiguant, ne
résiste pas à la plus superficielle des analyses. Ce que le gouvernement souhaite
réellement c'est faire taire une voix de la presse indépendante supplémentaire, dont
le seul crime est de souhaiter réfléchir à la dramatique réalité que vivent aujourd'hui
les brésiliens765. »
Le dessinateur Hartur, qui publiait alors en mars 1979 ses premières charges dans les
pages de Lampião, en profita pour dénoncer le discours d'atténuation de la censure totalement
contradictoire avec la pratique encore bien en vigueur à la fin des années 1970 . Un journaliste
affairé sur sa machine à écrire regardait avec crainte la personnification masculine de la
censure, habits bourgeois sur le dos et paire de ciseaux à la main, s’adressant à lui avec un
terrible euphémisme : « Tu peux me laisser faire, je m'occupe des révisions finales766 ».
764 Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 7.
765 Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 2.
766 Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 5.
396
FIG 123 : Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 5
Au fil des numéros, le conseil éditorial rendit compte aux lecteurs des avancées de
l'enquête menée contre la rédaction, toujours en soulignant l'immense paradoxe représenté par
l'existence de telles investigations en pleine transition politique annoncée par le gouvernement.
En juin 1979, Aguinaldo Silva s'offusquait ainsi d’une telle hypocrisie dans l'éditorial
« Estamos aqui, plantados, sempre à espera da chamada “abertura”767 ». Malgré la relative
augmentation de thématiques dont le traitement était autorisé dans la presse indépendante, la
procédure à l'encontre du journal homosexuel transitait encore entre la justice fédérale et le
DPF. Deux mois plus tard, les journalistes firent part à leurs lecteurs d'une nouvelle péripétie
dans l'article « Nossa pobreza é nosso maior charme768 ». Le colonel Moacir Coelho, directeur
du DPF, avait exigé de la part de la maison d'édition Esquina, responsable de la publication de
Lampião da Esquina, qu'elle présente ses livres de compte afin d'en vérifier la stabilité
financière, stigmatisant encore un peu plus la rédaction. Furieux, le conseil éditorial répondit à
cette injonction en précisant que la situation du journal était très honorable, tout en soulignant
son ambition de participer à la construction collective d’un espace politique démocratique et
libre au Brésil, au-delà des enjeux de représentativité des minorités :
767 Lampião da Esquina, n°13, 06/1979, p. 2.
768 Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 5.
397
« Apparemment, l'accusation d' « offense à la morale et aux bonnes mœurs » qu'ils
intentent contre nous depuis septembre 1978 ne suffit plus ; nous sommes rentrés
dans la phase des pressions économiques. Peut-être est-ce nécessaire de dire que les
pressions ne nous feront pas abandonner le projet du journal. Si la police insiste
dans ses intentions de voir Lampião hors de la circulation, qu'elle agisse
légalement : qu'elle boucle l'enquête menée sur nous et la remette à la Justice
puisque c'est à elle seule qu'il convient de décider si les minorités desquelles nous
tentons d'être les porte-paroles sont dignes ou non de participer à l'ample débat que
devrait être la vie publique dans ce pays769. »
On observe ici une nette évolution du rapport de la presse indépendante aux autorités
en charge du contrôle des contenus, par rapport à la situation au cours de la première moitié
des années 1970. La censure n'était plus préalable, mais intervenait à posteriori et elle prit la
forme d’une enquête ouverte pour des motifs liés à la morale conservatrice. Tout aussi
dangereux pour la rédaction concernée, le procédé contraignit tout de même les services de
police en charge du dossier à réunir des preuves pour nourrir l'accusation. Notons également
que mention de la censure était faite dans la presse, dorénavant autorisée à citer, rendre visible,
débattre et critiquer les interdictions. Ainsi, l'article « Pintou a solidariedade770 » de João
Silvério Trevisan fit part des nombreuses actions de soutien au journal menées face aux
pressions policières et à la censure morale, annonçant notamment la création d'un « Comité de
défense du journal Lampião » pour permettre à la publication de poursuivre son combat en
faveur des homosexuels et autres minorités discriminées. L'épilogue de l'affaire fut
communiqué aux lecteurs en novembre 1979, à la parution de l'éditorial « Somos todos
inocentes771 ». Le communiqué de rédaction, après avoir rendu compte du parcours de
combattant mené depuis août 1978 et les premières convocations de la police déterminée à
fermer le journal et punir ses responsables, expliquait que la Justice avait clos le dossier et
citait le procureur de la République : « Dans le cas en cours d'examen, la publication accusée à
tort d'offense à la morale publique peut offenser la morale individuelle, mais pas celle de tous.
Le concept de morale de celui qui condamne ces publications est donc, de fait, relatif et non
absolu772. » Il s'agissait là d'une importante victoire pour la publication Lampião da Esquina,
769 Idem.
770 Idem.
771 Lampião da Esquina, n°18, 11/1979, p. 2.
772 Idem.
398
satisfaite d'être blanchie et de voir la subjectivité des critères employés lors de l'enquête enfin
reconnue.
La thématique de la censure ne fut plus abordée directement par les journalistes,
rassurés par le verdict rendu en novembre 1979 et libres de publier les contenus en accord
avec le projet éditorial. Cependant, quelques mois plus tard, une publicité dessinée pour le
premier album Almanaque do Fradim de Henfil souligna une fois de plus le paradoxe de la
période : la réclame reposait sur l'annonce principale « Maintenant SANS CENSURE »,
soulignant le caractère exceptionnel – et encore précaire – de cette relative liberté
d'expression.
FIG 124 : Lampião da Esquina, n°23, 04/1980, p. 4
Le dessinateur Levi mit en revanche en évidence l'absurdité des attentats perpétrés contre les
kiosques à journaux au cours de l'année 1980 dans une charge contre le faux moralisme
ambiant, les prétentions de protection des mœurs et de la jeunesse, ainsi que l'immense
hypocrisie des arguments employés pour justifier ces actes de violence. Plusieurs jeunes
399
enfants, vendeurs de bonbons ambulants armés de pistolets, discutaient au sujet d'un kiosque
incendié : « Pourquoi ils retirent les revues érotiques et détruisent les kiosques à journaux ? Ils protègent notre innocence, mon frère. » Le dessin révélait ainsi, à la faveur d’une mise en
scène élaborée malgré le trait rapide et stylisé, la disproportion des priorités d'une société
abandonnant les mineurs dans les rues, laissant sans problème les enfants travailler en tant que
vendeurs ambulants, affamés et exploités, mais soucieuse de protéger ces derniers de l'accès à
des revues jugées pornographiques ou subversives.
FIG 125 : Lampião da Esquina, n°29, 10/1980, p. 3
En réponse à la prépondérance dans la sphère publique de valeurs morales
réactionnaires, Lampião da Esquina exigeait les droits au plaisir et à la jouissance comme
autant de revendications politiques. Dès la première évocation de la tentative de censure dont
fut victime la rédaction, en février 1979, Aguinaldo Silva avait en effet justifié le combat mené
par le périodique au nom de la recherche du bonheur sincère : « LAMPIÃO, comme il en
informait ses lecteurs dès le début, est un journal de minorités qui propose, en même temps, de
poser une question rarement débattue dans d'autres organes de presse : la nécessité de
considérer le plaisir comme l'un des droits fondamentaux de l'homme 773. » La couverture du
773 Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 5.
400
numéro suivant associa délibérément cette revendication au contexte de demandes sociales et
politiques grandissantes, notamment au sujet de l'amnistie des exilés et prisonniers politiques.
Elle titrait « A felicidade deve ser ampla e irrestrita », reprenant ainsi les termes de la
campagne en faveur d'une « amnistie ample, générale et non restreinte » menée par le CBA.
Le gouvernement de Figueiredo proposa un projet de loi d'amnistie débattu à l'Assemblée et la
proposition fut approuvée par les députés et sénateurs le 28 août 1979, permettant la libération
de prisonniers politiques et le retour de certains exilés, mais empêchant également toute
condamnation des agents de la répression responsables d'atteintes aux droits humains, passant
sous silence de nombreuses responsabilités774. Ce contexte politique marqué par les débuts de
la transition politique et la loi d'amnistie fut représenté par les dessinateurs de Lampião da
Esquina, à l’instar de Hartur qui mit justement en scène en août 1979 toute la délicatesse de la
situation d'anciens exilés persécutés par le régime désireux de revenir au pays. Le chemin du
retour était assimilé par le dessinateur à une corde raide au-dessus d'un gouffre dans une
charge graphique on ne peut plus synthétique et efficace, malgré l’extrême simplicité des
traits.
FIG 126 : Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 5
Le mois suivant, pour la première et unique fois, Darcy Penteado représenta la figure
du président de la République et détourna la propagande du gouvernement Figueiredo. Dans
774 Voir Daniel Aarão REIS, « Ditadura, anistia e reconciliação » in Estudos Históricos, vol. 23, n°45, janv.-juin
2010, p. 171-186.
401
l'article intitulé « Canhotos : uma minoria liberada775 », l'artiste se moqua d'un reportage
diffusé par la chaîne TV Globo consacré aux gauchers qui avait osé mettre en parallèle le
président brésilien avec Leonard de Vinci, Jeanne d'Arc et Charlie Chaplin, du fait de leur
usage commun de la main gauche. L'assimilation quasiment explicite de Figueiredo à de
grands personnages de l'histoire et la volonté du gouvernement de démontrer ainsi son intérêt
pour certains groupes marginalisés étaient analysées et déconstruites par l'article. Le dessin
publié signalait la grossièreté d'un président souriant, lunettes de soleil sur le nez et vêtu en
tenue légère, posant aux côtés de l'illustre peintre, de l'héroïne française et de l'idole mondiale
du cinéma muet. Le réalisme et le souci du détail de Darcy Penteado permettaient
l’identification immédiate de chaque personnage formant cette composition loufoque,
accentuant ainsi la critique directe et claire envers Figueiredo.
FIG 127 : Lampião da Esquina, n°16, 09/1979, p. 5
775 Lampião da Esquina, n°16, 09/1979, p. 5.
402
En novembre 1979, Lampião publia un important entretien avec l'écrivain et homme
politique Fernando Gabeira776, ancien militant du groupe de lutte armée Mouvement
révolutionnaire 8 octobre (MR-8) qui participa notamment à l'enlèvement de l'ambassadeur
nord-américain Charles Burke Elbrick en septembre 1969, libéré en échange de quinze
prisonniers politiques issus d'organisations de l'opposition777. Transcrite dans le dix-huitième
numéro, la conversation entre les membres de la rédaction de Lampião et Gabeira évoquait les
combats des minorités brésiliennes, la sexualité, l'homosexualité, l'intimité et le plaisir
physique, des thématiques considérées comme futiles par les mouvements de gauche au cours
de la décennie précédente :
« Quel est l'intérêt pour Lampião de s'entretenir avec un ex-guérillero ?
Apparemment, aucun. Mais quand cet ex-guérillero accepte de parler sans censure
d'homosexualité, de féminisme, des noirs et des indiens – des thèmes qui, lorsqu'il
était dans la clandestinité, ne figuraient pas parmi ceux qu'il considérait comme
prioritaires -, le cas de figure change. Nous sommes certains de publier ici l'une des
interviews les plus importantes de l'année – qui scandalisera les puritains de gauche
comme de droite. La parole est à Fernando Gabeira qui est maintenant, comme
nous, un guérillero de la sexualité778. »
Lampião n'hésitait pas à aborder dans ses colonnes de textes et d'éléments graphiques
des thématiques telles que la masturbation779, la recherche de jouissance780 ou l'appropriation
par le mouvement étudiant et universitaire de questions liées à la sexualité et au plaisir, à
l'occasion notamment du 32ème Congrès national de l'Union nationale des étudiants organisé
en octobre 1980 à Piracicaba781. Mais il s'agissait également – et surtout – de crier haut et fort
la nécessité du traitement de ces thématiques, certes dans une logique de défense des droits des
homosexuels, mais principalement de réflexion collective et de convergence des combats
menés par les minorités brésiliennes au crépuscule des années 1970.
776 Lampião da Esquina, n°18, 11/979, p. 5-8.
777 Fernando Gabeira raconta dans l'ouvrage O que é isso, companheiro ?, publié à son retour d'exil en 1979, ses
années de militantisme et cet épisode de l'enlèvement de Elbrick, suivis de son emprisonnement et de ses
années d'exil en Europe.
778 Lampião da Esquina, n°18, 11/1979, p. 5.
779 Lampião da Esquina, n°31, 12/1980.
Plusieurs charges de Levi abordant la masturbation masculine et la sexualité brésilienne furent publiées dans
ce numéro, dont la couverture titrait « La masturbation, le plaisir de la majorité ! ».
780 Lampião da Esquina, n°27, 08/1980.
781 Lampião da Esquina, n°30, 11/1980.
403
3. Quelles minorités ? Entre spécificités du combat homosexuel et lutte collective
La publication de Lampião da Esquina correspondit à l'émergence sur la scène sociale
et politique brésilienne de nouveaux acteurs, lentement sortis de l'ombre à mesure que le
processus de transition faisait son chemin. La presse indépendante, l'un des vecteurs de la
contestation sous le régime militaire, connut à l'image de la gauche d'importants
bouleversements :
« Comme nous l'avons vu, au moins jusqu'à la Loi d'amnistie, la presse alternative
était le point de rencontre de toutes les gauches, malgré l'investissement parallèle de
chaque groupe dans son propre journal, comme la Voz Operária du PCB, Em Tempo
du MEP et O Trabalho de la OSI. La fragmentation des projets de gauche fut l'un
des marqueurs de l' « ouverture », puisque les banderoles communes – dénoncer la
dictature, lutter pour l'amnistie, s'investir ou non dans la Constituante – furent
remplacées par un calendrier d'organisation du « parti ouvrier de masses » ou par le
renforcement des alliances de classe, ce qui impliquait de penser le rôle de la
« bourgeoisie » dans la redémocratisation782. »
Le mouvement ouvrier ainsi que de nouvelles formes de militantisme associatif prirent
une ampleur considérable notamment dans les périphéries de São Paulo et d'autres grands
centres urbains touchés par la misère, l'inflation des prix de produits de première nécessité et
les difficultés sociales. Mais certains groupes minoritaires et opprimés semblaient rester
toujours à l'écart des préoccupations des dirigeants politiques et syndicalistes. Dès lors, la
publication par Lampião du reportage « Alô, alô, classe operária : e o paraíso, nada783 ? » et
celle d'un entretien avec Lula, alors président du syndicat des ouvriers métallurgistes de São
Bernardo do Campo et Diadema, s'avèrent révélatrices de la volonté d'infléchir une vision pour
le moins rétrograde de l'homosexualité et du féminisme ayant circulé au sein des cercles
ouvriers et militants de la périphérie pauliste.
Lampião da Esquina n'eut de cesse d'affirmer la nécessité du combat pour une insertion
des thématiques homosexuelles, féministes et noires dans les priorités des mouvements de la
gauche traditionnelle, à l’instar du PC et du PCdoB davantage fermés à ces revendications que
782 Marcos NAPOLITANO, 1964, Historia do Regime Militar Brasileiro, São Paulo, Contexto, 2014, p. 293.
783 Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 9-10.
404
les mouvements trotskistes et les nouvelles organisations naissantes. Si les catholiques de
gauche, notamment représentés par le dessinateur Henfil dans le champ du dessin d’humour
politique brésilien, avaient de la sympathie pour le combat féministe – Henfil le prouva
largement en publiant de nombreuses charges dans Brasil Mulher et Nós, Mulheres – les
causes défendues par les homosexuels trouvèrent chez eux beaucoup moins de relais. Dès
l'éditorial rédigé par la dessinatrice Mariza dans le premier numéro, l'enjeu d'affirmation des
minorités en tant qu'acteurs et sujets de l'histoire semblait nécessairement corollaire d'un effort
d'auto-définition par les groupes de leur propre identité et d'un combat en faveur de la
visibilité à l'intérieur de la gauche brésilienne :
« Combien d'entre nous, intéressés par ces définitions, avons-nous déjà entendu de
tous côtés un commentaire sur le manque de pertinence de la lutte, qui serait
toujours secondaire par rapport à la lutte principale – celle menée pour la
transformation générale de la société ? (Un peu à la manière du « manque de
pertinence » de la lutte des classes internes au Brésil pré-64, face à la lutte « plus
ample » qui devait nous réunir tous, contre le capital étranger ? On a vu le résultat.)
C'est une tactique commune en politique de gommer les différences internes pour
faire front face à l'ennemi principal. Mais l'ennemi est chez nous, et au sein de
chacun d'entre nous784. »
Au fil des numéros, la critique formulée à l'égard de certaines organisations de gauche
et de leur manque de considération pour les droits des homosexuels s'étoffa. En juin 1978,
João Silvério Trevisan s'étonnait dans l'article « Estão querendo convergir. Para onde785 ? » de
l'invisibilité des femmes, des personnes homosexuelles, noires et indiennes à l'occasion de la
semaine de la Convergence socialiste (CS) organisée du 24 au 30 avril à São Paulo à
l'initiative du mensuel Versus :
« Le mot « homosexuel » fut prononcé une seule fois : le président le chuchota à
peine et manqua de s'étouffer, comme s'il avait prononcé une grossièreté. […] Par
ailleurs, au cours des réunions préparatoires, l'inclusion d'un homosexuel dans la
table ronde aux côtés des représentants d'autres « minorités » provoqua des
784 Lampião da Esquina, n°1, 25/05/1978, p. 2.
785 Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 9.
405
protestations, un petit groupe précis menaça même de se retirer si cela se produisait.
Résultat : les homosexuels finirent pas ne pas être présents à la table ronde 786. »
En mars 1979, Lampião publia le reportage « Negros, mulheres, homossexuais e índios
nos debates da USP : Felicidade também deve ser ampla e irrestrita 787 », très critique à l'égard
des organisateurs de la semaine des minorités au sein de l'Université de São Paulo. Il fustigeait
leur hypocrisie et se réjouissait de l'appropriation de l'événement par les premiers concernés :
« Ce sont les gens de l'Université de São Paulo qui l'ont voulu : ils ont organisé une
semaine des minorités et ont du supporter, dans leur amphithéâtre, une multitude de
noirs, de femmes et d'homosexuels répétant sans cesse que le bonheur devait
également être ample et sans restriction (les indiens, malheureusement absents,
furent représentés par leurs habituels avocats – les anthropologues de la bonne
école). Lampião était présent tous les jours, a vérifié et peut attester : les
« minorités » n'ont plus envie de continuer à être la cinquième roue de cet énorme
carrosse nommé « lutte supérieure »788. »
Les critiques de machisme et d'homophobie furent également formulées à l'encontre de
journalistes et dessinateurs travaillant au sein de périodiques contestataires et critiques à
l'égard du régime politique, même si Lampião se solidarisa dès le deuxième numéro avec la
presse indépendante dans son ensemble, marquant visuellement son appartenance au groupe789.
FIG 128 : Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 4
786 Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 9.
787 Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 9.
788 Idem.
789 Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 4.
406
Dans une même logique de solidarité, la rédaction annonça en octobre 1978 la création à
Salvador du journal anarchiste et libertaire O Inimigo do Rei et se félicita largement de
l'espace accordé par le nouveau-venu aux marges et aux marginaux de la contestation menée
par la gauche traditionnelle : femmes, homosexuels, noirs790. Le périodique s'attaqua
également au traitement méprisant et humiliant de l'homosexualité et des travestis par la presse
majoritaire, comme lors de la publication en mai 1980 de l'article « Um apelo da tradicional
família Mesquita: prendam, matem e comam os travestis!791 ». Le journal O Estado de São
Paulo, l'un des plus gros groupes de presse brésiliens et la propriété de la famille
d'entrepreneurs Mesquita, avait publié les 28 et 29 mars 1980 à la suite d'un crime commis par
des travestis à São Paulo une série de reportages démonisant les accusés, incitant à la violence
et jouant pleinement la carte du sensationnalisme.
Cependant, les périodiques indépendants, sensément partisans de la diversité des
combats menés par la gauche sous le régime militaire, furent les plus vivement critiqués par la
rédaction de Lampião da Esquina au sein de ce passage en revue des prises de position
machistes, homophobes et discriminantes dans la presse. Dès le premier numéro, un article 792
relaya la colère de féministes face au périodique Movimento, jugé responsable d'avoir publié
sans le questionner un entretien avec l’écrivain et sociologue brésilien José de Souza Martins.
Celui-ci avait réduit dans l’entretien incriminé l’ampleur de la lutte menée par les femmes
pour leurs droits, refusant également de reconnaître l'existence réelle d'inégalités au sein de la
sphère conjugale. Le conflit de représentations mit en lumière la critique de la part des
mouvements minoritaires de la matrice marxiste de nombreux penseurs de la gauche
brésilienne, emprisonnant les réflexions au sein de grilles d’analyse et de méthodes
dialectiques analysant les relations sociales au seul prisme des rapports de production. On
notera le contraste avec l’entretien de Fernando Gabeira, paru dans Lampião en novembre
1979, qui témoignait à son retour au Brésil de l’envie de s’approprier les thématiques de
l’écologie et de la sexualité, critiquant largement les carcans de la gauche marxiste dont il était
lui-même originaire793.
790 Lampião da Esquina, n°5, 10/1978, p. 6.
791 Lampião da Esquina, n°24, 05/1980, p. 2.
792 Lampião da Esquina, n°1, 25/05/1978, p. 8.
793 Gabeira fonda avec d’autres anciens militants issus d’organisations de lutte armée tels que Liszt Vieira,
Herbert Daniel, Carlos Minc et Alfredo Sirkis le Parti Vert en 1986, sur la base de ce désir de valoriser la
pluralité des luttes politiques et sociales.
407
Dans le deuxième numéro, Antônio Chrysóstomo et le personnage fictif Rafaela
Mambaba – dont le rôle était de ponctuer certains faits d'actualité de commentaires acides,
humoristiques et provocants – répondaient à la rédaction de Pasquim au sujet d'une note
rédigée par Roberto Moura et parue dans l'hebdomadaire satirique. Le journaliste et spécialiste
de samba s'y était moqué de l'homosexualité des fondateurs de Lampião et Mambaba le prit au
mot : « Quel mauvais garçon ! Et toujours le même, hein ? 'Journal des tantes' : hum, hum,
quelle imagination si fertile ! Pourquoi pas des folles, des poupées, des pédés794 ? ». Un mois
plus tard, Rafaela Mambaba répondait cette fois à une lettre de Ivan Lessa parue dans Pasquim
et jugée extrêmement homophobe795.
Parmi les membres de l'équipe de rédaction de l'hebdomadaire incriminé, Ziraldo fut
celui dont le comportement était décrié le plus fréquemment. En juin 1979, la militante
féministe Janice Calafa, membre de la commission de contre-information du Collectif de
femmes de Rio de Janeiro, relata le déroulement d'une conférence organisée le 28 avril 1979
au sein de la faculté d'économie de la UFRJ dans le quartier de Urca, en présence des trois
humoristes Carlos Eduardno Novais, Nani et Ziraldo. L'article « A ironia de um certo
humor796 » s'insurgeait contre le comportement de ce dernier lors de l'événement et dénonçait
doublement :
« 1 – Une manipulation totale des discours qui émergèrent (ce qui était déjà favorisé
par la structure de la conférence) dans le sens de ridiculiser de manière sarcastique
les luttes politiques minoritaires (spécialement la lutte de la femme) et 2 – Une
attaque répulsive envers le corps de la femme au travers des mots et des dessins de
Ziraldo, des rires et des omissions du public797. »
Calafa précisa la question qu'elle avait posée aux conférenciers :
« Mon intervention vint sous la forme de questions (je devenais de cette manière
déjà trop audacieuse pour le climat de rire et d'adhésion préalable et absolue) –
pourquoi ne pas faire d'une capacité créatrice telle que celle d'écrire et de dessiner
l'humour un instrument de combat non seulement contre la dictature, mais
794 Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978, p. 4.
795 Idem.
796 Lampião da Esquina, n°13, 06/1979, p. 7.
797 Idem.
408
également au service de cette série de luttes développées par les minorités, la lutte
des homosexuels, de la femme, du noir. Finalement, pourquoi le fait de ne pas
parler de la dictature serait l'articulation d'un discours dépolitisé 798 ? »
La réponse du célèbre dessinateur, emprunte de sarcasmes et de paternalisme, aurait
insinué que la jeune femme n'avait rien compris à l'humour politique et répétait l'aspect
secondaire de certains combats par rapport au flambeau commun de la gauche – la lutte contre
le régime militaire
– permettant aux dessinateurs politiques d'être considérés comme
d'infatigables militants de la cause démocratique sans que leur comportement machiste ne soit
questionné un seul instant. La figure emblématique de Ziraldo, personnage à la fois très
talentueux et romantisé, démocrate et élitiste, cristallisa les tensions entre Lampião et
Pasquim, à tel point qu'il se retrouva lui-même objet d'un strip paru en novembre 1980 dans le
mensuel homosexuel et intitulé « Ziraldo e a mulher machista799 ». Levi y attribuait la
misogynie du dessinateur à son impuissance sexuelle au cours d'ébats avec une femme
frustrée par la relation physique, devant se satisfaire avec un godemiché. Il s'agissait
clairement d'une tentative de déconstruction de la réputation érotique et virile, de
désacralisation de Ziraldo au moyen de l'humour graphique, devenu personnage clé et
révélateur des tensions entre représentants de divers courants internes à la presse
indépendante.
798 Lampião da Esquina, n°13, 06/1979, p. 7.
799 Lampião da Esquina, n°30, 11/1980, p. 2.
409
FIG 129 : Lampião da Esquina, n°30, 11/1980, p. 2
Malgré cette animosité révélatrice de réelles et d'importantes divergences entre les
deux rédactions, le conseil éditorial de Lampião da Esquina adressa ses sincères félicitations à
l'équipe de Pasquim à l'occasion du dixième anniversaire de l'hebdomadaire satirique lancé en
juin 1969. Francisco Bittencourt, tout en soulignant une fois de plus le machisme de Ziraldo,
Jaguar et autres confrères, reconnaissait le rôle fondamental rempli par le périodique :
« Pasca, quand il est apparu, a lavé l'âme de tout le monde. Personne ne croyait qu'il
pourrait durer longtemps et, voyez par vous-mêmes, il est toujours là, ferme, il a
résisté à toutes les psychoses, il s'est modifié avec le temps et est rentré dans cette
nouvelle ère (du calme, je ne parle pas de l'Ouverture) durant laquelle les minorités
sont sorties de l'ombre et ont choisi un camp apparemment opposé au sien. Mais
est-ce vraiment le camp opposé ? S'il est bien vrai que des pointes de machisme ont
fortement marqué les pages de Pasquim, cela ne signifie pas que le machisme est la
synthèse, l'éditorial du journal. Ce que Pasquim fait lorsqu'il se moque des
féministes avec ses femmes à poil et des pédés avec ses machos efféminés, c'est se
410
moquer de lui-même. Au fond, Ziraldo, Jaguar et les autres voudraient aussi être
une « minorité », mais ils se sentent trop vieux pour ça. Mes petits chéris, on n'est
jamais trop vieux pour tomber dans le vice – et je sais de quoi je parle.) 800 »
De la même manière, Aguinaldo Silva critiqua en mars 1979801 un reportage sur les
lesbiennes publié par le périodique indépendant carioca O Repórter, qu'il jugea
sensationnaliste, irrespectueux de la vie privée des personnes interrogées et diffuseur d'une
vision de l'homosexualité féminine extrêmement problématique, au sein de laquelle se
mêlaient aliénation, tare et anormalité. Le journaliste saluait cependant l'intention de la
rédaction et reconnut la valeur des combats menés par le périodique, tout en mettant au défi les
lesbiennes de venir grossir les rangs de l'équipe de Lampião da Esquina :
« Bon, je connais les gens de O Repórter et je sais qu'ils sont de la plus grande
qualité ; ils affrontent une situation extrêmement difficile comme nous et forment,
comme d'autres journaux, une ligne de front au sein de laquelle Lampião se situe
également. Maintenant le problème, c'est que si progressistes soient-ils, les garçons
bafouillent quand ils décident de parler d'homosexualité. Je suis sûr qu'ils avaient
les meilleurs intentions quand ils décidèrent de faire le reportage sur les lesbiennes.
[…]
Nous allons faire la chose suivante : qu'un groupe de femmes se réunisse et fasse un
article sur l'homosexualité féminine pour Lampião. Qu'elles définissent le sujet,
fassent les entretiens, écrivent, inventent tout et nous l'envoient. Nous le publierons
sans réécrire, sans rien couper, sans policer. Ayez honte une bonne fois pour toutes
et assumez cet engagement, les filles ; mettez votre peur de côté et acceptez le fait
que ce journal est le nôtre, en d'autres termes, c'est aussi le vôtre 802. »
Ce problème de l'absence de femmes dans la rédaction du journal homosexuel avait
déjà été soulevé par Aguinaldo Silva dès le numéro expérimental d'avril 1978, dans une mise
au point initiale appelant à la convergence des combats homosexuel et féministe 803. Le
journaliste reconnaissait la complexité de la double peine subie par les lesbiennes,
discriminées à cause de leur genre et de leur sexualité, et insistait sur la volonté de la rédaction
800 Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 5.
801 Lampião da Esquina, n°10, 03/1979, p. 2.
802 Idem.
803 Lampião da Esquina, n°0, 04/1978, p. 5.
411
de devenir également un porte-parole des revendications féministes. Lampião da Esquina se fit
en ce sens en octobre 1978 l'écho de la « Lettre des droits des femmes », manifeste lancé à São
Paulo par les publications Nós, Mulheres et Brasil Mulher, le Centre de développement de la
femme brésilienne, le Groupe des femmes de la zone nord ainsi que des militantes
indépendantes. Trevisan cherchait à démontrer dans l'article « Minorias e a política804 » les
enjeux de l'appropriation par les mouvements de la gauche politique des thématiques
véhiculées par les mouvements féministes :
« Il s'agit de discuter de cette lettre avec d'autres groupes, afin de chercher un
programme commun, presque un front élargi entre les féministes brésiliennes
(brésiliens). La Lettre a même été présentée à et discutée avec des candidats et
candidates politiques qui voudraient intégrer la lutte de la femme brésilienne dans
leur programme électoral. Il s'agit par là de faire en sorte que les problèmes de la
femme soient retransmis au sein des mécanismes électoraux (rouillés) de la vie
politique brésilienne, comme une tentative de pression de l'intérieur 805. »
Il exprima son accord avec les solutions proposées par la « Lettre » aux nombreuses
inégalités entre hommes et femmes existant notamment dans le monde du travail et au sein de
la sphère privée, tout en reconnaissant un lien intrinsèque avec le combat pour la défense des
homosexuels mené par Lampião : « J'ai toujours pensé que la lutte des femmes est également
importante pour la conquête des pleins droits des homosexuels. C'est pour cela que la Lettre
m'enthousiasme, comme une ouverture de nouveaux chemins au sein de la société
brésilienne806. » Le journaliste incita les homosexuels à prendre exemple sur les féministes,
déjà bien davantage organisées et conscientes des discriminations subies quotidiennement, à
perdre la honte face aux humiliations et aux agressions, à acquérir, en somme, une conscience
politique en tant que minorité marginalisée. Mais l'enjeu principal de l'article résidait dans un
appel à l'union et à la convergence des luttes, « […] parce que l'oppression, qui sembl[ait] si
diversifiée, [avait] des racines communes dans un même système patriarcal et autoritaire 807 ».
Trevisan se réjouissait finalement de l'organisation des militants noirs au sein du Mouvement
Noir unifié (MNU) et des tentatives émanant de leaders indiens de créer la Fédération de
804 Lampião da Esquina, n°5, 10/1978, p. 6.
805 Idem.
806 Idem.
807 Idem.
412
l'Indien brésilien, autant de preuves que la lutte devait se mener de manière collective et sur
plusieurs fronts.
Il s'agissait là d'un défi à la hauteur des ambitions de la rédaction : convaincre les
militants noirs qu'eux et les homosexuels devaient converger vers un combat commun. Aussi,
Lampião da Esquina se fit rapidement le relais d'informations au sujet des manifestations
contre les discriminations raciales, comme dans l'article « A praça é dos negros808 » paru en
septembre 1978 et qui faisait état d'un acte de protestation organisé à São Paulo après le
meurtre d'un jeune noir par la police. En juin 1979, Jorge Schwartz dénonça le racisme et la
double discrimination subie par les personnes noires et homosexuelles en évoquant un cas de
discrimination à l'entrée de la boîte de nuit 266 West à São Paulo. Le papier 809 reproduisait une
lettre reçue par les victimes, témoins des préjugés racistes existant au sein du milieu
homosexuel : « Nous profitons de l'occasion pour rajouter que tant que l'homosexuel brésilien
maintient certaines restrictions au sujet de son prochain de couleur, il ne doit jamais se
plaindre des préjugés existant dans notre société810. »
L'article « E o negro, é “beautiful”811? » se pencha le mois suivant sur le peu de
représentativité et d'espaces d'expression des personnes noires au Brésil. En invoquant des
motifs liés à la diffusion des thèses de Gilberto Freyre sur la démocratie et l'harmonie raciale
au Brésil ainsi qu'aux nombreuses interdictions sous l'Estado Novo de Vargas, l'auteur
constatait la disparition de la presse noire forte et organisée des années 1930. Tout en saluant
la création de nouveaux périodiques militants, il regrettait leur caractère restreint :
« Les publications les plus récentes, comme Hifen, Simba e Tição, n'ont ni la même
envergure ni la continuité, elles ne sont pas connues de la majorité. Cela semble
difficile de comprendre pourquoi n'a pas encore émergé un Lampião des noirs, ni le
Movimento afro-brésilien, ou au moins un Pasquim créole. Il y a cependant des
motifs bien complexes à cela812. »
La suppression du critère racial dans les questions de recensement, sans doute pour
éliminer le racisme lui-même, fut un facteur de l'affaiblissement de la conscience de groupe
808 Lampião da Esquina, n°4, 25/08/1978, p. 6.
809 Lampião da Esquina, n°13, 06/1979, p. 2.
810 Idem.
811 Lampião da Esquina, n°14, 07/1979, p. 2.
812 Idem.
413
des noirs et métisses. L'auteur déplorait également le peu de bibliographie en langue
portugaise sur les origines africaines du Brésil et sur l'histoire de l'Afrique, cause de la
prépondérance d'études mal informées survalorisant les influences iorubá et nagô et
minimisant l'importance des peuples de la zone congo-angolaise dans la construction de la
culture brésilienne813. L’article invitait les organisations et militants noirs à venir participer,
contribuer, s'affirmer au sein des pages de Lampião pour lutter contre le manque de visibilité.
L'un des facteurs d'unité des mouvements homosexuels et noirs était la violence
policière dont ils étaient victimes, amplement dénoncée au fil des pages. En février 1980, la
section « VIOLÊNCIA » fut entièrement consacrée aux emprisonnements préventifs prévus
pour combattre le crime et les violences urbaines814, bases d'un projet étudié par le
gouvernement afin de rendre légale une pratique anticonstitutionnelle. Sachant que les noirs et
les homosexuels seraient toujours parmi les premiers touchés par ce genre de pratiques
répressives, le journaliste João Carlos Rodrigues en appelait à une nécessaire convergence
entre minorités : « L'heure n'est pas aux divisions ni aux petites batailles égoïstes. Cette loi
obscure nous atteindra tous et c'est pourquoi lutter contre elle est l'affaire de tous.
Homosexuels, noirs, femmes, minorités – la majorité 815. » Levi publia à cette occasion une
charge démontrant l'absurdité d'un tel projet de loi et l'une de ses probables conséquences : une
recrudescence des actes violents, des abus et bavures commis par les forces de police dans les
rues. Il est intéressant de noter que malgré le caractère commun de l'oppression souligné par
les reportages, le dessin ne montrait aucune victime noire de la répression policière. La scène
de course-poursuite urbaine finement élaborée par Levi mêlait deux plans aux perspectives
différenciées et jouait sur l’usage du remplissage noir pour d’une part figurer les uniformes et
matraques des policiers, et d’autre part représenter les habits des civils victimes d’un tel
déferlement de brutalité. L’éparpillement des personnages et la multitude de petites saynètes
d’agressions au sein du dessin renforçaient l’impression de confusion et l’ironie exprimée dans
813 De très nombreux mots de la langue brésilienne sont issus de cette zone congo-angolaise : capoeira,
umbanda, congado, maracatú, samba... Voir à ce sujet les travaux de l'historien Matthias Röhrig Assunção,
spécialiste de l'histoire du Brésil et de l'Afrique, ainsi que des circulations culturelles globales liées à
l'esclavage. Il s'intéresse tout particulièrement à l'histoire de la capoeira afro-brésilienne et de la culture noire.
Voir : Matthias RÖHRIG ASSUNÇÃO, Capoeira. The History of an Afro-Brazilian Martial art, Londres,
Routledge, 2005 ; Matthias RÖHRIG ASSUNÇÃO, « Da cultura popular à cultura negra » in Martha ABREU, Eric
BRASIL, Lívia MONTEIRO, Cultura Negra – Novos desafios para a História e os Historiadores, Niterói, EdUFF,
2018, p. 15-28.
814 Lampião da Esquina, n°21, 02/1980, p. 8-11.
815 Lampião da Esquina, n°21, 02/1980, p. 8.
414
le phylactère attribué à un homme témoin de la scène : « Caramba ! Ils sont déjà en train d’en
finir avec la violence ».
FIG 130 : Lampião da Esquina, n°21, 02/1980, p. 8
Le vingt-et-unième numéro fut également l'occasion de donner la parole au MNU,
organisation fondée en juin 1978 pour lutter de manière collective contre la discrimination
raciale816. L'article « Fala o Movimento Negro Unificado » faisait le constat d'une violence
encore plus prégnante à l'aube des années 1980 et du rôle indispensable de la police dans
l'articulation du régime autoritaire. Il s'attaquait également aux grands médias, qui proposaient
un résumé démagogue et édulcoré des raisons de la marginalité sans chercher ni à comprendre
ni à expliquer les mécanismes complexes de la misère sociale. La construction au fil des
pages de Lampião d'un discours consacré à la place des noirs dans un Brésil raciste franchit
816 Petrônio DOMINGUES, « Movimento Negro Brasileiro : alguns apontamentos históricos » in Tempo, n°23, 2007,
p. 100-122.
415
une étape importante avec la publication en août 1979 d'un entretien réalisé avec le militant,
écrivain, dramaturge, acteur et poète noir Abdias Nascimento817, co-fondateur du MNU l'année
précédente. Celui qui avait été à la tête du Théâtre expérimental du Noir jusqu'en 1968 était
alors exilé aux États-Unis et revint seulement s'installer définitivement au Brésil en 1982. Les
membres du conseil éditorial de Lampião discutèrent avec Abdias Nascimento des combats et
perspectives du MNU et des militants noirs en général, qui se heurtaient immanquablement
aux préjugés des organisations de gauche au Brésil :
« Aguinaldo – Tu as parlé de système d'oppression, tu crois que même les « forces
progressistes » participent à ce système ?
Abdias – Les forces progressistes au Brésil, pour le noir, ont toujours été très à
droite. La gauche a toujours été très à droite. À l'exception de cas très isolés,
comme celui de Florestan Fernandes, que l'on peut compter sur les doigts de la
main, la majorité de la gauche s'identifie avec les forces les plus réactionnaires en
matière de chose noire. C'est en elle que le préjugé est le plus difficile à combattre,
parce que justement elle a ce charme de progressiste, etc...
Aguinaldo – Et ils utilisent cet artifice de la fameuse « lutte supérieure » ; ce qui
signifie que toute revendication venue d'une « minorité » doit être laissée de côté
parce qu'elle n'est pas liée à la libération de ce qu'ils appellent le « peuple
brésilien », ou de « notre peuple »818. »
Avec la publication de cet entretien, la rédaction de Lampião montrait son inscription
dans une connexion naissante entre mouvements gays et noirs, et apportait la preuve de son
soutien indéfectible à la lutte anti-raciste, qu'elle réitéra également en transcrivant le manifeste
du MNU819 lu à la fin de l'acte public du 7 juillet 1979 à l'occasion du premier anniversaire de
l'organisation du mouvement. Il s'agissait également d'augmenter sa légitimité auprès des
lecteurs et journalistes noirs.
Le dix-septième numéro paru en octobre 1979 mit à l'honneur les origines et la richesse
de la culture noire au Brésil. Alors que Rubem Confete revint dans l'article « No Quilombo, o
samba é pra valer820 » sur l'histoire et la formation du samba brésilien, João Carlos Rodrigues
817 Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 10-12.
818 Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 10-11.
819 Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 13.
820 Lampião da Esquina, n°17, 10/1979, p. 15.
416
dévoila sa sélection « Cinco aspectos da cultura afro-brasileira821 ». L'écrivain et artiste, auteur
en 2001 de l'ouvrage O negro brasileiro e o cinema822 consacré à l'analyse des caricatures et de
l'archétype du noir dans le cinéma, faisait alors la promotion de cinq œuvres ou groupes
représentant à ses yeux la grande diversité culturelle afro-brésilienne :
« Une pièce de théâtre : « Sortilégio » de Abdias Nascimento […]
Un disque de samba : Clementina de Jesus […]
Un groupe de danse : Olorun baba Min [...]
Un roman : A descoberta do frio de Osvaldo de Camargo [...]
Un journal : Sinba : Il est arrivé entre mes mains grâce à un ami porte-parole de la
Société d'échange Brasil-Afrique. C'est bien, mais il peut encore s'améliorer. Dans
l'éditorial, il y a des choses stimulantes comme « un journal noir doit s'adresser à la
masse noire en l'informant, pas seulement à la société blanche en revendiquant ».
[…] C'est la presse noire qui renaît. Axé823 ! »
En parallèle de cette entreprise de valorisation de la culture noire au Brésil, Lampião
dénonça en septembre 1980824 le racisme prégnant dans le milieu artistique. La chanteuse Leci
Brandão et sa mère s'étaient en effet vues refuser l'entrée principale d'un lieu culturel par le
portier qui les avait confondues avec des employées domestiques et contraintes à prendre
l'entrée de service. La critique se dirigeait également contre la Loi Afonso Arinos datée de
1951 et interdisant supposément les actes résultant de préjugés de couleur ou de race, mais très
mal et très peu appliquée. Levi en profita pour publier une charge déplorant les discriminations
racistes dans les processus de sélection d'artistes, à travers la représentation d’un chanteur
évincé : « Mec, j'ai failli être sélectionné pour ce festival. J'ai bien réussi l'interprétation, les
paroles, ma musique et les arrangements. J'ai juste été recalé dans la catégorie couleur ! ». Le
dessinateur joua une fois de plus avec la perspective, comme pour octroyer au protagoniste de
son dessin la scène qui lui avait été refusée.
821 Lampião da Esquina, n°17, 10/1979, p. 17.
822 João Carlos RODRIGUES, O negro brasileiro e o cinema, Rio de Janeiro, Pallas, 2001.
823 Lampião da Esquina, n°17, 10/1979, p. 17.
824 Lampião da Esquina, n°28, 09/1980, p. 5.
417
FIG 131 : Lampião da Esquina, n°28, 09/1980 , p. 5
Les convictions défendues par les membres de la rédaction, les combats menés et la
certitude d'une nécessaire convergence des luttes furent cependant à l'origine de désaccords et
de nombreuses divergences entre le journal et les militants homosexuels organisés. En juin
1980, le vingt-cinquième numéro rendit compte de la diversité des groupes et des formes du
militantisme tout en réaffirmant en effet sa neutralité :
« LAMPIÃO n'est relié à aucun groupe homosexuel en particulier. LAMPIÃO n'a
aucun lien avec aucun groupe politique. LAMPIÃO est viscéralement intéressé par
le surgissement de groupes homosexuels et, en ce sens, tout à fait disposé à ouvrir
un espace, dans ses pages, pour eux tous. Dans ces cas, cependant, davantage que
de l'activisme, le journal se préoccupe de l'intérêt journalistique du contenu envoyé
par ces groupes. LAMPIÃO est avant tout un journal de minorités et non un bulletin
de l'activisme homosexuel825. »
825 Lampião da Esquina, n°25, 06/1980, p. 9.
418
Les tensions s'amplifièrent au fil de l'année 1980, alimentées par le dilemme
grandissant au sein des mouvements homosexuels entre la focalisation sur les spécificités de
leur militantisme et la convergence vers d'autres groupes opprimés. En décembre 1980,
l'article de Aguinaldo Silva « Lampiônicos : ativistas, astronautas ?826 » contait l'arrivée dans la
rédaction du militant Marcelo Liberali venu confier aux journalistes une lettre ouverte signée
par quatre groupes homosexuels brésiliens ainsi qu'une pétition de personnalités en soutien à
cette lettre. Retranscrit intégralement par Lampião, le courrier regrettait l'éloignement et le
rejet du militantisme par le journal, estimant que la rédaction avait des comptes à rendre. La
réponse publiée répétait l'invitation au dialogue et précisait que les lecteurs auraient leur mot à
dire concernant l'orientation éditoriale du mensuel. La rupture se concrétisa encore davantage
deux mois plus tard, lorsque que fut publiée dans la rubrique du courrier des lecteurs une
nouvelle lettre adressée par les trois groupes militants Auê Rio, Somos Rio et Bando de Cá
Niterói, s'insurgeant contre la publication de la lettre ouverte et le traitement par Lampião de
l'événement827.
La réponse cinglante de la rédaction entérina la fracture en réaffirmant sa liberté
d'expression et d'opinion vis-à-vis de tout groupe, mouvement ou parti politique organisé. Ces
querelles apparaissent symptomatiques des difficultés éprouvées à l'heure de penser le combat
des minorités, ces « groupes opprimés, marginalisés ou stigmatisés828 » d'après Abdias
Nascimento, à l'échelle collective et en dépassant les frontières militantes. Les divisions et
tensions, marques du dilemme de la rédaction, ajoutées à de nombreuses difficultés
financières, une certaine perte de souffle éditoriale et la multiplication des critiques formulées
contre des contenus jugés pornographiques au début de l'année 1981, laissèrent tout de même à
Lampião da Esquina le temps de fêter son troisième anniversaire en mai 1981, avant de
publier son tout dernier numéro829.
D'après l'historien Jorge Luís Pinto Rodrigues 830, le rôle du projet graphique des
périodiques indépendants avait justement un rapport fondamental avec cette rencontre de
différents combats :
826 Lampião da Esquina, n°31, 12/1980, p. 12.
827 Lampião da Esquina, n°33, 02/1981, p. 2.
828 Lampião da Esquina, n°15, 08/1979, p. 12.
829 Lampião da Esquina, n°37, 07/1981.
830 Jorge Luís Pinto RODRIGUES, « Impressões de Identidade : Histórias e estórias da formação da imprensa gay no
Brasil », Thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Mário César Lugarinho, Niterói, Université
fédérale fluminense, 2007.
419
« Les journaux ont toujours été bons pour communiquer des histoires de vie et des
rêves. Par ailleurs, ils créent de véritables espaces de manifestation des opinions
autour d'un certain thème, avec une certaine cohérence idéologique, et collaborent à
la rencontre d'un groupe de personnes donné qui lisent la même histoire et partagent
les valeurs exprimées, et qui d'une certaine manière s'identifient avec elles. Pour
cela, les journaux et revues sont un champ de l'inévitable action du design
graphique, responsable de l'établissement d'un équilibre entre forme, contenu et
fonction, dans un mécanisme d'accroches de communication pour les lecteurs 831. »
Grâce notamment aux formes d’humour graphique publiées en son sein, Lampião da
Esquina se constitua entre 1978 et 1981 en espace structuré de discussion et de construction de
l'identité homosexuelle à l'échelle nationale, mettant en lumière de nombreuses contradictions
inhérentes à la gauche brésilienne au moment de l'élaboration de l'ouverture politique par le
régime militaire. Sa volonté d'agréger les luttes minoritaires, de faire converger les combats
féministe, noir et homosexuel, eut un impact majeur dans les contenus graphiques voués à
synthétiser les enjeux et difficultés d’un tel projet. L'équipe fut confrontée à plusieurs reprises
aux impasses et contradictions d'une entreprise de défense d'un lectorat homosexuel, victime
de préjugés et de violences, menée par un périodique qui n’avait pas vocation à devenir un
organe de presse du mouvement activiste gay et de ses revendications. Il semblerait que
l'impossible résolution de ces dilemmes et les « malentendu[s] entre minorités » dessinées par
Levi en mars 1980 aient contribué à la chute du premier périodique homosexuel d'ampleur
nationale au Brésil. « Noir », « travesti », « pédé », « ouvrier », « lesbienne », « prostituée »,
Lampião da Esquina tenta de faire converger les luttes dans un objectif commun : l’accès aux
libertés démocratiques pour toutes les minorités. Cette conception de la lutte politique lui
valut, à l’instar de Brasil Mulher, des critiques internes aux mouvements minoritaires exigeant
un engagement plus important en faveur des causes spécifiques.
831 Jorge Luís Pinto RODRIGUES, op. cit., p. 64.
420
FIG 132 : Lampião da Esquina, n°22, 03/1980, p. 11
Malgré les divergences exprimées entre organisations militantes et les difficultés matérielles
de Lampião da Esquina, la rédaction sortit victorieuse d’un procès intenté contre elle au
prétexte d’atteinte à la morale conservatrice. Elle mena un combat politique fondamental,
également porté par Brasil Mulher et Nós, Mulheres, dans la remise en cause de la vision
moraliste de la sexualité et des mœurs érigée par le régime militaire en pilier de son action
contre la subversion communiste832. L’humour graphique publié par la presse féministe et
homosexuelle contribua en ce sens durant la seconde moitié des années 1970 à la
déconstruction de la vision du monde défendue par le gouvernement, également entamée par
la presse écologiste et les titres en faveur du multiculturalisme brésilien, en réponse au
nationalisme, à l’esprit colonial, libéral et développementaliste.
832 Ben COWAN, Securing Sex: Morality and Repression in the Making of Cold War Brazil, Chapel Hill,
University of North Carolina Press, 2016.
421
422
Chapitre 7
Multiculturalisme, pan-latino-américanisme, écologie :
quelles perspectives dessina l'humour graphique pour le Brésil ?
La presse d’opposition entreprit la construction d’une réelle vision alternative pour le
pays, face à l'essoufflement au cours de la seconde moitié des années 1970 du modèle de
nation proposé et imposé par le régime militaire, marqué par la crise économique, les avancées
électorales du MDB - le parti de l'opposition consentie - ainsi que d'importantes divergences
internes sur la marche à suivre ou non vers l’ouverture politique. Nous montrerons le rôle des
charges et de la bande dessinée au sein des mécanismes d'élaboration de cet autre imaginaire
national, construit en contrepoint du discours officiel. Ainsi, le mensuel Versus paru entre 1975
et 1979 à São Paulo développa un pan-latino-américanisme en réponse à la vision de Guerre
froide d'un Brésil appartenant au bloc occidental, chrétien et aligné sur la politique des ÉtatsUnis. Puisant d'une part ses réflexions dans les épopées et mythes latino-américains, le
périodique chercha d'autre part à mettre en lumière les origines et racines historiques africaines
de la société brésilienne niées par un récit national militaire centré sur l'esprit de conquête
lusitanien et la religion catholique. Présente en filigrane dans Versus, la thématique écologiste
apparut au fil des pages de certains périodiques indépendantes non spécialisés pour devenir
ensuite la préoccupation centrale de nouvelles publications au cours de la seconde moitié des
années 1970. Elle surgit en opposition à la vision ufano-développementaliste833 de la dictature
militaire prônant la conquête et la colonisation moderne des espaces intérieurs par les
pionniers, envisageant de fait la nature comme un ensemble de ressources productives à
exploiter. La défense des droits des populations indigènes en tant qu'occupantes légitimes des
territoires brésiliens ainsi que la valorisation de la richesse culturelle indienne dessinèrent une
alternative à la vision civilisationnelle, raciste et conquérante des militaires.
Dès lors, les formes d'humour et les images employées construisirent les différentes
pièces de la mosaïque d'un autre imaginaire national et proposèrent la reconstruction du socle
culturel brésilien à partir de valeurs anti-coloniales, anticapitalistes, tournées vers les racines
833 Le terme d'origine espagnole « ufano » se réfère au fait de ressentir orgueil et fierté. L'ufanodéveloppementalisme du régime militaire se manifesta par un ensemble de projets censés favoriser le
développement et la gloire de la nation brésilienne, organisés autour de la conquête moderne des zones les
plus reculées, la valorisation des pionniers, l'idée d'une frontière à repousser et l'industrialisation massive en
vue de l'intégration du territoire national.
423
originelles du pays et fondé sur la majorité opprimée, dans toute sa diversité. Elles s'ancrèrent
en ce sens profondément dans l'opposition au régime militaire, profitant des pouvoirs
communicationnels de la métaphore et de la parabole graphiques pour dénoncer l'autoritarisme
à l'échelle nationale, latino-américaine et internationale.
I. Versus et la place du Brésil en Amérique latine
Publié à São Paulo entre octobre 1975 et octobre 1979, Versus fut à l'origine une
création du journaliste Marcos Faerman, dit Marcão. Oscillant initialement entre parution
bimestrielle et trimestrielle, puis devenu mensuel à partir de mars 1977, le périodique imprimé
à douze mille exemplaires durant sa première année dépassa les trente-cinq mille tirages à miparcours et s'étendit à plusieurs villes brésiliennes telles que Porto Alegre, Rio de Janeiro et
Belo Horizonte. Faerman avait entamé sa carrière à l'âge de dix-sept ans, engagé par Última
Hora à Porto Alegre où il travailla jusqu'à la fermeture et le remplacement en 1964 du
périodique par Zero Hora. Le jeune reporter prit sa carte au PCB en 1964 et assuma
d'importantes responsabilités au sein de la direction nationale du Parti ouvrier communiste
(POC) en 1968, année à laquelle il intégra les rangs du Jornal da Tarde à São Paulo834.
Emprisonné à plusieurs reprises par le régime militaire, il s'éloigna du militantisme direct au
début des années 1970, mais son travail de journaliste dans la presse indépendante continua à
largement refléter ses convictions politiques. Après avoir contribué à la création de Ex835 à São
Paulo en décembre 1973 et y avoir travaillé en tant qu'éditeur jusqu'en 1975, il se lança dans le
projet d'une nouvelle publication :
« Quand il quitta la rédaction de Ex, et nous parlons maintenant de l'année 1974 ou
1975, Marcão apporta à la future rédaction de Versus un contact très fort qu'il avait
entretenu avec Eduardo Galeano et au cours de ces échanges d'idées il fut
totalement contaminé, disons, par une idée peu mise en pratique ici au Brésil,
834 Guilherme Fernandes de AZEVEDO, « Jornalismo é Poesia. Uma viagem compreensiva pela obra de Marcos
Faerman », Mémoire de master en Sciences de la communication, sous la direction de Dimas Antonio
Künsch, São Paulo, Faculté Cásper Líbero, 2014.
835 Les seize éditions régulières et les quatre numéros spéciaux du mensuel indépendant et satirique circulèrent
de 1973 à 1975 à São Paulo. Publication engagée à l'humour très corrosif, Ex dénonça directement la mort du
journaliste Vladimir Herzog en Une du seizième numéro dont les trente mille exemplaires de la première
édition se vendirent intégralement, suivis de vingt mille exemplaires supplémentaires. Les ventes moyennes
dépassaient légèrement les quinze mille exemplaires. La rédaction fut ensuite contrainte à la fermeture par la
police fédérale.
424
pendant des siècles : l'idée centrale que le Brésil avait besoin de regarder
l'Amérique latine pour apprendre avec elle836. »
Les trente-trois éditions régulières de Versus et les trois numéros hors-série consacrés à
la bande dessinée publiés entre octobre 1975 et octobre 1979 attestent du net intérêt de
Faerman pour la pluridisciplinarité dans le traitement des thématiques, mais également de son
engagement contre le régime militaire et en faveur de la grande diversité culturelle latinoaméricaine. Comme le rappela son ancien collègue, aujourd'hui journaliste, traducteur et
cinéaste Omar de Barros Filho, Faerman fut profondément marqué par ses rencontres avec
l'écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Galeano837 lorsque celui-ci était correspondant
régulier de Ex. Les manifestations culturelles et artistiques latino-américaines revêtaient au fil
des pages un habit politique, militant, philosophique et esthétique. Les procédés graphiques et
la présentation visuelle tout à fait innovante puisaient leur inspiration, nous le verrons, aux
sources de la culture populaire brésilienne, du côté de l'art de l'horreur et de l'angoisse, dans
les mythes fondateurs du sous-continent, dans les origines africaines de la population latinoaméricaine et dans le tiers-mondisme838. Au cours des premiers mois et jusqu'à sa prise de
position politique affirmée en faveur de la Convergence socialiste, le grand défi de la rédaction
fut d'interroger la définition de l'Amérique latine en tant que sphère culturelle et politique
dépassant les frontières nationales, marquée par une identité collective à l'échelle du continent
et caractérisée par une résistance intrinsèque née de luttes contre l'exploration et la violence
depuis plusieurs centaines d'années. Entre lyriques épopées et fresques mythologiques
retraçant l'histoire des peuples latino-américains, Versus publiait ainsi des récits fictionnels
engagés, de grands reportages dénonçant les régimes dictatoriaux du continent ainsi que des
essais rédigés par les grands intellectuels latino-américains qui lui étaient contemporains.
L'emploi de l'humour graphique fut l'un des outils indispensables à la création matérielle,
836 Omar de Barros FILHO in INSTITUTO VLADIMIR HERZOG, “Resistir é preciso”. Os protagonistas desta história,
São Paulo, Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2011, CD 3, 00'00''40 (document audiovisuel).
837 De mai 1973 à août 1976, Eduardo Galeano dirigea la revue argentine Crisis qui dut fermer ses portes
quelques mois après le coup d’État de la junte militaire dirigée par Videla. Il collabora avec le périodique
brésilien Ex, puis avec la rédaction de Versus. Parti en exil en Espagne en 1976, il poursuivit les échanges
avec Versus outre-atlantique en devenant correspondant régulier de la rédaction.
838 Au sujet de l'introduction et du développement du concept de tiers-mondisme au Brésil durant la seconde
moitié du XXe siècle, voir : Germán ALBUQUERQUE, « Tercer Mundo y tercermundismo en Brasil : hacia su
constitución como sensibilidad hegemónica en el campo cultural brasileño - 1958-1990 » in Estudos IberoAmericanos, vol. 37, n°2, juil.-déc. 2011, p. 176-195.
425
politique et symbolique de cet espace transfrontalier traversé par de nombreuses circulations
intellectuelles, militantes et artistiques.
1. Profils, projet graphique et innovations esthétiques
Versus est l'objet de quelques articles brésiliens issus des sciences de l'information et
de la communication839 centrés sur les techniques de journalisme innovantes ainsi que sur la
construction d'une identité culturelle latino-américaine, mais qui prennent souvent la forme de
dithyrambes dépourvus d'une vraie analyse critique – travers par ailleurs représentatif de la
mémoire collective au sujet de la presse « alternative ». Sans résister à cette tentation de
l'éloge, la publication en 2007 de l'anthologie Versus: Páginas da Utopia840 permit cependant à
Omar de Barros Filho d'évoquer certaines sources d'inspiration du périodique, l'organisation de
la rédaction et l'important groupe de collaborateurs réguliers. Faerman chercha en effet à
s'entourer de rédacteurs aux profils divers et à ouvrir largement sa porte aux écrivains,
philosophes et artistes, en plus des journalistes et reporters professionnels. Le mensuel compta
parmi ses membres l'intellectuel d'origine ukrainienne Boris Schaiderman, traducteur du russe
au portugais841 naturalisé dans les années 1940 qui collabora à partir de 1957 à la presse
brésilienne puis enseigna la langue et la littérature russes à l'Université de São Paulo. Le
sociologue brésilien Octavio Ianni fut également collaborateur de Versus, après avoir été
interdit d'enseigner à la USP en 1969. Il exerça au sein de nombreuses universités brésiliennes
et étrangères tout en publiant régulièrement des articles dans le mensuel indépendant,
notamment au sujet de la persistance des préjugés raciaux au Brésil 842. Auteur de fiction,
essayiste et principal traducteur brésilien de l’œuvre de Kafka, Modesto Carone travailla
839 Voir : Xenya de Aguiar BUCCHIONI, Juliana Sayuri OGASSAWARA, « Versus: a busca por uma identidade cultural
latino-américana » in Diálogos de la Comunicación, n°79, janv.-juil. 2010 [en ligne :
https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=3718996] (consulté le 09/04/2019) ; Jeferson CANDIDO,
« Versus: os primeiros versos – aspectos da poesia publicada no primeiro ano do jornal » in Boletim de
Pesquisa NELIC, vol. 6, n°8/9, 2006, p. 180-189.
840 Omar de BARROS FILHO, Versus: Páginas da Utopia, Rio de Janeiro, Beco do Azougue, 2007.
841 Boris Schnaiderman publia au Brésil de nombreux ouvrages consacrés à la culture russe, ainsi que
d'importantes versions des œuvres de Pouchkine, Dostoiévski, Tolstói, Tchekhov et Górki. Au sujet des
techniques et méthodes de traduction employées par Schnaiderman, voir l'article : Walter Carlos COSTA,
« Boris Schnaiderman e o autocomentário de tradução » in TradTerm, vol. 18, déc.2016, p. 22-34.
842 Spécialiste des inégalités sociales et raciales au Brésil, Ianni était un ancien élève de Florestan Fernandes issu
de l'école de sociologie pauliste. Il fut l'un des fondateurs en 1969 du Centre brésilien d'analyse et
planification (CEBRAP) avec d'autres collègues également éloignés de leur fonction à l'Université de São
Paulo. Ianni fut notamment l'auteur de l'ouvrage A Formação do estado populista na América latina, paru en
1975 aux éditions Civilização Brasileira.
426
également pour Versus et d'autres publications indépendantes. Les essais du directeur de
théâtre, poète et leader du Movimento Negro Abdias Nascimento côtoyaient les chroniques
des dramaturges Augusto Boal et Plínio Marcos ou les récits fictionnels de l'autrice Nélida
Piñon.
D'un autre côté, de nombreux intégrants de la rédaction étaient issus du milieu du
journalisme professionnel, à commencer par Marcos Faerman et Omar de Barros Filho euxmêmes. Percival de Souza, l'un des fondateurs du Jornal da Tarde, envoyait fréquemment des
chroniques à la rédaction. Wagner Carelli, ancien élève puis collègue de Vladimir Herzog, fut
renvoyé de la rédaction de O Estado de São Paulo après un voyage à Cuba. Il commença alors
à envoyer des articles à Versus, rejoignant Carlos Rangel, Jorge Pinheiro, Licínio de Azevedo,
Luiz Egypto, Maria da Paz Rodrigues, Neusa Maria Pereira et de nombreux autres. Le groupe
initial des membres de la rédaction s'agrandit et se modifia entre 1975 et 1979, à mesure que la
ligne éditoriale de Versus évoluait. La rédaction se regroupait régulièrement en son siège situé
dans un premier temps rue Alves Guimarães à São Paulo ou au domicile de Omar de Barros
Filho dans le quartier de Magdalena. À partir de 1977, le mensuel vit progressivement certains
changements s'affirmer et Paulo de Tarso Venceslau843, économiste et ancien militant de la lutte
armée au sein de diverses organisations, devint administrateur financier. Les tirages
atteignirent à cette époque trente mille exemplaires.
Le projet graphique était une innovation importante apportée par le mensuel Versus.
Les charges et bandes dessinées y trouvèrent une place importante qui, nous le verrons, s'étiola
à partir du début de l'année 1978 et du départ de certains dessinateurs. Participèrent dès le
premier numéro Angeli, Luis Gê, Paulo et Chico Caruso, Jaime Leão, Chinem, Alcy et Elifas
Andreato. Ce dernier fut le directeur artistique de Opinião depuis la première parution en
novembre 1972 et jusqu'au départ de Raimundo Pereira en février 1975844. Andreato
accompagna l'éditeur, partit s'installer à São Paulo pour travailler à la création de Movimento
et se lança dans le projet de Versus. La couverture de chaque numéro était soigneusement mise
en page avec l'unique couleur permise par les finances, les grands titres, le contenu textuel et
les graphismes travaillés. Écrits et images œuvraient de manière conjointe à la diffusion des
843 Militant de l'Alliance de libération nationale (ALN), il fut choisi pour participer à l'enlèvement de
l'ambassadeur nord-américain Charles Burke Elbrick en septembre 1969 à Rio de Janeiro. Emprisonné le
mois suivant, Paulo de Tarso Venceslau fut torturé dans les locaux de l'Opération Bandeirante (OBAN) à São
Paulo, puis jugé et emprisonné. Il sortit de prison en décembre 1974 et devint économiste, terminant ainsi les
études qu'il avait entamées avant son emprisonnement.
844 Voir le troisième chapitre de cette thèse.
427
messages, obéissant à de remarquables règles d'agencement et de composition. La Une du
premier numéro daté d'octobre 1975 fut à cet égard annonciatrice de la création couplée entre
textes et graphismes d'un périodique singulier, pionnier dans les formes de son engagement
politique.
FIG 133 : Versus, n°1, octobre 1975, p. 1
La répétition du terme « mort » dans les trois titres construisait le fil conducteur entre les
différents sujets traités : « Je fus condamné à mort. (Confessions d'un reporter argentin) », « Je
me suis condamné à mort. (Journal d'un écrivain péruvien) » et « Nous vivons dans la mort.
(La vie dans un asile du Minas Gerais)845 ». Rappelons que l'impression du premier numéro
coïncida avec le décès, le 25 octobre 1975, du journaliste Vladimir Herzog retrouvé pendu
dans sa cellule au sein du DOI-CODI de São Paulo. La nouvelle de l'assassinat grossièrement
maquillé en suicide, amplement relayée par les médias malgré l'interdiction formelle, marqua
845 Versus, n°1, 10/1975, p. 1.
428
durablement les journalistes et toute l'opposition démocratique au régime militaire 846. Tout
dans le graphisme créé par Luis Gê faisait écho à cette réitération de la « mort » : l'emploi de
la couleur rouge, la redondance des images, la dureté des traits, l'horreur et la crainte
exprimées par les visages en noir et blanc, les mains placées en une ultime tentative de
protection. La couleur et la centralité du visage de plus grande taille en suggèrent le caractère
initial, suivi par autant de déclinaisons du même phénomène. Reproduit en quatrième page, le
dessin illustrait « ARGENTINAAA847 », reportage-récit du journaliste argentin Tomas Eloy
Martinez consacré à la montée en puissance de l'ancien ministre José Lopez Rega et de la
« Triple A », l'Alliance Anticommuniste Argentine. La répétition de la dernière lettre du titre
évoquait à la fois graphiquement et phoniquement un cri d'alarme tout en constituant
l'acronyme de l'un des synonymes du terrorisme d’État dans l'Argentine des années 1974 et
1975 : « A.A.A. ».
De nombreux graphismes puisaient leur inspiration dans la culture populaire
brésilienne et notamment l'art du cordel, fortement lié à la tradition orale du nordeste. Dès le
deuxième numéro, Versus rendit hommage au travail de l'artisan et artiste originaire du
pernambouc José Francisco Borges, à la fois dessinateur, graveur, chanteur et poète848. Plus
connu sous le nom de J.Borges, l'artiste autodidacte et maître d'art populaire raconta son
enfance humble et laborieuse, suivie de sa découverte progressive du milieu des chanteurs
itinérants dans les marchés du sertão et de la réalisation des feuillets de cordel. Les courts
poèmes et les gravures sur bois reproduits par Versus narraient les aventures d'animaux réels et
imaginés, associant un style naïf à une bonne dose d'humour en vers :
846 David Creimer REICHHARDT, « A multidão silenciosa: Vladimir Herzog, assassinado (São Paulo, 1975):
etnografia de um evento », Mémoire de master en Anthropologie sociale, sous la direction de Omar Ribeiro
Thomaz, Campinas, Université de l’État de Campinas, 2015.
847 Versus, n°1, 10/1975, p. 4-6.
848 Versus, n°2, 12/1975, p. 44.
429
FIG 134 : Versus, n°2, 12/1975, p. 44
La notoriété de J. Borges, grand représentant de l'univers culturel du peuple nordestin,
acquit une ampleur nationale au cours de la première moitié des années 1970 à la suite de la
venue à Bezerros des peintres cariocas Ivan Marquetti et José Maria de Souza, qui lui
commandèrent des œuvres, ainsi que de la découverte de son travail par le célèbre romancier
Ariano Suassuna. La dessinatrice Conceição Cahu s'inspira d'ailleurs largement de cet univers
culturel du cordel pour illustrer le reportage de Caco Barcelos, « A perseguição (no sertão de
Serra Talhada, lá onde nasceu Virgulino Lampião) 849 », paru en décembre 1976. Le graveur
Rubem Grilo qui avait auparavant collaboré avec Opinião publia des œuvres anciennes ou
inédites dans Versus à partir de la fin de l'année 1977. Il transmettait au mensuel des travaux à
la forte teneur politique, critiques de la situation contemporaine et du régime militaire, témoins
des inégalités sociales, des rapports de domination et des ravages du capitalisme carnassier. Le
trait allégorique et expressionniste, parfois naïf, souvent humoristique et immanquablement
satirique, portait les innombrables marques et saccades de la gouge servant à la gravure. En
juin 1978, une œuvre de Grilo fut publiée pour illustrer l'éditorial de Jorge Pinheiro850
849 Versus, n°7, 12/1976, p. 14-16.
850 Versus, n°22, 06-07/1978, p. 3-4.
430
analysant les évolutions du scénario politique national notamment marqué par la grève
ouvrière du mois de mai dans la périphérie de São Paulo. Mais c'est dans le vingt-troisième
numéro que la dimension métaphorique et la teneur contestataire de ses gravures franchirent
une étape importante, lorsqu'elles furent associées à la « Lettre ouverte d'un torturé au
président Geisel851 » signée par Amadeu de Almeida Rocha et reproduite par Versus.
L'emploi de la narration graphique et textuelle fictionnelle contribua significativement
à l'identité du mensuel, dont le directeur de la rédaction Marcos Faerman revendiquait – à
l'instar de la revue Realidade et du Jornal da Tarde852 – l'emprunt de certaines techniques au
New Journalism, repoussant les limites des méthodes de la narration journalistique
traditionnelle. Cette appétence pour le mélange des genres aboutit à l'usage fréquent de récits
dessinés, comme en 1976 lorsque Jayme Leão proposait une version graphique du film
Iracema, tourné par le réalisateur brésilien Jorge Bodanski et censuré dans le pays. Après avoir
lu le scénario, Jayme Leão en imagina et dessina certaines scènes publiées sous forme de
planches de bande dessinée au sein du septième numéro de Versus853. Le trait sombre, élaboré,
mimétique et l'emploi du crayonné pour renforcer les nombreuses zones d'ombre traduisaient
d'angoissantes scènes d'oppression, de destruction de la nature et d'exploitation des femmes et
des hommes le long de la route transamazonienne.
851 « Carta aberta de um torturado ao presidente Geisel » in Versus, n°23, 07-08/1078, p. 12-15.
852 PREFEITURA DA CIDADE DO RIO DE JANEIRO, « New Journalism. A reportagem como criação literária » in
Cadernos da Comunicação, vol. 7, 2003.
853 « Iracema » in Versus, n°7, 12/1976, p. 21-26.
431
FIG 135 : Versus, n°7, 12/1976, p. 24
La rédaction de Versus consacra trois numéros hors série au neuvième art en décembre
1976, mars 1977 puis juillet 1979, un mois avant la parution du dernier numéro. Mais la
rédaction divulgua également au sein des éditions régulières de nombreuses planches de bande
dessinée inédites ou déjà publiées, du moins jusqu'à la fin de l'année 1977. Ce mode de
narration dessinée fut le support de reconstitutions historiques, de la transmission de mythes
fédérateurs latino-américains et de la publication de grands reportages graphiques consacrés
notamment aux origines africaines de la population brésilienne ainsi qu'à la situation
contemporaine de pays africains lusophones tout récemment indépendants, notamment dans la
section « Afro-latino-América » sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Dès le début de
l'année 1976, Luiz Gê dessinait la guerre coloniale, le racisme et la guerre de libération dans
quatre planches synthétiques intitulées « Angola», plongeant le lecteur dans un récit abolissant
les frontières temporelles et empruntant de nombreuses références à la culture populaire nord432
américaine pour représenter les envahisseurs. Le quatrième numéro de Versus publiait une
bande dessinée de l'auteur argentin Enrique Breccia datée de 1974 et traduite en portugais :
« A espera854 ». Le fils d’Alberto Breccia avait un trait extrêmement minimaliste et saccadé,
fortement inspiré de la gravure sur bois et dont les lignes accentuaient muscles, angles, tissus
et mouvements. De l'histoire de la vengeance de Calixto Ordoñez contre le militaire qui
massacra sa famille apparaissait la critique du cynisme et de l'ironie d'un monde violent
gouverné par la stupidité des hommes. La Patagonie, dont les paysages étaient à peine
suggérés par des cases accordant au vide et à l'immensité une grande importance, trouvait sa
matérialité dans la langue indienne mapuche. Une autre planche dessinée par Breccia et
publiée isolément en avant-dernière page du même numéro855 servait à la promotion du hors
série consacré à la bande dessinée, paru quelques mois plus tard. Rendu célèbre par son
personnage tragi-comique Rango, Edgar Vasques mit en dessins le récit « A morte de Pedro
Ninguém » à partir du célèbre poème de Luis Menezes et les trois planches 856 parurent dans le
cinquième numéro de Versus. Le périodique publia en mars 1977 huit planches857 issues de
« Tecumtha », de l'espagnol Luis Garcia, qui dessina le massacre des indiens nord-américains
par les blancs alors qu'il avait fui le franquisme et émigré aux États-Unis. Perturbation de
l'équilibre et de l'harmonie avec la nature, horreur du génocide, caractère transfrontalier de la
résistance à l'oppresseur sanguinaire, cruauté des massacres et des pendaisons prenaient corps
à travers le style hyper réaliste du dessinateur. Deux mois plus tard, ce fut au tour de Jayme
Leão de dessiner le « Sonho nordestino858 » à partir des textes de Gianfranceso Guarnieri et de
représenter l'histoire d'un homme originaire du sertão, parti en ville pour y occuper un emploi
d'ouvrier et dans l'attente de ses retrouvailles avec sa famille. Ces quelques exemples
démontrent le rôle accordé à la bande dessinée par le mensuel Versus dans le processus
d'élaboration graphique d'une identité caractérisée par le combat contre les inégalités sociales,
raciales et culturelles au Brésil, mais également la lutte transfrontalière contre le racisme hérité
de la colonisation, le massacre des peuples originels et le désastre de l’ultra-libéralisme
appliqué à l'échelle de l'Amérique latine.
854 « A espera » in Versus, n°4, 1976, p. 25-30.
855 Versus, n°4, 1976, p. 51.
856 « A morte de Pedro Ninguém » in Versus, n°5, 1976, p. 34-36.
857 « Tecumtha » in Versus, n°8, 03/1977, p. 17-20.
858 « Sonho nordestino » in Versus, n°10, 05/1977, p. 21-25.
433
2. L’élaboration d’une identité collective à l’échelle continentale
Dès son titre, Versus revendiquait son ancrage à contre-courant859 dans une large
opposition à tous les gouvernements militaires, à un ensemble de conventions et normes du
journalisme ainsi qu'à une vision pré-définie et imposée de l'identité latino-américaine. Les
reportages, les chroniques, les essais, les œuvres de fiction littéraire, les photographies et
dessins tendaient à formuler des propositions alternatives, profondément anticapitalistes et
anti-autoritaires, dans les domaines économiques, sociaux et politiques. Versus était envisagé
par ses rédacteurs comme le vecteur d'une circulation militante d'informations axées autour du
postulat central dont Omar de Barros Filho rappelait en 2011 l'importance pour Marcos
Faerman : « le Brésil avait besoin de regarder l'Amérique latine pour apprendre avec elle. » La
remise en question constante des frontières établies arbitrairement sur le sous-continent prenait
dès lors la forme d'une déconstruction discursive et graphique des limites nationales.
Dès le deuxième numéro, la reproduction de l'essai « Nuestra América860 » rédigé par
José Marti en 1891 ancra historiquement et symboliquement l'ambition de réappropriation du
terme « Amérique », à la première personne du pluriel, par les peuples du sous-continent
exhortés à grandes doses de lyrisme par l'homme politique cubain à s'unir, à lutter pour leur
indépendance et à s'opposer à l’impérialisme nord-américain. Le numéro suivant fut le
prétexte à la formulation par Angeli d’un cynique constat d’échec avec la charge « Le grand
cirque latino-américain861 ».
859 Nous avons développé ce point dans l'article « Versus, une publication indépendante brésilienne en
résistance » issu d'une communication présentée lors du Colloque des doctorants de la Fédération Suds
organisé les 11 et 12 décembre 2014 à l'Université Paris Diderot et qui avait pour thème « Les circulations à
contre-courant ». Voir : Mélanie TOULHOAT, « Versus, une publication indépendante brésilienne en résistance »
in Cahiers de l'URMIS, n°16 « Métamorphoses du regard sur les migrations contemporaines », 2016 [en
ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01393673/document] (consulté le 12/04/2019)].
860 Versus, n°2, 12/1975-01/1976, p. 4.
861 Versus, n°3, 1976, p. 29.
434
FIG 136 : Versus, n°3, début 1976, p. 29
Sur la scène d'un chapiteau circassien, un homme d'affaires en costume martyrisait un second
personnage vêtu de haillons en lui remplissant littéralement la boîte crânienne des noms et
logos de grandes firmes internationales dont Coca-Cola, Sachs, Volkswagen, Xerox ou Philips.
Le public composé d'hommes blancs dégarnis encourageait la violence et la décadence des
actes dont il était spectateur. Le titre de la charge faisait de la victime une métaphore de
l'ensemble du sous-continent, subissant passivement le lavage de cerveau et les invasions
étrangères. Le trait simple, rond et presque brouillon du caricaturiste contribuait à la
transposition du scénario international marqué par un capitalisme prédateur en une grande
foire d'empoigne où les peuples, territoires et marchés latino-américains étaient vendus au plus
offrant. Difficile de déterminer où résidait la vraie cible du dessin : les États-Unis, l'Europe, le
capitalisme, la pornographie et le vice de la géopolitique mondiale ? La soumission des pays
latino-américains face à cette persistance de la colonisation ? La composition de la page
interpelle : le caractère passif du personnage faisait écho au titre de l'encart situé dans la partie
inférieure. Au prétexte de faire la promotion d'une maison d'édition publiant simultanément
435
douze auteurs brésiliens, l'exclamation « Un acte de courage ! » fut mise en avant comme pour
ouvrir la voie de la résistance culturelle au continent martyrisé.
L'Amérique latine opprimée par les États-Unis fut également le sujet de charges
publiées au sein d'un entretien avec le grand reporter brésilien Newton Carlos intitulé « Un
voyage politique à travers l'Amérique862 », paru dans le quatrième numéro de Versus et qui
inspira les caricaturistes Alcy, Angeli et Jota. Le premier représenta la figure archétypale de
l'Oncle Sam – vieil homme à la barbe et aux cheveux blancs, vêtu d'un costume noir et d'un
pantalon à fines rayures, coiffé d'un chapeau aux couleurs du drapeau nord-américain –
chevauchant une femme indienne très corpulente qui portait le petit chapeau rond noir et la
coiffure traditionnels boliviens863.
FIG 137 : Versus, n°4, 1976, p. 12
Bien installé sur les épaules de sa monture humaine, le personnage symbole des États-Unis
jouait de la guitare en entonnant le refrain de l'une des chansons les plus représentatives du
Tropicalisme composée par Gilberto Gil, Torquato Neto et José Carlos Capinan et enregistrée
par Caetano Veloso en 1968, « Soy loco por tí, América... ». L'ironie résidait dans l'emploi des
862 « Uma viagem política pela América » in Versus, n°4, 1976, p. 11-14.
863 Versus, n°4, 1976, p. 12.
436
paroles, un cri d'amour adressé à l'Amérique latine toute entière symbolisée par la figure
féminine indienne opprimée et exploitée. La chanson lyrique et engagée, inscrite dans la
revendication d'une identité transnationale propre au continent latino-américain 864, était
détournée de son sens et appropriée par l'Oncle Sam, friand d'une Amérique soumise et
dominée. Le jeu des disproportions caractéristique du travail graphique de Alcy, visible dans
les jambes filiformes enserrant le visage de la femme telles le double joug d'une charrue,
ajoutait du poids à la contestation en insistant sur l'animalisation du personnage latinoaméricain écrasé par la domination. Récurrent dans les pages de Versus, ce type de métonymie
visuelle permit au mensuel de revendiquer une identité politique et culturelle commune à
l'ensemble des territoires et des peuples latino-américains victimes du même saccage, à partir
de situations d'oppression jugées représentatives de l'ensemble du continent. La présence nordaméricaine invasive et prédatrice fut également mise en scène par Angeli dans un strip
composé de trois vignettes dispersées au sein de la rubrique « Dolar Furtado », signée Mouzar
Benedito et parue en juin 1977865.
Mais la remise en cause d'une spatialité imposée et la lutte contre les oppressions
vécues s'alimentaient également d'une exhortation à la résistance face aux régimes autoritaires
en vigueur sur l'ensemble du continent, qu'il s'agissait d'ancrer historiquement dans cette
identité collective :
« Versus conte la saga latino-américaine. Quatre siècles de silence et de solitude.
L'histoire des peuples disparus. Les hommes qui ont construit les routes et les villes.
Les héros qui ont combattu jusqu'à la victoire ou la mort. Le futur possible du
Continent. Pour la récupération d'une mémoire perdue. L'aventure de Notre
Amérique en reportages, contes, poésies, essais et documents. Notre publication fait
partie de la presse indépendante du Pays et a besoin de votre soutien pour vivre.
Signez Versus pour 120,00 Cruzeiros (12 numéros plus les éditions spéciales) 866. »
864Au sujet de l'insertion de la chanson « Soy loco por ti, América » dans le champ de la musique protestataire
de la seconde moitié des années 1970 au Brésil et en Amérique latine, voir : Éverton SANTOS, Christina RAMOS,
« 'Soy loco por ti, América': tropicalismo, música e identidade latino-americana » in Revista de Estudos
Culturais, vol. 4, n°1, janv.-mai 2018, p. 65-78.
865 Versus, n°11, 06/1977, p. 24.
866 Versus, n°4, 1976, p. 10.
437
Insistant sur son appartenance à la presse indépendante brésilienne, Versus multiplia les
encarts publicitaires pour d'autres périodiques tels que Ovelha Negra et Fradim, tout en faisant
la promotion de revues littéraires :
FIG 138 : Versus, n°4, 1976, p. 10
Les prises de position directes de Versus contre la censure, la répression physique et la
torture étaient souvent matérialisées par les productions de José Pires, dit Jota, l'un des
dessinateurs de la rédaction. Ses personnages aux visages arrondis et à l’air grotesque tentaient
de survivre dans le climat de paranoïa et d'insécurité régnant en cette seconde moitié des
années 1970, en assimilant et intériorisant les règles du jeu sous le régime militaire. Les
dessins de Jota faisaient le constat de l'omniprésence de l'autoritarisme dans toutes les sphères
de la société brésilienne. En septembre 1977, il mit en lumière le paradoxe ridicule de
l'existence d'éditeurs politiques au sein de rédactions envahies par la censure.
438
FIG 139 : Versus, n°14, 09/1977, p. 9
Notons que l'existence de la censure préalable et la présence de censeurs dans les locaux de
certains périodiques étaient désormais abordés directement, sans sous-entendu ni double sens,
comme en décembre 1977 lorsque la journaliste Cristina Ribeiro s'insurgea contre la
persistance du contrôle et des interdictions :
« Et la censure ?
Malgré toutes les promesses en faveur de la démocratie, de nombreuses
publications sont toujours censurées comme le journal catholique « O São Paulo »,
« Movimento » et « Tribuna da Imprensa ». Ce dernier fut même confisqué une
nouvelle fois en décembre, couronnant ainsi les réalisations de la censure en 1977.
C'est pour ne pas perdre l'habitude, disent certains. C'est une idiotie totale, disent les
autres. Ce qui est incompréhensible, c'est la totale contradiction, très fréquente,
entre les discours en haut-lieu et les actes de ceux qui reçoivent les ordres ! Il est
possible que tant d'années de silence aient provoqué un problème de surdité
collective, qui se produit sauf si le cri est très élevé et réunit de très nombreuses
voix867. »
Dans le même numéro, la rédaction exigea la remise en liberté du journaliste brésilien
Flávio Tavares868, emprisonné en 1977 par l'armée uruguayenne après avoir été plusieurs fois
867 Versus, n°17, 12/1977, p. 11.
868 « LIBERDADE PARA FLAVIO TAVARES » in Versus, n°17, 12/1977, p. 2.
439
arrêté par le régime militaire brésilien. Versus faisait état d'un manifeste signé par un millier de
professionnels du journalisme et envoyé au gouvernement à Montevideo. Quelques pages plus
loin, les psychanalystes uruguayens Horatio Amigorena et Marcel Vignar se penchaient sur les
impacts des régimes dictatoriaux sur les âmes, les rêves et les personnalités en Amérique latine
dans l'article « A Instância Tirânica869 ». Le texte consacré aux effets dévastateurs de
l'intériorisation de l'autoritarisme était illustré par deux gravures de Rubem Grilo mêlant
lambeaux de chair, outils en métal ou en cuir, fragments et visages. Les traits caractéristiques
de la technique employée accentuaient l'impression de lacération dans des scènes de torture
latino-américaines, représentant graphiquement l' « instance tyrannique » diagnostiquée à
l'échelle du continent. Versus s'employait ainsi à dénoncer les crimes du régime militaire
brésilien et de toutes les dictatures voisines, envisageant une opposition politique, idéologique
et philosophique aux dimensions régionales.
Largement relayé par Versus dès décembre 1977870, l'appel au boycott de la Coupe du
Monde de football organisée en 1978 par l'Argentine de Jorge Rafael Videla intégra ce
programme de résistance aux dictatures militaires sur le continent latino-américain. En janvier
1978, Mouzar Benedito répétait son refus de participer à un événement utilisé par le
gouvernement militaire pour détourner l'attention du monde entier :
« Comme ils n'ont pas l'intention de changer le régime, la meilleure solution est de
changer de sujet. Pour cela, la chance est arrivée à point nommé : la Coupe du
Monde se déroulera là-bas, en juin. Elle sera utilisée – comme c'est déjà arrivé avec
diverses activités sportives à d'autres époques et en d'autres lieux – pour que l'on se
souvienne de l'Argentine comme le pays d'accueil de la coupe et plus le pays des
tortures et des disparitions suspectes. Pendant ce temps-là, des milliers d'argentins
continueront à disparaître, à être torturés, tués et exilés 871. »
Marcotin croqua à cette occasion une sélection argentine terrifiante composée de onze
militaires en uniformes et en armes, prenant la pose avec le ballon rond. Cette belle équipe aux
airs menaçants servait au caricaturiste à dénoncer l'utilisation politique de l'événement sportif
par le gouvernement militaire argentin, mais l'équipe sanguinaire aurait tout aussi bien pu être
uruguayenne, chilienne ou brésilienne.
869 « A Instância Tirânica » in Versus, n°17, 12/1977, p. 16-18.
870 Marcos FAERMAN, « A COPA DA TORTURA » in Versus, n°17, 12/1977, p. 14-15.
871 Versus, n°18, 01/1978, p. 16.
440
FIG 140 : Versus, n°18, 01/1978, p. 16
En suivant cette logique d'internationalisation du combat mené par la rédaction du
mensuel indépendant contre l'autoritarisme à l'échelle du continent, une réinterprétation des
charges graphiques publiées est possible. Les oppresseurs, les tortionnaires, les censeurs
n'étaient plus seulement les symboles de la brutalité du régime brésilien, mais revêtaient un
caractère universel, comme lorsque João Zero dessina en avril 1978 un militaire à l'uniforme
tâché de sang se confessant à son médecin : « Je l'ai tabassé, docteur, parce qu'il m'avait traité
de violent...872 ». La rédaction s'attaquait également aux connexions établies entre les autorités
latino-américaines en publiant par exemple en décembre 1978 un reportage de Renan Oliveira
consacré à la détention de Flávia Schilling873, la fille de l'économiste brésilien exilé politique
en Uruguay Paulo Schilling, emprisonnée à Montevideo. Entre 1973 et 1985, le camp de Punta
Rieles servit de lieu de réclusion pour femmes sous le régime militaire uruguayen. Le
journaliste enquêta auprès de plusieurs responsables militaires en charge du dossier, qui
démentirent l'existence de prisonniers politiques dans le pays et refusèrent de communiquer
toute information relative au cas Flávia Schilling. Si cette lutte incessante contre les pratiques
autoritaires était l'un des éléments fondateurs de l'identité revendiquée par Versus, le groupe de
journalistes et intellectuels combattit également les préjugés raciaux omniprésents au Brésil et
fit de la valorisation des origines africaines de la population latino-américaine une autre
872 Versus, n°20, 04-05/1978, p. 17.
873 Versus, n°27, 12/1978, p. 21-23.
441
caractéristique fondamentale de son combat, opposé à la prépondérance d’une vision
européenne et chrétienne de la nation brésilienne.
3. « Afro-Latino-América »
D'importants reportages valorisèrent dès les premiers numéros la réflexion et les
revendications politiques liées aux origines de la population brésilienne ainsi qu'aux
conséquences de la colonisation européenne pour les pays d'Afrique, tout en insistant sur
l'universalité de l'oppression raciale. Le journaliste Vitor Vieira dénonça au début de l’année
1976 la ségrégation spatiale et les inégalités sociales entre Blancs et Noirs en Afrique du Sud
dans « Esta é a crônica da Africa do Sul de algum tempo atrás, A DA SUBMISSÃO 874 ». Il y
analysait la continuité entre la période coloniale et certaines formes contemporaines
d'exploitation. Versus présenta dans « Poemas negros da África branca875 » le travail de
l'essayiste Florence Vaillant qui avait publié en 1975 Poètes noirs de l'Afrique du Sud. Voix
noires de l'Afrique blanche876, un ouvrage déplorant la disparition de toute une génération
d’auteurs noirs lors du massacre de Sharpeville le 21 mars 1960. L'article précédait deux pages
de poèmes sud-africains rédigés par Stanley Motjuwadi, James Matthews, Syndney Sipho
Sepamla et Casey Motsisi. Les textes accompagnés de photographies d'archives étaient
imprimés en blanc, sur fond noir. En décembre 1976, la Une titrait « Guerre en Afrique Noire.
Deux reporters de Versus découvrent la Guinée-Bissau877 » et retraçait la lutte de libération
nationale menée dans le pays jusqu'en 1973, dont Licinio Azevedo et Maria da Paz Rodrigues
publièrent quatre témoignages878. En mai 1977, Versus ouvrit ses colonnes au Mouvement
populaire de libération d'Angola (MPLA) dirigé par le poète Agostinho Neto, qui livrait son
analyse du régime sanguinaire de Mobutu installé dans le Zaïre voisin depuis 1965 879.
Quelques pages avant la publication de ce « document africain » inédit au Brésil, le journaliste
brésilien João Carlos Rodrigues s'interrogea sur la place des Noirs dans le cinéma brésilien 880
et dénonça l'emploi systématique de figures archétypales, de personnages occupant à l'écran
874 Vitor VIEIRA, « Esta é a crônica da Africa do Sul de algum tempo atrás, A DA SUBMISSÃO » in Versus, n°5,
1976, p. 42.
875 Versus, n°6, 10-11/1976, p. 24-26.
876 Florence VAILLANT, Poètes noirs de l'Afrique du Sud. Voix noires de l'Afrique blanche, Paris, Présence
Africaine, 1975.
877 Versus, n°7, 12/1976, p. 1.
878 Licinio AZEVEDO, Maria da Paz RODRIGUES, « Quatro relatos da Guiné Bissau » in Versus, n°7, 12/1976, p. 3-6.
879 « Documentos Africanos. Os crimes de Mobutu » in Versus, n°10, 05/1977, p. 36-38.
880 João Carlos RODRIGUES, « O negro e o cinema brasileiro » in Versus, n°10, 05/1977, p. 20.
442
des fonctions subalternes ou folkloriques caractéristiques d’une société raciste. Le mois
suivant, le mensuel présenta en cinq pages le documentaire « 25 »881 consacré à la libération du
Mozambique, réalisé par José Celso Martinez Correa et Celso Luccas, produit par l'Institut
national de cinéma du Mozambique et axé autour de la centralité du numéro dans l'histoire
récente du pays :
« À partir du numéro 25 nous avons décidé de monter seulement un film. Nous
avons découvert une série de coïncidences autour de ce numéro : 25 juin 1962 –
Fondation du Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) ; 25 septembre
1964 – début de la lutte armée ; 25 avril 1974 – chute du fascisme portugais ; 25
juin 1975 – indépendance du Mozambique. A partir de ça, nous avons organisé
l'histoire de la libération du Mozambique dans nos têtes et dans le film 882. »
Versus franchit en juillet 1977 une étape importante dans la structuration de ses
réflexions anti-racistes en intégrant la section régulière « Afro-Latino-América883 » :
« Afro-Latino-América, et pas seulement América-Latina, parce que cela définit
mieux l’importance de la présence africaine dans cette partie du monde. Nos racines
africaines – preuve de la vitalité et de la résistance du noir face aux situations créées
par le colonialisme – sont évaluées avec la plus grande exactitude, résultat de
l’action de nouveaux courants qui émergent des communautés d’origine africaine.
L’une des sources d’inspiration de Afro-Latino-América est la presse noire, qui a
vécu durant six décennies au sein de la société brésilienne [...] 884. »
À cette époque, le mensuel refusait encore une vision de la politique envisagée comme
l'unique fait des partis et en valorisait une compréhension plus large, intégrant les mœurs, les
comportements, les sensibilités et les oppressions subies par les minorités sociales et raciales
en marge des priorités de la gauche traditionnelle. « Afro-Latino-América » vit le jour à
l'initiative de membres de la rédaction tels que les journalistes Neusa Maria Pereira et
881 Versus, n°11, 06/1977, p. 3-7.
882 Versus, n°11, 06/1977, p. 6.
883 En juin 2015, l'Organisation noire Soweto et la Fondation Perseu Abramo lançaient à São Paulo une version
fac-similé regroupant les vingt éditions de « Afro-Latino-América » publiées entre le douzième et le trenteet-unième numéro. Les deux organisations caractérisèrent à cette occasion le travail du mensuel d'exemplaire
pour la presse noire de la région de São Paulo dans les années 1970.
884 Versus, n°12, 07-08/1977, p. 30.
443
Hamilton Bernardes Cardoso, qui signait ses articles Zulu Nguxi, et les poètes José Carlos de
Andrade et Oswaldo Camargo. La couverture du douzième numéro annonça la renaissance de
la presse brésilienne noire en guise de lancement. Les collaborateurs, journalistes, étudiants,
artistes et membres d'organisations politiques trotskystes ou socialistes, œuvraient à la
déconstruction des préjugés et du mythe de la « démocratie raciale », largement exploité par
l'idéologie autoritaire. Il s'agissait également d'informer les lecteurs au sujet des actions
militantes, d'insister sur le rôle passé de la presse noire éteinte durant la première moitié des
années 1960885 et d'analyser les nouvelles initiatives comme la création de Sinba, organe de
presse de la Société d'échange Brésil-Afrique.
Au fil des numéros, « Afro-Latino-América » aborda des sujets variés allant du rôle
fondateur du Théâtre expérimental du Noir et l'importance du metteur en scène, penseur et
poète Abdias Nascimento, rencontré en août 1979 par la rédaction de Lampião da Esquina, à
la politique menée par le gouvernement brésilien et son refus d'envoyer une délégation au 1er
congrès de culture noire des Amériques organisé à Cali en août 1977, en passant par
d'importantes réflexions historiques et philosophiques sur le bien-fondé des commémorations
autour du 13 mai 1888, abolition officielle de l'esclavage dans le pays. Le vingt-troisième
numéro de Versus afficha en couverture886 l'importante mobilisation du Mouvement Noir,
analysée et commentée par Zulu Nguxi et Neusa Maria Pereira dans les pages de « AfroLatino-América ».
885 Le portail électronique « Imprensa negra paulista » de l'Université de São Paulo rend disponible à la
consultation en accès libre les exemplaires de vingt périodiques de la presse noire de São Paulo parus en
1903 et 1963, autant de sources très riches de connaissances sur les leaders, les discours, les formes de la
mobilisation et de la vie associative, les lieux de sociabilité du militantisme noir de la première moitié du
XXe siècle. Les archives qui ont permis la création du portail électroniques furent constituées par la
chercheuse Miriam Nicolau Ferrara, dans le cadre de ses recherches doctorales et de la rédaction de sa thèse
« A Imprensa Negra Paulista (1915-1963) » [en ligne :http://biton.uspnet.usp.br/imprensanegra/] (consulté le
15/04/2019).
886 Versus, n°23, 07-08/1978, p. 1.
444
FIG 141 : Versus, n°23, 07-08/1978, p. 1
Ces pages avaient également la vocation de penser les continuités entre la situation
contemporaine des communautés noires au Brésil et en Amérique latine d'une part, et les pays
africains ayant fourni les contingents de personnes réduites en esclavage d'autre part, afin de
montrer la complexité de cet héritage sur les deux continents. Versus tendait une fois de plus à
prouver que les problématiques devaient être partagées, confrontées, pensées de manière
commune et dynamique dans une logique internationaliste. Ainsi, le récit de la résistance des
esclaves brésiliens et de la constitution des Quilombos sous la houlette de Zumbi dos Palmares
au XVIIème siècle jouxtait dans le seizième numéro une chronique de Abdias Nascimento
critiquant la structure économique nationale construite sur les bases de l'esclavage887.
Si « Afro-Latino-América » ne comportait presque aucune charge graphique ni
caricature, deux dessins firent exception. En décembre 1977, la rubrique suggérait la lecture de
O poder negro em revolta888, traduction brésilienne de l'ouvrage Ghetto rebellion to black
887 Abdias NASCIMENTO, « Democracia racial, mito ou realidade » in Versus, n°16, 11/1977, p. 24.
888 Claude LIGHTFOOT, O poder negro em revolta, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1968 (traduction).
445
liberation889 publié en 1968 par le leader communiste noir nord-américain Claude Lightfoot.
L'encadré posait l'importante question des formes de la mobilisation noire ancrée dans
l'héritage des luttes menées par les esclaves, indissociablement liée à l'éducation et la
conscientisation, réactivée par les guerres de libération nationale africaines durant la seconde
moitié des années 1970. Une charge faisait la synthèse de cette continuité historique à travers
le monde en réunissant trois personnages et trois chemins empruntés par la révolte : le guerrier
africain du temps de la colonisation, le combattant lors des guerres de libération nationale et
l'activiste urbain contemporain.
FIG 142 : Versus, n°17, 12/1977, p. 38
Deux mois auparavant, Versus avait publié une bande dessinée réalisée par le
caricaturiste Claudius depuis la Guinée-Bissau. Emprisonné à plusieurs reprises pour ses
travaux et son engagement politique, le dessinateur partit en exil à Genève en 1971 où il
enseigna jusqu'en 1973. Il y rencontra l'éducateur brésilien Paulo Freire, également exilé dans
la ville suisse. Le pédagogue avait vu son travail d'alphabétisation pour adultes 890 interrompu
889 Claude LIGHTFOOT, Ghetto rebellion to black liberation, New York, International Publishers, 1968.
890 Freire avait développé sa méthodologie d'alphabétisation pour adultes lorsqu'il était directeur du Département
d'extensions culturelles de l'Université de Recife et forma un groupe pour tester la méthode d'apprentissage
dans la ville de Angicos, dans l’État de Rio Grande do Norte. Le groupe alphabétisa plus de trois cent
coupeurs de canne à sucre en à peine un mois et demi, sans abécédaire ni support pédagogique traditionnel,
446
par le coup d’État militaire de 1964 et il partit au Chili, puis au États-Unis et enfin à Genève
en 1970, accueilli au Conseil œcuménique des Églises. Paulo Freire et Claudius Ceccon
fondèrent en 1971 avec d'autres intellectuels brésiliens en exil l'Institut d'action culturelle
(IDAC), qui avait pour objectifs la reconstruction d'une éducation démocratique de qualité
dans les pays africains lusophones nouvelles indépendants et la mise en place de projets
d'alphabétisation. L'équipe fut invitée en 1975 par le ministre de l'éducation de Guinée-Bissau
Mário Cabral à contribuer au développement du Programme d'alphabétisation du pays tout
récemment indépendant. À cette époque et durant les voyages qui suivirent, Claudius continua
à publier par courrier certains de ses dessins dans la presse brésilienne indépendante, dont
Versus. Avant d'établir un plan d'action pour la campagne nationale d'alphabétisation, l'équipe
de l'IDAC parcourut plusieurs régions de Guinée-Bissau marquées par la guerre de libération
entamée en 1963 et visita d'anciennes zones dites « libres » où le Parti africain pour
l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) avait établi des actions éducatives,
sociales et agricoles, laboratoires de la déconstruction du système colonial 891. Conscient de la
nécessité de laisser une trace des contenus pédagogiques et d'utiliser un support accessible au
plus grand nombre, le groupe décida de créer une série de diapositives pouvant être projetées
plus facilement qu'un contenu audiovisuel. Claudius, dessinateur de presse et caricaturiste, fut
chargé de la réalisation de ces images-synthèses par la suite transformées en bande dessinée.
Les vingt-cinq planches au style davantage documentaire que satirique, mais présentant tout de
même certains éléments humoristiques et caricaturaux, furent regroupées par Versus et
publiées en octobre 1977 sous le titre « Lição de Liberdade892 » (« Leçon de liberté »). Ces
images à vocation initialement didactique retracèrent l'histoire du pays, évoquant
successivement l'Afrique pré-coloniale, l'arrivée des portugais, la réduction en esclavage et la
traite transatlantique, les objectifs du système éducatif colonial et la domination, la figure
d’Amilcar Cabral, la résistance face à une société pyramidale et la difficile reconstruction.
très critiqués par Paulo Freire. Celui-ci estimait que l'alphabétisation devait être fondée sur les mots du
quotidien, de l'environnement, du contexte familiers des apprenants.
891 Paulo Freire retrace la genèse, les étapes et les objectifs et principes pédagogiques de ce projet dans l'ouvrage
Cartas à Guiné-Bissau écrit et compilé entre 1976 et 1977: Paulo FREIRE, Cartas a Guiné-Bissau. Registros
de uma experiência em processo, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1978 (2ème édition).
Claudius, lui, évoque ces moments sur le terrain dans l'article : Claudius CECCON, « Com humor e Paulo
Freire : a educação na Guiné-Bissau 1976-1980 » in Movimento-Revista de Educação, n°7, juil.-déc. 2017, p.
334-366.
892 CLAUDIUS, « Lição de Liberdade » in Versus, n°15, 10/1977, p. 35-41.
447
FIG 143 : Versus, n°15, 10/1977, p. 40
« Afro-Latino-América » n'était pas imperméable aux évolutions de la ligne politique
et éditoriale de la rédaction, prenant position en avril 1978 en faveur de la création d'un parti
socialiste de travailleurs. Dans l'article « Nós na convergência893 », les éditeurs incitèrent les
militants noirs organisés à revendiquer leur espace au sein de la Convergence socialiste894 (CS)
en vue de la création d'un nouveau parti politique centré sur l'émancipation humaine et
l'abolition des discriminations.
893 Versus, n°20, 04-05/1978, p.42.
894 La Convergence socialiste (CS) fut créée par des militants de la Ligue ouvrière (LO), organisation trotskyste
née en 1974 et alignée sur la IV ème Internationale. Fondée le 28 janvier 1978 à São Paulo, la CS avait pour but
de réunir les militants socialistes et partisans de l'opposition démocratique au régime militaire brésilien afin
de fonder un parti politique : le Parti Socialiste des Travailleurs (PST). La première convention du
Mouvement Convergence Socialiste organisée le 19 août 1978 fut suivie de l'emprisonnement de vingt-quatre
militants issus de la LO et d'une importante mobilisation internationale en faveur de leur libération.
Voir l'article : Marcos Moutta de FARIA, « A experiência do Movimento Convergência Socialista » in
Cadernos AEL, vol.12, n°22/23, 2005, p. 219-259.
448
4. L'adoption d'un « discours politique » au détriment … de l'indépendance de la
presse
Au mois de janvier 1978, l'éditorial de Versus fit savoir aux lecteurs que la rédaction
avait désormais décidé d'assumer une position politique en faveur de la CS en cours de
fondation, malgré les divergences et les désaccords :
« Versus, qui était initialement complètement tourné vers la CULTURE COMME
MOYEN D'ACTION, a assumé un discours politique. Et a commencé non
seulement à discuter en profondeur de la conjoncture nationale et de ses options,
mais également à s'identifier avec les courants qui comprennent qu'il existe une
seule manière de construire une démocratie pour notre peuple : par la construction
d'un Parti Socialiste. C'est en ce sens que nous fournissons à nos lecteurs les
importants entretiens réalisés avec Almino Affonso et Edmundo Moniz. En accord
avec notre vision démocratique, nous publions également une critique du PS
formulée par Carlos Alberto Dória. Et nous commençons à penser la question du
travaillisme vers lequel se sont retournés quelques vieux briscards officiels, mais
surtout d'importants secteurs de l'opposition démocratique. Ainsi, Versus prétend
définir de plus en plus clairement ses idées, en restant ouvert au débat que nous
sommes en train de stimuler. Ce débat ne se construit pas, à l'instar d'un vrai Parti
Socialiste, sans discussion ni respect des diverses tendances populaires 895. »
L'article « Um monstro à vista896 » publié en fin de journal privilégiait quant à lui
l'union derrière le MDB, malgré son caractère libéral, parlementaire et autorisé par le régime
militaire. La publication de l’éditorial intervint au moment de la première réunion ouverte de
la Convergence organisée dans le but de créer un nouveau parti socialiste au Brésil et les
membres de la rédaction de Versus y jouèrent un rôle notable :
« À l'époque de la fondation les membres de la Convergence occupaient un espace
important dans le journal Versus, publication mensuelle dirigée par le journaliste
originaire du Rio Grande do Sul Marcos Faerman, qui était initialement consacrée à
des thèmes culturels, mais qui adopta peu à peu une ligne éditoriale tournée vers la
895 Versus, n°18, 01/1978, p. 2.
896 Carlos Alberto Dória, « Um montro à vista » in Versus, n°18, 01/1978, p. 42.
449
politique. Entre avril et mai 1978, Versus divulgua les objectifs de la Convergence,
identifiant son origine dans un processus de discussion entre des secteurs qui
cherchaient « une sortie démocratique aux impasses de notre société ». D'après le
journal, la Convergence défendait une proposition de socialisme démocratique qui
représentait une alternative au « socialisme bureaucratisé, stalinisé et déformé »,
ainsi qu'au réformisme de la social-démocratie, l'un des piliers de l'exploitation
capitaliste dans le monde897. »
En mars 1978, Versus publia effectivement deux tribunes de la CS 898 en faveur de la
construction d'un parti des travailleurs au Brésil, assumant ainsi clairement sa position et se
transformant en porte-parole du mouvement. Fernando Kolleritz adressait également une lettre
ouverte « Aux compagnons de la presse alternative, à l'attention spéciale de Raimundo
Pereira899 » en réponse à l'article900 publié par Pereira le 20 février 1978 et assimilant la
possibilité de création d'un futur parti socialiste à un piège du gouvernement pour diviser
encore davantage l'opposition démocratique. L’éditeur de Movimento redoutait le manque
d'indépendance d'un parti incapable de mener la lutte contre le capitalisme sous la houlette de
la classe ouvrière, dans les circonstances politiques brésiliennes de la seconde moitié des
années 1970. Il en appelait plutôt à la création d'un grand front populaire de l'opposition
réunissant les diverses tendances de la gauche démocratique. La lettre de Fernando Kolleritz
reconnaissait partiellement la nature concédée du pluripartisme, mais critiquait les arguments
de Pereira et l'adhésion au MDB. Au nom de Versus, il rejeta l'hypothèse avancée par l'éditeur
de Movimento au prétexte que ce genre de structure collective finissait toujours par être
contraire à un fonctionnement démocratique. Kolleritz rappelait également que l'aumône du
gouvernement n'aurait pas autant de valeur sans la mobilisation de l'opposition. LA rédaction
refusait en somme la possibilité d'union derrière le MDB, au sein duquel l'opposition radicale
se condamnerait à abandonner ses valeurs et idéaux. La création d'un nouveau parti socialiste
semblait l’unique chemin pour mener le combat démocratique et populaire. Le dessin de Jan
897 André COUTO, « Convergência socialista » in Alzira Alves de ABREU et al (coord.), Dicionário HistóricoBiográfico Brasileiro – Pós-1930, Rio de Janeiro, CPDOC, 2010, accessible en ligne :
http://www.fgv.br/cpdoc/acervo/dicionarios/verbete-tematico/centro-popular-de-cultura-cpc (consulté le
22/04/2019).
898 « A opção socialista » et « Carta » in Versus, n°19, 03-04/1978, p. 13.
899 Fernando KOLLERITZ, « Aos companheiros da Imprensa Alternativa, à atenção especial de Raimundo Pereira,
editor do Movimento » in Versus, n°19, 03-04/1978, p. 15.
900 Raimundo PEREIRA, « Que Partido Socialista seria possível ? Esmola grande demais, cego desconfia » in
Movimento, n°138, 20/02/1978, p. 6.
450
Faust accompagnant la lettre de Kolleritz représentait le nouveau parti en mille-pattes
loufoque, tête pensante et symbole de la tant désirée union des gauches.
FIG 144 : Versus, n°19, 03-04/1978, p. 15
La charge et les propos publiés tentèrent de résoudre ces divergences internes à la
gauche au sujet de la création ou non de nouveaux partis légaux de l'opposition au régime.
Versus renforça encore un peu son propos dans le vingtième numéro qui affichait en
couverture le manichéisme idéologique d'une rédaction convaincue de l'existence d'une seule
voie pour la redémocratisation : « Os Impasses da esquerda. Socialismo ou Socialdemocracia ?901 » (« Les impasses de la gauche. Socialisme ou social-démocratie ? »)
À mesure que la construction d'un nouveau parti socialiste brésilien occupait les pages
du mensuel, les tentatives d'élaboration d'une identité culturelle et politique latino-américaine
alternative s'estompèrent. Ce retournement des préoccupations vers la politique nationale, la
campagne pour l'amnistie des prisonniers politiques ou la fin progressive et mouvementée de
la censure préalable imposée aux périodiques indépendants, s'accompagna d'une diminution
drastique du nombre de bandes dessinées publiées ainsi que du départ de certains dessinateurs.
Entre les dix-neuvième et vingtième numéros, Alcy, Angeli, Marcotin et Edgar Vasques
disparurent de l'ours et leurs travaux des pages de Versus. Certains restèrent, à l'instar de
Jayme Leão, Chico Caruso ou Marlene, et de nouveaux noms firent également leur entrée. Le
dessinateur João Zero publiait des charges contre le régime politique et l'oppression des
901 Versus, n°20, 04-05/1978, p. 1.
451
ouvriers, Michelle poursuivait son intéressant travail de publication de planches féministes
faussement ingénues, mais la dimension lyrique latino-américaine perdit du terrain, reléguée à
la rubrique « Solidarité » ou à de petits encadrés informatifs communiquant au sujet des
exactions commises par les régimes voisins.
En septembre 1978, Marcos Faerman démissionna accompagné d'un petit groupe de
journalistes, considérant que la Convergence était une impasse et le synonyme de l’isolement
politique. L'éditeur en chef de Versus regrettait l'étroitesse de la ligne politique du mensuel
qu'il avait créé et annonçait la création future d'une nouvelle publication 902. Julio Tavares, l'un
des coordinateurs de la CS, faisait désormais partie des éditeurs de la publication. Les
membres de la rédaction qui restèrent défendirent la politisation du périodique, compatible à
leurs yeux avec une gestion démocratique. Ils dénoncèrent la position de Faerman, jugé trop
lyrique et peu engagé. Omar de Barros Filho revint en 2007 dans l'introduction de Versus:
páginas da utopia sur les impacts de cette politisation accrue sur les contenus textuels et
graphiques du mensuel militant :
« Le lecteur de cette œuvre pourra percevoir les transformations liées à la
politisation de la rédaction qui, pas à pas, abandonna son discours original –
littéraire, poétique et épique de l'histoire de l'Amérique Latine – en échange d'une
vision plus crue, sociologique et immédiate de notre réalité, pas seulement la réalité
brésilienne, mais également celle du continent. La métaphore littéraire céda la place
à la politique, et cela s'exprima non seulement dans les reportages, les essais et les
entretiens, mais aussi dans le graphisme même de Versus, dans les charges, dans les
illustrations, dans l'organisation éditoriale dans son ensemble 903. »
Malgré une tentative de retour aux sources du projet graphique défendu initialement
par le périodique en janvier 1979, avec la publication d'un vingt-huitième numéro 904 faisant la
part belle à la bande dessinée et aux réflexions sur l'Amérique latine, Versus ferma ses portes
en mars 1979 après avoir publié son trentième numéro905. Marquée par les ruptures internes et
les divergences paradoxalement caractéristiques de la période de la reconquête démocratique,
902 « E o nosso editor chefe se foi » in Versus, n°24, 09/1978, p. 2.
903 Omar de BARROS FILHO, Versus: Páginas da Utopia, Rio de Janeiro, Beco do Azougue, 2007, p. 14.
904 Versus, n°28, 01/1978.
905 Versus, n°30, 03/1979.
452
la rédaction avait précipité la fin de l'aventure avec la couverture de son avant-dernier numéro
célébrant ouvertement le départ de Ernesto Geisel du pouvoir :
FIG 145 : Versus, n°29, 02/1979, p. 1
Versus esquissa cependant dès janvier 1978 une réflexion sur la place des nouvelles
préoccupations environnementales dans le futur parti socialiste en construction et plus
largement, dans les revendications de la gauche brésilienne, en publiant l'article « Ecologia e
PS906 » qui reconnaissait l'importance des enjeux écologistes dans la construction du débat
démocratique opposé à la vision du monde promue par le régime militaire :
« La défense de l'environnement et le combat contre la spéculation immobilière
dans les grandes villes brésiliennes doivent être l'objet de la plus grande attention
dans le champ politique. C'est important de poser cette question en ce moment de
début de discussion pour la formation des nouveaux partis politiques. Pour le parti
906 Mário Augusto JAKOBSKIND, « Ecologia e PS » in Versus, n°18, 01/1978, p. 17.
453
Socialiste, ce thème est d'une importance fondamentale puisqu'il motiverait la
participation de secteurs, principalement de la classe moyenne, préoccupés par
l'action prédatrice du capitalisme et intéressés par la lutte pour une autre alternative,
socialiste907. »
I. Vers une politisation graphique de l'écologie militante
Les années 1970 furent le théâtre d'importants bouleversements des sociétés à l'échelle
internationale, parmi lesquels figura la prise de conscience de la nécessaire préservation de
l'environnement, comme le soulignait Eduardo Viola en 1987908 :
« La décennie de 70 marque le réveil de la conscience écologique dans le
monde : Conférence des Nations unies sur l'environnement de Stockholm
(1972), rapport Meadows (1972) sur les limites de la croissance et les
rapports suivants (Tinbergen, 1978 ; Laszlo, 1977 ; Bariloche) ; surgissement
du paradigme théorique de l'écologie politique ; prolifération des
mouvements sociaux écologistes dans le monde nord-occidental […]. Pour la
première fois, les problèmes de dégradation de l'environnement provoqués
par la croissance économique sont perçus comme un problème global que
dépasse largement les questions ponctuelles inventoriées durant les années
1950 et 1960 par les agences publiques de l'environnement dans les pays du
1er Monde909. »
La Conférence des Nations unies sur l'environnement tenue à Stockholm en 1972 ainsi
que la déclaration de principes adoptée à l'issue de l'événement constituèrent une étape
majeure de cette prise de conscience à l'échelle mondiale du caractère épuisable et menacé des
ressources naturelles, au premier rang desquelles figuraient la forêt amazonienne. Pourtant au
Brésil, rappelait en 2017 Antoine Acker dans son ouvrage Volkswagen in the Amazon :
907 Mário Augusto JAKOBSKIND, « Ecologia e PS » in Versus, n°18, 01/1978, p. 17.
908 Eduardo VIOLA, « O movimento ecológico no Brasil, 1974-1986: do ambientalismo à ecopolítica » in Revista
Brasileira de Ciências Sociais, vol.3, n°93, 1986, p. 5-26.
909 Ibid, p. 6.
454
« À cette époque, le discours officiel du régime militaire était de voir la protection
environnementale comme l'ennemie du progrès. C'était du moins le visage
développementaliste montré par les délégués brésiliens à la première Conférence
des Nations unies sur l'environnement humain organisée à Stockholm en 1972. Ces
délégués avancèrent que les mesures environnementales ne devaient pas être
autorisées à ralentir le processus d'industrialisation des pays en développement 910. »
L'historien démontrait tout de même dans le troisième chapitre de son ouvrage l'impact
de cette nouvelle vision des ressources naturelles sur les projets et techniques mis en œuvre
dans le ranch de cent quarante mille hectares de Volkswagen situé en Amazonie brésilienne.
Ce projet fut soutenu et financé par le gouvernement militaire à partir du début des années
1970 dans le cadre de son programme consacré à l'Amazonie et selon sa vision autoritaire du
développement national. Ainsi, la croissance de l'environnementalisme brésilien provoqua
l'infléchissement forcé d'une firme dont l'image sortit modifiée de l'époque d'émergence du
mouvement écologiste911. Dans un contexte également marqué par le vingt-septième Congrès
de la science organisé en 1975 à Belo Horizonte, au cours duquel de nombreux scientifiques
remirent en question la politique du gouvernement en matière d'environnement 912, le
mouvement écologiste émergea de différents secteurs de la société civile et emprunta
différents visages. Pour la presse indépendante, qui s'empara rapidement des thématiques liées
à la préservation de la nature, l'enjeu semble avoir été l'association du combat pour la défense
de l'environnement à celui en faveur des groupes minoritaires dans une optique de politisation.
L'emploi de charges et autres formes graphiques d'humour avait pour fonction principale, nous
le verrons, de mettre en lumière les points névralgiques et les éléments de convergence de
cette écologie militante liée au contexte international et polarisée par un régime militaire aux
discours et pratiques libéraux, anthropocentrés et conquérants913.
910 Antoine ACKER, Volkswagen in the Amazon, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 114.
911 « Development in the Age of Scarcity » in Antoine ACKER, Volkswagen in the Amazon, Cambridge,
Cambridge University Press, 2017, p. 113-190.
912 Antoine ACKER, op. cit., p. 118.
913 Antoine ACKER, « The Nature of the Brazilian Flag: An Environmental Turn under Military Rule (19641985) » in Forum for InterAmerican Research, 2019, à paraître.
455
1. L’écologie politique dans la presse indépendante
Les préoccupations écologistes surgirent dans les périodiques satiriques de la presse
indépendante tels que Pasquim, Ex ou Coojornal dès le début des années 1970, mais se
multiplièrent au cours de la seconde moitié de la décennie. En décembre 1978, Lampião da
Esquina publia l'article « Homossexualismo e ecologia914 » dans lequel Darcy Penteado
expliquait sa découverte progressive des passerelles entre la défense des personnes
homosexuelles et celle de l'environnement, construites sur la nécessité de préservation :
« Au début la relation entre l'homosexualité et l'écologie me paraissait vague et
abstraite. Le lien prétendu découlait de mon rôle simultané au sein de ces deux
secteurs d'activités minoritaires. Mais en discutant avec mon collègue lampionique
João Silvério Trevisan, j'ai appris l'existence d'une étude déjà réalisée en ce sens par
Allen Young, la tête homosexuelle pensante la plus importante de la contre-culture
nord-américaine, une étude que, dans ma manière de m'informer souvent
incomplète ou pressée, je ne connaissais pas encore, malgré ma correspondance
sporadique avec son auteur. […] L'homme structure son domaine sur terre sur deux
forces : la préservation de l'espèce et l'imposition du pouvoir. […] Notre principal
point d'accord est le fait que cette imposition du pouvoir est un attribut
potentiellement patriarcal et machiste, alors que le sentiment large de préservation
tombe du côté féminin de l'espère humaine. »
À partir de ce numéro, le périodique homosexuel décida de publier régulièrement des
articles de l'environnementaliste brésilien José Lutzemberg, agronome, écrivain, philosophe
spécialiste de l'écologie et militant engagé pour la préservation de la nature. Les textes étaient
extraits de l'ouvrage Fim do Futuro?915 paru en 1977 à Porto Alegre. La rédaction défendait ce
choix « en accord avec la proposition initiale de LAMPIÃO d'ouvrir ses pages aux sujets
habituellement traités avec réserve par la grande presse. Et l'écologie, avec toutes les questions
qui en résultent, [était] l'un de ces sujets tabous.916 »
Parallèlement à cette insertion progressive de préoccupations environnementales au
sein de titres indépendants initialement axés sur d'autres problématiques principales, la
914 Darcy PENTEADO, « Homossexualismo e ecologia » in Lampião da Esquina, n°7, 12/1978, p. 11.
915 José LUTZEMBERG, Fim do Futuro?, Porto Alegre, URGS/Editora Movimento, 1977.
916 Lampião da Esquina, n°7, 12/1978, p. 11.
456
seconde moitié des années 1970 vit le surgissement de périodiques spécifiques faisant du
combat écologiste leur fer de lance et encore très peu étudiés. Raízes, publication du Centre
d'études écologiques de la ville de Santos, vit le jour en juillet 1977 et annonça d'emblée ses
intentions en se présentant comme un « journal de résistance écologique917 ». Le premier
éditorial définit quatre principes de bases devant orienter la nouvelle rédaction :
« 1. Raízes est un journal avec une opinion et ne prétend pas la cacher ; 2. Malgré
cette position claire, il est ouvert aux points de vue différents du sien et prétend les
publier chaque fois que cela sera possible ; 3. Raízes voit la crise environnementale
comme une chose intimement liée aux processus politique, économique,
philosophique, religieux et historique de l'homme, et jamais séparée d'eux ; 4. Le
lecteur fait vivre le journal et nous souhaitons qu'il soit notre collaborateur
constant918. »
Militant et indépendant financièrement, le périodique envisageait l'écologie dans une
acceptation large, justifiant ainsi l'intégration de la défense des consommateurs ou du refus de
voir s'étendre le parc nucléaire brésilien dans ses colonnes. Mais, prévenait-il, l'objectif n'était
pas uniquement d' « être un point de rencontre pour échanger des idées au sujet de la crise
environnementale. Ce journal prétend[ait] arriver à un stade auquel il servirait de facteur de
mobilisation de l'opinion publique pour la défense des causes environnementales919. »
L'importante place occupée par l'humour graphique employé au service de l'écologie révélait
cette ambition d'action concrète par le biais d'images fédératrices et dénonciatrices, autant de
catalyseurs supposés de la mobilisation collective et de la contestation politique. Le premier
numéro de Raízes comprenait également l'article « A ecologia920 » signé par Tristão de
Athayde, pseudonyme de l'écrivain, journaliste et leader catholique Alceu Amoroso Lima.
Celui qui fut l'un des fondateurs de la démocratie chrétienne brésilienne y proposait ses
réflexions épistémologiques sur l'origine du terme écologie ainsi que son analyse du passage à
une réalité concrète, protéiforme et alarmante. En évoquant la constitution du parti écologiste
français en véritable troisième force politique lors des élections municipales de mars 1977, il
en appelait en creux à l'organisation du mouvement brésilien.
917 Raízes, n°1, 07/1977, p. 1.
918 Raízes, n°1, 07/1977, p. 2.
919 Idem.
920 Raízes, n°1, 07/1977, p. 5.
457
Dans une optique de conscientisation collective de l'ensemble de la société brésilienne,
le premier numéro de Raízes proposa également la rubrique « Ecos da imprensa921 », revue de
presse critique des thématiques écologiques qui constatait l'absence de traitement au sein de la
presse majoritaire, accordant en revanche au quotidien Jornal da Tarde ses félicitations pour le
travail effectué :
« Parmi les publications paulistes, le Jornal da Tarde de São Paulo avait une
longueur d'avance avec la couverture très large accordée à de nombreux aspects de
l'écologie, comme la pollution des rivières, la pollution sonore, visuelle,
l'urbanisme...
Un fait étrange s'est produit avec les journaux : un « léger oubli ». Nous avons été
surpris, en cherchant à l'occasion de la Journée mondiale de l'environnement (le 5
juin) des thématiques écologiques, de constater que les journaux de ladite grande
presse ne consacrèrent pas une seule ligne à cette date 922. »
Cette ambition de mesurer les engagements, les impressions et les inquiétudes liés à
l'écologie aboutit également à la réalisation par les membres de la rédaction de sondages et
enquêtes auprès de la population923, notamment au sujet des sources de pollution et de danger.
Cette préoccupation principale de l'équipe de rédaction était également partagée, nous le
verrons, par d'autres publications plus généralistes engagées, associant la lutte contre les
autorités politiques au combat pour l'amélioration des conditions de vie en ville.
2. Dessiner les dangers environnementaux en milieu urbain
D'emblée, Raízes prit position contre la dichotomie diffusée par la propagande du
gouvernement selon laquelle la défense de l'environnement et le développement économique
auraient constitué deux dynamiques opposées. Le premier numéro du mensuel écologiste
donna la parole au physicien nucléaire et ingénieur de l'Université de São Paulo José Zatz, qui
rappelait ce défi aux environnementalistes des pays en voie de développement dans « Ecologia
e desenvolvimento924 ». En revanche, il sembla se dessiner rapidement dans les pages une
921 Raízes, n°1, 07/1977, p. 13.
922 Idem.
923 Raízes, n°1, 07/1977, p. 16.
924 Raízes, n°1, 07/1977, p.6.
458
seconde dichotomie fondée sur une vision idéalisée de la campagne préservée opposée au
chaos urbain et pollué, terrain d'action de la rédaction de Raízes installée à Santos, importante
ville portuaire de l’État de São Paulo. Signée par Paulo Serra, la charge suivante synthétisait
cette dualité dans une image divisée verticalement comparant le cadre idyllique d'une nature
verdoyante et nourricière, à la solitude, la misère et l'absence de liberté dans un contexte
urbain et pollué.
FIG 146 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 23
Le dessinateur Miguel avait déjà dénoncé dès mars 1971 l'absurdité et l'inhumanité des
infrastructures urbaines modernes dans une charge publiée par l'hebdomadaire satirique
Pasquim critiquant les constructions routières à São Paulo 925. L'entrelacement d'immeubles et
de viaducs prenait l'apparence d'un labyrinthe urbain accentué par le mélange des perspectives
et des ombres, le trait simple et répétitif ainsi que l'absence totale de représentation humaine.
Le dessin ciblait très probablement la voie express surélevée Président João Goulart, nommée
Président Costa e Silva au moment de son inauguration en 1971 et plus connue de tous les
925 Pasquim, n°89, 18-24/03/1971, p. 29.
459
habitants comme le « Minhocão ». Créée dans le but de désengorger la circulation en reliant le
centre au quartier de Barra Funda, la voie fut très rapidement critiquée à cause des diverses
pollutions engendrées et du manque d'esthétique, devenant l'un des symboles de la
déshumanisation des grandes métropoles926. Dans la charge de Miguel, un être humain que
l'on devine à son phylactère sans le voir directement, appelait à l'aide en anglais au milieu de
nœuds routiers chaotiques et étagés sous un lourd smog très pollué.
FIG 147 : Pasquim, n°89, 18-24/03/1971, p. 29
Cette vision totalement déshumanisée du centre-ville de São Paulo aurait pu être le
fruit de l'exagération caractéristique de l'hebdomadaire Pasquim survalorisant largement le
charme et la qualité de vie cariocas, mais il est particulièrement intéressant de constater que
cette représentation fit des émules à au moins deux reprises. Cinq ans plus tard, le premier
numéro du périodique satirique Ovelha Negra, basé à São Paulo, publiait une page de jeux
intitulée « perds-temps927 », version cynique et absurde du classique « passe-temps ». L'une
des activités était un labyrinthe au sein duquel le lecteur devait aider un automobiliste à
926 Rosa ARTIGAS, Joana MELLO, Ana CASTRO (dir.), Caminhos do elevado. Memórias e projetos, São Paulo,
Imprensa oficial do Estado de São Paulo/Sempla, 2008.
927 Ovelha Negra, n°1, 05/1976, p. 23.
460
trouver son chemin vers la zone de stationnement. Aucun des chemins proposés n'aboutissait
et la solution inscrite à l'envers indiquait : « Comme le lecteur l'a tout de suite remarqué, ceci
n'est pas un test. C'est une réalité sans issue928. » Le labyrinthe routier et le caractère surélevé
des voies ressurgirent ensuite en 1979 dans un dessin signé Nildão, pseudonyme du
dessinateur et journaliste bahianais Josanildo Dias de Lacerda, qui fut primé au Salon
international de l'humour de Piracicaba.
FIG 148 : Josanildo Dias de Lacerda, dessin primé au Salon international
de l'humour de Piracicaba, 1979 (dessin original 30x40 cm), archives du CEDHU
La scène se déroulait également dans un enchevêtrement de routes, la focale étant cette fois
davantage resserrée et la perspective plus élaborée. L'appel au secours du personnage principal
928 Idem.
461
était inscrit en rouge et en majuscules, dénotant avec les tons clairs et pastels de
l'environnement. La peau bronzée, en tenue légère, chapeau sur la tête et sandales aux pieds,
l'homme était accompagné d'un âne portant une machette et un chargement de noix de coco
vertes destinées à être vendues en ville. Le contraste entre environnements rural et urbain était
central dans une composition ingénieuse mettant en lumière la solitude du personnage égaré au
cœur d'un nœud routier, censé connecter les lieux et les personnes plutôt que de les isoler. Le
professeur de journalisme Jocinene Carla Bianchini Ferreira Pedrini attribua l'absence totale de
voitures dans le dessin à la « perception fine de la réalité par le dessinateur929 » :
« Dans un premier temps, il nous permet de comprendre que les voies sont toutes
neuves et qu'à cause de cela, l'homme de la campagne habitué à toujours emprunter
le même chemin, n'a pas vu le paysage se modifier – peut-être est-il resté distant, le
temps nécessaire à la production de ses noix de coco. D'un autre côté, cela révèle
l'absence de véhicules. Quelle en est la raison ? Il est possible qu'un dialogue avec
l'histoire de la période nous indique une réponse.
[…] c'était ledit « miracle économique », un stratagème de la dictature militaire
pour prouver son efficacité par le biais de la croissance nationale. L’État de Bahia,
et particulièrement la ville de Salvador, bénéficia de nombreux investissements
gouvernementaux dans ce secteur930. »
Le dessin primé à Piracicaba semblait faire directement écho à la charge publiée par
Miguel en 1971, prouvant si ce n'est une filiation, du moins une réitération de la thématique de
l'inhumanité des infrastructures routières surélevées et de la critique graphique formulée
envers la croissance effrénée du tissu routier urbain des grandes métropoles brésiliennes. Il ne
s'agissait pas dans ces représentations labyrinthiques de s'opposer frontalement au progrès,
mais bien de questionner le type de modernité imposée par le gouvernement fédéral et les
autorités locales au détriment du sens et du bien-être communs.
La question de la pollution liée aux activités industrielles en milieu urbain préoccupait
également grandement les périodiques et journalistes écologistes. Raízes y consacra de
nombreux articles et charges dès son premier numéro, insistant notamment dans sa page de
défense des consommateurs sur les méfaits d'un système privilégiant la production et la
929 Adolpho QUEIROZ, Evaldo VICENTE, Letícia Hernandez CIASI, Salão internacional de humor de Piracicaba, São
Paulo, Riopedrense Ltda, 2014, p. 73.
930 Idem.
462
consommation effrénées. Dans un style très inspiré des comics nord-américains, le dessinateur
Villar mettait en lumière les ravages sur la santé humaine d'une alimentation hautement
toxique, contaminée par la pollution. Un homme salement amoché se plaignait de la qualité de
son dîner à sa femme et celle-ci répondait de manière très cynique, un jeune enfant assis sur
ce qui semblait être une énorme excroissance tumorale : « Ce qui ne tue pas rend plus
gros931 ».
FIG 149 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 12
Le port de Santos était voisin de Cubatão, véritable pôle industriel de l’État de São Paulo situé
lui-même à une quarantaine de kilomètres de la capitale. Accéléré au cours des années 1950 et
1960, le processus d'industrialisation de la ville provoqua la concentration d'une grande
quantité d'usines responsables d'une énorme pollution atmosphérique dont les dramatiques
impacts sur la santé des habitants et la nature environnante devinrent visibles à partir de la fin
des années 1970.
Les dessinateurs s'approprièrent un type de représentation récurrent dans la presse
écologiste naissante, fondé sur le contraste entre l'extérieur et l'intérieur d'un appartement ou
d'une maison symbolisé par la fenêtre, lieu de transit, lieu de jonction et de circulation de la
contamination. Ainsi, dans sa page intitulée « Humor » et consacrée exclusivement à l'humour
graphique, Raízes publia le dessin de l'intérieur d'un bureau dont la baie vitrée donnait
directement sur une représentation archétypale de l'usine, avec sa toiture à redans partiels et
931 Raízes, n°1, 07/1977, p. 12.
463
son immense cheminée recrachant une fumée épaisse et noire. Notons que la forme
géométrique en « dents de scie » ainsi dessinée renvoyait visuellement au graphique de
croissance de l'entreprise affiché sur le mur jouxtant la fenêtre, critique symbolique de la
corrélation entre les performances de la firme et le dur labeur des ouvriers. La femme de
ménage époussetant un globe terrestre posé sur le bureau, autre symbole s'il en est, se faisait
interrompre par le patron accourant alarmé. Surtout, pas de propreté, disait le dessinateur d'un
trait faussement brouillon, il serait dommage de contraster avec l'air de l'extérieur
extrêmement pollué.
FIG 150 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 13
Quelques pages plus loin, un type de représentation similaire fut employé par Paulo
Serra afin de dénoncer de nouveau la pollution atmosphérique en ville. Cette fois, le
protagoniste était chez lui dans sa chambre à coucher et ouvrait sa fenêtre donnant sur un
ensemble d'immeubles pour aérer. Le trait simple et expéditif, comme inachevé, laissait
entendre l'entrée dans l'appartement d'un nuage de fumée provoquant une forte gêne
respiratoire chez le personnage, contraint de desserrer son nœud de cravate.
Angeli explora la métaphore visuelle du foyer et de la fenêtre ouverte sur l'extérieur
pour dénoncer en mai 1976 un autre danger : celui de l'énergie nucléaire, un secteur dont le
développement fut largement encouragé par le régime militaire. L'entreprise brésilienne
Nuclebrás fut créée en 1974 afin de développer les technologies et infrastructures nationales,
dans un contexte de redéfinition de la politique nucléaire à la suite de la suspension par les
États-Unis d'une collaboration datant des années 1950. Le 27 juin 1975, l' « accord entre le
464
gouvernement de la République fédérative du Brésil et la République fédérale d'Allemagne sur
la coopération dans le champ des usages pacifiques de l'énergie nucléaire 932 » fut signé,
prévoyant initialement la construction de huit centrales sur le territoire brésilien. Le pays était
également perméable au contexte international et à la course aux armements nucléaires
confrontant les deux grands blocs protagonistes de la Guerre froide, les dessinateurs d'humour
graphique relayant dès lors les craintes de destruction massive symbolisées par le motif
récurrent du champignon atomique. Ici, sous le crayon d'Angeli dans Ovelha Negra, un
homme regardait affolé le monde se détruire par la fenêtre alors que son jeune enfant lui
annonçant avoir enfin trouvé ce qu'il voudrait faire une fois grand. Le comique de l'image
reposait principalement sur l'antagonisme entre la perspective d'un futur pour l'enfant et la
destruction perpétrée par l'arme atomique :
FIG 151 : Ovelha Negra, n°1, 07/1976, p. 19
La métaphore atomique fut reprise par Wilmarx dans une satire visuelle mettant en scène la
figure divine et comparant cyniquement les nuages, symboles des cieux éternels et du paradis,
au pyrocumulus en forme de champignon caractéristique d'une explosion nucléaire.
932 Voir Rafael Vaz da Motta BRANDÃO, « O Negócio do Século: O Acordo de Cooperação Nuclear Brasil Alemanha », Mémoire de master en Histoire sous la direction de Théo Lobarinhas Piñeiro, Université
Fédérale Fluminense, Niterói, 2002.
465
FIG 152 : Ovelha Negra, n°4, 01/1977, p. 16
La rédaction de Raízes s'inquiéta en juillet 1977 des conséquences de l'accord
Allemagne-Brésil sur le niveau de dépendance du pays vis-à-vis des puissances étrangères et
des risques pour la souveraineté du pays 933. Les journalistes Carlos Eduardo Lins da Silva,
Roberto Fernandes de Almeida et Arthur Pinto Filho enquêtèrent également sur les conditions
d'organisation et le déroulement de l'exposition « Brésil Nucléaire » organisée à São Paulo
durant les mois d'avril et mai 1977 934. Leur article dénonçait le manque d'objectivité d'un
événement organisé par les dirigeants de Nuclebrás dans le but d'attirer de jeunes brésiliens
vers ce secteur professionnel. Le dessin cherchait à rendre visibles les failles d'un secteur
bancal et explosif ainsi que les énormes intérêts financiers sous-tendant l'organisation d'une
telle exposition. Le champignon de l'explosion nucléaire était cette fois formé par la fumée
émanant du cigare du riche entrepreneur, complice des accidents à venir avec le personnage
scientifique.
933 Carlos Eduardo Lins da SILVA, « No acordo nuclear com a Alemanha, os riscos para a nossa independência »
in Raízes, n°1, 07/1977, p. 4.
934 Carlos Eduardo Lins da SILVA, Roberto Fernandes de ALMEIDA, Arthur Pinto FILHO, « Exposição: uma tentativa
de ganhar simpatizantes » in Raízes, n°1, 07/1977, p. 3.
466
FIG 153 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 3
3. Dénoncer la déforestation avec humour
La critique de la déforestation et celle de la destruction de la nature par l'expansion
capitaliste ne furent pas non plus l'apanage des périodiques spécialisés nés à la fin des années
1970. On l'a vu, Lampião da Esquina tenta de construire des passerelles discursives entre la
défense des droits des personnes homosexuelles, la lutte contre le machisme et la préservation
de l'environnement. À l'occasion de la publication en janvier 1979 de son essai « Bacanal do
esbanjamento935 », l'environnementaliste José Lutzemberg s'alarmait de la folie consumériste
et inconsciente régnant dans la société :
« Le comportement actuel de l'Humanité peut être comparé à celui d'un pauvre
diable qui a gagné le gros lot à la loterie et qui, sans savoir ce qui est capital et
comment le préserver, se trouve au beau milieu d'une bacchanale du gaspillage,
certain que la fête ne se terminera jamais. La société de consommation est une
orgie.
Telle quelle, elle ne durera pas. Le moment de vérité est inévitable. Nous agissons
aujourd'hui comme si nous étions la dernière génération et la seule espèce qui ait le
935 José LUTZEMBERG, « Bacanal do esbanjamento » in Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 10.
467
droit de vivre. Notre éthique, qui n'englobe pas les autres êtres, n'inclut même pas
nos enfants936. »
Lutzemberg décryptait en une page le fonctionnement de la société industrielle au sein
duquel la croissance continue était un pilier indispensable, la publicité incitait à la
consommation de masse et la manipulation psychologique servait à créer de nouveaux besoins.
La conception de richesses naturelles consommables à l'envi, cause de l'énorme impact
environnemental des actions humaines, prenait corps dans une représentation sensuelle et
sexualisée de l'anthropomorphique Mère Nature. L'allégorie dénudée aux allures de pin-up
portant une corne d'abondance et un panier de blé répercutait et amplifiait la critique du texte
en répétant la métaphore sexuelle.
FIG 154 : Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 10
936 Idem.
468
Les choix de dessins primés à l'occasion du Salon international de l'humour de
Piracicaba au cours de la seconde moitié des années 1970 apparaissent également
symptomatiques d'une progressive prise de conscience de cette destruction annoncée de
l'environnement brésilien en général et de la forêt tropicale – ce « trésor en danger937 » – en
particulier. Dès la première édition du salon organisée en 1974, le troisième prix fut attribué à
une œuvre du dessinateur Luiz Renato Bitencourt Silva mettant en scène un arbre à l'agonie au
beau milieu d'un terrain vallonné. Seul rescapé entouré de souches plantées de haches, l'arbre
central, mutilé, constituait le dernier refuge d'un groupe hétéroclite d'oiseaux aux apparences
stylisées, lointains cousins des Shadoks de Jacques Rouxel. Disproportionnés et comiques, les
volatiles aux airs renfrognés s'entassaient dans les rares recoins restants, visiblement irrités par
la destruction de leur habitat. L'un d'entre eux tentait une réparation en attachant à l'une des
branches le manche de l'outil ayant servi à la coupe.
FIG 155 : Luiz Renato Bitencourt Silva, dessin primé au Salon international de l'humour
de Piracicaba, 1974 (dessin original 39,5x29,5 cm), archives du CEDHU
937 José Augusto PÁDUA, « Tropical Forests in Brazilian Political Culture: From Economic Hindrance to
Endangered Treasure » in Fernando VIDAL, Nélia DIAS, Endangerment, Biodiversity and Culture, Londres,
Routledge, 2015, p. 148-171.
469
Quatre ans plus tard, ce fut au tour de Santiago, de son vrai nom Neltair Rebés Abreu,
de remporter un prix pour un dessin traitant de la même thématique. Véritable créateur de
blague visuelle, Santiago mit son trait percutant et simple au service d'une scène tragi-comique
dénonçant ici aussi les conséquences de la déforestation. Sur le dessin, l'ampleur de la
destruction était telle que Tarzan, le héros sauvage créé par Edgar Rice Burroughs en 1912
arrivait aux confins de la zone forestière au sein de laquelle il avait l’habitude de se déplacer
de liane en liane. La construction du dessin opposait d'une part la verdoyante et luxuriante
zone végétale aux diverses nuances de vert et d'autre part la zone désertifiée uniquement
peuplée de troncs, surplombée d'un soleil écrasant rappelant celui du dessin analysé
précédemment. La liane, élément déclencheur de la rencontre brutale de Tarzan avec la réalité,
servit au dessinateur à séparer les deux zones horizontalement comme pour mieux en figurer
les antagonismes. A l'instar du vendeur de noix de coco vertes de Nildão surpris par les
constructions routières la même année, Tarzan était ici pris au piège d'une dévoration brutale.
FIG 156 : Neltair Abreu (Santiago), dessin primé au Salon international de l'humour de
Piracicaba, 1978 (dessin original 40x30 cm), archives du CEDHU
L'attribution de ces prix, fruit des délibérations entre confrères dessinateurs,
journalistes et représentants des institutions culturelles de la ville de Piracicaba938, révèle une
938 Voir le cinquième chapitre de cette thèse.
470
valorisation croissante de la préservation des ressources forestières en tant que thématique
mobilisatrice et militante dans le contexte de constitution d'un mouvement écologiste
national939. L'emploi récurrent par le périodique Lampiao da Esquina d'un logo accompagné
du slogan « Sauvons l'Amazonie » réaffirmait également cette diffusion de la préoccupation
écologiste parmi les publications de la presse indépendante non nécessairement focalisées sur
les thématiques environnementales, ainsi que l'érection de l’Amazonie en symbole de la lutte
contre la déforestation.
FIG 157 : Lampião da Esquina, n°9, 02/1979, p. 2
C’est dans ce contexte que vit le jour en mai 1977 le périodique Varadouro, « un
journal des jungles940 » dirigé par Elson Martins da Silveira, éditée par Silvio Martinello et
dont la rédaction se situait rue João Donato à Rio Branco, capitale de l’État d'Acre 941. En
939 L'ouvrage Greening Brazil analyse l'évolution au cours de la seconde moitié du XX e siècle et les origines
internes du mouvement environnementaliste brésilien, remettant en cause la vision d'un militantisme venu
initialement de l'étranger. Les auteurs Kathryn Hochstetler et Margaret Keck y montrent notamment les
connexions entre l'activisme de la société civile et certains secteurs engagés de l'administration brésilienne.
Voir : Kathryn HOCHSTETLER, Margaret KECK, Greening Brazil. Environmental Activism in State and Society,
Durham, Duke University Press, 2008.
940 Varadouro, n°1, 05/1977, p. 1.
941 Le périodique écologiste est l'objet de plusieurs études brésiliennes récentes focalisées sur son caractère
résistant et ancré localement, ainsi que son appartenance à la presse indépendante à l'échelle nationale. Voir
notamment : Jefferson Henrique CIDREIRA, « Mídia culturais: figurações da resistência no jornal Varadouro e
no cinema em Rio Branco, de 1977 a 1981 » in Revista de História, vol. 6, n°1-2, 2017, p. 156-171 ;
Michelle da COSTA PORTELA, « Varadouro – um jornal das selvas: um estudo sobre a vida no alternativo »,
Mémoire de master en Société et culture de l'Amazonie, sous la direction de Alfredo Wagner Berno de
Almeida, Université fédérale de l’État d'Amazonas, 2009. Voir également l'ouvrage : Pedro Vicente COSTA
SOBRINHO, Comunicação alternativa e movimentos sociais na Amazônia ocidental, João Pessoa, Éditions
universitaires UFPB, 2001.
471
pleine Amazonie occidentale, près des frontières avec la Bolivie et le Pérou, la municipalité
voyait ainsi naître un nouveau journal indépendant :
« VARADOURO est, donc, un devoir de conscience pour ceux qui croient au rôle
du journaliste. Il est intentionnellement fait ici, sur « terre ». Il paraît donc d'une
manière rude, métisse, sans technique, plein de limites et généré par la nécessité de
discuter des problèmes de notre région, de notre temps et principalement, de nos
gens942. »
Le seul dessin de ce numéro inaugural à la mise en page effectivement très spartiate
figurait en couverture et représentait deux personnes, un blanc et un indien rapidement
esquissés, au milieu d'un environnement mixte de constructions et de végétation. Quelques
charges apparurent et leur nombre augmenta légèrement au sein des derniers exemplaires, sans
jamais dépasser le nombre de photographies dont les emplois par la rédaction étaient bien
davantage diversifiés. Une éphémère section « Humour des jungles » parut dans les neuvième,
dixième et treizième numéros. Le deuxième numéro parut à la fin du mois de juillet 1977,
après un retard dû à d'importantes contraintes techniques 943. Il rendait notamment publiques
d'importantes recherches menées au sein des archives de l'Institut historique de l'Acre par les
journalistes dans le dossier « O Acre nos “jornais velhos”» retraçant l'exubérance et l'orgueil
des protagonistes de la fièvre du caoutchouc. Les premiers numéros focalisèrent leur projet
graphique sur la publication de photographies accompagnant les reportages, à l'exception d'une
gravure publicitaire parue en août 1977 dans le but de vanter les mérites gastronomiques du
« restaurant d'Inacio ».
FIG 158 : Varadouro, n°3, 08/1977, p. 20
942 Varadouro, n°1, 05/1977, p. 2.
943 Varadouro, n°2, 07/1977, p. 2.
472
En septembre 1977, la rédaction recevait et publiait une lettre de Flávio José T.
Almeida habitant à Miracema dans l’État de Rio de Janeiro qui proposait ses services en tant
que dessinateur de presse. Au courrier ainsi formulé : « Voudriez-vous envoyer s'il vous plaît
un exemplaire de votre journal. Je paye. Merci d'avance. Je suis dessinateur. Si vous voulez
des collaborations, écrivez-moi. », la rédaction répondit : « Nous voulons, Flávio. Envoyez
vos cartoons944. » De nombreux lecteurs écrivaient afin d'obtenir les premiers exemplaires par
courrier, ayant découvert l'existence du périodique par l'intermédiaire de l'hebdomadaire
Pasquim ou du Folha de São Paulo. Ces courriers attestent d'une réelle circulation
d'informations au sein et au sujet de la presse indépendante - et même majoritaire, entre les
publications au tirage important issues de gros centres urbains et les périodiques davantage
isolés ou éloignés945. Le dessinateur renommé Henfil envoya un message graphique solidaire
par l'intermédiaire de son petit personnage Graúna incitant à la lecture du « journal des
jungles », paru en décembre 1977.
FIG 159 : Varadouro, n°6, 12/1977, p. 20
944 Varadouro, n°4, 09/1977, p. 2.
945 Les difficultés d'acheminement vécues par la rédaction de Varadouro furent d'ailleurs l'objet d'une charge
anonyme publiée dans le même numéro, en septembre 1977. Le dessin représentait un bateau inscrit du nom
du périodique distribuant les exemplaires dans les zones les plus reculées de l'Amazonie.
473
Les échanges se poursuivirent avec la mise en place d'un système de vente réciproque
d'exemplaires946 entre quatorze publications dont Repórter et Em Tempo à Rio de Janeiro,
Mutirão à Fortaleza, Amanhão à São Paulo ou Cadernos do Nordeste à Recife. Ce système
conféra à Varadouro, désormais vendu par la presse indépendante dans les quatre coins du
Brésil, une visibilité à l'échelle nationale.
En février 1978, les thématiques sensibles de la concentration des terres entre les mains
d'une minorité de propriétaires et de la déforestation conséquentes des parcelles vouées à
devenir cultivables ou exploitables, étaient abordées dans une double page intitulée « A terra
na mão de poucos947 ». Le dessin central signé par Paulo Caruso dénonçait visuellement
l'accaparement carnassier et vénal des terres, principale cause de leur désertification.
FIG 160 : Varadouro, n°7, 02/1978, p. 10-11
Le dessin faisait directement écho à l'alerte parue en Une du huitième numéro de Varadouro,
qui publiait en mars 1978 la photographie d'un hévéa entaillé sous le titre « Amazonie
menacée948 ». En mai 1980, la couverture du dix-neuvième numéro dénonça avec force la mise
en place d'immenses exploitations bovines responsables de la destruction de pans entiers de la
946 Varadouro, n°8, 03/1978, p. 2.
947 « A terra na mão de poucos » in Varadouro, n°7, 02/1978, p. 10-11.
948 Varadouro, n°8, 03/1978, p. 1.
474
forêt amazonienne par les « nouveaux propriétaires de l'Acre » : « La compagnie des nouveaux
colonels949 », « Celle qui exploite 100 scrupules » et « Les usurpateurs associés950 ».
FIG 161 : Varadouro, n°19, 05/1980, p. 1
Le vingt-quatrième et dernier numéro parut en décembre 1981 et marqua la fin d'une
aventure journalistique vouée à dénoncer les politiques de colonisation et d'exploitation de
terres en Amazonie brésilienne, ainsi qu'à donner de la voix aux communautés vivant dans les
territoires reculés de l'Acre. Opposé aux autorités fédérales et locales, n'hésitant pas à
dénoncer la corruption endémique, les conditions de vie indignes des paysans et saigneurs de
l'hévéa, les travers de la vie politique à l'aube de l'ouverture politique, l'action des grands
propriétaires terriens et la déforestation, Varadouro confronta la réalité des puissants. Il fut
notamment le premier périodique à publier un entretien avec Chico Mendes, leader des
travailleurs de l'hévéa, leader syndical et grand militant écologiste qui devint un collaborateur
du journal. La rédaction qui ferma ses portes à la fin de l'année 1981 avait mit un point
d'honneur dès son tout premier numéro à raconter l'histoire, à valoriser la culture et à défendre
les terres des indiens :
949 Le terme se réfère au coronelismo, mot brésilien désignant la structure fondée à l’échelle municipale sur une
figure privée, le colonel, qui se substituait aux pouvoirs publics et à l’État sous la Première République. Le
coronelismo eut pour corollaire l’instauration du clientélisme, la corruption et les fraudes, ainsi qu’une
désorganisation substantielle de l’administration brésilienne. Les « nouveaux colonels » désignés par la
charge graphique étaient accusés de vouloir renforcer l’assise autoritaire et patriarcale de leur pouvoir
personnel, tout en développant l’agro-industrie et l’élevage dans les territoires amazoniens.
950 Varadouro, n°19, 05/1980, p. 1.
475
« VARADOURO a donné un espace spécial, dans ce numéro inaugural, au
problème de l'indien dans la région, en comprenant que particulièrement dans l'Acre
l'homme blanc a une dette très grande à payer aux peuples indigènes, qu'il a
toujours cherché à massacrer, opprimer et stigmatiser, osant nier consciemment ou
inconsciemment ses valeurs et sa culture951. »
4. Contre une vision romantisée et pour le droit à la terre : la représentation des
Indiens
Si Varadouro s'inséra dans les publications de l'opposition politique, c'est que la
défense des droits des Indiens et la lutte pour la préservation de leurs territoires entraient en
conflit avec une vision romanesque, conquérante et civilisatrice des confins défendue par le
régime. Le mouvement environnementaliste fut largement marqué durant la seconde moitié
des années 1970 par le combat des activistes et des populations indiennes contre l'obtention de
territoires par de grandes compagnies privées en Amazonie. En 1978, la réflexion consacrée à
la place accordée aux Indiens dans la société brésilienne surgit sur le devant de la scène
médiatique nationale avec la proposition du ministre de l'Intérieur Maurício Rangel Reis d'une
loi visant l'émancipation des peuples indigènes de la tutelle de l’État 952. Les critiques
formulées à l'encontre du travail de la Fondation Nationale de l'Indien (FUNAI) se
multiplièrent953 et la presse d'opposition s'empara de ce combat, considérant les populations
indiennes comme des victimes de l’État autoritaire et de son libéralisme outrancier.
Certains périodiques s'intéressèrent en profondeur à la question des injustices vécues
par des communautés réduites à l'état de folklore : le mensuel Versus, par exemple,
s'interrogeait sur les convergences des luttes noire et indienne en mai 1978 954. « Diálogo dos
explorados » était la transcription par Rui Veiga d'un entretien avec Rafael, Puyú et Mairauê,
un jeune homme noir et deux jeunes indiens, discutant entre eux du racisme institutionnel
brésilien, des massacres, de la violence quotidienne, de la marginalisation et des chemins à
951 Varadouro, n°1, 05/1977, p. 1.
952 Carlos Benitez TRINIDAD, « Un campo de batalla seguro para luchar contra el estado militar : la cuestión
indígena » in www.historiadaditadura.com.br, 25/02/2017 [en ligne] (consulté le 19/04/2019).
953 Carlos Benitez TRINIDAD, « La Fundação Nacional do Índio al servicio de los intereses geoestratégicos e
ideológicos de la dictadura brasileña (1967-1985) » in Americanía: Revista de Estudios Latinoamericanos,
n°3, 2016, p. 243-277.
954 Rui VEIGA, « Diálogo dos explorados » in Versus, n°21, 05-06/1978, p. 40-41.
476
tracer pour résister. Deux ans auparavant, le périodique Ovelha Negra avait tourné en dérision
et pointé du doigt les contradictions du rôle prétendument civilisateur de la colonisation des
territoires indiens dans une charge non signée représentant un indien en tenue traditionnelle
s'éloignant du cadavre d'un homme abattu de trois flèches dans l'abdomen. Le protagoniste
déclarait : « Légitime défense. Il voulait nous civiliser !955 », justifiant ainsi l'acte commis au
nom de la préservation de sa communauté face au massacre annoncé.
FIG 162 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 20.
En janvier 1979, Lampião da Esquina afficha en outre visuellement la convergence entre
défense des populations indiennes et homosexuelles au sein d'une couverture 956 dont la
composition mettait sur le même plan les différentes sources d'oppression. Le même numéro
proposait un grand reportage consacré à la défense de la culture indienne, esquissant le projet
utopique d'un Brésil multiculturel dans « Como aprender com os índios957 ».
Un nouveau périodique surgit en juillet 1979 à Porto Velho, capitale de l’État de
Rondônia située environ à quatre cent kilomètres au nord-est de Rio Branco, sous la houlette
des journalistes Montezuma Cruz et Jorcêne Martinez : Barranco. Engagée dans l'opposition
au régime militaire, la rédaction valorisait le combat des petits paysans et des Indiens pour le
maintien de leurs terres et leur propre survie entre les reportages sur la prostitution ou la
955 Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 20.
956 Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 1.
957 Lampião da Esquina, n°8, 01/1979, p. 5-7.
477
sexualité, les chroniques de la vie politique nationale, les conseils culturels et les romansphotos satiriques. Éphémère, l'expérience dura le temps de cinq numéros, subit les pressions
de la police fédérale à plusieurs reprises et fut victime d’une interdiction de vente en kiosques
pour « atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ». Une charge parue en novembre 1979
interpréta le drame du leader indien Daniel Matenho Cabixí qui avait dénoncé à Porto Velho
les invasions de son territoire par de grands propriétaires originaires du sud du Brésil. En
larmes, le protagoniste du dessin s'adressait à sa fille en lui expliquant l'impossible
transmission de son héritage, un territoire déforesté et désolé, dans une paradoxale et
dramatique déclaration : « Tout ça ne sera jamais à toi, ma fille...958 ».
FIG 163 : Barranco, n°3, 11/1979, p. 16
Cette question extrêmement problématique de la terre dont les populations indiennes étaient
dépossédées à mesure que les concessions étaient délivrées aux exploitants pour en faire des
parcelles cultivables ou exploitables, fut le sujet d'un encadré spécial publié par Varadouro en
mai 1978 : « Índio quer terra!959 ». La proposition envisagée par le périodique était la création
d'une réserve indienne dans l'Acre.
L'équipe graphique de Barranco maniait quant à elle davantage les techniques de la
charge, de la caricature et du photo-montage pour véhiculer ses messages contestataires et
958 Barranco, n°3, 11/1979, p. 16.
959 Varadouro, n°9, 05/1978, p. 7.
478
libertaires, en s'amusant du potentiel comique de l'absurde et de la violence. Ainsi, en
décembre 1979, la reproduction d'une photographie d'une main droite armée d'une arme à feu
accompagnée du sous-titre « Titre définitif de propriété de la terre (version faussaire et
voleur).960 » Derrière l'humour graphique du détournement d'image, Barranco brandissait la
critique directe d'un système violent et archaïque fondé sur la puissance de feu, le pouvoir
financier et les relations politiques.
FIG 164 : Barranco, n°4, 12/1979, p. 18
Si le contexte international n'était pas étranger à l'émergence du mouvement
environnementaliste brésilien, l'humour graphique nous permit d'analyser certains facteurs
internes et nationaux de ce retour en force d'une vision patrimoniale de la nature à préserver.
Pour les périodiques indépendants situés idéologiquement dans l'opposition au régime
militaire, il s'agissait là d'une belle opportunité de remettre en question les politiques menées
par les autorités au niveau fédéral à partir de l'arrivée au pouvoir de Geisel et plus largement
au cours de la seconde moitié des années 1970. Les prémices de l'ouverture politique
constituèrent un moment idéal pour politiser la critique environnementale, la lutte contre les
pollutions ainsi que la défense des Indiens et de leurs territoires. Si la plupart des dessins
attestaient bien un ancrage historique et géographique dans le Brésil qui leur était
contemporain, certains tendirent à l'universalisme en insistant sur l'importance d'une prise de
conscience à l'échelle de la planète face aux perspectives communes sombres et pessimistes.
960 Barranco, n°4, 12/1979, p. 18. Le terme « grilheiro » se réfère aux personnes qui falsifiaient des documents
pour s'accaparer les terres d'autrui. L'étymologie du mot vient de « grilo » (cricket), puisque l'une des
techniques fréquemment utilisées par les falsificateurs de titres était de mettre des documents falsifiés dans
un tiroir avec les insectes en question et d'attendre qu'ils soient rendus difficilement lisibles par les
excréments et les morsures.
479
Alors que Raízes s'inquiéta directement dans son tout premier numéro du futur proche de la
Terre, dans une charge proposant une intéressante vision anthropomorphique de la planète
avec un masque à oxygène directement connecté au cordon ombilical d'un fœtus, Ovelha
Negra avait employé l'année précédente la représentation du globe terrestre dans une page de
jeux très cynique proposant au lecteur de participer au coloriage. Les outils idéaux étaient de
la peinture noire, de l'encre noire et un stylo noir, à l’image de bien sombres perspectives
dessinées par les périodiques indépendants pour le Brésil et pour le monde.
FIG 165 : Raízes, n°1, 07/1977, p. 9
FIG 166 : Ovelha Negra, n°1, 05/1976, p. 23
480
Ce pessimisme graphique notamment caractérisé par la redondance du champignon atomique,
s’appliquait également aux multiples oppressions subies par les Indiens, qui devinrent sous le
crayon de Laerte en juillet 1976 les membres emprisonnés et parqués d'une sorte de grande
internationale des peuples originaires persécutés : indiens andins, indiens amazoniens, indiens
des plaines nord-américains, inuits et tribus africaines.
FIG 167 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 14
5. Un sombre bilan ?
À l'instar de l'ensemble des forces progressistes brésiliennes, les rédactions des
publications indépendantes nourrirent à la fin des années 1970 l'espoir d'une redémocratisation
du pays, militant pour la plupart en faveur de l'amnistie des prisonniers politiques et de
l'établissement d'une assemblée constituante. Certains périodiques luttaient pour la
reconstruction de la nation brésilienne dans le respect des mouvements minoritaires –
féministes, homosexuels, noirs et indiens – mais tous s'interrogeaient à leur manière sur les
voies politiques à tracer et à emprunter afin de parvenir à cette fin. De plus, il apparut assez
clairement aux caricaturistes et dessinateurs que l'issue démocratique – la « lumière au bout du
tunnel » – était encore bien éloignée et incertaine et qu'elle apporterait son lot de difficultés
inédites qu'il allait falloir affronter, à défaut de pouvoir « revenir en arrière » comme le
suggérait cette charge de Fraga parue en juillet 1976 :
481
FIG 168 : Ovelha Negra, n°2, 07/1976, p. 10
En effet, la fin des années 1970 et le début de la décennie suivante furent paradoxalement une
période néfaste pour les rédactions indépendantes, tiraillées par d'importantes divisions
internes ayant abouti à de graves divergences dont l'humour graphique, qui contribua à son
époque de création à en définir les enjeux, nous révèle aujourd'hui les contours et les facettes.
L'exemple du mensuel Versus, dont les ambitions latino-américaines s'effacèrent peu à peu au
profit de la difficile affirmation d'un courant politique socialiste, nous semble emblématique.
En janvier 1980, le mensuel Coojornal lança un numéro spécial intitulé « 15 anos de
mau humor961 » en supplément de son quarante-neuvième numéro. Les seize pages revenaient
sur le travail et le parcours de Fortuna, de la rédaction de Pasquim, de Nássara, Alvarus,
Henfil, Millôr, du groupe des dessinateurs paulistes, le groupes des « gaúchos », de Luis
Fernando Veríssimo, Fraga et Edgar Vasques. Le court éditorial proposait un bilan contrasté de
quinze années de luttes et s'interrogeait sur les pistes à suivre pour le futur de l'humour
graphique brésilien :
« Les quinze dernières années furent marquées par la résistance et la lutte du peuple
brésilien, face à l'arbitraire, à la violence et à l'injustice sociale, face à l' AI-5 qui,
d'après Fortuna, ne détruisit pas seulement l'organisation politique, mais affecta
également la joie de crier et de dire les choses des personnes. Il n'y avait pas
beaucoup de quoi rire et paradoxalement, il n'est jamais apparu autant de
d'humoristes au Brésil. Ils n'ont jamais été aussi critiques vis-à-vis du système.
961 Coojornal, n°spécial, « 15 ANOS DE MAU HUMOR », 01/1980. Le titre a un double sens et peut être
compris comme « 15 ans de mauvais humour » et « 15 ans de mauvaise humeur ».
482
Henfil dit même que toute une génération s'est armée pour combattre l'exception à
travers la charge, le texte intelligent, sans accepter le défi lancé par le régime de
lutter les armes à la main ou dans la clandestinité où l'autre camp était ouvertement
plus fort. Et ce fut ainsi. Il n'y eut pas un seul journal, de la petite ou la grande
presse, dans cet immense Brésil, sans son humoriste. Ce fut une époque marquée
par une grande participation et peu de raisons de rire. Parce que les blagues
arrivaient pleines de colère, de rage et de haine.
Aujourd'hui, au seuil d'une décennie que nous espérons tous plus ouverte,
Coojornal lance ce supplément qui est un hommage et un témoignage de ces 15
années d'humour. Et qui pose également une question : Quel sera le futur de
l'humour au Brésil ? Henfil a une proposition d'action pour les humoristes. De notre
côté, nous pensons comme Edgar Vasques: l'humour doit se libérer de son sérieux et
rentrer plus heureux, plus moqueur et plus décontracté dans les années 1980. Même
en sachant que cela ne va pas seulement dépendre des humoristes, mais également
des voies que va emprunter le pays962. »
Au-delà de l'intérêt graphique de la reproduction d'excellents dessins compilés pour
l'occasion, les entretiens publiés au fil des pages révélaient les représentations de leur propre
travail qu'alimentaient à l'aube des années 1980 les dessinateurs d'humour graphique, tentant
de prendre du recul sur la période écoulée pour mieux se renouveler dans le complexe et
déconcertant contexte de l'ouverture démocratique. Henfil diagnostiqua certaines difficultés
caractéristiques, notamment la disparition de la place des dessinateurs d'humour politique au
sein des rédactions de la grande presse, de nouveau tournée vers ses propres intérêts
économiques et financiers. Il appelait ses confrères à grossir les rangs de la presse syndicale, à
ses yeux le véritable véhicule de la défense des masses ouvrières963. »
Également consulté par le supplément de Coojornal, le dessinateur Edgar Vasques,
père du personnage Rango, constatait à son tour le manque de perspectives pour les membres
de la profession au sein de la presse nationale à grand tirage. Interrogé au sujet du futur des
dessinateurs au Brésil, il envisageait de son côté un changement interne à la pratique de
l'humour graphique davantage axé sur le style et la pratique, plutôt que sur le type de
publication avec lequel collaborer :
962 Coojornal, n°spécial, « 15 ANOS DE MAU HUMOR », 01/1980, p. 2.
963 Coojornal, n°spécial, « 15 ANOS DE MAU HUMOR », 01/1980, p. 7.
483
« Je crois que notre rôle n'est plus la résistance, comme ce fut le cas durant ces
derniers dix ou quinze ans. Maintenant, nous devons conquérir ce public aliéné qui
ne lit que Donald. Nous devons nous parfaire formellement (certains plus que
d'autres). Et nous devons donner au public davantage de drôlerie, de motifs pour
rire. Veríssimo y arrive bien, mais pour les personnes qui ont surgi dans la période
de suffocation c'est déjà plus difficile. Rango était fait avec rage. L'ironie fut ma
manière de me rapprocher le plus de l'humour. Je n'ai jamais montré ni joie ni
moquerie et l'humour, c'est ça964. »
De l'aveu des dessinateurs eux-mêmes, cherchant à inventer de nouveaux canaux
d'expression et de nouvelles pratiques pour les dessinateurs d'humour et de satire politiques, le
début de la nouvelle décennie semblait bien en finir avec la presse indépendante telle qu'elle
prit consistance et évolua depuis le coup d’État militaire de 1964. D'innombrables périodiques
fermèrent leurs portes au tournant des années 1970 et 1980 pour un ensemble complexe de
raisons mêlant les pressions politiques et les menaces, la vague d'attentats perpétrés contre les
rédactions et kiosques à journaux, la censure plus ou moins masquée, les difficultés
économiques, les divergences internes aux rédactions, la concurrence de la presse majoritaire
de plus en plus critique vis-à-vis du régime et les modifications progressives des attentes du
public lecteur. L'année 1982 fut une étape cruciale du processus de démocratisation politique
avec notamment l'organisation en novembre d'élections générales, directes pour les
gouverneurs des États fédérés. L'opposition au régime remporta la Chambre des Députés ainsi
que dix États parmi les plus importants et peuplés du pays, comme São Paulo, Rio de Janeiro
ou Minas Gerais et se lança activement dans la grande campagne pour l'organisation
d'élections directes et démocratiques dans le pays, « Diretas Já ». À cette occasion, de
nombreux journalistes, dessinateurs et éditeurs de la presse indépendante s'engagèrent au sein
des mobilisations politiques et syndicales, prenant position, défendant leur vision du meilleur
futur pour le pays et perdant, de fait, la caractéristique qui définissait leur rapport aux
autorités, au gouvernement, à la censure et à la répression sous le régime militaire : leur
indépendance.
Loin de sonner le glas du dessin d’humour brésilien, les années 1980 virent les artistes
qui avaient fait leurs armes sous le régime militaire s’affirmer et explorer de nouvelles
thématiques sociales et culturelles, héritant d’un type d’humour conçu au cours de la décennie
964 Coojornal, n°spécial, « 15 ANOS DE MAU HUMOR », 01/1980, p. 15.
484
précédente. Le dessinateur et humoriste carioca Miguel Paiva, auteur de l’affiche du Salon
international de l’humour de Piricicaba en 1985, créa en 1982 pour le Jornal do Brasil la jeune
femme « Radical chic », consciente du contexte politique, mais également en quête de bonheur
individuel, à l’image d’une jeunesse brésilienne confrontée aux contradictions de son époque.
Il fut également l’auteur de la série de charges graphiques intitulée « Happy Days », explorant
la crise du noyau familial de la classe moyenne dans les années 1980. Avec les dessinateurs
Chico Caruso, Miguel Paiva, Luiz Gê, Laerte et bien d’autres, il contribua à un retournement
de la critique constitutive de l’humour graphique brésilien vers la crise morale, économique et
les bouleversements comportementaux dans le Brésil de l’ouverture et du retour à un système
démocratique.
485
486
CONCLUSION
« Só doi quando eu desenho » (« ça fait mal seulement quand je dessine ») : le
personnage dessiné par le caricaturiste Ernani Diniz Lucas, dit Nani, l’abdomen transpercé de
part et d’autre par un immense crayon et contraint de maintenir une passive immobilité pour
ne pas trop en souffrir, fut martyrisé une nouvelle fois par la croix du censeur. Le trait
prohibitif en démultiplia les significations, convertissant le dessin en une subtile mise en
abîme et métaphore du pouvoir de synthèse constitutif de la charge graphique brésilienne sous
le régime militaire. L’image à tiroirs figure les rapports ambigus fondés sur la contrainte et la
répression violente, mais également sur la négociation et l’adaptation, ayant existé entre les
fonctionnaires de l’État autoritaire et les producteurs d’un discours contestataire. Les liens
intimes entre le pouvoir politique, la presse satirique et la censure au Brésil ne datent pas des
années 1970 et s’inscrivent dans une tradition historique née au XIX e siècle avec l’essor des
périodiques imprimés. La pratique de l’humour graphique en tant qu’instrument de diffusion
d’imaginaires politiques contradictoires et souvent conflictuels s’instaura peu à peu, en
parallèle de l’élaboration du scénario brésilien contemporain, forgeant ou déconstruisant les
représentations des dirigeants et de leurs rapports à la modernité, à l’unité et à l’identité
nationales. La constitution de la presse imprimée en lieu du débat politique, de la socialisation
et de la réflexion induisit l’émergence de pratiques et d’habitus caractéristiques des
dessinateurs et des journalistes, qui se poursuivirent et se réinventèrent au cours du XX e
siècle. Mais le coup d’État militaire de 1964 et l’institutionnalisation de l’autoritarisme dès le
gouvernement de Castelo Branco, amplifiant des pratiques censoriales déjà établies sous
l’Estado Novo de Vargas, provoquèrent une nouvelle configuration de l’expression et de
l’action politiques.
Cette réécriture des contours de la légalité et de la clandestinité à l’aune de la lutte antisubversive et du profond anticommunisme des dirigeants civils et militaires, établit les
nouvelles règles du jeu de la contestation politique. Appliquées à l’humour graphique, celles-ci
contraignirent les rédactions de journaux indépendants désireuses de conserver leur liberté
d’expression à la réinvention de stratagèmes, notamment graphiques, visant le contournement
des interdits, la désacralisation du pouvoir et la dénonciation de ses pratiques répressives.
Rénovant dans les huit numéros du périodique Pif-Paf les mécanismes de la satire politique,
l’intellectuel, humoriste et dessinateur Millôr Fernandes s’amusa des normes tacites et des
487
règles implicites, ouvrant les portes de l’opposition au régime militaire par le rire, le mot
d’esprit et l’humour graphique. S’il eut rapidement maille à partir avec le pouvoir, c’est que
trop attaché à sa liberté, il identifia et balisa certaines failles de l’autoritarisme dans lesquels
s’engouffrer, afin d’élargir progressivement le champ des possibles de l’opposition. Par le
biais de la dérision et dans la continuité d’une tradition nationale du dessin d’humour et
satirique, les dessinateurs de Pif-Paf entamèrent dès 1964 la mise en scène des dirigeants et du
pouvoir, le détournement des figures symboliques du président et du général, l’installation de
rituels de désacralisation du paysage politique. Confirmant les propos de Vinicius Liebel, notre
appréhension des images humoristiques et satiriques parues durant les premiers mois du
régime militaire brésilien insiste sur leur capacité à faire intervenir un ensemble de références
politiques et culturelles diffusées au sein du lectorat de la presse indépendante, traduisant
certaines dynamiques intellectuelles, entre cultures politiques et traditions graphiques.
Déjà sérieusement balisée par l’historiographie récente, l’histoire de la contestation
culturelle atteste de la pluralité des pratiques artistique et de leur rôle fondamental dans la
remise en question du projet de société défendu par les autorités brésiliennes sous le régime
instauré en 1964. L’analyse très fouillée des rapports entretenus entre les secteurs de
l’opposition démocratique et les diverses formes de censure avait jusqu’à présent fait
l’économie d’une vision d’ensemble et en profondeur du rôle de l’humour graphique dans la
construction de cette nouvelle vision du monde. À travers le décryptage des influences, des
styles, des parcours, des techniques et des engagements des dessinateurs, notre travail montre
la puissance des logiques et des mécanismes du comique visuel dans le contournement des
normes éthiques, morales et idéologiques. Fondé sur un rapport de connivence critique avec le
lectorat, le bon usage de procédés graphiques permit la contestation politique par le ridicule, la
démystification, l’ironie et le sarcasme, autant de techniques s’opposant par l’absurde à une
vision simpliste, conservatrice et moraliste des rapports sociaux brésiliens. Élaborée à partir
d’une approche de la production graphique humoristique issue de certains périodiques
indépendants parmi les plus représentatifs de leur époque de publication, notre réflexion
s’enrichit de sources orales et officielles diversifiant les focales. Ici marques tangibles de la
censure justifiant les interdictions au nom d’un tissage complexe de convictions personnelles
et d’idéologie officielle, là entretiens réalisés avec d’anciens acteurs de la contestation
journalistique et dessinée, les diverses sources révèlent les contours de la lutte symbolique, de
la morale, des sensibilités et des imaginaires qui s’affrontèrent en contexte dictatorial. La
critique élaborée visuellement redessina les paramètres de l’engagement politique, qui
488
s’étendit par capillarité aux sphères culturelle et comportementale. Les mœurs et la morale,
transformés en outils idéologiques par le régime militaire, rejoignirent les thématiques de la
répression physique et de la censure au panthéon des outils critiques des dessinateurs et
caricaturistes.
Le contexte de production des images n’est cependant pas à envisager comme un
ensemble figé et immuable. Les contours particuliers de la communication visuelle engagée
évoluèrent au fil des années et des évolutions du pouvoir, éclairant les transitions opérées par
les productions culturelles. La fermeture drastique du régime à la fin de l’année 1968 marquée
par la promulgation de l’Acte Institutionnel n°5, étape fondamentale de la montée en
puissance de l’autoritarisme et de la répression, provoqua un net rétrécissement du champ
autorisé de la contestation politique, qui loin de disparaître, dut tracer de nouvelles voies. Les
périodiques indépendants, libres de toute affiliation organique aux partis politiques, syndicats
ou organisations étudiantes désormais interdites, se constituèrent en autant de lieu de
l’opposition démocratique sous les années de plomb. Malgré une grande diversité de projets
éditoriaux, de formats, de périodicités et de sympathies idéologiques, ces rédactions
composées de journalistes et dessinateurs issus d’un vaste prisme allant de l’extrême gauche
au radicalisme libéral, firent peu à peu front face au régime militaire dont le général Médici
prit la tête en octobre 1969. Si certains journaux combattaient les atteintes aux droits humains
individuels et collectifs, dénonçant principalement la répression physique et la censure,
d’autres s’engagèrent sur la voie de la critique comportementale contre-culturelle, toujours
dans l’objectif de mettre à mal les fondations du pouvoir. Les caricatures, les charges
graphiques, les bandes dessinées et les détournements d’images symboliques, remplirent un
rôle prépondérant dans l’agenda de débats et de réflexions ainsi formulé, donnant à voir les
contradictions d’une société autoritaire prétendant œuvrer à l’élaboration du « miracle
brésilien ». Les périodiques Pasquim, né en 1969 à Rio de Janeiro d’un milieu intellectuel
bohème et critique, et Opinião, paru pour la première fois en 1972 et inspiré de convictions
socialistes tout en maintenant une pluralité idéologique, élaborèrent chacun à leur manière un
ensemble de stratégies de contestation par le rire.
Définies par les mécanismes de censure à la fois préventive et répressive, les limites de
cette contestation semblaient dès lors encercler une zone trouble de l’expression autorisée, que
les dessinateurs investirent afin d’en exploiter les possibilités et d’en repousser les contours.
Profitant des possibilités d’inversion et de détournement autorisées par l’emploi de métaphores
et de métonymies visuelles, de non-dits et de doubles sens, de codes et symboles aux
489
significations intelligibles par le lectorat, de syllepses graphiques et de calembours, ils
embarquèrent dans les brèches du pouvoir et réussirent à rire (et faire rire) de la dictature. En
ce sens, notre travail montre également l'incapacité du régime à contrôler, comme il le
prétendait, l'ensemble de l'espace social et culturel brésilien. Incapables de juguler les
manifestations contestataires dans leur totalité, les autorités furent contraintes d'abandonner
une partie de leurs ambitions conservatrices de domination au profit du développement de
diverses formes d'expressions résistantes que l’État tenta de contrôler.
Mais les coupures, les interdictions, la présence physique des censeurs dans les
rédactions puis le contrôle effectué à distance eurent un impact considérable dans la
production graphique, parfois tronquée, souvent modifiée et toujours symptomatique des
rapports de pouvoir. Les traces de la censure dessinent dès lors un ensemble de convictions à
défendre et de thématiques inabordables parce que remettant en cause – dans la logique des
autorités – la bonne marche du régime, la cohésion du corps social et la préservation des
mœurs jugées respectables. Mais les interdits du rire graphique évoluèrent en fonction des
inflexions du pouvoir et des représentations constitutives de l’imaginaire autoritaire, profilant
une histoire culturelle de sensibilités politiques et morales conflictuelles. Certaines
thématiques du rire subversif combattu par le pouvoir et imposé par les dessinateurs réussirent
à contourner la censure, dressant le portrait d’une société brésilienne aux antithèses de l’idéal
démocratique et libertaire défendu par les rédactions. Le grotesque des censeurs en action, la
violence et l’arbitraire de la répression policière, les rouages du pouvoir, les travers des
dirigeants civils et militaires, les mesures libérales et leurs conséquences sociales, la mise au
pas des institutions, l’extrême religiosité et le conservatisme poussiéreux furent tour à tour
dessinés et ridiculisés. L’évocation du contexte international de la Guerre froide et des étroites
relations entretenues avec les États-Unis servirent également de base à une critique détournée
du gouvernement brésilien et des régimes autoritaires latino-américains.
De nouvelles solidarités militantes se construisirent au fil des pages et des années,
entre des périodiques reconnaissant peu à peu leur appartenance à une communauté dépassant
les cadres des simples rédactions. Sans nier les importantes divergences idéologiques,
géographiques et sociales, la communauté des dessinateurs d’humour graphique brésiliens prit
corps et trouva dans l’emploi de représentations récurrentes et dans la ritualisation de
symboles contestataires les lieux du regroupement et de la convergence. Espace à cet égard
emblématique de la rencontre entre les styles, les générations et les parcours, le Salon
international de l’humour né à Piracicaba en 1974 se construisit progressivement en
490
événement culturel pluriel à l’ampleur nationale et internationale. Lieu d’exposition, de
diffusion, de rencontre et de circulation du dessin d’humour paradoxalement constitué en
pleine période répressive, sa création et sa permanence démontrent l’existence d’une nouvelle
marge de manœuvre concrète de la contestation, largement soutenue et financée à l’échelle
locale par une municipalité acquise au Mouvement démocratique brésilien (MDB), le parti de
l’opposition tolérée sous le régime militaire. Lieu de pèlerinage annuel de la profession
brésilienne et rapidement étrangère, l’événement constitua un important pôle et un point de
convergence en marge de l’axe culturel principal du sud-est brésilien situé entre les villes de
Rio de Janeiro et São Paulo. Après une période initiale de survalorisation des dessinateurs
anglo-saxons et européens par les organisateurs, conscients des propriétés bénéfiques d’une
telle visibilité, il s’érigea en bastion de la bande dessinée brésilienne et s’inscrivit dans les
réflexions sur la complexité du marché éditorial national. Les archives du salon dévoilent un
ensemble d’enjeux à la fois politiques, économiques, culturels et esthétiques caractéristiques
de cet observatoire de la contestation par l’humour graphique, dont les affiches successives et
dessins primés au fil des ans permettent d’appréhender des évolutions thématiques et
stylistiques majeures. Objet d’étude inédit et protéiforme, le Salon international de l’humour
de Piracicaba s’ancra durablement dans le paysage culturel régional, élargissant un peu plus
l’espace légal borné par la censure et la clandestinité. Observatoire à l’échelle municipale des
prémices de la transition politique amorcée au cours de la seconde moitié des années 1970, la
manifestation contribua à diffuser certaines thématiques innovantes et revendications
minoritaires émergentes au sein de l’opposition politique.
En parallèle de la diminution progressive des interdictions préventives, de nouvelles
formes de pressions idéologiques et économiques s’accentuèrent contre la presse indépendante
à l’aube des années 1980. Tel un vicieux jeu de bascule, le scénario brésilien se retourna contre
des périodiques pour lesquels la censure joua les prolongations, conférant à l’interdit les
atours d’un criant retour en force de l’ordre moral. Si le contrôle préventif des publications
indépendantes disparut officiellement en octobre 1978, certains groupes d’extrême-droite
parmi les plus conservateurs refusant l’ouverture du régime s’attaquèrent aux kiosques à
journaux, lieux formels de la vente de périodiques à l’équilibre financier dans l’ensemble déjà
particulièrement précaire. Face à la progressive réinsertion de la critique au sein de la presse
majoritaire, la presse militante se réinventa en reflétant la diversification des mouvements de
la gauche brésilienne, en prise avec ses propres raideurs et contradictions. Certaines rédactions
issues des mouvements féministe et homosexuel, conscientes du pouvoir subversif,
491
communicatif et didactique des images, tentèrent de faire converger leurs luttes et d’accéder à
une visibilité qui leur était jusqu’alors difficilement concédée dans les rangs de l’opposition,
au prétexte de l’existence d’autres priorités. La lutte contre les discriminations raciales, liées à
l’orientation sexuelle et au genre s’imposa, non sans divergences, dans l’élaboration de la
résistance également fondée sur la remise en question de la vision des rapports sociaux
défendue par le régime militaire : une vision suspicieuse, moraliste et conservatrice. Les
images humoristiques et satiriques parues dans la presse féministe et homosexuelle furent les
outils de cette déconstruction à la fois épistémologique et bien concrète, menée sur un autre
front par les journaux écologistes et les publications érigeant le multiculturalisme brésilien en
horizon commun. En réponse au projet nationaliste, ultralibéral et ufano-développementaliste,
important visage du système autoritaire, l’humour participa à l’élaboration d’une réelle
alternative pour le pays, contribuant à l’essoufflement d’un régime en perte de vitesse à partir
de la fin des années 1970. Il dessina également une ligne internationaliste critique vis-à-vis de
l’impérialisme nord-américain, dénonçant en creux l’alignement des généraux présidents avec
l’Oncle Sam, et du pouvoir colonial portugais, en pleine déliquescence après la chute de
l’Estado Novo salazariste.
Ces multiples éléments formèrent une complexe mosaïque de la contestation assemblée
par une presse indépendante accordant au rire graphique et à la satire politique une place
prépondérante dans la formulation de la critique adressée aux gouvernements successifs. Le
pari était risqué : en misant sur la transversalité, l’efficacité et la colossale capacité de synthèse
conférée aux dessinateurs et caricaturistes, capables de mettre en lumière les revendications
d’une société en contexte dictatorial, la presse indépendante mettait en jeu sa capacité à
débattre, à réfléchir, à s’insérer dans les combats de l’opposition démocratique et donc, à
exister. Nous pensons avoir réussi à démontrer le rôle profondément politique de quelques
usages et réemplois de l’humour graphique brésilien, outil critique, synthétique et fédérateur,
dans les combats menés contre le régime instauré en 1964. À défaut d’une destruction générale
et définitive, l’arsenal des caricaturistes permit pour le moins un affaiblissement et une
subversion significatifs du pouvoir civil et militaire, dans un pays où bon nombre de
manifestations artistiques et culturelles préférèrent le contournement efficace des obstacles à
leur opposition frontale. Ces diverses pièces de l’imaginaire contestataire, à la configuration
évolutive en fonction des durcissements et inflexions du pouvoir, furent largement
reconfigurées au cours des années 1982 et 1983 au moment de la perte de substance des
périodiques indépendants. Loin de disparaître, l’humour graphique brésilien usa de son
492
incroyable capacité à la réinvention et fit émerger une acide critique comportementale,
retournée contre les travers d’une société civile en pleine mutation, une fois le système
démocratique rétabli et les dirigeants militaires momentanément sortis de scène. Les travaux
de Roberto Elísio Santos965 consacrés aux rénovations stylistiques, esthétiques, narratives et
matérielles de la bande dessinée brésilienne au cours des années 1980 s’inscrivent dans un
champ d’étude très fertile, au vu de la richesse de la production graphique et à la croissance du
marché éditorial alternatif durant la période postérieure à la transition démocratique dans le
pays.
Si notre travail trouve son origine dans une lointaine réflexion comparative – notre
intérêt pour l’étude de l’humour graphique en contexte autoritaire ayant émergé en Argentine
–, l’approfondissement à l’échelle régionale des questionnements soulevés pourrait constituer
une riche histoire de l’humour graphique sous les régimes militaires latino-américains.
L’évident parallèle avec les travaux de la sociologue argentine Mara Burkart 966, spécialiste de
la contestation par le rire et de la revue satirique Humor sous la dictature instaurée par Jorge
Rafael Videla dans son pays en 1978, semble poser les jalons d’un tel projet967. Lointains frères
ennemis aux traditions graphiques, à l’imaginaire et l’histoire culturels fort éloignés, dont les
dessinateurs alimentèrent et diffusèrent bon nombre de représentations stéréotypées
réciproques, les deux pays vécurent deux processus dictatoriaux puis transitionnels différents à
bien des égards. Mais le comique, le rire et l’humour dessinés semblèrent s’être constitués
parallèlement et de manière analogue en espaces de la critique et de l’opposition, défiant à leur
manière les autorités d’un côté comme de l’autre du Rio de la Plata. Sur la base de ce constat,
Burkart entama un travail comparatif968 que nous avions par ailleurs également esquissé en
965 Roberto Elísio SANTOS, « A renovação das histórias em quadrinhos nas publicações alternativas brasileiras da
década de 1980 » in Comunicação & Inovação, vol. 12, n°22, 2011 [en ligne :
http://seer.uscs.edu.br/index.php/revista_comunicacao_inovacao/article/view/1023] (consulté le 10/05/2019) ;
Roberto Elísio SANTOS, « O quadrinho alternativo brasileiro nas décadas de 1980 e 1990 » in Intercom,
« Anais do XXX Congresso Brasileiro de Ciências da Comunicação », 2007, p. 1-15.
966 Voir notamment : Mara BURKART, « La revista HUM®, un espacio crítico bajo la dictadura militar argentina
(1978-1983) » in Afuera, n°13, oct. 2013, p. 1-15 ; Mara BURKART, « De Caras y Caretas a Hum®: a imprensa
de humor gráfico na Argentina do século XX » in Revista USP, n°88, 2011, p. 26-37 ; Mara BURKART, Lautaro
COSSIA, « EL NAUFRAGIO DEL “PROCESO” Representación humorística de la dictadura » in Questión,
vol. 1, n°25, janv.-mars 2010 [en ligne : https://www.perio.unlp.edu.ar/ojs/index.php/question/article/view/
892/793] (consulté le 08/05/2019).
967 Dans cette optique, Mara Burkart entama un travail comparatif que nous avions également mené en master.
Voir : Mara BURKART, « La caricatura política bajo la dictadura militar en Brasil y Argentina Los casos de O
Pasquim y Humor » in Los Trabajos y los Días, n°3, 2012, p. 196-215 ; Mélanie TOULHOAT, Les journaux
satiriques Pasquim (Brésil) et Humor (Argentine) face aux régimes de sécurité nationale, Mémoire de master
en Histoire, sous la direction d’Olivier Compagnon, Paris, IHEAL-CREDA, 2012.
968 Mara BURKART, « La caricatura política bajo la dictadura militar en Brasil y Argentina Los casos de O
Pasquim y Humor » in Los Trabajos y los Días, n°3, 2012, p. 196-215.
493
2012, posant les jalons d’un riche travail à la fois pluridisciplinaire et transnational. À
l’échelle transatlantique, il serait passionnant de poursuivre l’analyse du rôle de diverses
formes d’humour graphique en contexte lusophone, dans les pays africains en pleins processus
de libération nationale à l’aube des années 1970. La décadence de l’empire colonial portugais,
le militantisme politique et la circulation des images contestataires esquissent de nouvelles
études tournées vers les rires guinéen, cap-verdien, mozambicain ou angolais. Si les enjeux
politiques inhérents à la littérature et à la production artistique lusophones en contexte
décolonial furent déjà identifiés969, une étude du rôle de l’humour graphique et des images
satiriques dans les processus de désacralisation de l’autorité coloniale reste à faire.
Si nous estimons avoir réussi à identifier dans l'analyse des formes graphiques
d’humour brésilien et leurs divers emplois, les mécanismes de l’élaboration de la contestation
politique par le rire dessiné en contexte autoritaire, ces conclusions nous semblent
particulièrement actuelles à la lumière du contexte politique brésilien très contemporain,
marqué par un mépris des sciences sociales et un refus de l’histoire éclairée de la période
dictatoriale. Dès lors, l'intensification de la production de caricaturistes comme le mineiro
Renato Aroeira et le renouveau impulsé par des titres satiriques tels que le journal Mais
Humor, dont le premier numéro parut en janvier 2019 à Rio de Janeiro, tendent à confirmer
nos analyses. Le quatrième numéro du périodique carioca distribué depuis le 5 janvier 2019,
faisait six mois plus tard la part belle aux vétérans Ziraldo et Reinaldo. Le numéro précédent,
publié en mai, avait annoncé le grand retour de Jaguar. La rédaction de ce nouveau périodique
entièrement consacré à l'humour graphique est composée du journaliste et écrivain Luís
Pimentel ainsi que des dessinateurs JBosco, Amorim, Mayrink, Magon, Rogério, Ykenga,
Alves, William Medeiros et Nani. Organisés en coopérative, ils revendiquent un esprit de
résistance, de regroupement et d'engagement en faveur du système de santé, de l'éducation,
contre la violence politique et l'autoritarisme, à travers des commentaires dessinés, satiriques
et humoristiques de l'actualité brésilienne. Mais Humor, distribué gratuitement dans sa version
imprimée, est également présent sur les réseaux sociaux et annonce fièrement –
paradoxalement – sur sa page d'accueil facebook le fait d'être « Le seul journal d'humour
imprimé du pays970 ! ». Les dessinateurs d'humour politique Nani et Aroeira alimentent
quotidiennement, comme des centaines d'autres, leurs blogs de caricatures et de charges
969 Carlos CARDOSO, Elísio MACAMO, Nelson PESTANA, « Da possibilidade do político na África lusófona. Alguns
subsídios teóricos » in Cadernos de Estudos Africanos, n°3, 2002, p. 7-25 ; Benjamin ABDALA JÚNIOR,
Literatura, história e política: literaturas de língua portuguesa no século XX, São Paulo, Ateliê Editorial,
2007 (2ème édition).
494
mordantes, attestant le rôle fondamental pour la production d'humour graphique
contemporaine au Brésil des nouveaux supports numériques qui permettent aujourd’hui aux
dessinateurs de contrecarrer certaines formes de censure caractéristiques de la dictature.
Baromètres des processus politiques, les images contestataires actuelles, héritières d’un
complexe imaginaire culturel et enracinées dans leur époque de production, poursuivent
aujourd’hui leur vaste entreprise de mise en lumière des visions du monde dans un Brésil
paraissant réaffirmer et reconfigurer les indispensables attributions des dessinateurs satiriques
et des caricaturistes politiques. Pour preuve, cette affiche du quarante-cinquième Salon
international de l’humour tenu à Piracicaba en 2018, habile relecture de Laerte à la lumière des
récentes évolutions du paysage politique brésilien, du tout premier dessin lauréat en 1974.
FIG 169 : Laerte Coutinho, affiche du 45ème Salon international de l’humour de
Piracicaba, 2018, archives du CEDHU
970 « O
único
jornal
de
Humor
impresso
no
país ! »
[en
ligne :
https://www.facebook.com/pages/category/Entertainment-Website/Jornal-Mais-Humor-249716472607078/]
(consulté le 18/07/2019).
495
496
SOURCES
PÉRIODIQUES :
A Marmita
Beijo
A Marmita, n°1, 05/1984
Beijo, n°1, 11/1977
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Amanhã
Beijo, n°3, 01/1978
Amanhã, n°0, 13/03/1967
Beijo, n°4, 03/1978
Amanhã, n°1, 30/03/1967
Beijo, n°5, 04/1978
Amanhã, n°2, 06/04/1967
Beijo, n°6, 05/1978
Amanhã, n°3, 13/04/1967
Amanhã, n°4, 20/04/1967
Brasil Mulher
Amanhã, n°5, 27/04/1967
Brasil Mulher, n°0, 09/01/1975
Amanhã, n°6, 04/05/1967
Brasil Mulher, n°1, 12/1975
Brasil Mulher, n°2, 05/1976
Afinal
Brasil Mulher, n°8, 08/1977
Afinal, n°1, 05/1980
Brasil Mulher, n°9, 10/1977
Afinal, n°2, 05/1980
Brasil Mulher, n°10, 12/1977
Afinal, n°3, 06/1980
Brasil Mulher, n°11, 03/1978
Afinal, n°4, 07-08/1980
Brasil Mulher, n°12, 05/1978
Afinal, n°5, 09/1980
Brasil Mulher, n°13, 07/1978
Afinal, n°6, 10/1980
Brasil Mulher, n°14, 11/1978
Afinal, n°7, 11/1980
Brasil Mulher, n°15 spécial, 03/1979
Afinal, n°8, 12/1981-01/1982
Brasil Mulher, n°16, 09/1979
Amazonia hoje
Cartas Chilenas
Amazonia hoje, n°1, 1980
Cartas Chilenas, n°1, 10/03/1971
Cartas Chilenas, n°2, 25/05/1971
Bagaço
Cartas Chilenas, n°4, 22/02/1972
Bagaço, n°0, 12/1976-01/1977
Bagaço, n°2, 01-02/1978
Chanacomchana
Bagaço, n°3, 04-05/1978
Chanacomchana, n°2, 03/1983
Barranco
Coojornal
Barranco, n°3, 11/1979
Coojornal, n°19, 08/1977
Barranco, n°4, 12/1979
Coojornal, n°20, 09/1977
Coojornal, n°23, 12/1977
497
Coojornal, n°26, 03/1978
Dealbar, n°14 et 15, 04-05/1968
Coojornal, n°28, 05/1978
Dealbar, n°17, 12/1968
Coojornal, n°29, 06/1978
Coojornal, n°30, 07/1978
EX-
Coojornal, n°31, 08/1978
EX-, n°1, 11/1977
Coojornal, n°32, 09/1978
EX-, n°2, 12/1977
Coojornal, n°33, 10/1978
EX-, n°3, 01/1974
Coojornal, n°34, 11/1978
EX-, n°4, 02/1974
Coojornal, n°35, 12/1978, spécial « Humor às
EX-, n°5, 03/1974
Pampas »
EX-, n°6, 04/1974
Coojornal, n°36, 12/1978
EX-, n°7, 10/1974
Coojornal, n°37, 01/1979
EX-, n°8, 12/1974
Coojornal, n°39, 03/1979
EX-, n°9, 01/1975
Coojornal, n°40, 04/1979
EX-, n°13, 08/1975
Coojornal, n°45, 09/1979
EX-, n°14, 09/1975
Coojornal, n°46, 10/1979
EX-, n°15, 10/1975
Coojornal, n°49, 01/1980
EX-, n°16, 11/1975
Coojornal, n°49, 01/1980, supplément « 15 anos de
EX-, n°17, 12/1975
Mau Humor »
Jornegro
Correo del Brasil
Jornegro, n°1, 03/1978
Correo del Brasil, n°1, 01/04/1974
Jornegro, n°2, 05/1978
Correo del Brasil, n°4, 04/1975
Jornegro, n°3, 07/1978
Correo del Brasil, n°5, 10/1975
Jornegro, n°4, 07/1978
Correo del Brasil, n°6, 02/1976
Jornegro, n°5, 11/1978
Jornegro, n°6, 1979
Dealbar
Jornegro, n°7, 1979
Dealbar, n°1, 09/1965
Jornegro, n°8, 1980
Dealbar, n°2, 10-11/1965
Jornegro, n°9, 1980
Dealbar, n°3, 03-04/1966
Jornegro, n°10, 1980
Dealbar, n°4, 01/1967
Jornegro, n°11, 1981
Dealbar, n°5, 06/1967
Dealbar, n°6, 07/1967
Lampião da Esquina
Dealbar, n°7, 09/1967
Lampião, n°0, 04/1978
Dealbar, n°8, 10/1967
Lampião, n°1, 25/05/1978
Dealbar, n°9, 11/1967
Lampião da Esquina, n°2, 25/06/1978
Dealbar, n°10, 12/1967
Lampião da Esquina, n°3, 25/07/1978
Dealbar, n°11, 01/1968
Lampião da Esquina, n°4, 25/08/1978
Dealbar, n°12, 02/1968
Lampião da Esquina, n°5, 10/1978
Dealbar, n°13, 03/1968
Lampião da Esquina, n°6, 11/1978
498
Lampião da Esquina, n°7, 12/1978
Maria Quitéria, n°2, 06/1977
Lampião da Esquina, n°8, 01/1979
Maria Quitéria, n°3, 07/1978
Lampião da Esquina, n°9, 02/1979
Maria Quitéria, n°4, 03/1979
Lampião da Esquina, n°10, 03/1979
Lampião da Esquina, n°11, 04/1979
Mulherio
Lampião da Esquina, n°12, 05/1979
Mulherio, n°0, 03-04/1981
Lampião da Esquina, n°13, 06/1979
Mulherio, n°1, 05-06/1981
Lampião da Esquina, n°14, 07/1979
Mulherio, n°2, 07-08/1981
Lampião da Esquina, n°15, 08/1979
Mulherio, n°3, 09-10/1981
Lampião da Esquina, n°16, 09/1979
Mulherio, n°4, 11-12/1981
Lampião da Esquina, n°17, 10/1979
Mulherio, n°5, 01-02/1982
Lampião da Esquina, n°18, 11/1979
Mulherio, n°6, 03-04/1982
Lampião da Esquina, n°19, 12/1979
Mulherio, n°7, 05-06/1982
Lampião da Esquina, n°spécial, 12/1979
Mulherio, n°8, 07-08/1982
Lampião da Esquina, n°20, 01/1980
Mulherio, n°9, 09-10/1982
Lampião da Esquina, n°21, 02/1980
Mulherio, n°10, 11-12/1982
Lampião da Esquina, n°22, 02/1980
Lampião da Esquina, n°23, 04/1980
Nanico
Lampião da Esquina, n°24, 05/1980
Nanico, n°7, 02/1981
Lampião da esquina, n°spécial, 05/1980
Nanico, n°8, 05/1981
Lampião da Esquina, n°25, 06/1980
Lampião da Esquina, n°26, 07/1980
Nós, Mulheres
Lampião da Esquina, n°27, 08/1980
Nós, Mulheres, n°1, 06/1976
Lampião da Esquina, n°28, 09/1980
Nós, Mulheres, n°2, 09-10/1976
Lampião da Esquina, n°29, 10/1980
Nós, Mulheres, n°3, 11-12/1976
Lampião da Esquina, n°30, 11/1980,
Nós, Mulheres, n°4, 03-04/1977
Lampião da Esquina, n°31, 12/1980
Nós, Mulheres, n°5, 06-07/1977
Lampião da Esquina, n°spécial, 1980-1981
Nós, Mulheres, n°6, 08-09/1977
Lampião da Esquina, n°32, 01/1981
Nós, Mulheres, n°7, 03/1978
Lampião da Esquina, n°33, 02/1981
Lampião da Esquina, n°34, 03/1981
Nosso tempo
Lampião da Esquina, n°35, 04/1981
Nosso tempo, n°1, 12/1980
Lampião da Esquina, n°36, 05/1981
Lampião da Esquina, n°37, 07/1981
O Cruzeiro
O Cruzeiro, n°52, 35ème année, 05/10/1963
Mais um
O Cruzeiro, n°02, 36ème année, 19/10/1963
Mais um, n°1, 12/1975
O Cruzeiro, n°spécial, 10/04/1964
Maria Quitéria
O Inimigo do rei
Maria Quitéria, n°1, non daté
O Inimigo do rei, n°1, 10/1977
499
O Inimigo do rei, n°2, 05/1978
Opinião, n°14, 05-12/02/1973
O Inimigo do rei, n°3, 09-10/1978
Opinião, n°15, 12-19/02/1973
O Inimigo do rei, n°4, 02-03/1979
Opinião, n°16, 19-26/02/1973
O Inimigo do rei, n°5, 04-05/1979
Opinião, n°17, 26/02-04/03/1973
O Inimigo do rei, n°6, 07-08/1979
Opinião, n°18, 05-12/03/1973
O Inimigo do rei, n°7, 09-10/1979
Opinião, n°19, 12-19/03/1973
O Inimigo do rei, n°8, 11-12/1979
Opinião, n°20, 19-26/03/1973
O Inimigo do rei, n°9, 01-02/1980
Opinião, n°21, 26/03 – 02/04/1973
O Inimigo do rei, n°10, 1980
Opinião, n°22, 02-09/04/1973
O Inimigo do rei, n°11, 05-08/1980
Opinião, n°23, 09-16/04/1973
O Inimigo do rei, n°12, 09-10/1980
Opinião, n°24, 16-23/04/1973
O Inimigo do rei, n°13, 11/1980-03/1981
Opinião, n°26, 30/04-07/05/1973
O Inimigo do rei, n°14, 1981
Opinião, n°27, 07-14/05/1973
O Inimigo do rei, n°15, 1981
Opinião, n°28, 14-21/05/1973
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Opinião, n°29, 21-28/05/1973
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Opinião, n°30, 28/05-04/06/1973
O Inimigo do rei, n°18, 1984
Opinião, n°31, 4-11/06/1973
Opinião, n°32, 11-18/06/1973
O Protesto
Opinião, n°33, 18-25/06/1973
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Opinião, n°34, 02-09/07/1973
O Protesto, n°2, 11/1967
Opinião, n°35, 09-16/07/1973
O Protesto, n°3, 12/1967
Opinião, n°36, 16-23/07/1973
O Protesto, n°4, 01/1968
Opinião, n°37, 23-30/07/1973
O Protesto, n°5, 02-03/1968
Opinião, n°38, 30/07-07/08/1973
O Protesto, n°6, 04/1968
Opinião, n°39, 07-14/08/1973
Opinião, n°40, 14-21/08/1973
Opinião
Opinião, n°41, 21-27/08/1973
Opinião, n°1, 6-13/11/1972
Opinião, n°42, 27/08-03/09/1973
Opinião, n°2, 13-20/111972
Opinião, n°43, 3-10/09/1973
Opinião, n°3, 20-27/11/1972
Opinião, n°44, 10-17/09/1973
Opinião, n°4, 27/11-4/12 1972
Opinião, n°45, 17-24/09/1973
Opinião, n°5, 4-11/12/1972
Opinião, n°46, 24/09-01/10/1973
Opinião, n°6, 11-18/12/1972
Opinião, n°47, 1-08/10/1973
Opinião, n°7, 18-25/12/1972
Opinião, n°48, 8-15/10/1973
Opinião, n°8, 25/12/1972 – 01/01/1973
Opinião, n°49, 15-22/10/1973
Opinião, n°9, 1-8/01/1973
Opinião, n°50, 22-29/10 /1973
Opinião, n°10, 8-15/01/1973
Opinião, n°51, 29/10-05/11/1973
Opinião, n°11, 15-22/01/1973
Opinião, n°52, 05-12/11/1973
Opinião, n°12, 22-29/01/1973
Opinião, n°53, 09/11/1973
Opinião, n°13, 29/01-05/02/1973
Opinião, n°54, 19/11/1973, édition spéciale 1 an
500
Opinião, n°55, 03/12/1973
Opinião, n°96, 09/09/1974
Opinião, n°56, 10/12/1973
Opinião, n°97, 16/09/1974
Opinião, n°58, 17/12/1973
Opinião, n°98, 20/09/1974
Opinião, n°59, 21/12/1973
Opinião, n°99, 27/09/1974
Opinião, n°60, 31/12/1973
Opinião, n°100, 04/10/1974
Opinião, n°61, 07/01/1974
Opinião, n°101, 11/10/1974
Opinião, n°62, 14/01/1974
Opinião, n°102, 18/10/1974
Opinião, n°63, 21/01/1974
Opinião, n°103, 25/10/1974
Opinião, n°64, 28/01/1974
Opinião, n°104, 01/11/1974
Opinião, n°65, 04/02/1974
Opinião, n°105, 08/11/1974
Opinião, n°66, 11/02/1974
Opinião, n°106, 15/11/1974
Opinião, n°67, 18/02/1974
Opinião, n°107, 22/11/1974
Opinião, n°68, 25/02/1974
Opinião, n°108, 29/11/1974
Opinião, n°69, 04/03/1974
Opinião, n°109, 06/12/1974
Opinião, n°70, 11/03/1974
Opinião, n°110, 13/12/1974
Opinião, n°71, 18/03/1974
Opinião, n°111, 20/12/1974
Opinião, n°72, 25/03/1974
Opinião, n°112, 27/12/1974
Opinião, n°73, 01/04/1974
Opinião, n°113, 03/01/1975
Opinião, n°74, 08/04/1974
Opinião, n°114, 10/01/1975
Opinião, n°75, 15/04/1974
Opinião, n°115, 17/01/1975
Opinião, n°76, 22/04/1974
Opinião, n°116, 24/01/1975
Opinião, n°77, 29/04/1974
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Opinião, n°118, 07/02/1975
Opinião, n°79, 13/05/1974
Opinião, n°119, 14/02/1975
Opinião, n°80, 21/05/1974
Opinião, n°120, 21/02/1975
Opinião, n°81, 28/05/1974
Opinião, n°121, 28/02/1975
Opinião, n°82, 03/06/1974
Opinião, n°122, 07/03/1975
Opinião, n°83, 10/06/1974
Opinião, n°123, 14/03/1975
Opinião, n°84, 17/06/1974
Opinião, n°124, 21/03/1975
Opinião, n°85, 27/06/1974
Opinião, n°125, 28/03/1975
Opinião, n°86, 01/07/1974
Opinião, n°126, 04/04/1975
Opinião, n°87, 08/07/1974
Opinião, n°127, 11/04/1975
Opinião, n°88, 15/07/1974
Opinião, n°128, 18/04/1975
Opinião, n°89, 22/07/1974
Opinião, n°129, 25/04/1975
Opinião, n°90, 29/07/1974
Opinião, n°130, 02/05/1975
Opinião, n°91, 05/08/1974
Opinião, n°131, 09/05/1975
Opinião, n°92, 12/08/1974
Opinião, n°132, 16/05/1975
Opinião, n°93, 19/08/1974
Opinião, n°133, 23/05/1974
Opinião, n°94, 26/08/1974
Opinião, n°134, 30/05/1975
Opinião, n°95, 02/09/1974
Opinião, n°135, 06/06/1975
501
Opinião, n°136, 13/06/1975
Pasquim, n°75, 25/11-01/12/1970
Opinião, n°137, 20/06/1975
Pasquim, n°77, 09/15/1970
Opinião, n°138, 27/06/1975
Pasquim, n°78, 30/12/1970-04/01/1971
Opinião, n°139, 04/07/1975
Pasquim, n°79, 06/12/1971
Opinião, n°140, 11/07/1975
Pasquim, n°80, 14-20/01/1971
Opinião, n°141, 18/07/1975
Pasquim, n°84, 11-17/02/1971
Opinião, n°142, 25/07/1975
Pasquim, n°89, 18-24/03/1971
Opinião, n°143, 01/08/1975
Pasquim, n°90, 25-31/03/1971
Opinião, n°144, 08/08/1975
Pasquim, n°91, 01-07/04/1971
Opinião, n°146, 22/08/1975
Pasquim, n°92, 08-14/04/1971
Opinião, n°147, 29/08/1975
Pasquim, n°94, 22-28/04/1971
Opinião, n°148, 05/09/1975
Pasquim, n°96, 06-12/05/1971
Opinião, n°149, 12/09/1975
Pasquim, n°101, 10-16/06/1971
Opinião, n°150, 19/09/1975
Pasquim, n°106, 15-21/07/1971
Pasquim, n°122, 02-08/11/1971
Ovelha Negra
Pasquim, n°130, 28/12/1971-03/01/1972
n°1, 05/1976
n°2, 1976
Phénix
n°3, 1976
Phénix, n°43, 12/1975
n°4, 1976
n°5, 1976
Pif-Paf
n°6, 1977
Pif-Paf, n°1, 21/05/1964
n°7, 1977
Pif-Paf, n°2, 06/1964
n°spécial, 1977
Pif-Paf, n°3, 22/06/1964
Pif-Paf, n°4, 06/07/1964
Pasquim
Pif-Paf, n°5, 07/1964
Pasquim, n°1, 26/06/1969
Pif-Paf, n°6, 27/07/1964
Pasquim, n°2, 07/1969
Pif-Paf, n°7, 13/08/1964
Pasquim, n°7, 08/1969
Pif-Paf, n°8, 27/08/1964
Pasquim, n°8, 08/1969
Pasquim, n°9, 08/1969
Quilombo dos Palmares
Pasquim, n°10, 28-35/08/1969
Quilombo dos Palmares, n°5, 09/1976
Pasquim, n°35, 19-25/02/1970
Quilombo dos Palmares, n°7, 08/1977
Pasquim, n°36, 26/02-04/03/1970
Pasquim, n°41, 02/04-09/04/1970
Rádice
Pasquim, n°51, 11-17/06/1970
Rádice, n°4, 12/1981
Pasquim, n°52, 18-24/06/1970
Pasquim, n°61, 20-26/08/1970
Raízes
Pasquim, n°73, 11-17/11/1970
Raízes, n°1, 07/1977
Pasquim, n°74, 18-24/11/1970
502
Unidade e Ação
Versus, n°3, 1976
Unidade e Ação, n°1, 27/11/1980
Versus, n°4, 1976
Unidade e Ação, n°12, 02/1985
Versus, n°5, 1976
Unidade e Ação, n°13, 03/1985
Versus, n°6, 10-11/1976
Versus, n°7, 12/1976
Versus, n°8, 03/1977
Varadouro
Versus, n°9, 04/1977
Varadouro, n°1, 05/1977
Versus, n°10, 05/1977
Varadouro, n°2, 07/1977
Versus, n°11, 06/1977
Varadouro, n°3, 08/1977
Versus, n°12, 07-08/1977
Varadouro, n°4, 09/1977
Versus, n°13, 08-09/1977
Varadouro, n°5, 11/1977
Versus, n°14, 09/1977
Varadouro, n°6, 12/1977
Versus, n°15, 10/1977
Varadouro, n°7, 02/1978
Versus, n°16, 11/1977
Varadouro, n°8, 03/1978
Versus, n°17, 12/1977
Varadouro, n°9, 05/1978
Versus, n°18, 01/1978
Varadouro, n°10, 06/1978
Versus, n°19, 03-04/1978
Varadouro, n°11, 08/1978
Versus, n°20, 04-05/1978
Varadouro, n°12, 09/1978
Versus, n°21, 05-06/1978
Varadouro, n°13, 12/1978
Versus, n°22, 06-07/1978
Varadouro, n°14, 03/1979
Versus, n°23, 07-08/1978
Varadouro, n°17, 12/1979
Versus, n°24, 09/1978
Varadouro, n°19, 05/1980
Versus, n°25, 10/1978
Varadouro, n°20, 04/1981
Versus, n°26, 11/1978
Varadouro, n°21, 05/1981
Versus, n°27, 12/1978
Versus, n°28, 01/1979
Versus
Versus, n°29, 02/1979
Versus, n°1, 10/1975
Versus, n°30, 03/1979
Versus, n°2, 12/1975-01/1976
ENTRETIENS PERSONNELS :
- Ricky GOODWIN, entretien réalisé le 17/04/2011, Paquetá, Rio de Janeiro ;
- Rubem GRILO, entretien réalisé le 17/10/2013, Cantagalo, Rio de Janeiro ;
- Ernani DINIZ LUCAS (NANI), entretien réalisé le 05/11/2013, Laranjeiras, Rio de Janeiro ;
503
AUTRES ENTRETIENS :
- HENFIL, Como se faz humor político, depoimento a Tarik de Souza, São Paulo, Kuarup, 2014 ;
- KUSHNIR, Beatriz, « Depoimento de Coriolano de Loyola Cabral Fagundes. Entrevista
concedida a Beatriz Kushnir » in Revista do Arquivo Geral da Cidade do Rio de Janeiro, n°7,
2013, p. 311-334 ;
- LERSCH, Simone, « Edgar Vasques:50 anos de resistência gráfica » in Brasil de Fato,
04/10/2018 [en ligne : https://www.brasildefato.com.br/2018/10/04/edgar-vasques-50-anos-deresistencia-grafica/] (consulté le 09/01/2019) ;
OUVRAGES :
- Ciclo de debates do Teatro Casa Grande, Rio de Janeiro, Inúbia, 1976 ;
- AGNER, Pra frente Brasil!, Rio de Janeiro, Editora Codecri, 1982 ;
- BELMONTE, Caricatura dos Tempos, São Paulo, Edições Melhoramentos, 1982 (1ère édition :
1948) ;
- CARUSO, Chico, “Não tenho palavras”, São Paulo, Circo Editorial, 1984 ;
- CAULOS, Só doi quando eu respiro, Porto Alegre, L&PM, 1976 ;
- CLAUDIUS, JAGUAR, FORTUNA, Hay Gobierno?, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1964 ;
- FAGUNDES, Coriolano de Loyola Cabral, Censura e liberdade de expressão, São Paulo, Editora
do autor, 1974;
- FERNANDES, Millôr, RANGEL, Flávio, Liberdade, liberdade, Rio de Janeiro, Civilização
Brasileira, 1965 ;
- FERNANDES, Millôr, Millôr no Pasquim, Rio de Janeiro, Círculo do livro, 1977 ;
- FERNANDES, Millôr, Um elefante no Caos, Rio de Janeiro, Édition de l'auteur, 1962 ;
- HENFIL, Diretas Já!, Rio de Janeiro, Editora Record, 1984 ;
- LAERTE, O Tamanho da Coisa, São Paulo, Circo Editorial, 1985 ;
- MOLITERNI, Claude, FAHRER, Walter, Harry Chase. T3 Piracicaba mon amour, Paris, DargaudAventures, 1980 ;
- NILDÃO, Me segura qu’eu vou dar um traço, Salvador, Literarte/Global, 1980 ;
- PASQUIM, O novo humor do Pasquim, Rio de Janeiro, Editora Codecri, 1977 ;
504
- PONTE PRETA, Stanislaw, Máximas inéditas da Tia Zulmira, Rio de Janeiro, Editora Codecri,
1976 ;
- PONTE PRETA, Stanislaw, O Festival de besteira que assola o país (FEBEAPA), Rio de Janeiro,
Editora do Autor, 1966 ;
- PREFEITURA MUNICIPAL
DE
PIRACICABA, Piadas do Salão. Os cartuns premiados no Salão
Internacional de Humor de Piracicaba 1974-1984, São Paulo, Imprensa oficial do Estado,
1985 ;
DÉCRETS ET LOIS :
- João GOULART, Décret n°52.497, 23/09/1963, Brasília, Présidence de la République ;
- Loi n°4.341, 13/06/1964, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat général, sousdirection aux thèmes juridiques.
- Loi de presse, loi n°5.250, 09/02/1967, Brasília, Chambre des députés – Coordination de
publications, 2000 ;
- Acte institutionnel n°5, 13/12/1968, Brasília, Présidence de la République, Secrétariat
général, sous-direction aux thèmes juridiques ;
- CONGRÈS NATIONAL, « Amendement constitutionnel n°11 » in Revista de informação
legislativa, vol. 15, n°60, oct./déc.1978, p. 233-318 ;
- Jorge PAULO, Projet de loi n°354, 02/04/1979, Brasília, Chambre des députés ;
- Osvaldo MELO, Rapport de la commission de Constitution et justice au sujet du projet de loi
n°354, 10/05/1979, Brasília, Chambre des députés ;
- Darcilio AYRES, Rapport de la commission d’Éducation et culture au sujet du projet de loi
n°354, 12/09/1919, Brasília, Chambre des députés ;
- João GILBERTO, Rapport de la commission de Communication au sujet du projet de loi n°354,
28/11/1979, Brasília, Chambre des députés ;
FONDS D’ARCHIVES SPÉCIFIQUES :
APERJ – ARCHIVES DU DOPS :
MONTEIRO, Paulo, Secrétariat de sécurité publique, rapport adressé à la Division des opérations
de la section de recherches spéciales, Rio de Janeiro, 11/12/1974 ;
505
CPDOC/FUNDAÇÃO GETÚLIO VARGAS – ARCHIVES « ERNESTO GEISEL »
Ordonnances du ministre Armando Falcão, 1975, p. 310-312 ;
CEDHU – ARCHIVES DU SALON INTERNATIONAL DE L’HUMOUR DE PIRACICABA :
Affiches :
- Zélio Alves Pinto (Zélio), affiche du 1er Salon de l’humour de Piracicaba, 1974 ;
- Zélio, affiche du 2ème Salon de l’humour de Piracicaba, 1975 ;
- Geraldo, affiche du 4ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1977 ;
- Jayme Leão, affiche du 5ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978 ;
- Glauco Vilas Boas (Glauco), affiche du 6ème Salon international de l’humour de Piracicaba,
1979 ;
- Alcy, affiche du 7ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1980 ;
- Millôr Fernandes, affiche du 8ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1981 ;
- Ziraldo, affiche du 9ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1982 ;
- Zélio, affiche du 10ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1983 ;
- Angeli, affiche du 11ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1984 ;
- Miguel Paiva, affiche du 12ème Salon international de l’humour de Piracicaba, 1985 ;
Dessins primés :
- Laerte Coutinho, 1er prix du Salon de l'humour de Piracicaba, 1974 (dessin original 39x29
cm) ;
- Arnaldo Angeli Filho (Angeli) , dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1975
(dessin original 29,5x39,5 cm) ;
- Massaro Hotoschi, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1975
(dessin original 29,5x39,5 cm) ;
- Chico Caruso, Ier prix au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin original
29,5x39,5 cm) ;
- Marcos Coelho Benjamin, dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin
original 40x30 cm) ;
- Alcy Linares Dramo, dessin primé au Salon de l’humour de Piracicaba, 1976 (dessin original
40x30 cm) ;
506
- Lailson de Holanda Cavalcanti, dessin primé au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1977 (dessin original 39,5x29,5 cm) ;
- Fausto Hugo Prats, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1977
(dessin original 30x40 cm) ;
- Glauco Vilas Boas, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978
(dessin original 29x39 cm) ;
- Francisco Juska Filho, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978
(dessin original 24x32 cm) ;
- Julio Cesar Barros, prix de la presse du Salon international de l’humour de Piracicaba, 1978 ;
- Ivan Simões Saidenberg, prix du jury populaire au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1979 (dessin original 40x30 cm) ;
- João Gomes Martins, Prix de l’action culturelle au Salon international de l’humour de
Piracicaba, 1981 (dessin original 30x40 cm) ;
- Ernani Diniz Lucas (Nani), dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba,
1982 (dessin original 33x27 cm) ;
- Jorge Izar, dessin primé au Salon international de l’humour de Piracicaba, 1984 (dessin
original 30x37 cm) ;
Programmes, documents préparatoires et compte-rendus :
- « I SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA - 1974 », Piracicaba, 1974 ;
- Délibérations des membres du jury du Ier Salon de l’humour, Piracicaba, 1974 ;
- Département municipal du tourisme, Piracicaba, 05/03/1976 ;
- Département municipal du tourisme, Piracicaba, 07/1976 ;
- « IV SALAO DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1977 ;
- « Piracicaba e o Salão Internacional de Humor – V Salão Internacional de Humor de
Piracicaba », Piracicaba, 1978 ;
- « V SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA - Programação »,
Piracicaba, 1978
- « VI SALÃO DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1979 ;
- « VII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1980 ;
- « PROGRAMAÇÃO DO VII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR », Piracicaba,
1980 ;
507
- « Relatório das atividades desenvolvidas na execução do VIII Salão internacional de Humor
de Piracicaba e na aplicação de recursos destinados a realização do Salão », Piracicaba, 1981 ;
- « IX SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1982 ;
- « 1ra REUNIÃO », Piracicaba, 1982 ;
- « X SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1983 ;
- « XI SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1984 ;
- « XII SALÃO INTERNACIONAL DE HUMOR DE PIRACICABA », Piracicaba, 1985 ;
Correspondance envoyée :
- Lettre de Alceu Marozi Righetto à Heitor W.S. Montenegro, Piracicaba, 21/07/1974 ;
- Lettre de Alceu Marozi Righetto à PIRAPEL – Industrie piracicabana de papier, Piracicaba,
30/08/1974 ;
- Lettre de Alceu Marozi Righetto au maire de Piracicaba
Adilson Benedito Maluf,
Piracicaba, 03/09/1974 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Claude Moliterni, Piracicaba, 22/12/1974 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Claude Moliterni, Piracicaba, 19/05/1975 ;
- Lettre de Rogério Otávio Basílio Viana aux organisateurs du Salon international de la bande
dessinée d’Angoulême, Piracicaba, 08/07/1975 ;
- Lettre de Rogério Otávio Basílio Viana au Service des relations publiques de la ville de
Montréal, Piracicaba, 08/07/1975
- Lettre de Ermelindo Nardin à Claude Moliterni, Piracicaba, 28/07/1975 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service d’opérations de change de la Banque centrale du
Brésil, Piracicaba, 02/08/1975 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes au Département de journalisme de la TV Globo, Piracicaba,
14/08/1975 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à R.B. Denys, Piracicaba, 17/03/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Geoffrey Dickinson, Piracicaba, 06/05/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Décio Santos Ribeiro de la VARIG, Piracicaba,
14/06/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à A.V.Caudery, Piracicaba, 05/07/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service des opérations de change de la Banque centrale
du Brésil, Piracicaba, 19/07/1976 ;
508
- Lettre de Luis Antônio Fagundes au Service des opérations de change de la Banque centrale
du Brésil, Piracicaba, 20/07/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Hermenegildo Sabát, Piracicaba, 22/07/1976 ;
- Lettre de Luis Antônio Fagundes à Ney Braga, ministre de l’Éducation et de la Culture,
Piracicaba, 02/08/1976 ;
Correspondance reçue :
- Lettre manuscrite de Hermógenes Gomes Magalhães (Hermó) à Alceu Marozi Righeto,
Piracicaba, non daté ;
- Lettre de Dagomir Marquezi aux organisateurs du Salon, São Paulo, 26/07/1974 ;
- Lettre de Antonio Claudio Lombardi à Alceu Marozi Righeto, Piracicaba, 05/08/1974 ;
- Lettre de la Direction académique « Lycio Vellozo » à la Direction du Département
municipal de tourisme de la ville de Piracicaba, Curitiba, 10/08/1974 ;
- Lettre de José Pires da Silva (Jota) aux organisateurs du Salon, Londrina, 14/08/1974 ;
- Lettre de Francisco Quadra Andrez (Ticão) au Président du Salon de l’humour, Suzano,
16/08/1974 ;
- Lettre manuscrite de José Gonçalves Maroubo (Maroubo) aux organisateurs du Salon, Assis,
19/08/1974 ;
- Lettre de Claude Moliterni à Zélio Alves Pinto, Neuilly, 16/07/1975 ;
- Lettre de R.B. Denys à la Direction municipale du tourisme, San Salvador, 29/01/1976 ;
- Lettre de Geoffrey Dickinson à Luis Antônio Fagundes, Londres, 20/02/1976 ;
- Lettre manuscrite de Tabaré aux organisateurs du Salon de l’humour, Buenos Aires,
05/08/1976 ;
Revue de presse :
- « O Zélio veio e agradou » in O Diário, 21/08/1974 ;
- Tribuna Piracicabana, 12/06/1975 ;
- O Diário, 18/06/1975 ;
- « Este ano, mais interessante » in Tribuna Piracicabana, 05/07/1975 ;
- Folha de São Paulo, 10/07/1975 ;
- Estado de São Paulo, 26/08/1975 ;
509
- Claude MOLITERNI, « Le deuxième salon de l'humour de Piracicaba » in Phénix, n°43,
12/1975, p. 3-6 ;
- « Aragones no Brasil. E que viva Mad ! » in Diário da Noite, 18/06/1976 ;
- Última hora, 19/08/1976 ;
- « Opções e lutas do quadrinho nacional » in Movimento, n°103, 20/06/1977, p. 14-17 ;
- Tribuna da Imprensa, 26/08/1977 ;
- El Tiempo, 21/07/1978 ;
- Jornal de Piracicaba, 12/03/1978 ;
- O Diário, 22/03/1978 ;
- Folha da Tarde, 27/04/1978 ;
- Jornal de Piracicaba, 23/05/1978 ;
- Jornal de Piracicaba, 23/06/1978 ;
- « O humor de Piracicaba no Salão » in Jornal do Povo, 13/08/1978 ;
- « Uma radiografia da alma brasileira » in Folha de São Paulo, 19/08/1978.
510
BIBLIOGRAPHIE
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comparative. Enjeux et controverses » in Terrains & travaux, n°21, 2012, p. 5-21 ;
OUVRAGES GÉNÉRAUX
Dictatures et Temps présent en Amérique latine
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Uruguai, Porto Alegre, Editora da Universidade/UFRGS, 1989 ;
- CAPDEVILA, Luc, LANGUE, Frédérique, Entre mémoire collective et histoire officielle. L’histoire
du Temps présent en Amérique latine, Rennes, PUR, 2009 ;
- FICO, Carlos, FERREIRA, Marieta de Moraes, ARAUJO, Maria Paula, QUADRAT, Samantha Viz
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Histoire politique, économique, culturelle et sociale du Brésil
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- ALENCASTRO, Luis Felipe de, « La traite négrière et l'unité nationale brésilienne » in Revue
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- ALENCASTRO, Luis Felipe de, « Le versant brésilien de l'Atlantique-Sud : 1550 - 1850 » in
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- BRUM, Mario, « Favelas e remocionismo ontem e hoje : da Ditadura de 1964 aos Grandes
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- CANDIDO, Antonio, « Radicalismos » in Estudos Avançados, vol. 4, n°8, janv-avril 1990, p. 41;
- COLOMBO, Eduardo (dir.), História do Movimento Operário Revolucionário, São Paulo,
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- DOMINGUES, Petrônio, « Movimento Negro Brasileiro : alguns apontamentos históricos » in
Tempo, n°23, 2007, p. 100-122 ;
- GREEN, James Naylor, Além do carnaval: a homossexualidade masculina no Brasil do século
XX, São Paulo, Editora UNESP, 1999 ;
- HOCHSTETLER, Kathryn, KECK, Margaret, Greening Brazil. Environmental Activism in State
and Society, Durham, Duke University Press, 2008.
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Paulo,
06/08/2018
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(consulté le 20/09/2018).
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DOCUMENTS ANNEXES
LISTES DU SNI :
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MONTEIRO, PAULO, SECRÉTARIAT
DE SÉCURITÉ PUBLIQUE, RAPPORT ADRESSÉ À LA
OPÉRATIONS DE LA SECTION DE RECHERCHES SPÉCIALES,
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RIO DE JANEIRO, 11/12/1974 :
DIVISION
DES
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ERNANI DINIZ LUCAS (NANI), ENTRETIEN RÉALISÉ LE 05/11/2013, LARANJEIRAS, RIO DE JANEIRO :
M.T. : Como poderíamos definir cada tipo de humor gráfico?
N. : Temos o costume de definir a caricatura como o retrato de uma pessoa, deformada, é mais
um desenho do rosto e às vezes da situação do caricaturado. A charge normalmente é em cima
de um fato político : isso abrange não somente a vida política mais clássica, os partidos, mas
também os costumes, as situações no pais, a maneira de agir das pessoas dentro da arena
política. O cartum visa mais o humor, as vezes é só uma ilustração gráfica feita para provocar
o riso, a curiosidade... Dentro do cartum cabe muita coisa. A referência é sempre o ser
humano : você faz um cartum sobre pedra, mas a referência é o homem. Não tem como fugir.
O cartum é um pouco aberto, um pouco mais geral, mas as vezes também tem ilações
politicas, já que, como eu disse, a referência é o ser humano..
Então o termo “cartunista” abrange essa variedade : chargista, caricaturista, desenhista de
quadrinhos... O cartunista e um faz tudo.
Desde que existe a caricatura, ela sempre foi em cima dos homens públicos. Nos Estados
Unidos, em mil oitocentos e alguma coisa, um senador diz o seguinte respeito à caricatura :
“Meus eleitores não sabem ler, mas esses malditos desenhos...”. Já nos chamavam de “os
malditos cartunistas” desde o século XIX..
M.T. : O desenho teria um poder expressivo maior que outras formas de comunicação?
N. : As pessoas entendem um desenho. No depoimento que eu dei para o filme “Malditos
Cartunistas”, eu falo que a charge é uma quarta leitura do jornal : você lê primeiro o
manchete, depois as noticias, o editorial e depois vem o charge. De repente, a charge é uma
leitura mais fácil do que tudo o que tem dentro do jornal. A charge tem esse poder de síntese e
ao mesmo tempo é opinativa. A charge, antigamente, se chamava charge editorial aqui no
Brasil. Ela saia junto com o editorial. Acho que a Folha de São Paulo ainda mantem esse tipo
de associação. Isso quer dizer que a charge era tão importante como o editorial escrito, e foi
assim durante muito tempo no Brasil. Nessas publicações do século XIX e do século XX. O
Brasil tem uma grande tradição de jornais de humor. A imprensa nasceu aqui com muitos
desenhos satíricos porque naquela época não existiam as fotos, então os jornais eram
ilustrados com desenhos. O desenhistas eram muito importantes nos jornais. As ilustrações
eram feitas com desenhos de humor, com caricaturas.
M.T. : Mas a charge editorial não é só uma ilustração, sim?
N. : Não, ela é a opinião do chargista sobre os assuntos, às vezes de acordo com a linha
política do jornal e as vezes não. O chargista sempre foi muito independente.
Aqui, durante o período que eu presenciei, os chargistas eram independentes. Não tinham
necessariamente uma vinculação com a linha editorial, podiam ser famosos por terem opiniões
fortes e até inclusive diferentes da linha do jornal. Por isso é que eram contratados, por ter
aquela opinião.
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M.T. : Como você começou a desenhar? Teve algum tipo de formação específica?
N. : Quando eu era menino, eu lia quadrinhos, mas não tinha um bom desenho então quando
eu vi aos treze anos uma revista cheias de cartuns de humor, pensei “Isso, eu sei fazer”. Me
forcei a desenhar cartuns e a me exercitar todos os dias. Fazia muitos cartuns, desenhava
muito, fazia quarenta cartuns por dia... As revistas me serviam de referências para os temas.
Fiz isso dos 13 aos 18 anos, em Esmeraldas, minha cidade do interior de Minas. Nessa época
fiz um jornalzinho que vendia os domingos, era um jornal de humor mimeografado. Quando
fui para Belo Horizonte, aos vinte anos, levei meus desenhos aos jornais e um deles começou a
publicar. Então eu publico desde os vinte anos de idade. No começo era no O Diário, de Belo
Horizonte. Aí, meu trabalho chamou a atenção de um jornalista que vinha para o Rio de
Janeiro. Ele veio com uma turma de jornalistas para assumir o O Jornal, e me convidou. Então
eu vim em 1973 pelo Rio já empregado no O Jornal. Já publicava para O Pasquim, mandava
meus desenhos desde Belo Horizonte. Esse tinha muitos colaboradores. Quando cheguei ao
Rio em 73, estava nesse O Jornal, no Pasquim e o Henfil saiu do Jornal dos Sportes e eu
fiquei no lugar dele fazendo charges de futebol. Então cheguei ao Rio já estando em três
jornais. Comecei a mandar desenhos para O Pasquim desde Minas em 72 e eu fiquei direito
até o jornal acabar, com o Jaguar, naquela fase meio decadente.
A minha geração de cartunistas nasceu com a censura. Começamos a exercitar nossa profissão
já sob o jugo da censura. Aprendemos a burlar a censura, a gente usava muitas metáforas para
fazer os desenhos... Por exemplo, para caracterizar os porões da ditadura ou a tortura, a gente
usava as figuras do carrasco, do bobo do Rei... O jogo era driblar a censura. Era charge de
militância. A gente fazia charge para derrubar a ditadura. A gente fazia também cartum de
humor mesmo, mas não era essencial. O importante era derrubar a ditadura.
M.T. : O humor era o meio para conseguir fazer esse trabalho levando em consideração a
ação da censura?
N. : O Pasquim surgiu na ditadura, depois do AI-5, já com a linguagem de humor moleque,
irreverente, mas ao mesmo tempo dizia muita coisa. Passou a entrevistar os exilados, mesmo
sob censura era um voz respiradora pela intelligentsia. O jornal inovou muito o jeito de dar
noticias, de entrevistar as pessoas. Ele mudou a linguagem formal dos jornais. Como a charge
podia burlar a censura porque a gente usava algumas metáforas, algumas imagens que o leitor
podia perceber, então todos os jornais quiseram ter chargistas também. O Pasquim provocou o
boom do humor. Isso aumentou muito o mercado. O Pasquim facilitou o aumento do número
de chargistas e os chargistas foram para os jornais que necessitavam ter um canal de expressão
de oposição à ditadura que estava esmagando as liberdades do país. Faziamos isso através do
desenho.
Foi uma época muito ruim porque os grandes jornais foram silenciados. A censura que se
instalou proibia o político mas liberava a pornografia. Surgiram as pornochanchadas, as
revistas para masculinas tipo Playboy, e tal... E elas usavam também muitos cartuns, então a
gente começou a fazer cartuns eróticos. Foi um mercado paralelo que ocupou o espaço durante
a ditadura. Eu tenho muitos cartuns assim da época, era a única alternativa.
540
O cartum puro ficou um pouco marginalizado. Era importante, quase uma condição sine qua
non fazer charge política e a outra alternativa era fazer cartum de sacanagem. Quando veio a
abertura todos podiam dizer tudo, ai a censura acabou e o mercado fechou. Os chargista que
estavam nos jornais continuaram, outros foram demitidos, e o mercado ficou fechado. Aí
surgiram os jornais alternativos de humor como o Planeta Diario, a Casseta Popular e pelo país
a fora os cartunistas tentaram lançar seus próprios jornais, como a Ovelha Negra, O Pingente,
A Roleta, etc. O país começou a respirar e a seguir as trilhas de um tipo de humor que se fazia
antes da ditadura, sem o compromisso de derrubar o regime, nos moldes de O Cruzeiro que
fora uma revista espetacular, que era uma Globo da época e vendia milhões de exemplares
comparado com hoje -750 000 exemplares mas era proporcional na época a uma TV Globofazia um tipo de humor mais “normal”, menos politizado. Este humor durou um tempo, mas
depois os jornais de humor saíram de moda.
Hoje existem cartunistas que ainda fazem cartum, mas são poucos (risos). Uns fazem
quadrinhos, outros fazem charges, mas cartum puro... são poucos que fazem. Cartum-cartum
hoje só existe hoje nos salões de humo e em alguns blogs, como o meu.
M.T. : Conhece o Salão de humor de Piracicaba?
N. : Eu fui premiado lá um ano, e outro ano fiz o cartaz do Salão. Esse ultimo ano eu fui como
convidado. E um salão muito bem feito, ele reúne cartunistas do mundo inteiro –acho que são
56 países. Muitos países participam.
M.T. : Ele nasceu durante a ditadura, em 74...
N. : Eles contaram lá que tiveram muitas dificuldades e que tiveram que pedir ajuda ao pessoal
do Pasquim. Eu fui premiado ha muito tempo, acho que foi em 76... Tinha três prêmios :
charge, cartum e história em quadrinhos. Agora tem outras variedades, existe ate a categoria
“escultura de humor”... Emfim, é um salão muito legal.
Nessa época nasceram outros salões. Um aconteceu em Niterói –também ganhei em Niterói-,
outros aconteceram em... nessas cidades estranhas tipo uma em Curitiba, tem um em Piauí, em
Volta Redonda. São oportunidades de se mostrar o cartum mesmo. A charge é mais difícil
porque quando abre o salão, a charges feitas antes já estão defasadas. Acho ótimos esses
salões. Eu não participo muito por falta de tempo mas o interesse deles é grande, acho
importante.
M.T. : Você falou de uma geração de cartunistas que se criou sob a censura. Qual foi sua
vivência concreta da censura?
N. : Antes de eu chegar no Rio, tinha em censor na redação do Pasquim. Às vezes o Jaguar
levava os desenhos na casa do censor. Tem muitas anedotas folclóricas sobre esses censores.
Quando a censura foi para Brasília, a gente tinha que mandar o material para lá, tinha que ser
esperto e mandar três vezes a quantidade normal para sobrar algum material suficiente para
fazer o jornal. Eu tenho alguns desenhos guardados aí, alguns cartuns censurados que posso te
passar.
M.T. : Aí da para perceber o punto de vista dos censores...
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N. : Era ridículo. O censor tinha que ser mais realista que o proprio rei então ele veia coisas
que ninguém veia. O pretexto da prisão do pessoal do Pasquim foi uma capa publicada no 7 de
setembro onde eles botaram uma gravura de Dom Pedro 1ro gritando “Eu quero mocotó”, que
era uma musica do Tim Maia. O governo queria fazer alguma coisa com o jornal desde um
tempo. Existiam uns grupos de direita que boicotavam o jornal, teve casos de bombas
colocadas em bancas de jornal e muitos jornaleiros ficavam com medo de vender o Pasquim...
Era uma maneira de acabar com o jornal financeiramente. Esses grupos existiam e foramm
expostos com a bomba que estourou no Rio centro.
Os censores, então, eram mais realistas que o rei e se vê pelos desenhos que censuravam. Eram
coisas tão idiotas que dá vontade de dar uma risada. Esse aí por exemplo nunca entendi. Eu
quis fazer um jogo de palavras. Eles talvez vieram nisso uma louca ambição de inversão da
ordem social... Mas de alguma forma, tirando algumas pessoas do Pasquim que foram presas e
algumas bombas em bancas de jornal, o mais grave foi a crise financeira, poucos anunciantes
tinham coragem de anunciar no jornal.
A nossa função de cartunistas na época, era sempre fazer denúncias. Às vezes o que o Pasquim
publicava chegava na grande imprensa, às vezes não. O chargista era importante porque com a
charge, ele dava uma notícia que o jornal da grande imprensa não podia dar. As informações
não podiam ser impressas escritas mas podiam ser impressas desenhadas. A nossa função
então foi importante porque ocupou um canal de comunicação com o público, passando
algumas mensagens e assumindo um tipo de resistência.
M.T. : Vocês ficavam sabendo da ação da censura quando o desenho voltava?
N. : Se era liberado, a gente publicava. Vetado, não tinha como publicar.
M.T. : Você ainda trabalhava nos três jornais? No Pasquim, no Jornal e no Jornal dos
Esportes? Os três eram censurados da mesma maneira? Existia autocensura?
N. : O O Jornal durou um ano. No Jornal dos Sports era só futebol então eu fazia charges
sobre futebol. Não era censurado. No Pasquim não tinha censura por parte da redação. Todo
mundo publicava suas coisas, quanto mais violento for –se passasse pela censura- melhor era.
Muitos jornais tentaram fazer coisas iguais ao Pasquim, uns cartunistas lá em São Paulo
tentaram fazer Ovelha negra –eu participei. Surgiam jornais de humor, duravam dois ou três
números, fechavam... Mas era muito difícil porque era muito caro. Tinha o Pingente, que fiz
com amigos, aqui do Rio, que durou sete números. Minha geração não fazia stand-up comedy,
fazíamos jornais. Era uma postura da época.
M.T. : Eram vários a participar de muitas publicações?
N. : A gente publicava muito porque a demanda por desenhos de humor era grande. Além,
nesses jornais onde eu publicava, se pagava muito pouco. Para sobreviver, tinha que ublicar
em quinze, vinte lugares diferentes. Publiquei até num jornal de filatelia, O Jornal do Selo.
Me pediram e eu fiz varias paginas de cartuns sobre selos, o que era coisa impossível... (risos).
O jornal da Petrobras, o jornal da Shell... todos queriam um desenho de humor. Pagava pouco,
a economia era muito inflacionada e a gente fazia muito desenho para receber alguma coisa no
fim do mês.
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M.T. : Qual era o publico? Você evocou uma demanda forte por desenhos de humor. Por
parte de quem? Tinha algum jeito de conhecer uns dados sobre publico?
N. : A maioria dos cartunistas dentro do Pasquim ficaram famosos, tudo mundo lia o jornal.. O
jornal era nacional. O Pasquim fez o nome de muita gente. Teve uma época que eu publicava
cartuns numa revista de palavras cruzadas e essa revista era distribuída no Brasil inteiro e o
publico atingido era enorme. Fiquei famoso porque tudo mundo conhecia meus cartuns por
causa daquela revista. Pessoalmente sempre publiquei muito, meus desenhos sempre estavam
em algum jornal ou em outro. Depois eu fui para a TV Globo como chargista: fiz charges no
jornal da Globo, na época do Sarney. Estava na época do início dos computadores e
começamos a fazer charges digitalizadas. Ficamos lá uns dois anos e meio, depois pararam
com as charges.. Depois o Chico Caruso voltou e está lá até hoje. Naquela época estavam
chegando os computadores gráficos, Faziamos animações precárias porque aqui no Brasil,
estava tudo no inicio. Com a tecnologia de hoje é muito mais fácil.
Depois vieram os “plin-plins”, desenhos que fiz para entrar nos brakes da programação. Eram
cartuns animados e fizeram bastante sucesso, comigo e muitos outros cartunistas. Com o
passar do tempo, querendo ser politicamente correta, a TV Globo pediu cartuns incentivando a
leitura, contra sujeira nas ruas, etcetera e tal, e aí os cartuns ficaram chatos e pararam de botar
no ar. Quando era só cartum era uma boa idéia e todos gostavam. Tem gente que lembra dos
que fizemos até hoje.
Também fiz ilustrações animadas para o Globo Repórter.
Fora isso, continuo fazendo a minha tira em vários jornais.. Estou sempre com algum desenho
em algum lugar. Agora com Internet, eu faço meu blog (nanihumor) e as pessoas
acompanham. Virou uma vitrine, professores utilizam meus desenhos para ilustrar as matérias
que querem passar pelos alunos. Quando escritores botam em livros didáticos, eles compram
meus desenhos. Internet me da algum dinheiro de venda de material para editores de livros
didáticos.
Como sou redator, o básico da minha vida a televisão paga. Eu ainda gosto de desenhar e
desenho todos os dias.
Tenho e continuo fazendo livros infantis. Tenho publicados
romances e muitos de cartuns.
livros policiais, de contos,
M.T. : O que é um cartum militante? O que é a militância do cartunista?
N. : Não existe humor a favor. O humor sempre tem que ser contra. O Freud fala uma coisa do
tipo “o humor não se resigna, desafia”. Tem que ser sempre desafiante, não tem que ficar
resignados. Ideologicamente, o humor é sempre a esquerda. O Mark Twain falava que o humor
é “o grande amor pela humanidade”. O cartunista nasce com um pouco dessa verve e esse
espírito de denuncia. E difícil encontrar um cartunista de direita. Existe, mas é raro. Por
exemplo, durante a ditadura, lutamos muito pelos partidos, lutamos pelo PT fazendo charges.
Era uma plataforma contra a ditadura, pelos movimentos operários. Quando o PT chegou ao
governo, no primeiro dia já estávamos fazendo charge contra o Lula. Ser um cartunista de
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partido é meio abjeto. Uma charge “a favor” vira uma cartilha institucional, não é mais uma
charge.
M.T. : O chargista se define como de oposição?
N. : E, eu acho que sim. Quando uma charge tenta explicar um elemento e convencer, quando
ela e institucional, perdeu a natureza de charge. Virou uma coisa didática, um panfleto, uma
peça de propaganda.
Na ditadura, a gente fazia charges a favor de tal ou tal político e contra o regime. Sempre tinha
um objetivo maior que o simples posicionamento a favor de um homem político.
M.T. : Essa atuação política era consciente por parte dos cartunistas ou era fruto da
época, do ambiente e da logica de grupo e pertença às redações?
N. : Quando acabou a censura, muitos revelaram posições reacionárias. Na ditadura, o preto e
branco. Eram os bandidos contra as mocinhos. Posicionar-se era fácil. Mas muitos, na hora de
entrar nos detalhes e de verbalizar o engajamento, tiveram dificuldades porque não tinham
embasamento político, nem leituras, nem fundamento intelectual e voltaram a ser os burgueses
de sempre. Claro que existiam oportunistas. Alguns simplesmente pararam de fazer o que
faziam.
M.T. : A abertura teve um impacto forte nos cartunistas?
N. : Teve. Eu lembro de um dos caras do Pasquim falando assim “agora esses cartunistas vão
sumir”. Os novos cartunista tinham espaço no Pasquim por causa da censura. Às vezes,
censuravam uns desenhos do Ziraldo, do Jaguar... e o jornal botava os nossos. Pra nos era
ótimo estar no banco de reserva. Quando acabou a censura, o que atrapalhou o Pasquim foi a
tomada de posições partidárias. O Ziraldo, na época, apoiou o MDB e o Jaguar apoiou o
Brizola. O jornal perdeu a caraterística de não ser partidário e começou a cair um pouco.
M.T. : Ainda não tinha nenhuma autocensura dentro da redação naquela época?
N. : Não, nada de autocensura. Mas depois que acabou a ditadura as tomadas de posição
comprometeram o jornal. Como o Jaguar, que ficou mais favor do Brizola, o Ziraldo era mais
MDB. Enfim, com isso, como dizia Mario Quintana: o Pasquim perdeu o jeito de rir que tinha.
- Perdeu-se uma coisa ali.
O jornal estava com dificuldades financeiras, teve que pedir subsídio do estado. E virou um
jornal normal. Não tinha, digamos, uma administração profissional no Pasquim. Existia um
departamento de finanças mas ninguém encabeçava. Na época que eu cheguei, em 72 ou 73, o
Millôr e o Henfil estavam levantando o jornal no momento que estava cheio de dívidas. Eles
lançaram a Codecri, uma editora que vendeu muitos livros. Aí o jornal deu uma levantada. O
Millôr teve um papel muito importante, ele conseguiu estabilizar, a redação foi pela rua SaintRoman, eles conseguiram empréstimo, ordenaram as finanças... e pagavam os desenhos. Lá
em Minas, eu recebia os cheques. Todos os colaboradores eram pagos.
Antes de chegar na Saint-Roman, era numa casa na rua Tasso Fragoso na Lagoa.
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M.T. : Voltando ao tema das metáforas utilizadas, pode detalhar mais esse processo? Tem
alguns exemplos?
N. : Saiu esse livro aí que tem muitos exemplos. Usávamos muito a figura do “bobo da corte”,
usávamos metáforas para significar o poder. Fazíamos também charges direitas.
Esse livro aí tem desenhos publicados no Pasquim e republicados pela Codecri. Tem temas
econômicos, muita crítica aos militares... No Salão de Piracicaba, o primeiro cartum que
ganhou era um desenho do Laerte que tinha um tema medieval, era sobre um rei.
Falar dos pobres também era muito censurado, não se podia dizer que tinha miséria no país. A
gente tentava tratar de vários temas diferentes. As antologias do Pasquim permitem perceber
essa variedade.
Esse livro aqui junta cartuns sobre a Anistia. O Pasquim levantou muito o tema da Anistia dos
exilados. Todos os cartuns são da época. Dá para ver que não fazíamos só metáforas, tem uns
cartuns direitos também, com menções da “ABC”, da “UNE”... No final dos anos 70 já a
censura estava mais fraca e podia-se falar de mais coisas. Foram momentos distintos. A partir
da abertura, se falava muito mais. O Ziraldo fazia caricaturas de pessoas do regime... Um dos
generais-presidentes que quase nunca foi caricaturado foi o Médici. A gente nem ousava fazer
caricaturas dele.
M.T. : Tinha mulheres cartunistas na época?
N. : Eram poucas, tinha a Mariza. Tinha a Ciça que criou o PATO, publicado no Jornal do
Brasil em São Paulo: seu formigueiro era uma metáfora do país. Pouquíssimas. A maioria
ilustrava, não fazia charge.
M.T. : Uma palavra para concluir?
N. : Acho que a alegria que O Pasquim passou era importante e contagiante e revolucionaria.
Não tinha muito espaço de expressão, a imprensa era fechada e censurada. O jornal Pasquim
surgiu com um tipo de humor inteligente e combativo. Publicava entrevistas de pessoas
interessantes que os outros jornais não podiam entrevistar. O Ziraldo, o Millôr, o Henfil...
contribuíram da fama do jornal. O Henfil era o ídolo da torcida do Flamengo, que criou o
Urubu, logo adotado.
Algumas celebridades participavam escrevendo, como Caetano Veloso, Chico Buarque,
Glauber Rocha... Quando o pessoal do Pasquim foi preso, salvo o Millôr e o Henfil, vários
artistas e intelectuais mandaram matérias para cobrir. Atê Roberto Carlos mandou uma dica!
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INDEX
Index lexical
A Carapuça...............................................................................................................................175
A Carranca..................................................................................................................................52
A Cigarra............................................................................................................................88, 166
A Patota....................................................................................................................................159
Abdias Nascimento..........................................................................................398, 399, 407, 424
Abril.........................................................................................................141, 183, 184, 185, 314
Acte institutionnel n°5. 19, 75, 76, 140, 143, 145, 146, 159, 175, 179, 226, 236, 276, 336, 460,
497, 517
Adilson Benedito Maluf...........................................................................................280, 291, 485
Adolfo Queiroz........................................................................................................................283
Afinal.................................................................................................................................81, 474
AGRAF..............................................................................................................19, 315, 316, 326
Aguinaldo Silva........................................................340, 369, 376, 377, 378, 380, 383, 393, 400
Alcy..................................................................................281, 306, 328, 408, 416, 417, 430, 483
Allende.....................................................................................................................259, 260, 497
ALN...........................................................................................................................................79
Alterosa............................................................................................................................170, 246
Alvorada...............................................................................................11, 52, 104, 136, 137, 138
Amanhã............................................................................................................142, 179, 452, 474
Andreato...........................................................156, 183, 184, 185, 186, 204, 206, 326, 408, 504
Angeli...........13, 17, 156, 167, 168, 169, 170, 312, 326, 327, 408, 414, 416, 417, 430, 443, 483
Ângelo Agostini...................................................................................................32, 53, 494, 495
Antônio Chrysóstomo......................................................................................................340, 390
ARENA..............................................................................................................................19, 130
Argemiro Ferreira....................................................................................................................194
Audálio Dantas.................................................................................................285, 305, 310, 315
Augusto Pinochet.............................................................................................234, 260, 261, 496
Balão........................................................................................................167, 168, 172, 292, 314
Barranco.......................................................................................................15, 80, 456, 457, 474
Belmonte......................................................................................................................62, 63, 481
Bondinho..................................................................................................................................207
Borboleta Poetica.......................................................................................................................52
Boris Schnaiderman.................................................................................................................407
Brasil Mulher...13, 14, 39, 43, 83, 338, 339, 340, 341, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 352,
353, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 387, 394, 402, 403, 474, 504,
507
Brizola..........................................................................................68, 69, 128, 130, 161, 164, 521
Cabrião.................................................................................................................................53, 54
Cadernos do Povo Brasileiro............................................................................................140, 504
Caetano Veloso.................................................................................................................416, 522
Callicut.....................................................................................................................................232
Careta.............................................................................11, 61, 62, 63, 64, 66, 67, 470, 495, 496
Carlos Colonese...............................................................................................................283, 284
Carlos Lacerda.........................................................................................................136, 137, 138
547
Carlos Prósperi.........................................................................................................................175
Carlos Rangel...........................................................................................................................408
Castelo Branco. 42, 72, 74, 76, 95, 103, 116, 130, 131, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 233, 236,
464
Cecilia Vicente de Azevedo......................................................................................................350
Centre populaire de culture..........................19, 35, 36, 41, 69, 76, 140, 170, 495, 500, 501, 502
Chanacomchana.........................................................................................................80, 338, 474
Chiclete com Banana...............................................................................................167, 169, 506
Chico Buarque..................................................................................147, 176, 178, 199, 376, 522
Chico Caruso....13, 168, 172, 173, 182, 183, 191, 193, 232, 234, 235, 270, 272, 305, 310, 315,
319, 321, 322, 326, 408, 430, 463, 483, 520
Chinem.....................................................................................................................................408
Chomsky..........................................................................................................................189, 190
Ciça..................................................................................281, 291, 303, 341, 350, 352, 364, 522
Civilização Brasileira...............................................................................................140, 141, 164
Claudius.......................................................................................................88, 99, 100, 426, 509
Codecri.....................................................................................................314, 481, 482, 521, 522
Coojornal......................................................79, 80, 249, 339, 360, 434, 460, 461, 462, 474, 475
Correio Braziliense..............................................................................................................48, 49
Correio da Manhã.....................................................................................................................166
Correio Oficial...........................................................................................................................50
Costa e Silva.......................................................................................................................42, 130
Crist..........................................................................................................................................309
CS...........................................................................................................19, 78, 79, 388, 406, 427
Darcy Penteado................................................................................................340, 384, 385, 434
Darcy Ribeiro...........................................................................................................................164
Dargaud....................................................................................296, 297, 298, 299, 300, 302, 481
Dealbar.............................................................................................................................142, 475
Delfim Netto....................................................................................................................236, 237
Demo................................................................................111, 125, 223, 224, 227, 262, 424, 488
Département de presse et de propagande.......................................................................19, 61, 73
Diário da Manhã.......................................................................................................................169
Diário de Pernambuco..............................................................................................................217
Division de la censure des divertissements publics.....................................19, 73, 225, 377, 378
DOI-Codi...................................................................................................................................75
Don Quixote...............................................................................................................................55
DOPS...........................7, 19, 75, 84, 96, 100, 121, 122, 128, 165, 203, 222, 223, 224, 482, 498
Dourival Caymmi.......................................................................................................................67
Edgar Vasques..........................................................249, 250, 251, 350, 413, 430, 460, 461, 481
Eduardo Galeano......................................................................................................257, 405, 406
Elson Martins da Silveira.........................................................................................................450
Em Tempo........................................................................................................................386, 452
Ênio Silveira.............................................................................................................140, 141, 504
Ermelindo Nardin.............................................................................................283, 284, 298, 485
Ernesto Geisel....37, 42, 148, 203, 204, 206, 232, 234, 235, 237, 238, 239, 240, 249, 304, 324,
329, 336, 337, 356, 363, 376, 411, 431, 457, 483
Estado Novo...................................47, 60, 61, 63, 64, 65, 67, 142, 272, 361, 395, 464, 469, 495
Ex-..............................................................................................................................12, 207, 208
Faerman..............................................................79, 157, 405, 407, 411, 414, 420, 428, 431, 503
548
FAFS........................................................................................................................194, 240, 241
Fagundes..................................................................................................................................281
Fausto Guilherme Longo.........................................................................................................315
Fausto Hugo Prats............................................................................................................329, 484
Fernando Coelho dos Santos....................................................................................281, 282, 285
Fernando Gabeira.....................................................................................................385, 386, 390
Fernando Kolleritz....................................................................................................................429
Fernando Peixoto.............................................................................................................185, 500
Figueiredo..........................................................76, 197, 329, 331, 337, 376, 377, 383, 384, 385
Filinto Strumbling Müller........................................................................................................234
Flávio Rangel...........................................................................................................................116
Folha da Noite............................................................................................................................62
Folha da Tarde...........................................................................................76, 172, 180, 310, 487
Folha de São Paulo...................166, 168, 169, 218, 282, 291, 300, 319, 325, 451, 486, 487, 516
Fon-Fon......................................................................................................................................55
Fortuna 96, 98, 135, 143, 165, 166, 167, 197, 200, 201, 228, 230, 245, 281, 291, 292, 303, 310,
312, 314, 316, 319, 460, 481, 505
Fradim..............................................................................................159, 170, 314, 382, 417, 506
Fraga.................................................................................................................................459, 460
Francisco Bittencourt.......................................................................................................340, 392
Francisco Juska Filho...............................................................................................310, 328, 484
Gasparian.........................................................................................................178, 180, 193, 206
Gazeta do Rio de Janeiro...........................................................................................................49
Géandré....................................................................................................................................316
Geoffrey Dickinson..........................................................302, 303, 304, 305, 306, 309, 485, 486
Glauco................................................................13, 167, 169, 170, 310, 324, 325, 331, 483, 484
Golbery do Couto e Silva.................................................................................................237, 238
Goodwin.............................................17, 152, 153, 154, 173, 174, 175, 198, 199, 202, 211, 480
Goulart.....................................................................................................33, 68, 69, 72, 233, 495
Grillus.......................................................................................................................................249
Grilo...................................................................................17, 153, 157, 191, 207, 411, 419, 480
Guidacci...................................................................................................................................178
Hartur.......................................................................................366, 367, 372, 373, 375, 379, 384
Henfil. 13, 32, 154, 159, 169, 170, 171, 183, 190, 197, 199, 200, 231, 246, 250, 251, 252, 265,
310, 314, 315, 316, 319, 341, 344, 345, 353, 357, 362, 382, 387, 451, 460, 461, 481, 495, 505,
506, 517, 521, 522
Herblock...................................................................................................................................262
Hermó.........................................................................................................13, 289, 290, 294, 486
Hipólito José da Costa Pereira...................................................................................................48
Honoré Daumier.........................................................................................................................50
Hugo Banzer....................................................................................................................234, 255
Ignatz........................................................................................................168, 341, 342, 343, 371
Impressão Régia...........................................................................................................48, 49, 493
IMS.......................................................................................................................................19, 87
Inimigo do Rei...................................................................................................................80, 389
Institut Vladimir Herzog..................................................................................17, 24, 33, 81, 180
Isto É........................................................................................................................................172
Ivan Joaquim............................................................................................................................366
Ivan Lessa........................................................................................................................178, 390
549
J.Borges....................................................................................................................................410
J.Carlos...................................................................................................................32, 56, 62, 495
Jaguar..21, 96, 107, 111, 112, 113, 122, 123, 135, 143, 154, 159, 164, 165, 166, 174, 175, 178,
183, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 228, 229, 230, 242, 244, 247, 252, 263, 274, 275, 281, 284,
291, 292, 303, 310, 392, 393, 481, 517, 518, 521
James Schlesinger....................................................................................................................271
Jânio Quadros.............................................................................................................68, 122, 128
Jayme Leão.......................................................................194, 312, 314, 319, 411, 413, 430, 483
João Gomes Martins.........................................................................................................330, 484
João Silvério Trevisan......................................................................................340, 381, 388, 435
João Zero..........................................................................................................................421, 430
Jorcêne Martinez......................................................................................................................456
Jorge Izar............................................................................................................13, 333, 334, 484
Jorge Pinheiro...................................................................................................................408, 411
Jorge Rafael Videla............................................................................................32, 309, 420, 470
Jorge Schwartz.........................................................................................................................395
Jornal de Piracicaba................................................................................................299, 310, 487
Jornal do Brasil..........................................71, 162, 165, 172, 173, 220, 253, 265, 282, 462, 522
Jornal dos Sports..............................................................................................................170, 519
Josanildo Dias de Lacerda..................................................................................15, 311, 439, 440
José Magalhães Pinto...............................................................................................................136
José Maria Alkmin...................................................................................................................130
Juan María Bordaberry.....................................................................................................234, 255
K.Lixto.......................................................................................................................................61
Kubitschek...................................................................................................................66, 67, 128
Kucinski.................................................................81, 82, 83, 141, 149, 152, 158, 175, 180, 504
Laerte. 13, 15, 167, 168, 169, 170, 171, 292, 293, 294, 314, 319, 341, 352, 353, 364, 459, 463,
471, 472, 481, 483, 522
Lailson................................................................................................................13, 322, 323, 484
Lampião da Esquina.....14, 15, 43, 337, 338, 340, 365, 366, 367, 369, 370, 371, 372, 373, 374,
375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 382, 383, 384, 385, 386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393,
394, 395, 396, 397, 398, 399, 400, 401, 402, 403, 423, 434, 435, 445, 446, 447, 450, 455, 456,
475, 476, 507
Lan.................................................................................................................50, 71, 79, 262, 488
Lanterna Mágica........................................................................................................................50
Le Monde...........................................................................................................84, 155, 182, 492
Leila Roque Diniz..............................................................................................................11, 177
Levi..........................................................183, 262, 267, 366, 367, 382, 386, 391, 396, 399, 402
Levine.......................................................................................................................183, 262, 267
Licínio de Azevedo..................................................................................................................408
Loi de presse..................................................................................73, 74, 75, 143, 203, 378, 482
Loredano..................................171, 172, 182, 183, 184, 186, 188, 193, 232, 235, 238, 255, 269
Luis Fernando Veríssimo.........................................................................................................460
Luiz Antonio Solda..................................................................................................................323
Luiz Carlos Maciel...........................................................................................................175, 178
Luiz Gê.....................................................................................................168, 314, 317, 412, 463
Luiz Osvaldo Rodrigues...........................................................................................................310
Luiz Renato Bittencourt Silva..................................................................................................294
Lula..........................................................................................................................................151
550
Mad..................................................................133, 136, 176, 245, 296, 302, 303, 304, 305, 486
Magalhães Pinto.................................................................................................................94, 136
Manchete....................................................................................................................68, 164, 495
Manuel de Araujo Porto-Alegre.....................................................................................11, 49, 50
Marcos Coelho Benjamin.........................................................................281, 305, 327, 328, 483
Marcotin...........................................................................................................................420, 430
Maria da Paz Rodrigues...................................................................................................408, 422
Mariza..............................................................................................194, 232, 251, 367, 387, 522
Martha Alencar.........................................................................................................................197
Massaro Hotoschi...............................................................................................13, 320, 321, 483
MDB...........................................................................................................................19, 130, 467
Médici........................................................................................................................42, 145, 233
Mem de Sá...............................................................................................................................366
Miguel Paiva............................................................................................197, 334, 462, 463, 483
Millôr Fernandes....42, 45, 59, 85, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 98, 99, 103, 104, 105,
106, 107, 108, 111, 112, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 135, 138, 139, 154, 159, 161, 162, 165,
172, 174, 178, 180, 183, 197, 198, 199, 200, 203, 228, 231, 274, 281, 286, 291, 292, 310, 317,
326, 460, 464, 481, 483, 502, 504, 509, 521, 522
Modesto Carone.......................................................................................................................407
Moliterni...................................................296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 309, 481, 485, 486
Mollica.....................................................................................................................183, 191, 194
Montezuma Cruz......................................................................................................................456
Mosquito....................................................................................................................................51
Mouzar Benedito..............................................................................................................417, 420
Movimento. 79, 80, 142, 169, 172, 174, 179, 182, 185, 194, 206, 214, 312, 314, 315, 338, 359,
363, 390, 395, 397, 407, 408, 419, 426, 427, 429, 435, 487, 489, 499, 500, 502, 504
Mulherio.....................................................................................................13, 338, 345, 357, 476
Mutirão.............................................................................................................................359, 452
Nani..............................................................................................21, 22, 330, 464, 480, 484, 516
Neusa Maria Pereira.................................................................................................408, 423, 424
Nilson Azevedo........................................................................................................................169
Nixon................................................................187, 235, 262, 266, 267, 268, 271, 272, 274, 276
Nós, Mulheres. .13, 14, 39, 43, 83, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 346, 347, 350, 351, 353, 354,
357, 358, 359, 361, 362, 363, 365, 371, 387, 394, 403, 476, 504, 507
O Bicho............................................................................................................167, 245, 314, 506
O Cruzeiro............................11, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 98, 106, 162, 166, 476, 503, 518
O Diabo Roxo.............................................................................................................................53
O Diário Popular......................................................................................................................139
O Globo............................................................................................................171, 218, 378, 498
O Libertário..............................................................................................................................142
O Malho.....................................................................................................................................62
O Mercurio.................................................................................................................................55
O Protesto.........................................................................................................................142, 477
O Repórter................................................................................................................................393
O São Paulo................................................................................................................80, 359, 419
O Trabalhador............................................................................................................................80
Octavio Ianni............................................................................................................................407
Omar de Barros Filho.......................................................................405, 406, 407, 408, 414, 431
Oncle Sam..........................................................................................66, 133, 267, 416, 417, 469
551
OPAEP...............................................................................................................20, 270, 271, 272
Opinião 9, 11, 12, 13, 43, 116, 146, 147, 153, 156, 158, 159, 160, 171, 172, 173, 174, 178, 179,
180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 204, 205, 206, 207, 209,
210, 226, 232, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 247, 248, 250, 251, 253, 254, 255,
256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277,
359, 366, 408, 411, 466, 477, 478, 479, 504, 505
Ovelha Negra.............15, 276, 359, 368, 417, 439, 443, 444, 455, 458, 459, 460, 479, 506, 518
Parti communiste brésilien.......................20, 25, 37, 64, 65, 66, 78, 79, 141, 148, 168, 386, 405
Parti social démocratique.............................................................................................20, 71, 130
Pasquim. .7, 9, 11, 12, 13, 14, 21, 38, 43, 81, 106, 146, 147, 151, 152, 153, 154, 155, 157, 158,
160, 161, 162, 163, 164, 165, 167, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 182, 183, 185,
194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 206, 207, 209, 210, 211, 220, 223, 224,
225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 249, 252, 253, 254,
263, 264, 265, 266, 268, 269, 272, 274, 275, 276, 277, 279, 281, 282, 284, 285, 286, 288, 292,
295, 359, 368, 390, 391, 392, 393, 395, 434, 438, 439, 451, 460, 466, 470, 479, 481, 496, 497,
503, 505, 517, 518, 519, 520, 521, 522
Passarinho................................................................................................................................188
Pat Oliphant.....................................................................................................................262, 276
Patrício Bisso...................................................................................................................366, 367
Paulo Caruso............................................................................................154, 172, 188, 312, 452
Paulo de Tarso Venceslau.........................................................................................................408
Paulo Francis....................................................................................166, 180, 181, 223, 263, 286
Paulo Freire......................................................................................................165, 425, 426, 500
Paulo Monteiro.....................................................................................................7, 203, 223, 224
Paulo Pontes.............................................................................................................................147
Paulo Serra.......................................................................................................................437, 443
PCdoB....................................................................................................................20, 78, 80, 387
Percival de Souza.....................................................................................................................407
Péricles Maranhão................................................................................................................88, 94
Perón........................................................................................................194, 254, 255, 256, 496
Petchó.......................................................................................................183, 191, 194, 232, 235
Phénix...............................................................................................................296, 301, 479, 486
Pif-Paf......9, 11, 38, 42, 45, 46, 59, 85, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101,
102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120,
121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139,
164, 165, 166, 167, 464, 465, 479
Pilote................................................................................................................................298, 300
Piracicaba...10, 13, 15, 39, 41, 43, 146, 168, 169, 277, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286,
287, 288, 289, 290, 291, 292, 294, 295, 296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306,
307, 308, 309, 310, 311, 312, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327,
328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 386, 439, 440, 441, 447, 448, 449, 467, 468, 471, 472,
481, 482, 483, 484, 485, 486, 487, 507, 508, 509, 518, 522
PMDB................................................................................................................................20, 163
Porantim.....................................................................................................................................80
PT.......................................................................................................................20, 151, 161, 163
PTB......................................................................................................................................20, 68
Punch................................................................................................................296, 302, 303, 304
Rádice.................................................................................................................38, 360, 479, 506
Rafaela Mambaba....................................................................................................................390
552
Raimundo Pereira....80, 142, 178, 179, 180, 181, 183, 184, 185, 191, 193, 194, 205, 206, 232,
251, 408, 429
Raízes.....................................14, 15, 58, 435, 436, 437, 438, 441, 442, 443, 445, 458, 479, 494
Rango...............................................................................................249, 250, 350, 413, 461, 462
Raul Pederneiras........................................................................................................................61
Realidade..........................................................................................141, 178, 180, 184, 411, 502
Renato Canini...........................................................................................................................333
Repórter....................................................................................................................393, 452, 520
Revisão.....................................................................................................................................141
Revista da Semana.....................................................................................................................55
Revista Illustrada..................................................................................................................53, 54
Rick Flala.................................................................................................................................370
Righetto............................................................................................283, 287, 288, 291, 295, 485
Roberto Antonio Cêra......................................................................................................283, 288
Roberto Fontanarrosa.......................................................................................................309, 311
Roberto Simões................................................................................................................232, 251
Rogério Otávio Basílio Viana..........................................................................................298, 485
Roland............................................................................................11, 58, 59, 123, 124, 320, 492
Sabát.........................................................................................................194, 255, 302, 303, 485
Salazar..............................................................................................................................139, 272
Samora Rachel.........................................................................................................................273
Santiago......................................................................................15, 108, 120, 181, 259, 448, 449
Senhor......................................................................................................................................164
Sérgio Aragones.......................................................................................................302, 303, 309
Sérgio Cabral....................................................................................................................175, 201
Sérgio Gomes.....................................................................................................................17, 168
Sérgio Porto................................................................................................................96, 164, 175
Service spécial de relations publiques...............................................................................19, 225
Sesinho.....................................................................................................................................166
Silvio Martinello......................................................................................................................450
Siné...................................................................................................................................275, 276
Singular & Plural.....................................................................................................................157
Sizenando Alves.......................................................................................................................322
SNI.............................................................................................................................................20
Snob.........................................................................................................................................340
Stanislaw Ponte Preta.........................................................................................................96, 102
Steinberg....................................................................................................................88, 165, 316
Tabaré.........................................................................................................................13, 306, 486
Tagarela................................................................................................................................55, 61
Tarso de Castro.........................................................................................161, 175, 201, 230, 232
Tereza...............................................................................................................116, 341, 346, 347
Tribuna Popular..........................................................................................................................64
Trimano....................................................................172, 182, 183, 187, 188, 189, 190, 232, 503
Última Hora..................................................................................................84, 96, 285, 305, 405
UNE........................................................................................................20, 36, 69, 170, 191, 386
Union démocratique nationale.........................................................................20, 67, 68, 71, 118
Vagn.................................................................................................................................263, 264
Vão Gogo...................................................................................................................................88
Varadouro.............................................................15, 80, 450, 451, 452, 453, 454, 457, 480, 500
553
Vargas.....................................45, 60, 61, 62, 64, 66, 68, 70, 73, 75, 78, 203, 361, 483, 495, 499
Veja...................................................................................................................172, 180, 181, 282
Versus 10, 14, 39, 79, 80, 339, 359, 388, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413, 414,
415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 455,
460, 480, 503, 507
Vida Fluminense..................................................................................................................51, 54
Vilmar...............................................................................................................................116, 120
Vladimir Herzog..........7, 17, 24, 33, 81, 180, 181, 185, 186, 204, 285, 405, 408, 409, 499, 509
Wagner Carelli.........................................................................................................................408
Wilmarx....................................................................................................................................444
Xalberto....................................................................................................................................168
Zanini.......................................................................................................................283, 284, 508
Zélio...................................13, 281, 282, 285, 286, 287, 288, 296, 298, 299, 315, 317, 483, 486
Zero Hora.................................................................................................................................405
Ziraldo Alves Pinto......7, 96, 124, 125, 129, 130, 134, 136, 154, 159, 162, 163, 164, 165, 174,
183, 190, 197, 199, 200, 201, 202, 220, 227, 228, 242, 243, 281, 282, 285, 291, 292, 303, 317,
390, 391, 392, 393, 483, 503, 504, 506, 521, 522
554
Titre : « Rire de la dictature, rire sous la dictature. L’humour graphique dans la presse
indépendante : une arme de résistance sous le régime militaire brésilien (1964-1982) ? »
Résumé : Cette thèse porte sur le rôle politique de diverses formes d’humour graphique – la
charge, la caricature, la bande dessinée, la gravure et le détournement d’image photographique
– publiées dans la presse indépendante, sous le régime militaire brésilien instauré à la suite du
coup d’État du 31 mars 1964. Il s’agit d’analyser les styles, les mécanismes et les pratiques
contestataires spécifiques au dessin d’humour et à l’image satirique à partir de
l’institutionnalisation du pouvoir autoritaire et jusqu’à la réinvention des moyens d’expression
indépendants au début des années 1980. Dans un contexte de fermeture progressive du régime,
de répression policière, de rétrécissement drastique du champ légal de l’action politique et de
sévères limitations imposées à la liberté d’expression, l’humour graphique fut employé par les
rédactions afin de contourner les diverses formes de censure et de lutter contre l’imaginaire
autoritaire. La réinterprétation de certaines pratiques inscrites dans la tradition de l’humour
visuel brésilien, construite à partir de l’essor de la presse imprimée au XIX e siècle, fut
accompagnée d’innovations esthétiques, thématiques et militantes majeures dans un rapport
mouvant à l’interdit, au toléré et à l’autorisé. Les périodiques, les dessinateurs et événements
furent représentatifs d’importantes étapes dans l’élaboration des luttes symboliques et légales
menées par les rédactions indépendantes. La diversité des sources iconographiques,
manuscrites, imprimées et orales révèle l’important pouvoir de synthèse et le rôle fondamental
de l’humour graphique dans la construction d’univers visuels thématiques caractéristiques des
combats – et des divergences – des mouvements brésiliens de l’opposition démocratique.
Mots-clés : Brésil, régime militaire, humour graphique, presse indépendante, caricature, bande
dessinée, satire visuelle
555
Título : « Rir da ditadura, rir sob a ditadura. O humor gráfico na imprensa independente : uma
arma de resistência durante o regime militar brasileiro (1964-1982) ? »
Resumo : Esta tese se dedica ao estudo do papel político de várias formas de humor gráfico –
tais como a charge, a caricatura, a história em quadrinhos, a gravura e o corte-colagem de
fotografia – publicadas na imprensa independente durante o regime militar brasileiro, a partir
do golpe do 31 de março de 1964. Se trata de analisar os estilos, os mecanismos e as práticas
contestatórias específicos do desenho de humor e da imagem satírica a partir da
institucionalização do poder autoritário e até a reinvenção dos meios de comunicação
independentes no começo dos anos 1980. Num contexto de fechamento progressivo do
regime, de repressão policial, de diminuição drástica do campo legal da ação política assim
como de severas limitações impostas à liberdade de expressão, o humor gráfico foi empleado
pelas redações para contornar as diversas formas de censura e lutar contra o imaginário
autoritário. A reinterpretação de certas práticas inscritas na tradição do humor visual brasileiro,
construida a partir do crescimento da imprensa no siglo XIX, foi acompanhada de importantes
inovações estéticas, temáticas e militantes numa relação em movimento com o proibido, o
tolerado e o autorizado. Os periódicos, os cartunistas e eventos foram representativos das
maiores etapas de elaboração das lutas simbólicas e legais por parte das redações
independentes. A diversidade das fontes iconográficas, manuscritas, impressas e orais revela o
importante poder de síntese e o papel fundamental do humor gráfico na construção de
universos visuais temáticos caraterísticos das lutas, e das divergências, dos movimentos
brasileiros da oposição democrática.
Palavras chave : Brasil, regime militar, humor gráfico, imprensa independente, caricatura,
quadrinhos, satira visual
556
Title : « Laughing about dictatorship, laughing under dictatorship. The graphic humor in
independent press: a weapon of resistance during the Brazilian military regime (19641982) ? »
Abstract : This thesis deals with the political role of various forms of graphic humor – charge,
caricature, cartoon, engraving print and photomontage – published in the independent press
under the military regime established as a result of the 31st march 1964’s coup. We analyze the
styles, mechanisms and protester practices specific of humoristic drawings and satirical
images from the authoritarian power’s institutionalization to the reinvention of the
independent ways of expression in the early 80’s. Against a background of progressive
regime’s closure, police repression, extreme reduction of the legal scope of political action and
severe restrictions imposed on freedom of expression, the graphic humor was used by the
editorial offices in order to circumvent the various forms of censorship and fight against the
authoritarian imaginary. The reinterpretation of some practices that has been part of the
Brazilian visual humor tradition built from the rise of the print press in the XIX th century, was
accompanied by major aesthetic, thematic and militant evolutions in a moving connection with
the forbidden, the tolerated and the allowed. The newspapers, the cartoonists and the events
were representative of important steps in the development of symbolic and legal struggles led
by the independent editorial teams. The diversity of iconographic, manuscript, printed and oral
sources reveals the huge synthesis power and the crucial purpose of graphic humor within the
building of thematic and visual universes characteristic of the fights – and the discrepancies –
of the Brazilian democratic opposition’s movements.
Keywords : Brazil, military dictatorship, graphic humor, independent press, caricature,
comics, visual satire.
UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3
IHEAL-CREDA
ED 122 : Europe latine – Amérique latine
Maison de la Recherche, Bureau A008
4, rue des irlandais 75005 PARIS
557